C17 - La mer d'Edena (3/4)
Par un beau matin caniculaire au village des Auroréens, une fois n'était pas coutume, Flore paressait au lit. Elle se reposait de ses journées à soigner plusieurs malades parmi les siens avec Mohann. La doctoresse avait beaucoup à faire, car exploiter ses pouvoirs l'épuiserait au-delà du raisonnable. Elles n'hésitaient pas à combiner leurs méthodes pour de meilleurs résultats.
Tirée de son demi-sommeil par une musique cristalline, Flore tenta de se connecter à la sphère qui contrôlait la porte d'entrée. Sans succès. Un sourire amer flotta sur ses lèvres. Même après cinq années sur Dalghar, les réflexes acquis durant toute une vie reprenaient le dessus.
Lorsqu'elle projeta son esprit afin de découvrir l'identité du visiteur, sa perle émit un éclair blanc.
Brian ?
Jamais il n'était venu jusque chez elle.
Elle ouvrit la porte en pensée, puis revêtit sa tenue de combattante imlaya avant de se téléporter dans le salon.
Brian lui tournait le dos. Il scrutait une peinture accrochée au mur sur laquelle un adolescent aux prunelles bleu-mauve riait. Sa perle éclatait d'un orange lumineux. Le garçon semblait accueillir les invités avec ses bras écartés, les mains levées vers le soleil rose nacré d'Aurora, tandis que des oiseaux aux teintes chatoyantes voletaient autour de lui. Une réalité saisissante. Flore entendait leur chant mélodieux dans sa tête chaque fois qu'elle fixait le tableau.
Pendant que Brian continuait à contempler la scène, il la questionna :
— Ton frère, n'est-ce pas ? Le dessin est magnifique, il avait l'air si jeune.
— Un des miens me l'a offert à son anniversaire, il y a quelques années. Sojeyn nous avait surpris lors de ma dernière fête du Nouvel An avec ce kiriah qui attire les oiseaux. Ne te fie pas à son apparence, vous avez... aviez presque le même âge.
— Vraiment ? Le rencontrer de son vivant m'aurait réjoui ! avoua-t-il en se retournant vers elle.
Les lèvres crispées, Flore sortit de la maison. Mentir lui pesait, mais elle se tenait à sa décision depuis son audience sur Ores. Laisser croire à la mort de son frère pour le protéger !
Brian la rejoignit.
— Je suis désolé, je ne voulais pas te peiner.
— J'évite de trop en parler.
Cette fois, elle déclarait la vérité même si la raison n'était pas celle qu'il s'imaginait.
— Un jour, j'espère t'aider à libérer ta planète.
— Merci. Kris regrette souvent de ne pas t'avoir écouté lorsque vous nous avez récupérés.
— Je ne savais pas être le sujet principal de vos conversations, se moqua-t-il à voix haute.
— Ton frère vous aime beaucoup, toi et Iliane. Tout comme ma famille, vous êtes unis.
Ils atteignirent la fontaine de la place centrale et les Auroréens, qui se prélassaient sur les bancs, les saluèrent la main sur le cœur. Flore leur rendit le geste, ainsi que Brian. Il indiqua :
— Ton peuple est très farouche. Ils persistent à détourner la tête devant les étrangers.
— Si tu vivais dans notre village, leur attitude évoluerait. Où allons-nous ?
— Au palais. Nous partons à la mer d'Edena. J'ai laissé mon cheval dans la forêt, à l'abri de la chaleur.
— Inutile. Quelqu'un le ramènera à l'écurie.
Les traits étonnés du visage de Brian l'étaient encore lorsqu'ils se matérialisèrent sur la terrasse privée de la famille royale. Il observa les alentours avant de siffler.
— La téléportation fait partie de notre technologie, mais pas de manière si simple. Pourrais-tu nous transporter à la mer ?
— Connaître le point d'arrivée est une nécessité. Et même si tu me transmets une image fidèle, il me faudrait une énergie considérable.
— Alors, l'avion sera plus sage.
Flore se sentait en confiance. Sans le lui avoir demandé, Brian avait compris qu'elle effectuait son premier vol et se mettait en quatre pour un voyage inoubliable. Il avait ainsi rallongé le trajet, avec son accord, ce qui permettrait d'admirer les plus beaux « spots ».
Il n'avait pas exagéré.
La canopée peinte de touches violettes et jaunes servait d'écrin à un lac, dans lequel d'immenses cheveux d'eau cascadaient, nimbés d'un arc-en-ciel timide. En amont, des Dalghariens, minuscules points, s'ébattaient dans des bassins magenta à l'abri du puissant courant. D'autres se reposaient sur les berges au pied de la cataracte.
— C'est de toute beauté ! Pourquoi la rivière n'a-t-elle pas la même couleur partout ?
— À cause des mousses sensibles à la lumière. Puisque tu aimes te baigner, je t'emmènerai ici. Une expérience fabuleuse !
Elle n'en douta pas. Ni de la chaleur des yeux noirs de Brian, aussi scintillants que l'écume irisée de la chute. Des lumyels entamèrent une danse inconnue dans son ventre. Insolite, chaud et teinté d'excitation à la fois ! Incapable de se l'expliquer, Flore s'absorba dans la contemplation du paysage.
Quand ils survolèrent Edena avec son sable vert pâle et sa mer turquoise, les quatre heures de voyage s'étaient écoulées. Sans qu'elle s'ennuie.
Dalghar a autant de trésors cachés qu'Aurora !
Les découvrir avec Brian l'avait enchantée. Son ami rallia l'aéroport, où l'avion atterrit à la verticale sur une piste à l'écart des bâtiments principaux.
Lorsque Flore descendit de l'aéronef, une brise iodée titilla son nez. Tant qu'elle ferma les paupières plusieurs secondes pour mieux savourer ce parfum. Inexistant sur Aurora. La douceur du soleil sur sa peau lui remémora le velours de deux prunelles sombres pendant le vol. Troublée, elle secoua la tête et se tourna vers l'objet de ses pensées. Celui-ci l'attendait près de la porte d'un aérocar. Un air amusé flottait sur les lèvres. Aurait-il perçu ses images ?
Non, il se moque juste de mon comportement.
Elle en était convaincue, habituée à gérer ses barrières mentales. Brian avait d'ailleurs retrouvé une allure sérieuse. Il lui tendit une longue cape beige.
— Edena est un lieu de villégiature prisé par les habitants de la Confédération, et rares sont ceux qui ont eu la chance de côtoyer des Auroréens ou même d'en voir de loin. Aussi jolie que tu sois, je ne souhaite pas attirer l'attention sur nous.
L'argument justifiait la tenue passe-partout qu'il portait. Ignorant le compliment, Flore se drapa dans le doux tissu avant de s'installer dans l'appareil sans pilote. Lequel glissa vers la route au bord de mer.
En moins d'une demi-heure, le véhicule les déposait sur une place cossue où des maisons pimpantes exposaient fièrement leurs toits à trois pentes, semblables à un damier rose et or, et leurs façades claires. Des fleurs colorées à l'apparence fragile complétaient ce tableau bucolique. Flore se prit à répondre aux sourires qu'elles paraissaient lui adresser.
Un moment de détente, qu'elle n'avait pas éprouvé depuis l'invasion d'Aurora.
— Merci pour la merveilleuse parenthèse.
— Il ne tient qu'à nous pour que cet instant éphémère ne le reste pas.
Avec cette réplique, énoncée d'un ton plus grave, presque rauque, Brian avait plongé ses yeux dans les siens. Ils l'invitaient à se noyer dedans, à y perdre son âme. Elle remercia Kilyan : si sa perle se déclenchait, l'éclair serait dissimulé par la capuche. Puis un carcan lui serra la gorge.
Que rétorquer sans le blesser ? Sans ruiner une entente toute neuve ?
Il lui épargna des mots pénibles en se dirigeant vers le quai à quelques pas d'eux. Aurait-il compris son dilemme ? Avec un soupir, elle le rejoignit. Les sourcils froncés et le regard fixe lui indiquèrent qu'il réfléchissait. Comme si l'échange n'avait jamais eu lieu !
— Retrouvons le propriétaire de ce bateau qui, je l'espère, nous conduira à nos criminels, annonça-t-il.
Flore le suivit sur la jetée, constituée de pierres hexagonales et bordée d'une rambarde bleue. La multitude de voiliers accostés le long de pontons la stupéfia. Sous l'effet de la brise, une musique métallique se mélangeait aux cris des oiseaux de mer à la recherche de leur pitance.
— Comment reconnaître le bon ?
— Des satellites enregistrent tous les voyages de la famille royale.
— Satellite ?
— Des ordinateurs dans l'espace qui nous observent.
Perplexe, Flore jeta un coup d'œil dans le ciel.
— Il n'y a aucun point.
— Ils sont trop hauts pour les remarquer.
Elle ne se vexa pas de son ton taquin, qu'accompagnaient des ridules au coin de ses paupières. Malgré ses années sur Dalghar, elle ne cherchait pas à apprendre leur technologie et l'assumait.
Ils progressèrent en silence parmi les touristes, à l'air béat comme le sien. Si elle reconnut des habitants de Geoly, Savanja et Kaliorn, elle évita de se montrer curieuse envers ceux au physique surprenant. Petits ou grands, avec un seul œil ou sans nez, velus ou colorés. Une foule cosmopolite se prélassait à Edena.
Perdue dans ses observations, elle faillit percuter Brian. Il s'était immobilisé au pied d'un panneau holographique : ils avaient atteint le ponton des loueurs. Son extrémité disparaissait au loin.
On en a pour des jours !
— Devons-nous tous leur parler ?
— Je sais qui a loué le bateau. La police l'a déjà questionné, mais je n'ai pas accédé aux rapports liés au crime par prudence. À notre tour de procéder à un interrogatoire.
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