C12 - Révélations (2/4)
La réaction de Yoron accentua ce mélange de colère et de tristesse qui brûlait en lui. Le doryaumi clignait des paupières afin de ne pas exposer sa douleur. Ce geste lui rappela la situation de Mioca.
Lorsqu'une pantigra tua sa mère, pendant une promenade en forêt, elle n'avait que huit ans. Yoron, accablé, avait sollicité la dame Hadil de Westia, qui avait accepté de devenir la mère de substitution. Si la nature passionnée de l'adolescente ne facilitait pas les relations avec son père, l'influence néfaste d'Hadil n'aidait pas. Son caractère rigide avait d'ailleurs emporté la décision du Conseil contre la vision de Flore... et provoqué la mort de Fenigal, le doryaumi d'Australeia. Tué par Xénon d'Astrydie.
Un mouvement de Yoron le ramena au présent. Il retournait à ses appartements sans se préoccuper d'eux. Sojeyn lui emboîta le pas avec Kishor, à distance respectable, et franchit les portes métalliques de la suite privée.
La décoration du salon, dans les tons beige et ocre, n'avait pas changé depuis sa dernière visite. Ni le mobilier ni les tapis.
Non, un point différait.
Des documents papier reposaient sur la commode, peinte de paysages montagneux d'été. Impensable avant l'arrivée des Astrydiens. Son idée se confirmait : les sphères spécifiques qui représentaient une gêne ou une menace pour l'ennemi étaient interdites.
Contrôle des portes, bulles de lecture, et certainement le comurion pour empêcher de transmettre des informations.
Avant que Yoron ne les sermonne, Sojeyn se débarrassa de son plateau et dénoua ses cheveux. Le doryaumi ne cilla pas. Il annonça d'un ton glacial :
— Je croyais le repas destiné au gouverneur. Laissez-le sur la table du jardin, puis vous prendrez le raccourci pour rentrer aux cuisines.
Et sortit sans attendre leur réponse. Que cela signifiait-il ? Le père de Mioca ne l'avait-il pas reconnu ? Ou était-ce un piège ? Kishor se crispa. Son attitude indiquait un refus. Il l'ignora.
Je ne repartirais pas les mains vides !
Dans le jardin, Yoron leur montra une table d'un index et s'éloigna en direction du mur de protection. Ils déposèrent leur fardeau, surpris. Sojeyn regrettait son épée. Néanmoins, il suivit le doryaumi. La progression s'effectua dans un silence brisé par le crissement de l'herbe sous les pieds, jusqu'au moment où son guide s'arrêta.
Une porte se dissimulait dans la verdure luxuriante. Une porte dont il ne se souvenait pas. Une porte que Yoron franchit.
Cette partie n'était pas accessible à Mioca. Où nous emmène-t-il ?
En mémoire de la bonne entente du noble de Monti avec ses parents, il lui accorda sa confiance. Au contraire de Kishor : son ami s'armait d'une pierre. De l'autre côté de l'enceinte, le sentier serpentait vers le potager. Vers la serre.
Vers leurs victimes !
Comment réagirait Yoron s'il les découvrait ? Son rythme cardiaque s'accéléra. Plus quand le doryaumi s'engouffra soudain dans l'un des cabanons. Se jetaient-ils dans la gueule du loup ?
Kishor lui proposa de récupérer leurs affaires et de monter la garde dehors, tandis qu'il entrerait. Si danger il y avait, il viendrait de l'extérieur. Sojeyn se rangea à son avis et pénétra dans le cabanon. Avec prudence.
La lumière provenait de minuscules carreaux au niveau du plafond. Si faible qu'il lui fallut quelques secondes d'adaptation. Au milieu d'un bric-à-brac composé d'outils de jardinerie, de caisses, de chaises empilées, Yoron attendait. Quoi ?
Que je sois prêt !
Le doryaumi venait de poser une main sur son cœur. Il le salua en retour.
— Sojeyn, je suis si heureux de te rencontrer ! Je te croyais mort ou exilé sur une autre planète.
Ses inquiétudes s'envolèrent. Yoron ne l'emmenait pas dans un piège, il voulait s'assurer de leur tranquillité. Et parler en toute liberté.
— Flore avait diffusé cette information dans le but d'arrêter les recherches l'année dernière, répliqua-t-il.
— Où est-elle ? Où sont Altar et Katja ?
Sojeyn relata les évènements depuis l'invasion de Xénon. Plus son récit avançait, plus sa voix faiblissait. Le décès de ses parents et le départ forcé de sa sœur vers Dalghar la brisèrent. Il se tut, le besoin de retrouver une contenance. Lorsqu'il toussota, Yoron prit la parole. D'un ton lugubre.
— Tu me confirmes les pires rumeurs. Pourquoi n'ai-je pas voté pour la vision de Flore ? J'avais entre mes mains la possibilité de faire basculer le Conseil et j'ai cédé au compromis implicite avec Hadil au sujet du désert de Salina. Sans lui, Fenigal serait encore parmi nous. Je culpabiliserai à tout jamais.
— Tourne-toi plutôt vers l'avenir afin d'effacer cette erreur. Mais pourquoi m'as-tu amené dans cet endroit ?
— Toi et la tribu vivez isolés dans la montagne. Tu en sais peu sur la technologie des Astrydiens : leurs appareils nous surveillent. Ils entendent tout, voient tout. Enfin, presque.
Yoron jeta un coup d'œil circulaire à leur cabanon non prévu pour abriter une réunion sur le futur d'Aurora. La même pensée les avait traversés au regard qu'ils s'échangèrent. Sojeyn enchaîna :
— Comment...
— Je le sais ? coupa le doryaumi. Je les étudie chaque seconde, la prudence guidant mes actes.
— Je l'ai remarqué avec Mioca.
Un bref sourire amer dérida les traits de son hôte.
— Tu ne t'es pas présenté devant elle... pour ne pas la mettre en danger ?
— Il vaut mieux qu'elle continue à croire à ma disparition.
— Elle en souffre énormément comme tu l'as constaté. Cela pourrait la conduire à faire des bêtises.
— Lesquelles ?
— Si elle déplore l'invasion, elle ne trouve pas les Astrydiens menaçants, même si, en tant que femme, elle est la première concernée.
Sojeyn grimaça. Mioca n'avait pas changé d'avis au sujet de l'ennemi, il l'avait noté. Or, quelque chose d'autre retenait plus son attention. La voix de Yoron. Son seul indicateur sur ses émotions dans cette pénombre.
Elle avait buté sur la dernière phrase.
— Pourquoi ? Que veux-tu dire ? souffla-t-il.
Une pause, un malaise, un soupir. Les trois renforcèrent son inquiétude.
— Découvrir leurs habitudes a été simple, avoua le doryaumi. Uniquement des hommes sont venus sur notre planète. Des hommes qui s'entourent d'Auroréennes et les agressent.
— Les agressent ? Je ne comprends pas.
Yoron détourna le visage. D'un ton hésitant, il ajouta :
— Je préfère ne pas t'expliquer. Quelques-unes se sont confiées à moi et j'essaye de les aider. Avec mes faibles moyens. Beaucoup sont détruites, certaines se sont suicidées.
Suicidées ? Comment est-ce possible ? Que se passe-t-il ?
— Je ne comprends pas, répéta-t-il, chancelant. Xénon annonçait qu'il désirait préserver la population, en devenir le roi.
— Comme je l'ai dit, seuls des hommes l'ont accompagné. Je peux me tromper bien sûr, mais je pense que les Astrydiens tentent d'établir une descendance... à leur façon.
Son esprit refusa de s'attarder sur l'idée, tant elle semblait impossible à croire, à concevoir, même s'il savait au fond de lui que le père de Mioca ne mentait pas. Celui-ci brisa le lourd silence, que l'exiguïté des lieux accentuait.
— Pourquoi as-tu pris autant de risques pour me rencontrer ?
— Nous voulons monter la résistance sur Aurora, alors j'ai d'abord songé à Monti. Et, puisque tu côtoies les Astrydiens, toute information à leur sujet nous serait utile. Acceptes-tu de lutter avec nous ?
— « Per te servire », déclara Yoron sans hésiter.
Sa révérence dont l'ampleur était limitée par les objets autour de lui avait un effet quelque peu comique. Pourtant, Sojeyn ne s'en amusa pas. Le geste rappelait trop la situation de la planète.
— Je te remercie. Tu constitueras un groupe de résistants et le protégeras, grâce à nos ressources. Il nous faudra des kiriahnis pour créer des Cercles, tant chez les Imlayas que dans chaque doryaum. Des guérisseurs aussi.
— Là, je peux déjà t'aider. L'uriahmi et moi avons un point de rencontre dans la forêt, hors de portée des brouilleurs. Nous devons juste prendre garde aux patrouilles. Des kiriahnis l'accompagnent, cela leur permet d'employer leurs pouvoirs psychiques. Plusieurs possèdent la communication longue distance. Quand ils sont à l'uriah, ils se plient aux directives des Astrydiens, avec peu de relations avec les Auroréens.
Cette précision signifiait sûrement l'échec de la mission de Merioni et Akeno. Des difficultés supplémentaires pour établir une résistance digne de ce nom, mais Sojeyn n'abandonnerait pas son but.
— Qu'ils contactent Ixli, quel que soit le moment ! Je la préviendrai. Au sujet de Mioca, je désire...
Il se tut, à la recherche des meilleurs mots à prononcer. Le doryaumi lui facilita la tâche :
— La garder en dehors pour sa sécurité. C'était mon intention. Cependant, le jour où nous l'informerons, je crains une réaction virulente de sa part. Tu devras te tenir prêt à la gérer.
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