Chapitre 2-Dissimulation- [Réécrit]

Le roi Robert était triste. Quelque chose en lui venait de se briser.Sa fille, la prunelle de ses yeux le haïssait. Malgré ce qu'il avait dit le matin même, Aure avait toujours été sa plus grande fierté. Il se reconnaissait tellement en elle.

Contrairement à Ulrich, qui était la réplique exacte de sa mère, Aure ressemblait énormément à son père : les mêmes cheveux soyeux, les mêmes yeux noisettes, le même regard chaleureux.

Robert s'en voulait de devoir imposer cela à sa fille. Il avait été dur avec elle et très impulsif,comme à son habitude. Elle était encore si jeune et fragile.

Faisant les cents pas, le roi essayait de se convaincre qu'il s'agissait là de ses seules solutions. Elle ne devrait pourtant pas avoir à faire de sacrifice pour un royaume qui n'est pas encore le sien et qui, vues les circonstances, ne le serait jamais.

Le roi vint inconsciemment jusqu'au bureau de son fidèle et très dévoué conseiller, trop absorbé par ses réflexions pour guider ses pas, et se laissa tomber dans le fauteuil qui faisait face au secrétaire, fait de bois de sapin.

―Votre majesté, si je puis me permettre, je pense que vous avez fait ce qu'il fallait pour assurer la survie du royaume, assura Guillaume, qui ne doutait de la raison de sa venue.

―Certes Guillaume, mais mon cœur n'en est pas moins déchiré par le malheur de ma fille.

Guillaume fut touché par ces paroles,ayant lui même une fille unique qu'il chérissait. Les parents n'aspiraient qu'au bonheur de leur enfant, à les guider vers un avenir radieux, les combler, de quelque manière que ce soit. Leurs situations n'étaient cependant pas comparables. Si l'on voulait vivre dans la soie, cela se payait un jour ou l'autre.

―Si elle n'est pas en mesure de comprendre les circonstances maintenant, ce n'est pas si grave. Ce qui aujourd'hui la fait vous haïr, la fera vous remercier demain,n'ayez crainte. Quand l'érudit se t trompe, il se trompe avec érudition. Elle comprendra, c'est une princesse. Des centaines de femmes aimeraient être à sa place mais personne ne pourrait mieux honorer le royaume qu'elle, je vous garantie qu'Aure a une très bonne image. Elle rayonne chaque fois, souriante et attentionnée.Elle aide beaucoup les villageois lorsqu'elle vient en ville. Ma fille Louise est en véritable admiration devant elle et je suis certain qu'elle est loin d'être la seule. Ces mots qui se voulaient rassurants n'eurent cependant aucun effet sur le roi, qui semblait sombrer vers ses pensées. Guillaume n'aurait pas été étonné qu'il n'ait écouté aucune de ses paroles.

Après un instant, celui-ci sortit tout de même de son silence.

―Je doute Guillaume, ces noces sont-elles réellement nécessaires ? Après tout, rien ne laisse présager une attaque...

―Croyez-moi, c'est mieux ainsi. Les sages portent leurs cornes dans leur cœur et les sots sur leur front.

Un éternuement étouffé retentit.Fort heureusement pour son propriétaire, les deux hommes étaient bien trop absorbés par leur conversation pour prêter attention aux éléments extérieurs.

Pendant que les deux hommes parlaient,ils ne se doutaient pas qu'une oreille indiscrète était en fait cachée dans le grand buffet du fond de la pièce.

Ulrich, qui était venu dans le bureau de Guillaume sur les recommandations de sa sœur pour chercher les fameuses huiles essentielles, en toute discrétion, s'était caché dans le grand meuble après avoir entendu des bruits de pas.

Il écoutait toute la conversation depuis le début et commençait à comprendre ce qui se tramait. Le mariage avait jusqu'à lors été tenu secret, du moins pour lui. Il venait de comprendre : après la mort de son père, il serait roi.

Il avait tant espéré pouvoir se répéter cette phrase en boucle dans sa tête, mais pouvoir désormais la prononcer à voix haute, sans personne pour le reprendre, c'était là une consécration.

Quelques minutes plus tôt, en voyant les armoiries prendre place dans les couloirs et la grande salle, il ne s'y était, une fois de plus, pas autorisé, ne voulant pas s'infliger une nouvelle déception inutile. Il aurait alors parié sur une simple rencontre diplomatique, ou un tournoi, organisé entre différentes nations, que Wayton aurait pris soin d'organiser. Il aurait alors participé au tir à l'arbalète, discipline dans laquelle il excellait, certainement la seule qui lui valait les encouragements de son père et de sa sœur. Mais cette époque était révolue.

Il n'aura finalement pas besoind'écarter lui-même sa sœur du trône. Son père le faisait à saplace. Il suffirait simplement de faire disparaître son père, leplus vite possible, une fois que cette dernière serait partie. Ildéguiserait sa mort en accident ou en crise cardiaque et ilrégnerait. Il en rêvait depuis tout petit, jusqu'à ce qu'ilapprenne que sa sœur, étant l'aînée, était la premièrehéritière. De toute l'Algarie, Wayton était le seul royaume àaccepter des héritiers de sexe féminin. Oui, de nombreuses choseschangeraient lorsqu'il serait roi.
Ulrich avait un réel dégoût pour les femmes, même s'il prétendait le contraire devant sa famille. Il les trouvait indignes de l'attention même des hommes.Les femmes étaient faites pour concevoir des héritiers, s'occuper des enfants et accompagner leur maris. Certaines, très peu,pouvaient être des objets de désir, tout au plus. Mais aucune n'avait réellement les capacités d'être des créatures de pouvoir,et encore moins de celui de gouverner une nation entière. Sa sœur était loin d'être une idiote, il le savait. Mais elle se laisserait faire sans opposer aucune résistance et c'était ce qu'il fallait éviter au possible. L'Etat ne tiendrait pas une semaine avec elle à sa tête : sa propre armée ne lui ferait pas confiance et n'exécuterait pas ses ordres, elle ne trouverait de plus personne pour la conseiller et l'orienter et prendrait toutes les mauvaises décisions possibles parce qu'elle n'aurait, de fait, aucune connaissance du terrain. La discorde régnerait, il ne pourrait en être autrement.

Désormais, il était sûr d'une chose, il serait roi.

A quinze ans seulement, il nourrissait de grandes ambitions : lorsqu'il aurait écarté tous les obstacles à son accession au trône, il étendrait son pays. Ulrich avait toujours eu honte de la faiblesse de son père. Se cantonner à ce tout petit territoire, alors que le pays pourrait disposer de tellement plus de richesses. Il voyait, devant ses yeux, un futur glorieux se construire : un immense palais, à la hauteur de son pouvoir, des servantes à ses petits soins nuits et jours, répondant au moindre de ses désirs, des maîtresses à n'en plus finir pour le satisfaire, son nom plus que déifié et après sa mort, sur toutes les lèvres, comme le plus admiré et le plus craint (car le respect implique la crainte) de tous les souverains d'Algarie. Après tout,il s'agissait là du but de toute existence, n'est-ce-pas ?Devenir immortel, pas par le corps, mais par les paroles et le nom.Des louanges qui dépasseraient les générations et deviendraient éternelles. La plupart des gens étaient honorés par leurs enfants,peut-être par leurs petits-enfants, aussi braves furent-ils, mais Ulrich de Wayton ne serait pas n'importe qui. On chanterait son nom au-delà des frontières de notre monde.
Pendant que le futur souverain était perdu dans ses pensées, son père continua :

―Mais vois-tu Guillaume, j'ai peur de laisser le royaume à Ulrich.

Ce dernier revint à la réalité,choqué. Il était certain d'avoir bien entendu. Mais son père réaliserait certainement ce qu'il venait de dire, il se reprendrait,se repentirait. Le seul fait qu'il y ait pensé révélait toutefois bien des choses à Ulrich.

―Pourquoi cela ? demanda Guillaume.

―La mère d'Ulrich était d'une grande beauté. Il s'agissait bien entendu d'un mariage arrangé,mais je crois que j'avais fini par accepter notre destin, à nous convaincre que, si nous devions passer le reste de notre vie liés,autant rendre cela le plus agréable possible. Je crois que j'ai fini par l'aimer de tout mon cœur, autant qu'il était possible pour un homme de ma condition. J'avais réussi à partager équitablement mes sentiments entre ma femme, ma descendance et mon royaume. Malgré cela, si l'amour rend aveugle, j'étais tout de même à deux tiers lucide. J'ai toujours su que son cœur était impur. Je le voyais dans son regard, un ouragan au fond de ses yeux bleus. Aujourd'hui,je retrouve cette même lueur démoniaque dans ceux d'Ulrich. J'ai peur de laisser mon peuple entre ses mains. J'aime mon fils, mais chaque fois qu'il s'adresse à moi je perçois la haine et l'aversion dans sa voix. Il est impulsif et très colérique. Bien sûr, il est très doué pour le combat mais Aure rassemble toutes les autres qualités qui lui font défaut et qui sont nécessaires pour gouverner notre royaume comme il se doit. Ulrich a soif de pouvoir,et je ne sais pas encore jusqu'à quel point. Mais, si il fallait que je choisisse un héritier entre mes deux enfants, Dieu me pardonne,ma couronne irait à Aure.

Ulrich en eut le souffle coupé et fulminait de rage en silence, les genoux ramenés contre son torse dans une étreinte involontaire. On venait à l'instant de lui ravir quelque chose qu'il ne serait plus jamais en mesure de retrouver.

Ses pensées étaient en ébullition et tournoyaient à une vitesse incontrôlable, prêtes à y mettre le feu. C'était incompréhensible. Il avait toujours tout fait pour paraître parfait aux yeux de son père et c'est ainsi qu'il le voyait ? Un prince à l'air mauvais et imbu de pouvoir. Il ne parviendrait décidément jamais à comprendre son fils.

―Je suis un horrible père Guillaume!

―Non votre altesse, les rôles de père et de souverain sont parfois très difficiles à concilier.Mais je pense que vos enfants sont fiers de vous, il ne peut en être autrement.

―Je ne suis pas sûr, répliqua le roi, qu'Ulrich serait fier de moi si il entendait ce que je viens de te confier à son sujet.

Guillaume ne trouva rien à objecter cette fois-ci ; un long silence suivit les paroles du roi avant qu'il ne s'exclame :

―Monseigneur, comme le disait mon oncle, il y a un temps pour ne rien dire, il y a un temps pour parler, mais il n'y a pas un temps pour tout dire !

Le roi Robert leva les yeux au ciel et aboya :

―Du vin !

―Mon seigneur, je ne suis pas sûr que...

―Tu es sourd Guillaume à ton âge ?J'ai dit du vin. Vas m'en chercher !

Après tout, le roi pouvait peut-êtres'autoriser cette beuverie. Guillaume consentit à se lever et à faire le déplacement lui-même, pour laisser le roi seul quelques instants. En se rendant aux cuisines cependant, Guillaume entendit des cris. Il se précipita vers l'origine de toute cette agitation et découvrit avec surprise qu'il s'agissait de Aure. La situations'était bien plus envenimée qu'il ne l'aurait pensé.

Des couturières tentaient d'entrer dans sa chambre, en vain. En effet, la jeune femme était en proie à une crise de pure démence. Elle s'était barricadée dans sa chambre et jetait de temps à autre un flacon de parfum, un livre, un cahier d'écriture ou tout autre objet qui lui passait sous la main en hurlant que les couturières n'entreraient pas dans sa chambre étant donné qu'il n'y aurait pas de mariage.

Guillaume, qui décida de continuer son chemin sans tenir compte d'Aure et de ne surtout pas avertir le roi,fut frappé au cou par un flacon de parfum qui se déversa le long de son flanc gauche.

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