C17 - La mer d'Edena (2/4)

Avec la force du désespoir, elle se jeta en avant. Un étau la bloqua. Elle se débattit. Entre les étranges coups de tonnerre à son oreille, une voix l'atteignit :

— Flore, c'est juste un cauchemar. Calme-toi !

Brian ?

Elle cessa sa lutte et, tremblante, se concentra sur son environnement. Sa tête reposait sur un torse, deux bras l'enserraient avec douceur. Les coups entendus étaient ceux d'un cœur. Une fragrance de menthe poivrée titilla son odorat. Elle la respira à pleins poumons, soulagée d'en reconnaître son propriétaire. Elle était de retour dans la chambre médicale.

Le cri était le mien, il m'a arrachée d'un mauvais rêve.

Ses frissons s'apaisèrent, et ses paupières se fermèrent.

Flore bougea ensuite ses doigts. Ils effleurèrent la peau nue du jeune homme sous sa chemise croisée, si semblable à une pierre polie et chaude des sources naturelles d'Aurora. L'envie de se lover contre la tenailla, mais la réaction de Brian la retint. Ses muscles raidis, sa respiration saccadée, les battements rapides de son cœur l'inquiétèrent.

A-t-il un malaise ? Je dois le libérer pour qu'il soit soigné.

Néanmoins, quand elle voulut s'écarter, il murmura dans son esprit :

Ne me confonds pas avec ce monstre !

Il se méprend sur mon attitude !

Elle tressaillit : les lèvres du jeune homme frôlaient son front et ses cheveux, aussi légères qu'une plume. Un geste inhabituel, quoiqu'agréable. Elle suivit le tracé un peu humide qui glissa sur l'arête de son nez jusqu'au contour de sa bouche. Sur laquelle Brian s'attarda, la rendant perplexe.

Qu'attend-il de moi ?

Un baiser !

Le mot lui revenait en tête au souvenir de Kris et Amélia enlacés ainsi, une émotion forte entre eux. Mohann lui avait donné l'explication scientifique avec ce qui en découlait.

Un toussotement de cette dernière l'empêcha de poursuivre ses réflexions. Flore se téléporta d'instinct et se retrouva debout près de la fenêtre. Son rythme cardiaque s'était accéléré. Pourquoi ? À cause de la situation ou de l'apparition de son amie ? La seconde raison lui sembla plus adéquate.

Tout en s'appliquant à le calmer, elle observa la doyenne et Brian. L'une abordait un sourire amusé, tandis que l'autre lui exposait encore son dos, une main dans ses cheveux noirs en bataille.

— Brian ? interrogea la doctoresse. Tout va bien ?

— Oui, grommela-t-il au bout d'un moment.

Il se tourna enfin dans sa direction, le visage impassible, les barrières mentales levées. Toutefois, Flore crut percevoir de la colère. Incompréhensible.

La voix de Mohann la rappela à elle :

— Je suis contente de ton retour parmi nous.

— Pourquoi ?

— Tu es restée inanimée pendant trois jours.

— Trois jours ?

Elle s'assit, hébétée, sur la première chaise à portée de main. Brian lui souffla :

— Tu m'as sauvé du monde des Morts ! Sans toi, je vivrais là-bas... si je puis dire.

Les mots prononcés avec chaleur l'interpellèrent. S'était-elle méprise sur sa colère ? Oui, d'après ses prunelles brillantes. Cette difficulté à le comprendre la désorientait.

Le Lien devrait m'aider, mais Brian n'est pas Auroréen.

— Vous... tu voulais secourir tes parents, malgré ta promesse. Les médecins ne réussissaient pas à te ramener.

Puisqu'il avait décidé de la tutoyer, elle n'hésitait pas à l'imiter ; comme elle le faisait depuis des années avec Kris. Il grimaça :

— J'ai commis une terrible erreur. Voir ce...

Ses paupières s'abaissèrent, il ne parvenait pas à terminer sa phrase. Devant son désarroi, Mohann posa une main sur son épaule avec douceur.

— Ne te blâme pas ! Personne ne résisterait à ta place.

Un timide remerciement étira les lèvres de Brian lorsqu'il ouvrit les yeux. Plus détendu, il enchaîna les questions d'un ton assuré :

— Est-ce habituel de laisser les vivants assister à ce genre de scène ?

— Non, et les morts ne peuvent rien dévoiler, répliqua Flore.

— Que veux-tu dire ?

Elle pivota vers Mohann, hésitante. La doyenne l'encouragea d'un signe de tête.

— Ils connaissent les modalités de leur crime, même sans en avoir été témoin, et... leurs assassins.

— Quoi ! Pourquoi...

— Ne nous livrent-ils pas les noms sur un plateau ? Si les vivants apprenaient cette possibilité, que se passerait-il d'après toi ?

Brian marqua une pause avant de rétorquer d'une voix lugubre :

— Ils exigeraient des kiriahnis de se rendre plus souvent dans le monde des Morts. Nous avons donc eu de la chance. Pour quelle raison ?

— Pour protéger Kris.

Si la situation avait été différente, Flore aurait pu rire face au visage de ses amis. Ils semblaient soudain incapables de fermer la bouche et de détendre les traits stupéfaits.

Elle réprima juste un rictus douloureux.

— Quand tu m'as réveillée, je n'étais pas plongée dans un cauchemar. Je vivais une prémonition. L'avertissement des assaillants au sujet du roi n'en était pas un, ils prévoient de l'assassiner.

Un bruit d'étoffe brisa le silence lourd qui avait suivi son annonce : Mohann s'approchait d'une table calée dans un coin de la salle.

— Je vais ajouter ton récit à notre enregistrement de ce voyage.

— Non ! s'écria Brian. Efface-le, au contraire. Nous serons les seuls à conserver ces informations. Je vous demande de n'en parler à personne, ma famille et Belnog y compris. Isolons-nous dans ton bureau, Mohann... après que tu te sois changée, Flore. Quoique ta tenue ne me déplaise guère.

Une lueur taquine pétillait dans ses iris noirs posés sur ses genoux. Elle portait la très courte chemise médicale blanche ! Le sang afflua à ses joues, et elle se dématérialisa.

Quelques minutes plus tard, elle réapparut au milieu du bureau de la doyenne. À son image. L'immense étagère, contre l'un des murs, invitait à découvrir les secrets de la nature. Une commode en bois sombre accueillait des reliques anatomiques.

Flore rejoignit ses amis dans un des sièges confortables qui encerclaient une table basse près d'une large fenêtre, puis relata sa vision. Dès qu'elle se tut, Mohann confirma l'existence de l'incroyable fauve sur Dalghar. Il s'agissait d'un tigre à dents de sabre, visible dans le sud de leur continent, où la savane et le désert régnaient.

Brian résuma leurs maigres connaissances :

— Mes parents ont été tués par un groupe de nobles qui se prénomme Néofeles. Si bien organisés qu'ils ont obtenu les plans détaillés du bateau ! Ils projettent l'assassinat de Kris, comme le corrobore la prémonition de Flore. Rien ne les empêche d'ailleurs d'agresser Iliane ou moi-même.

Il se leva et s'approcha d'un mur, sur lequel il frappa du poing.

— Kris est sous haute protection, pas ma sœur ! Impossible de la solliciter sans bonne raison. Si ces Néofeles touchent un seul de ses cheveux, je n'aurais de cesse de les traquer ! J'y passerai ma vie entière.

Émue par sa colère, Flore le réconforta en pensée :

Si elle n'affiche aucune idée contraire aux leurs, ils ne s'attaqueront pas à elle.

Brian tendit une main vers sa joue. Elle recula.

— Je ne comprends pas tout de ta prémonition, intervint Mohann. Ce tigre à dents de sabre, par exemple. Quelle signification a-t-il ?

— Le couple royal nous a transmis un message. L'as-tu entendu, Brian ?

— « Devant son rugissement, les Ancêtres se coucheront ». Cette citation est liée à ce félin au port altier et dangereux, un parfait symbole pour les Néofeles que la transformation dans ta vision montre. Elle confirme aussi leur négationnisme, sûrement parce qu'à l'origine les Ancêtres étaient des roturiers, la noblesse s'étant établie plus tard.

Il se rassit dans son fauteuil, où il étendit ses longues jambes.

— Revenons à notre enquête, j'ai reconnu le type de hors-bord. Avec l'heure de l'agression, je déterminerai son point de départ et irai le visiter.

— Comment comptes-tu t'y prendre ? interrogea Mohann.

— Contacter un ami fidèle et discret au sein de la police !

Il s'engageait sur le chemin de la vérité sans se laisser abattre par le décès de ses parents. Une réaction qu'elle n'avait pas eue en débarquant sur Dalghar. Agacée, elle chassa ce sentiment de regret.

Personne n'exige de toi la perfection !

— Si tu espères des aveux ou des confidences, Flore pourrait t'accompagner, proposa Mohann.

— Excellente idée. Je sais par expérience qu'en cas de danger, tu es capable de te défendre.

Elle se renfrogna, indifférente à la provocation qui se référait à leur rencontre dans la grotte. Ils venaient de choisir pour elle, sans lui demander son accord ! Sortir du domaine royal ne l'enchantait guère, encore moins utiliser des kiriahs interdits, tels la lecture forcée et le commandement.

Alors qu'elle s'apprêtait à refuser, la vue des défunts dans leur cercueil sur la place du palais s'imposa. Elle avait fait une promesse à la famille de Brian.

Au point d'enfreindre à nouveau les Principes ? Après toutes ces années ?

Le souvenir de sa quête sur la prophétie des Imlayas lui revint en mémoire. S'insérer dans l'esprit du maître d'équitation l'avait paralysée. Il avait fallu l'annonce de l'arrivée de leur futur ennemi, par Sojeyn, pour qu'elle se lance.

Quant à son frère, il luttait certainement sans crainte de violer les lois d'Aurora si la liberté de leur peuple le réclamait.

Tout comme Brian !

Flore se décida. Elle continuerait à emploier ses talents de kiriahni. Ceux-ci lui permettaient d'activer n'importe quel pouvoir psychique, même si elle ne le possédait pas d'origine.

Même si c'était un kiriah maudit.

Même si la souffrance accompagnerait cet acte délictueux.

Les épaules redressées, elle donna son agrément à ses amis qui patientaient en silence. Un éclair avait-il traversé le regard de Brian ? Difficile à savoir : il avait vite baissé ses paupières. Depuis leur séjour au sein du monde des Morts, il progressait dans le contrôle de ses barrières et elle ne détectait plus ses émotions avec autant de facilité.

— Restez sur vos gardes, rappela la doyenne pour conclure leur réunion. Tu es sur la liste des Néofeles, Brian !

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