Chapitre 21 -Supplications-
Flore n'avait eu un bon sommeil réparateur depuis plusieurs mois déjà, mais au moins réussissait elle jadis à fermer les yeux. Désormais, en de pareilles circonstances, tomber dans les bras de Morphée semblait insurmontable. Elle était rongée de toute part par la culpabilité et le doute et ne cessait de se triturer l'esprit à la recherche d'une solution, même partielle.
Tout était sa faute, elle ne parvenait à reprendre pied et la vue de Guillaume, déambulant tel un zombie, entre le salon et la cuisine ne l'aidait aucunement. Il avait passé les trois derniers jours dans un état proche de la dépression, à contempler , un verre à la main et d'un regard vide le somptueux violon de sa fille, qu'il lui avait offert il y a des années de cela. Elle avait vraiment des doigts de fée, pensait-il, que ce soit pour la musique, la couture ou pour se battre. Oui, sa fille était si forte et douce à la fois. Il aimait la voir à genoux devant un bon feu de cheminée, laissant l'archet aller et venir le long des cordes avec habileté et délicatesse. Un ange tombé du ciel. Ange qui, désormais était condamné à périr, comme son frère jadis.
Des souvenirs lui revinrent en mémoire. Un homme avançait lentement vers la grande place, entouré de part et d'autre par des gardes. En son centre, se situait un amas de foin et de bois dont un unique poteau émergeait. Une flamme attira son attention sur la gauche de ce bûcher, lumineuse, seule trace de lumière en cet instant sombre où toute vie avait quitté le corps de Guillaume. Elle dansait seule, tenue par nul autre que le roi Edouard, dont le regard impassible sondait le condamné à mort. L'homme montait sur le bûcher, résigné, comme s'il avait su dès le début de son escapade que seule une fin tragique pourrait clore cette passion interdite.
Tandis que ses mains étaient liées derrière le poteau, il commença à contempler la foule. Le roi, avec une hâte et une haine non dissimulées embrasa les herbes et se retira loin d'elles.
Le condamné scruta ses voisins, les commerçants du village et ses yeux croisèrent ceux d'une personne qu'il n'avait pas revu depuis des années.
-Guillaume !
Tout les regards se tournèrent alors vers le conseiller avec curiosité. Les flammes avançaient rapidement, se frayant un chemin à travers le bois avec force et habileté, tel un serpent vers sa proie et elle commencèrent bientôt à lécher les chevilles du pauvre homme.
Ses cris de douleur déchirèrent la nuit.
-Guillaume, aide-moi !
Incapable de les supporter plus longtemps, Guillaume tourna les talons, faisant ce qu'il avait toujours fait : fuir.
Le verre se brisa sur le sol, répandant son liquide rouge comme le sang tandis que Guillaume émergeait brutalement de ses songes.
-Pardonne-moi, murmura-t-il, pardonnez-moi.
Flore accourut alors, alertée par le bruit d'éclat de verre.
-Guillaume ? Que t'arrive-t-il ?
-Je l'ai abandonné Flore, j'ai abandonné mon propre frère. Je me suis enfui de chez nos parents pour courir après mon destin et mon avenir. J'ai renié mon propre frère, j'ai refusé de lui parler parce qu'il me faisait de l'ombre. Il aurait anéanti ma carrière alors j'ai fait comme si je n'avais plus de frère. J'aurais pu le sauver.
-Non, tu n'aurais pas pu le sauver. Cesse de te blâmer pour cela, le rassura Flore.
-Je l'ai abandonné Flore. Tout comme Louise. Mon propre frère et ma propre fille. Le déshonneur d'avoir renié mon propre frère n'en est-il pas plus grand encore que si je l'avais reconnu ?
Et regarde où cela m'a mené.
Le conseiller éclata alors en de violents sanglots, ceux qu'il avait tenté de retenir par tous les moyens pour ne pas montrer sa faiblesse devant sa femme. Mais aujourd'hui, il n'avait plus d'honneur. La culpabilité qui l'avait rongé pendant tant d'années le submergeait enfin.
Il sombra, après quelques minutes dans un sommeil agité, l'esprit embrumé par l'alcool.
Flore, quant à elle culpabilisait de voir son mari dans un tel état de dépérissement et ne cessait de penser à sa pauvre fille. Mais il n'y avait rien à faire. Petrus, comme il l'avait dit ne changerait pas d'avis. Mais Flore avait encore une chance de le raisonner. Petrus ne laisserait jamais mourir sa propre fille.
Toutefois, la jeune femme devait en avoir le cœur net, elle devait avoir une conversation avec le nouveau conseiller du roi de Wayton.
Elle sortit donc dans l'orage violent qui semblait déchaîner les éléments à cet instant précis et partit en direction du château d'un pas rapide et déterminé, si bien qu'elle ne mit que quelques minutes à parvenir à sa destination.
Les gardes la regardèrent avec curiosité et la maintinrent à distance à l'aide de leurs lances.
-Halte-là !
Mais d'abord, elle devait parler à Aure.
-Je viens porter ceci à la princesse, elle me l'avait commandé il y a quelques jours, mais étant donné les circonstances, je n'ai pu le livrer plus tôt, rusa-t-elle en sortant l'une de ses étoffes. La couture est un art si délicat, il doit être fait dans l'atmosphère la plus saine possible, voyez-vous.
Elle contempla l'armure et les côtes de maille des chevaliers avant de croiser leur regard impassible et d'ajouter :
-Non, visiblement vous ne voyez pas.
-Très bien, dit enfin l'un d'eux, laissez-nous tout cela, nous lui ferons parvenir...
-Certainement pas, répondit elle, il faut que je vérifie la compatibilité entre la couleur de l'étoffe et l'éclat du teint de sa majesté. J'ai des fils de couleur à rajouter sur cette pièce et je dois faire des essais. Ce choix est très important ! Il faut que ces fils rehaussent l'éclat des cheveux et des...
Les gardes agacés s'écartèrent pour la laisser passer.
-Suivez-moi.
Après avoir pénétré dans le château et patienté quelques minutes dans une salle quelque peu sombre et angoissante, Aure vint enfin à la rencontre de Flore et fit signe aux deux gardes qui l'encadraient de les laisser seule. Elle se tourna vers la mère de son amante et sembla l'étudier, comme si elle avait pu voir en elle la vérité d'un simple regard.
-Je ne me souvenais pas de t'avoir commandé une étoffe, Flore, fit remarquer la jeune femme.
-C'est parce que vous ne l'avez pas fait.
Aure arqua un sourcil et toisa de nouveau Flore.
-Alors je suppose que ce n'est pas pour cela que tu souhaitais me parler.
-Non, je suis venue au sujet de Louise.
Aure s'apprêta à protester, elle ne voulait pas aborder ce sujet, l'affaire était classée mais Flore continua :
-Je ne crois pas qu'elle ait tué votre père et je sais que vous ne le pensez guère non plus. Je vous en prie, il devait y avoir des centaines de soldats. Ça pourrait être n'importe lequel d'entre eux. Ne laissez pas ma fille se faire condamner. Écoutez ce qu'elle a à dire, je vous en conjure.
-Je ferai ce que bon me semble. Pour ma part, l'affaire est close. J'ai retrouvé mon père, sur le champ de bataille décédé, la lame de l'épée de Louise transperçant sa poitrine. Elle détestait mon père, il me semble clair qu'elle est la seule et unique responsable de ce qui est arrivé.
-Elle vous aimait, continua Flore et je suis certaine que vous aussi. Vous n'avez pas le droit de lui tourner le dos de la sorte. Je vous en conjure, donnez lui une chance d'expliquer ce qui s'est réellement passé.
-Elle l'aura. Lors de son procès pour trahison. Maintenant sors.
Flore regarda Aure droit dans les yeux et fut surprise d'y voir de la détermination et de la ... haine ?
Elle tourna donc les talons à contrecœur, mais elle était loin d'avoir abattu toutes ses cartes.
A peine fut elle sortie de cette étrange salle qu'elle se dirigea non pas vers la sortie, mais vers les escaliers.
Petrus avait certainement été installé dans les anciens bureaux du conseiller du roi. Elle se présenta donc sans bruit devant sa porte et tapa quelques coups discrets contre le panneau de bois.
-Entrez.
Flore pénétra alors dans une salle de pierre entièrement composée de mobilier rouge, a l'image du Salon Rouge. Petrus, installé derrière son bureau, finit une lettre avant de lever les yeux vers sa femme.
Il ouvrit alors de grands yeux, laissant entrevoir sa confusion et se précipita vers la porte avant de la fermer avec hâte.
-Que fais-tu là ? Je pensais pourtant avoir été clair, je n'ai plus besoin de tes services, Flore.
Flore avança et s'assit en face du bureau de son mari tandis que celui-ci prenait place de l'autre côté.
-Je ne suis pas ici pour te donner des explications si c'est ce que tu crois, mais en exiger.
-Que veux-tu, j'ai fait ce que j'avais à faire.
-Tu n'éprouver donc aucun sentiment pour ta fille ? S'écria alors Flore, hors d'elle.
Petrus lui jeta un regard en signe d'avertissement, cette conversation ne devait pas être surprise.
-Bien sur que si. Ne me traite pas comme le monstre que je ne suis pas, répondit-il.
-Tu ne feras donc rien pour empêcheur le jugement de ta fille ? s'enquit alors Flore avec tristesse et désespoir. Petrus, je t'en conjure !
Il se leva et prit une clé dans l'un des tiroirs de son bureau avant de se diriger vers un gigantesque coffre de bois. Il l'ouvrir et une multitude de parchemins s'étala devant les yeux de Flore.
-Elle a provoqué cette situation. Je ne me blâmerai pas pour sa faute et je n'abandonnerai pas ma couronne, répondit alors l'homme tout en fouillant parmi ses dossiers.
Flore s'apprêtait à répliquer lorsque le nom de l'un des dossiers attira son attention.
-Maintenant laisse-moi.
Flore ne se fit pas prier et sortit sans se faire remarquer et avec hâte. Une idée avait germé dans son esprit. Petrus et Aure ne l'aideraient pas mais quelqu'un pouvait le faire.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top