Flore marcha dans le couloir aux couleurs gaies du rez-de-chaussée jusqu'à une porte blindée à son extrémité. Un rayon vert fluorescent la balaya lentement. Puis une image apparut à sa hauteur. Elle lui présentait l'intérieur de la cellule, une pièce grise à la fenêtre occultée, dans laquelle le captif dormait.

Sa seule expérience de prison remontait à son séjour chez les Imlayas : un appartement sous contrôle des sphères d'inhibition. Ses souvenirs de la tribu légendaire se ravivèrent. Malgré les terribles épreuves, ils demeuraient positifs. N'y avait-elle pas rencontré des amis solides ? Des amis qui lui manquaient, et qu'elle n'était pas près de revoir tant les nuages bouchaient son avenir. Des larmes piquèrent au coin des paupières.

Pense à autre chose.

Son esprit se déplaça à l'époque de la construction de l'université, au moment où elle avait lu la dénomination de la pièce sur le plan :

— Une « cellule d'isolement » ?

— Une prison en fait, l'éclaira Mohann, laconique.

— Pardon ? Sur Aurora, nous punissons sans enfermer nos élèves dans un tel lieu. Ils restent dans leur chambre.

— Eux n'abusent pas de substances illicites ou des personnes, je suppose. Les Dalghariens ne sont pas un peuple pacifique comme le tien. Il est nécessaire de parer à toute éventualité.

Argument implacable ! La prison était utilisée depuis avec sagesse par la doyenne et, aujourd'hui, Flore ne regrettait pas son existence.

Un mouvement attira son attention : l'homme s'agitait et grognait, mais ne se réveillait pas. Mohann l'avait plongé dans un sommeil artificiel sur une requête de Brian. Il ne devait surtout pas s'échapper.

Rassurée, elle retourna à son petit salon aux nuances douces et s'assit sur un des sofas qui encerclaient une table basse. Face à une fenêtre. Dehors, une lune sur les trois s'était éclipsée.

La fête ne se terminera pas avant des heures.

Si ses amis ne pouvaient se soustraire aux festivités, elle ne s'en était pas gênée puisque sa « mission » à la salle de réception était achevée. Kris et Amélia l'avaient même remerciée de sa présence sans poser de questions. Néanmoins, le regard de Brian lui avait brûlé le dos tandis que ses pas l'emportaient vers l'université.

Il aurait préféré m'accompagner pour avancer dans cette enquête.

Brian prévoyait d'interroger le prisonnier au petit matin avec son aide et celle de Mohann. Ne serait-ce pas trop tard ? Avec la mort qui planait sur la tête du jeune Glayon ? Plus ils attendaient, plus les chances de celui-ci s'amenuisaient.

Avoir les informations dès qu'ils me rejoindront nous ferait gagner du temps.

Oserait-elle, cependant, agir avant leur arrivée ? Oui, si elle questionnait l'homme dans l'Entre-Deux monde. Il n'était ni malade ni près de décéder. Le risque de se perdre à jamais devenait minime en l'absence de point d'ancrage dans le monde des Vivants.

Je ne manquerai pas une telle occasion.

Brian fixa les ténèbres dans lesquelles Flore s'était enfoncée une demi-heure plus tôt. Il maugréait, la fête le piégeait. Quand sonder le captif et retrouver au plus vite Glayon le tenaillaient.

Ses jours sont comptés, si je n'interviens pas.

Or, quitter l'anniversaire de Kris à l'improviste ne s'envisageait pas. Les propos d'Iliane, qui venait de s'approcher, résonnèrent d'ailleurs en écho :

— Je te trouve enfin ! Tu ne devrais plus t'absenter pour une de tes conquêtes, nous avons un rang à tenir.

— Tu te méprends sur moi. Aurais-tu oublié que je ne me suis jamais comporté ainsi pendant une fête ? Je sépare toujours vie publique et vie privée. Ce soir, tu as été aux premières loges avec Mélinda.

Sa jumelle ne retint pas un rire discret derrière sa paume.

— J'ai adoré tes répliques, trop heureuse de ta nouvelle sagesse ! Dalghar y gagnera beaucoup.

— Ou peut-être pas, je reste une tête brûlée. Au sujet de mon absence, je discutais avec un ami d'enfance, Glayon, que je n'avais pas revu depuis mon départ pour Ores. Je lui rendrai visite demain matin. Comme tu peux le noter, je n'oublie pas mes devoirs.

— Je me rappelle de lui, quelqu'un d'intéressant, et vous n'arrêtiez pas de faire les quatre cents coups ensemble. J'aurais aimé t'accompagner, mais mon emploi du temps a explosé avec mon statut d'héritière.

Tant mieux pour moi, car pas question de te mêler à cette histoire sordide. Je te protégerai.

— Tu ne louperas rien, une conversation entre hommes, avec des sujets... particuliers.

Son regard narquois souligna les mots, qui démentaient les précédents, et Iliane, bonne joueuse, lui répondit par un sourire complice. L'arrivée de Mohann et Belnog interrompit leur joute verbale.

— Bonsoir, formula le duc. Nous n'avons pas eu l'occasion de parler.

Brian salua le noble aux cheveux blancs et iris verts pétillants. Un corps élancé mettait en échec son âge avancé. Bien des femmes jetaient un coup d'œil sur lui, elles rêvaient sûrement de remplacer la doyenne.

Richesse, Conseil restreint, santé. Son veuvage contribue à son aura, un terrible décès dans un accident d'avion.

— L'anniversaire de Kris est une réussite et son annonce a été plutôt bien accueillie, poursuivit Belnog.

— J'avoue ma surprise. Serait-ce par politesse ?

— Je partage vos doutes. La réalité se dévoilera dans les mois à venir lors des sessions du Parlement, dont plusieurs membres sont des amis. Je défendrai auprès d'eux les souhaits de la famille royale. Pour l'instant, Iliane, puis-je vous inviter à danser ? Je n'ai pas encore eu cet honneur. Si vous me permettez, Mohann ?

La dernière question obtint l'assentiment de la doyenne, et la sœur de Brian posa une main sur le bras du duc. Le couple rejoignait la salle de réception. Au moment de franchir l'entrée, sa jumelle se retourna vers lui avec une grimace, puis reprit son masque d'amabilité. Il ne réprima pas une pensée moqueuse.

Nos fameuses obligations, comme tu l'as déclaré.

Refuser l'invitation du duc ne se concevait pas, même pour Iliane. Il la plaignit, préférant cent fois sa place. Jusqu'à ce qu'il aperçoive le regard violet foncé de Mélinda, qu'animait un feu diabolique.

J'ai parlé trop vite, j'accepterais la tienne volontiers si tu me le proposais, sœurette.

Brian s'éloigna avec Mohann afin d'éviter un nouvel assaut de la belle rousse. Son esprit le ramena à son ange bleu.

Surtout pas de bêtises !