C15 - Hommages (3/3)

Par respect pour l'intimité de ses amis, Flore demeura sur la terrasse de sa suite à l'heure du repas. Elle offrait une vue dégagée sur les étoiles scintillantes du lac aux eaux claires et la forêt en arrière-plan lui plaisait. Un rappel des magnifiques paysages de son monde, même si la canopée était moins colorée sur Dalghar. Un vrai plaisir à l'admirer.

Sauf aujourd'hui !

Ses réflexions la rendaient indifférente à la nature et à son assiette encore pleine. Elle ressassait les explications de Kris.

Ils n'ont pas la moindre idée sur ces meurtriers !

Comment les aider ? Elle ne possédait que ses kiriahs. Si inutiles, comparés à la technologie dalgharienne. Un rictus amer tordit sa bouche. Le souvenir du Conseil auroréen si arrogant, si persuadé de leur puissance et de leur invincibilité, lui revenait en mémoire. Comme souvent.

Combien de fois s'était-elle rejoué la scène de son audience avec l'espoir d'une fin positive ! Or, elle échouait toujours et toujours.

Elle revivait alors la séparation avec Sojeyn.

Et le décès de ses parents !

Leur image sur le lit de mort la secoua : le sang pulsa à ses oreilles et des picotements glissèrent le long de son dos. Une solution incroyable émergeait dans son esprit. Elle s'était trompée ! Les kiriahs apporteraient la réponse à cette énigme grâce à une rencontre avec les défunts avant leur assassinat. Une visite dangereuse ! Elle nécessitait de surcroît la participation d'un membre de la famille royale. Quelqu'un d'intrépide... d'un peu fou. Une seule personne remplissait ces critères.

Brian !

Flore bondit sur ses pieds et gagna le rez-de-chaussée à vive allure. Ses pas l'amenèrent devant la porte de la suite du prince, juste à côté de celle de Kris. La tête lui tourna. Elle réalisait son audace. Comment allait-il réagir après leur malheureuse entrevue au lac ? L'idée lui semblait maintenant incertaine.

Pourtant, sa main tremblante, comme animée d'une vie propre, se dirigea vers le panneau de contrôle. Lentement. Jusqu'à ce que ses doigts s'arrêtent à quelques millimètres de l'écran tactile.

Jamais il ne me croira, jamais il n'acceptera. Idiote, qu'imaginais-tu !

Épaules abattues, elle recula.

Elle s'apprêtait à s'éloigner lorsque la paroi coulissa dans un léger bruit. Dévoilant un Brian, dont les yeux s'écarquillèrent. Il la dévisagea un long moment avant de faire demi-tour et de rejoindre à la baie vitrée.

Elle ne pouvait plus se dérober. Après une profonde inspiration, elle pénétra dans la suite et la porte se referma dans son dos.

Indécise dans ce lourd silence, elle s'attarda sur l'aménagement des lieux. Le choix des couleurs l'étonnait : ni sombres ni vives ; tout en nuance de vert, bleu et gris. Elles invitaient à se détendre. La bande orange pastel le long du plafond, les sofas de même teinte et les meubles clairs apportaient une note chaleureuse à l'ensemble. Une décoration dans des tons similaires à ceux de ses propres appartements. La différence résidait plus dans les effluves de menthe poivrée qui titillaient son odorat, alors qu'elle avait opté pour des senteurs acidulées.

— Quel bon vent vous amène ? persifla tout à coup Brian en guise d'accueil.

Flore reporta son attention sur lui. Il n'avait pas bougé d'un pouce, le dos tourné au salon. La discussion ne s'annonçait pas facile, mais ne pas croiser le regard narquois l'arrangeait.

Peureuse !

Elle frôla, toutefois, l'esprit du jeune homme pour connaître ses émotions. Une barricade emplie de colère la repoussa. Sans la déstabiliser.

— Je souhaite vous aider à retrouver les assassins de vos parents.

Brian fit volte-face. Il l'observa plusieurs secondes avant de riposter avec brusquerie :

— Pourquoi ?

— Ils ont facilité l'intégration de mon peuple, et je déplore qu'on s'en soit pris à eux.

Nouvelle pause. Le prince affichait un visage imperturbable. Sa force se rassemblait dans les prunelles qui la transperçaient.

— Que pourriez-vous apporter de mieux que nos scientifiques ?

Même si la voix moqueuse était revenue, elle demeurait respectueuse. Et surtout, curieuse. Flore s'agrippa à ce fil ténu.

— Avec mes pouvoirs psychiques, je peux essayer d'analyser les dernières heures du couple avant leur meurtre. Les criminels nous seraient peut-être dévoilés.

Brian abandonna son attitude de rejet. Lorsqu'il s'approcha, elle s'obligea à ne pas bouger ni à se téléporter. Elle était là pour le convaincre, pas pour disparaître au moindre geste déplacé. Au moins, sa grande taille lui épargnait-elle de lever les yeux vers les siens.

— Comment ? s'enquit-il, d'un ton radouci.

— Je préfère vous l'expliquer le moment voulu. Cependant, sachez que c'est très risqué.

La bouche de Brian se releva en coin, et une étoile filante traversa ses iris.

— J'aime le risque.

— Alors, retrouvez-moi à l'université des pouvoirs dans trois jours. En matinée.

— Pourquoi là-bas et à cette date ?

— Moins il y aura de personnes autour de nous, moins leurs pensées perturberont l'expérience. Lors des jours de deuil, les lieux seront déserts.

Brian lui signifia qu'il acceptait. Soulagée, Flore prit congé en évitant de se ruer vers l'extérieur. Une nouvelle question fusa à l'instant où la porte d'entrée coulissait devant elle.

— Pourquoi moi ? Et pas Kris ?

— À cause de votre côté aventurier, répliqua-t-elle sans se retourner.

Elle s'était préparée à cette explication, mais se mordit les joues. Avait-il noté sa réponse précipitée ? Heureusement, il ne voyait pas son visage.

— Je prends la remarque pour un compliment. Avant de partir, dites-moi... pourquoi semblez-vous si inquiète quand je m'approche de vous ?

Les paupières closes, elle déglutit avec difficulté. Que faire ? Lui mentir ?

Non ! Tôt ou tard, il s'en apercevra.

— Parce que vous vous comportez comme ce monstre, souffla-t-elle à regret.

Une émotion violente, en écho à une exclamation étouffée, la submergea. Celle de Brian. Il avait compris qu'elle sous-entendait Xénon d'Astrydie. Barrières mentales barricadées, elle jeta un coup d'œil par-dessus l'épaule. Des flammes dévoraient les iris du jeune homme, alors qu'il serrait les poings.

— Comment osez-vous me comparer à ce roi de pacotille ? Sortez !

Il se détourna sans attendre son départ, et Flore regagna ses appartements, la tête basse. Avouer la vérité avait blessé profondément Brian. Sous sa colère, la douleur, la frustration et la déception se côtoyaient.

Lorsqu'elle atteignit le balcon de sa suite, la silhouette du prince courait vers le lac. Certainement pour apaiser sa souffrance par une baignade vigoureuse.

Il ne viendra pas. Je ne peux tenter cette expérience qu'avec lui, car notre Lien nous aiderait à contrer les risques.


Deux jours plus tard, Flore déboucha à l'avant du palais avec les Auroréens du village. Les personnes présentes les observèrent, à la fois, surprises et curieuses. Sans inquiétude ou inimitié. Depuis longtemps, son peuple était accepté.

Elle s'immobilisa à la barrière électromagnétique, créée par des poteaux sombres, encerclant la place. Au pied de la terrasse, un aérocar au toit ouvert patientait. Le véhicule remonterait les rues de la ville pour rejoindre le centre de culte des Dalghariens, où l'enterrement se déroulerait. Kris lui avait expliqué toute la procession dans les moindres détails. Quand il l'avait invitée avec les siens à participer, elle avait décliné et excusé la réserve qui empêchait les siens de se mêler à la foule. Le nouveau roi s'était montré compréhensif.

Un cercueil de verre dans lequel reposait le couple royal apparut à l'entrée du palais. Il lévitait au-dessus d'une plaque de métal, portée par six hommes, choisis parmi les nobles et les roturiers. Ils le glissèrent à l'intérieur du véhicule.

La famille, suivie de proches, sortit à son tour. Des gardes dans leur uniforme d'apparat, aux couleurs bleu et rouge, les accompagnaient.

Flore contacta Kris par la pensée :

Nous souhaiterions donner un hommage à notre manière ?

D'un signe de la main, il intima un ordre à un des serviteurs, qui coupa le champ entre deux poteaux. Elle encercla l'aérocar avec les siens, puis ils entamèrent la mélopée des morts. Pendant le chant, que certains dans la foule essayaient de fredonner, les Auroréens, vêtus d'une longue tunique blanche, déposèrent une fleur autour du cercueil. Flore en distribua une aux enfants royaux et à leurs proches. Chacun d'eux effectua le même geste.

Lorsque la mélopée se tut, elle parla haut et fort :

— Nous, Auroréens, nous chérirons toujours la reine Cassian et le roi Timos pour leur accueil chaleureux. Il a adouci les larmes de notre exil... Leur bonté n'avait pas d'égal. Notre indignation, notre profonde tristesse nous consument autant que le peuple de Dalghar. Nous condamnons ce meurtre inqualifiable et prêterons nos talents afin de capturer les assassins. Ô Kilyan, que ta lumière nous éclaire !

— Ô Kilyan, que ta lumière nous éclaire ! répétèrent les Auroréens, la main posée sur le cœur.

Le cercle se brisa sur ces paroles, et les exilés quittèrent la place devant une foule silencieuse. Elle s'était écartée avec respect. Flore, une boule dans la gorge, mais heureuse d'avoir accompli cet hommage, salua la famille royale. Leurs yeux exprimaient une profonde reconnaissance.

À l'instant où elle franchissait la barrière électromagnétique, Brian effleura son esprit en douceur :

Merci, je n'oublierai jamais ce geste.

Flore se retourna : il lui souriait. Après un signe de la tête, il se positionna dans le défilé derrière son frère et Amélia, Iliane accrochée à son bras.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top