C11 - L'audience (1/4)

— Prête ? demanda Kris, avec un sourire d'encouragement.

Son amie ne réagit pas. L'avait-elle entendu ? Elle n'avait pas prononcé un seul mot depuis leur petit-déjeuner sur la terrasse et encore moins admiré la beauté de la nature. Les heures suivantes représentaient un enjeu capital pour la princesse d'Aurora : obtenir l'aide d'Aequalis et se débarrasser de l'envahisseur, Xénon d'Astrydie. Ses pupilles dilatées, ses gestes raides témoignaient de son anxiété.

— Flore ? appela-t-il d'une voix douce.

Elle cligna des paupières avant de le fixer, surprise de se trouver devant les portes de la salle d'audience. Elle avait repris conscience de la réalité. La détermination du visage effaça alors l'incertitude des secondes précédentes. Flore était prête à défendre sa cause, à se battre bec et ongles.

Même son apparence le clamait.

Elle portait la tenue des Imlayas, jusqu'à aborder les trois traits obliques émeraude sur chaque joue. Un jour, elle lui en avait raconté l'origine : identiques à ceux du racona, un animal débrouillard de haute montagne sur Aurora, devenu l'emblème de la tribu légendaire des combattants. Kris approuvait son choix.

— Aequa, annonce notre arrivée, intima-t-il.

Les portes coulissèrent sans bruit, et ils pénétrèrent dans la pièce. De taille moyenne, elle pouvait contenir une centaine de personnes. Pas un siège ne demeurait libre. Impressionnant pour tout invité non prévenu, comme Flore. Son amie restait pétrifiée face aux yeux braqués sur elle. S'il lui avait décrit en détail le déroulement de l'entrevue, il avait omis de mentionner que des spectateurs y assisteraient. Lui-même ne s'attendait pas à une telle foule.

Pourtant, la raison coulait de source.

Une brume mystérieuse entourait Aurora et son peuple. Des magiciens aux extraordinaires pouvoirs psychiques qui dédaignaient la technologie. Des magiciens qui refusaient d'adhérer à la Confédération. Un halo accentué par la tentative avortée du roi Altar l'année précédente. Lever un peu ce voile et rencontrer la princesse, dans les circonstances actuelles de sa planète, n'arrivaient pas tous les jours.

Les participants à l'audience étaient assis autour de tables disposées en cercle. Un hologramme lumineux signalait le nom, le monde d'origine et le comité d'appartenance de chacun d'eux. Ils n'affichaient ni animosité ni curiosité déplacée. Un bon point pour commencer ? Difficile à déterminer.

Au premier rand des spectateurs, une jeune fille au visage hâlé, couvert d'arabesques dorées, et chevelure verte en chignon piqua son intérêt. Même si elle montrait un air impassible, il se réjouit et s'attrista de la revoir.

Aurais-je l'occasion de te parler avant mon départ, Eïreen ? Tu ne t'étais pas trompée l'année dernière en prédisant la chute d'Aurora quand Altar a annoncé son changement d'avis.

Un mouvement parmi les participants interrompit ses réflexions. Le moment était mal choisi de songer au passé ou à sa culpabilité. Il devait se tourner vers l'avenir. Surtout maintenant. Il se dirigea vers le responsable de la réunion qui se levait afin de les accueillir au nom d'Aequalis. Puis s'installa avec Flore à ses côtés. Elle lança aussitôt son discours d'un ton ferme.

— Vous êtes tous informés de l'invasion de ma planète par Xénon, le prince impérial d'Astrydie. Il a contacté Aurora par hasard, à la suite d'une avarie de son vaisseau et de l'irradiation d'une partie de son équipage. Mon peuple lui a tendu la main, en croyant s'adresser à des hommes pacifiques : les Cloriniens. Il l'a mordue avec cruauté, tué mes parents et humilié mon frère dans un duel inégal. Dalghar m'a sauvée des griffes de ce... monstre.

Sa voix se brisa sur ce dernier mot, et l'assistance patienta. Le regard plein de compassion ou choqué. La guerre n'existait plus au sein d'Aequalis depuis sa création, deux mille ans auparavant. Aurora, aux portes de la Confédération, exposait la réalité avec ses horreurs à ces spectateurs. De quoi relativiser leurs chicaneries quotidiennes face à ce drame. Du moins, Kris l'espérait pour augmenter les chances de son amie.

Face au silence de celle-ci, il la contacta en pensée :

Est-ce que tout va bien ?

La lumière revint dans les iris bleu-gris mélancoliques.

Le souvenir de ma session au Conseil d'Aurora quand j'ai tenté de les convaincre de ma vision m'a traversé l'esprit. Si seulement, j'avais réussi.

Le prince comprenait la comparaison, mais Flore ne devait pas se laisser piéger. Avec douceur, il la poussa à reprendre le débat. Elle se redressa et enchaîna.

— Au moment de mon départ, la résistance s'établissait. La tenue que je porte est la leur. Chaque seconde, je crains pour leur vie. Je leur avais promis d'intercéder auprès de la Confédération. Même si vous m'accueillez qu'aujourd'hui, je suis enfin ici.

L'argent des cheveux de Flore étincelait lorsqu'elle se leva. Elle parla d'une voix dans laquelle ne transparaissait ni hésitation ni douleur.

— Je demande à Aequalis de sauver mon peuple. Je demande à Aequalis de chasser l'envahisseur. Je demande à Aequalis de libérer ma planète.

Kris approuva son attitude. Elle s'exprimait avec son cœur, comme il le lui avait conseillé, et en imposait à cette assemblée. Elle demeurait les yeux rivés sur Flore. Acceptait-elle la requête ?

Seule compte la décision d'Aequalis !

Le responsable de la réunion la formula sans attendre :

— L'emploi du temps des comités nous a empêchés de vous recevoir à la session de printemps. Toutefois, nous connaissions votre souhait avant votre venue et l'avons étudié. Bien que nous saisissions la situation d'Aurora, notre réponse est négative. Intervenir serait enfreindre les lois de la Confédération.

Les spectateurs bougèrent la tête, soit pour agréer, soit pour réfuter. Les avis étaient partagés parmi ces habitants en paix devant un monde en danger. Or, Flore n'abandonna pas et un manteau de stupéfaction se déploya à sa nouvelle demande.

— Et si je lançais la procédure d'adhésion à Aequalis ?

Elle soutenait les regards abasourdis sans ciller. La plupart semblaient douter de sa démarche. Une femme, assise à l'autre bout de la table, éleva la voix. Son timbre rauque s'accordait avec sa crinière, ses prunelles cuivrées et le fin duvet sur sa peau.

— Je suis Vlaira de Savanja, la présidente du comité du Statut et de la Dignité. Notre tâche consiste à faciliter l'intégration des planètes extérieures à la Confédération, entre autres. À titre personnel, je vous aiderais volontiers, mais votre requête ne peut être acceptée.

— Pourquoi ? s'enquit Flore, avec une pointe d'agression.

— Seuls le chef d'un monde ou son mandataire sont autorisés à effectuer cette démarche. Dans le cas d'Aurora, c'est... le prince Xénon d'Astrydie. Je suis désolée.

Lorsque les oreilles arrondies de Vlaira s'affaissèrent, accentuant les traits tristes du visage, Kris ne douta pas de sa sincérité. Tel un automate désarticulé, son amie se laissa tomber dans son fauteuil. Elle maîtrisait moins ses barrières mentales et la souffrance qui la consumait le frappa avec force. Il monta un mur de protection contre cette douleur.

J'ai besoin de tous mes moyens ! s'excusa-t-il pour lui-même avant de scruter l'assemblée.

Les mouvements de certains indiquaient la clôture proche de la réunion. Ils se dirigeaient déjà vers l'une des sorties derrière eux, tandis que leurs sièges se refermaient et coulissaient dans un tiroir vertical où ils subiraient un nettoyage en bonne et due forme. Ces spectateurs, habitués des séances sur Ores, excellaient à passer inaperçus. Seul le froissement des tissus les trahissait.

Ne concluez pas trop vite !

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