C10 - Territoire ennemi (3/4)
À ses côtés, si Merioni ne laissait pas paraître ses émotions, Linlin se raidissait un peu plus à chaque pas de l'ennemi. Il percevait le geste de son bras en train d'extirper son arme du fourreau. Toutefois, elle continuait à simuler un air morne.
— Que se passe-t-il ? s'enquit le médecin. Pourquoi ces visiteurs sont-ils encore ici ?
— Ils souhaitent... ils déposent les malades sur les brancards, répliqua la kiriahni d'un ton précipité. Je me sens faible et leur ai demandé de m'aider.
— Retourne dans le logement des femmes, quelqu'un te remplacera. Et vous, partez !
Sans attendre leur réponse, il s'éloigna. Akeno respira à nouveau et entendit Linlin soupirer de soulagement, tandis que son bras se relâchait. L'alerte avait disparu. Trop facilement ? Le contrôle au portail d'entrée suffisait peut-être à ne pas déclencher la méfiance de l'Astrydien. Peut-être en raison du caractère pacifique du peuple ?
Il revint sur la kiriahni. Alors qu'elle obéissait à l'injonction, Merioni l'interpella une dernière fois :
— Je ne voulais pas te mettre dans l'embarras, mais nous venons de très loin. Nous désirons juste remercier l'uriahmi avant de nous en aller.
Elle hésita un instant et, après un coup d'œil aux alentours, elle souffla :
— Ils nous dirigent, occupent nos bureaux. Nous vivons tous dans les bâtiments réservés aux kiriahnis. Même l'uriahmi et les maîtres. Les pavillons leur sont interdits, réquisitionnés par les Astrydiens. Pour répondre à ta question, il se repose aujourd'hui dans le parc à côté de sa chambre. Je vous conseille pourtant de suivre les ordres !
Comme si le feu avait envahi la salle, elle quitta les lieux à grandes enjambées. Linlin interrogea Merioni :
— Que faisons-nous ?
— Visiter le logement des hommes en passant par la forêt ?
Akeno accepta la proposition. Ils sortirent de l'uriah sans encombre et marchèrent sur la route principale. Dès qu'il estima la distance suffisante, il annonça :
— Nous sommes assez loin pour ne pas être vus de l'ennemi, on y retourne.
Ils se faufilèrent parmi les Auroréens, se reposant sur les bas-côtés. Les Astrydiens ne leur prêtaient toujours pas d'attention. En quelques pas, ils s'enfoncèrent sous le feuillage coloré de la canopée. Akeno imposa de se déplacer d'arbre en arbre ou dans les zones les plus ombragées. La construction circulaire de l'uriah lui servait de repère. Avec leurs épées, ils abattaient les rares obstacles.
Quand ils dépassèrent le bâtiment central, un autre perpendiculaire se dévoila. Merioni les éclaira :
— Le logement des hommes. Il existe quatre habitations, une pour les femmes, une pour les apprentis, une pour les couples et celle-ci. Vu du dessus, l'uriah ressemble à un astre solaire. Des pavillons, dispersés plus loin, sont réservés à l'uriahmi et aux maîtres.
— Qui ont été « dégradés », puisqu'ils vivent au milieu des kiriahnis, signala Linlin.
— Tous le sont avec cette impossibilité d'employer leurs pouvoirs psychiques, contredit Merioni d'un ton lugubre.
Le Tourbillon se mordit les lèvres de sa maladresse, mais leur ami la rassura d'un pâle sourire.
— Comment comptes-tu trouver l'uriahmi, sans nous faire repérer ? questionna Akeno.
— Dans ces lieux, nous portons moins souvent nos robes. Il nous suffit de rejoindre le bâtiment et de le longer, personne ne nous gênera.
— Comment le reconnaîtrons-nous, s'il est habillé simplement ? objecta Linlin.
— Je l'ai déjà rencontré, parce qu'un nouveau maître a l'obligation d'effectuer un pèlerinage dans les neuf uriahs. Flore a utilisé ce subterfuge pour gagner la clairière des Imlayas, si vous vous en souvenez.
Toute la tribu connaissait l'histoire de la princesse, elle contribuait à alimenter sa légende. Akeno regrettait l'exil de celle qui avait permis l'évolution des mentalités dans le village. S'il se consolait de la savoir en sécurité sur Dalghar, il désirait la revoir vite, car son retour signifierait l'arrivée d'alliés.
Ce rêve entretenait son espoir, ainsi que celui des résistants. Toutefois, ils devaient rester réalistes et se débrouiller jusque là pour protéger la planète, à défaut de pouvoir la libérer.
Il se secoua, le moment était mal venu à ce genre de réflexions. Il traversa le parc aussi discrètement qu'une pantigra. Lorsqu'il parvint à un arbre à proximité du logement, Merioni pointa de l'index un Auroréen assis à l'écart d'un groupe de kiriahnis. Ses cheveux courts blancs reflétaient un bleu pâle. L'homme avait au moins cent cinquante ans, âge à partir duquel les couleurs se flétrissaient.
Avec son accord, le maître s'avança à découvert sous la garde de Linlin et lui-même. Une paume sur la poignée de son épée. Un malaise l'avait envahi, dont il ne réussissait pas à déterminer la cause. Pourtant, les kiriahnis ne cherchait pas à s'interposer. Ils les observaient juste, perplexes. Un geste de la main de l'uriahmi les renvoya à leurs occupations.
Nous arrivons enfin au but de notre mission !
Une brève satisfaction. Le vieil homme la détruisit d'un ton sec :
— Cet endroit vous est interdit, repartez d'où vous venez !
— Ne me reconnaissez-vous pas ? s'étonna Merioni. Je suis Me...
— Je ne veux pas savoir ! Qui que vous soyez, vous n'êtes pas les bienvenus.
— Écoutez-nous, je vous en supplie. Nous avons une requête urgente à vous soumettre.
Akeno plissa les paupières face au visage impassible de l'uriahmi et le désarroi de son ami. La tournure des évènements lui déplaisait. Son instinct lui dictait de fuir ce lieu au plus vite. Une impression que partageait le Tourbillon d'après les mouvements de sa cape. Ils trahissaient son agitation.
— Toute demande doit être adressée aux Astrydiens et non à moi ou à un maître, décréta leur interlocuteur. Si vous ne quittez pas ce parc, où vous n'avez pas votre place, je donnerai l'alarme.
— Vous n'oseriez pas...
— Sans aucun état d'âme, coupa l'uriahmi, aux iris de glaces.
— Allons-nous-en, siffla Linlin, puisque ces Auroréens préfèrent la société des étrangers à la nôtre.
— Pour ne pas vous perdre, vous serez raccompagnés jusqu'à la route, poursuivit le vieil homme comme s'il n'avait pas entendu l'insulte.
Sur son ordre, un des maîtres leur intima de le suivre. Quoique soulagé de partir, Akeno se retourna après quelques pas et croisa les prunelles délavées de l'uriahmi. Des prunelles, où il lui sembla lire le message « pardonnez-moi, c'est pour votre sécurité », avant de redevenir froides.
Avait-il bien vu ?
Si oui, que devait-il comprendre ? Que l'homme avait menti ?
Pourquoi ?
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