C19 - Les meurtriers (3/4)
— Comment va-t-elle ? s'enquit Brian d'un ton plus brusque qu'il ne l'aurait voulu.
— Elle questionne le prisonnier dans l'Entre-Deux monde, répliqua Mohann. Ceci explique sûrement les émotions que vous avez partagées.
— Je me doutais qu'elle se lancerait seule.
— Elle désire nous aider. Même s'il existe un risque, elle maîtrise cet exercice.
— Sans toi ? Je croyais qu'il fallait toujours un point d'ancrage.
— Obligatoire quand la personne est dans le coma, recommandé dans les autres cas. Attendons son retour.
Brian ne rétorqua pas. Il s'inquiétait pour Flore, mais ne la blâmait pas. S'il en avait la capacité, il agirait de manière identique. L'accompagner lui plairait. Toutefois, la respiration tranquille de son amie le rassura.
Puisqu'il devait patienter, il observa le salon dans lequel il pénétrait pour la première fois. La patte de la jeune femme marquait les lieux. Des teintes pastel de vert, gris et orange égayaient les murs ; de légers voilages ondoyaient sous la brise par les fenêtres entrouvertes ; et, à côté d'une assiette de friandises, un magnifique bouquet sur la table basse embaumait l'air. Une pièce reposante, dont la décoration lui rappelait sa suite.
Nous avons des goûts communs.
Une quiétude l'enveloppa. Détruite lorsqu'un son strident retentit. Il bondit sur ses pieds, les sens en alerte, pendant que Mohann se dirigeait vers une paroi. Elle souleva un voile et vérifia l'écran qu'il dissimulait.
— Le signal d'alarme du bâtiment, des inconnus ont franchi l'enceinte. J'avertis les gardes du palais.
— Non ! Cela concerne notre prisonnier, j'y vais.
— Je te préviendrai de leur déplacement, ils sont quatre. Soit prudent.
Brian récupéra ses armes dans le bureau de la doyenne, situé à côté du salon de Flore, puis descendit l'escalier du hall d'entrée. Au rez-de-chaussée, il se glissa dans l'aile où se trouvait la cellule du captif. Alors qu'il progressait à vive allure, des tirs fusèrent. Il se jeta contre le mur et gronda.
Par les gonades des Ancêtres ! Mohann, qu'attends-tu pour m'informer ? Tu veux ma mort ?
La courbure du couloir le protégeant, il la contacta en pensée. Sans succès, qu'il marqua d'un nouveau juron. L'ennemi bloquait les échanges mentaux. Il avança de quelques pas, mais recula sous le feu nourri des pistolets laser. Ces hommes tenaient la place. Comment les en déloger ? Il se remémora les environs de la prison et ses lèvres se retroussèrent.
Vous n'avez pas encore gagné. Mohann doit voir mes mouvements sur l'ordinateur. Pourvu qu'elle comprenne.
Il se montra à découvert, tira plusieurs fois, avant de se remettre à l'abri dès que ses adversaires ripostèrent. Se faufila dans la première pièce pour sortir par la fenêtre.
Plié en deux, il longea la façade jusqu'à la porte extérieure à l'extrémité du bâtiment. Quand elle coulissa, il se rua dans le couloir et arraisonna un ennemi lui tournant le dos. Celui-ci se désintégra.
Brian se dirigea vers le battant ouvert de la cellule à pas de loups. Ouvert ?
Impossible !
Il rangea l'énigme dans un recoin de son esprit. Le danger requérait toute son attention : un criminel à l'intérieur enchaînait les tirs contre lui. Sans se protéger.
Il l'élimina facilement. Trop facilement.
Une opération suicide !
Il s'empressa de rejoindre la cellule et poussa son troisième juron. Place vide. Le commando avait exécuté le prisonnier. Décidément, ces Néofeles ne laissaient aucune trace derrière eux.
— Brian, reviens ! le somma Mohann tout à coup. Nous devons emmener Flore dans la salle de réanimation.
Ils parvenaient de nouveau à communiquer ? Cela signifiait que le reste des assaillants s'étaient enfuis, mission accomplie. Le sens des paroles de la doyenne le percuta soudain, tandis qu'il fixait, médusé, le lit défait. Le décès de l'ennemi entraînait celui de Flore. L'adrénaline jaillit dans ses veines, il partit en trombe.
Le souffle glacial de la mort brûlait sa nuque.
Accroche-toi, mon ange bleu !
Flore souleva les paupières. Le noir l'entourait. Tout son corps pesait, lourd de plomb.
Où suis-je ? Je devrais être de retour dans mon salon.
Son énergie baissait, le froid la pénétrait jusqu'aux os, son rythme cardiaque diminuait. La cause la frappa : elle avait échoué à revenir et transitait dans l'Entre-Deux monde. Lutter devenait inutile, elle laissa le manteau des ténèbres l'emporter.
Lorsque ses yeux s'ouvrirent à nouveau, elle baignait dans un univers blanc. Une douce chaleur l'imprégnait. Signe qu'elle avait rejoint le monde des Morts. Au même instant, un éclair déchira l'espace au-dessus de sa tête. Que se passait-il ? Que devait-elle faire ?
Après plusieurs secondes d'incertitude, elle soupira d'aise quand deux silhouettes fantomatiques s'approchèrent.
Cassian et Timos viennent me parler.
Son regard s'agrandit de stupeur. Elle se trompait, ses parents apparaissaient la main dans la main. Un choc vite remplacé par la joie. Son cœur entama une danse effrénée, au point qu'elle balbutia.
— Je... je suis si heureuse... de vous retrouver.
— Nous aussi, répliqua Altar. Pourtant, es-tu certaine de vouloir rester ?
La question lui rappela la signification de sa présence dans ses lieux. Elle mourrait. Sans crainte, sans tristesse.
Et sans retour.
— Il m'est impossible de rentrer !
— Non, objecta Katja. Comme l'indiquent tes vêtements, tu peux encore repartir dans le monde des Vivants.
Flore lança un coup d'œil à ses habits : elle portait sa robe de soirée mauve. Elle avait le choix. Que désirait-elle ? Elle observa ses parents, ils affichaient un bonheur éternel. Après toutes ses souffrances, toutes ses luttes, toutes ses peurs, ils avaient mérité de se reposer.
Moi aussi !
Ces deux petits mots avaient jailli dans son esprit, ils lui fournissaient sa réponse. Alors qu'elle s'apprêtait à l'annoncer, un nouvel éclair zébra le ciel. Grondant ses reproches. Elle abaissa ses paupières devant sa force, et les visages des princes de Dalghar, de ses amis, puis de son frère l'envahirent. À chaque image, son cœur se crispait un peu plus. À chaque image, des milliers d'aiguilles transpercèrent sa peau.
Ils l'attendaient, comptaient sur elle.
Avec raison.
Flore refusa de les abandonner, quels que soient les obstacles. Sa place se trouvait à leurs côtés. La gorge serrée, elle avoua :
— Je dois sauver Dalghar et Aurora.
— Ce choix te coûte, mais il demeure le meilleur ! approuva Altar.
— Nous t'accueillerons quand le jour viendra, compléta sa mère, qui essuya une larme sur sa joue.
Le geste la surprit, le toucher existerait-il dans le monde des Morts ? Le souvenir du baiser de ses parents à Conimont flotta dans l'air.
Rien ne les empêche de continuer ici, conclut-elle avant de revenir à la discussion.
— Comment retourner sans point d'ancrage ?
— Tu en possèdes un, et tu l'as déjà employé, contredit Katja.
Le Lien !
Une gêne étira ses lèvres : tout se savait dans le monde des Morts. Son père le confirma :
— Oui, tout se sait. Nous nous réjouissons pour toi. J'espère qu'il t'apportera autant de bonheur qu'à nous, même si Brian n'est pas un Auroréen.
— Avant de partir, dites-moi. Sojeyn, est-il parmi vous ?
Elle avait préféré ne pas s'appesantir sur leur souhait. Comment expliquer qu'elle n'envisageait pas cet avenir avec Aurora sous le joug des Astrydiens ? Sa mère énonça avec tristesse :
— Nous ne pouvons pas te répondre, ne tarde plus.
Dans un dernier élan, Flore posa une main sur la manche de chacun d'eux. Les larmes baignaient son visage. Elle se réjouissait de la rencontre imprévue, souffrait de se séparer. Comme une seconde mort.
La silhouette de ses parents s'estompa, et elle activa le Lien à regret.
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