C15 - Hommages (1/3)

Le soleil de ce début d'automne pointait à peine au-dessus de la canopée au pied du lac. Flore posa son peignoir sur un rocher à côté d'un drap de bain. Lorsqu'elle tâta l'eau avec ses orteils, des milliers d'aiguilles glacées grimpèrent le long de sa jambe.

À lui arracher une grimace.

C'était dans ces occasions qu'elle regrettait la technologie auroréenne avec ses sphères. Celle de chaleur aurait résolu son souci en un claquement de doigts.

Ou plutôt d'une pensée !

Elle rejeta cette réflexion qui la mènerait sur la pente dangereuse de son échec auprès de la Confédération, et serra les dents. S'immerger lui prit plusieurs secondes. Les mouvements de brasses qu'Amélia lui avait enseignés la réchauffèrent ensuite. Elle n'était certes pas devenue une championne, mais n'en avait pas la prétention.

Seul comptait son rituel matinal. Contempler l'étoile du système solaire d'Aurora, quelle que soit l'heure de son apparition, se baigner au lac et enfin attaquer un solide petit déjeuner. Le plus souvent avec Mohann, à l'université des pouvoirs psychiques.

Les Auroréens du village la regardaient partir avec inquiétude ; son sac accroché à la selle de Comète. Elle n'était pas parvenue à les convaincre d'apprendre la natation, même les enfants. Ils semblaient la considérer telle une folle. « On ne contredit pas la princesse ! », devaient-ils songer. Néanmoins, Flore les comprenait. Son intérêt pour cette activité l'étonnait, alors qu'elle n'avait jamais essayé sur sa planète.

Comment réagiraient les doryaumis s'ils me voyaient ? Surtout dans ma tenue ?

Un sourire amer étira ses lèvres. Sa plaisanterie sur la pudeur des siens la ramenait vers son échec. Elle ne résista plus. Il lui rappelait le nombre d'années d'exil sur Dalghar, et ses tentatives avec Kris pour persuader Aequalis. Après le rejet devant les comités, sous sa requête, son ami avait pris contact directement avec certains chefs de gouvernement. Elle l'accompagnait chaque fois.

Hélas, ils n'avaient rencontré que refus et compassion.

Aucun d'eux ne voulait défier les lois de la Confédération.

Ni Kris ni les membres de sa famille, s'attrista-t-elle.

En fait, ils l'encourageaient à s'intégrer à la noblesse de Dalghar et à contracter une union. Flore avait repoussé leurs suggestions, poliment, mais avec détermination.

Comment pourrais-je m'autoriser une vie insouciante quand les miens doivent se battre tous les jours ? Comment les convaincre de secourir Aurora ?

Des larmes de rage et d'impuissance roulèrent sur ses joues avant de se fondre dans l'immensité du lac. Un long moment. Jusqu'à ce qu'elle se secoue : se lamenter ne résoudrait pas sa situation. Elle devait continuer son combat. En attendant, elle reprit sa nage afin de se vider l'esprit.

Lorsque ses muscles crièrent grâce, elle s'allongea sur le dos et ferma les yeux. De légères vagues la bercèrent. Elles lançaient de temps à autre un pont par-dessus son ventre nu. Une agréable alternance de chaud et froid.

Des sons aigus la sortirent de son repos, et ses paupières s'ouvrirent sur quatre aigles, au corps marron et à la tête blanche. Sous une fausse nonchalance, ils scrutaient le sol de leur œil perçant. L'un d'eux piqua soudain vers la forêt au patchwork de vert et de brun. Il réapparut, une proie calée dans son bec violet, avant de s'éloigner de ses congénères. L'oiseau retournait certainement à son nid.

Il est temps de rentrer, en effet.

Elle regagna la plage de sable clair et s'enveloppa de son drap de bain, toujours le nez en l'air à fixer les cercles des prédateurs aux cris stridents. Une observation interrompue brusquement par un juron derrière elle.

Brian !

Il se tenait debout à côté du hangar à bateaux, attéré, comme s'il croisait un fantôme.

Non, j'avais tant désiré que le Lien ne se déclenche plus !

L'image de ses parents si heureux de le vivre la submergea. Remplacée la seconde suivante par celle sur leur lit de mort au milieu des Imlayas.

Son chagrin ressurgit. Intense. Implacable. Une douleur encore puissante, malgré les années écoulées. Une douleur qu'elle partageait avec Brian : il titubait, sa main crispée sur le front.

Je dois le protéger de mes souffrances.

Flore remonta ses barrières. Tandis que le prince retrouvait ses esprits, elle nota les changements chez lui. Il apparaissait plus mûr. Plus étoffé aussi, tout en muscle dans ce short de bain, noir comme ses cheveux humides. Les deux tranchaient avec sa peau claire, irisée de gouttelettes d'eau, qui traçaient de longs sillons des épaules aux jambes.

Son attitude si loin de la pudeur auroréenne la perturba, elle baissa les yeux. Heureusement de son côté, sa serviette la couvrait. Flore la resserra contre son corps.

Quand le crissement de pas sur le sable lui indiqua que Brian s'approchait, elle releva la tête. Des étoiles glacées pulsaient dans le regard du jeune homme. Elles renforçaient la dureté de la fine ligne horizontale de la bouche.

— Bonjour, princesse Flore. Ainsi je n'ai jamais rêvé ! L'éclair de votre perle me confirme votre présence dans la grotte. Et les pensées douloureuses, la femme du village qui m'a fui autrefois. Vous vous êtes bien amusée à mes dépens, j'espère !

Elle hésita. Pourquoi nier les faits, même s'il se trompait sur son comportement ? Comment calmer la colère sous la sécheresse des mots ?

— Puisque vous aimez le jeu, reprenons-le où nous en étions avant que vous m'assommiez, martela-t-il.

À cette étrange proposition, le visage de Xénon se superposa sur celui de Brian. Comme  auparavant. L'agression de l'Astrydien revint avec sa peur, ses tremblements, son choc. Toutes les émotions explosaient dans sa tête.

Inaltérées !

Flore se téléporta dans sa chambre au palais et s'écroula sur son lit. Elle avait fui lâchement le frère de Kris une nouvelle fois.

Tu n'imaginais pas le rencontrer dans un tel endroit.

Rien ne l'avait préparée à cette apparition impromptue : elle ne se souvenait pas avoir vu âme qui vive. Brian était sûrement un excellent nageur pour oser s'aventurer aussi loin des bords du lac. Quant à ses habits, elle ne les avait aperçus nulle part sur la plage. Ils devaient être rangés dans le hangar à bateaux.

Toutefois, l'activation du Lien demeurait son souci. Elle l'acceptait sur le principe, à l'instar de tous les Auroréens, tant il était rare ; mais le vivre, alors qu'Aurora se trouvait sous la domination d'un monstre, elle le refusait. Surtout si le prince se comportait comme le chef astrydien. Pourquoi une telle attitude ? Pourquoi désirait-il l'agresser ? Elle ne comprenait pas ce qui poussait le jeune homme à s'en prendre à elle.

Le Lien aidait à se rapprocher !

Y aurait-il une différence avec un non-Auroréen ?

Des questions sans réponse. Flore les chassa d'une main agacée, puis se releva. S'habiller lui changerait les idées. Elle revêtit sa longue robe bleue, brodée de la fleur de llyriah en filigrane, à bordures blanches. La tenue de maître kiriahni. Un cadeau de ses amis dalghariens, tissé d'après les conseils des exilés auroréens. Enfin, elle se reposa. L'heure n'était pas venue de retrouver Mohann.

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