Chapitre 15 -Réflexions-
Ulrich parcourait la rue commerçante de la ville pour la seconde fois en quelques heures.
Nul doute que les habitants commenceraient à se poser des questions, ce qu'il tenait à tout prix à éviter. Non pas que les pensées des villageois l'importaient, loin de là, mais les rumeurs allaient bon train dans ce royaume et elles mettaient peu de temps à parvenir jusqu'aux portes du château.
Il se hâta donc en direction de l'auberge, une capuche dissimulant son visage aux yeux du monde et frappa cinq coups irréguliers contre le panneau de bois comme il avait vu Théodore le faire le matin-même.
Il devait faire part de nouvelles informations à Petrus afin de décider ensemble de ce qu'il convenait de faire.
Après quelques secondes d'attente, des bruits de pas se firent entendre de l'autre côté de la porte qui s'ouvrit avec violence sur un homme à la carrure imposante. Théodore avait énoncé quelque mots à son attention dans une langue inconnue, le matin même, cependant, Ulrich aurait été bien en peine d'en répéter ne serait-ce qu'une syllabe. L'homme toisa donc le prince de toute sa hauteur et lui marmonna quelque parole incompréhensible.
Fort heureusement pour lui, Théodore fit son apparition à cet instant juste derrière le jeune dauphin.
Ce dernier ne put s'empêcher de remarquer la dague ruisselante de sang qui était négligemment dissimulée par la ceinture nouée autour de la taille du bel étranger. Le pauvre animal -car Ulrich était persuadé qu'il s'agissait du sang d'un animal, le moindre fait d'envisager une autre possibilité le rendant malade- avait du être très grièvement blessé, si tant est qu'il n'était pas d'ores et déjà mort. Cette vision d'horreur lui donna un haut-le-cœur qu'il fut bien en peine de faire passer pour une quinte de toux.
Théodore, qui avait suivi le regard d'Ulrich releva la tête et lui adressa un sourire radieux, découvrant l'étendue de ses dents d'une blancheur impeccable.
-Mon prrrince, quel plaisir de vous rrrevoirrr, je vois que vous avez attrrrapé un rrrrhume.
Il échangea un regard avec le colosse avant que celui-ci ne s'écarte pour laisser la voie libre aux deux alliés.
-Comme vous pouvez le voirrr, j'ai couverrrt vos arrrièrrres, fit-il en faisant certainement référence à la lame recouverte de sang. Je dois avouer que je ne m'attendais pas à vous voirrr de si tôt, quel bon vent vous amène ? demanda Théodore en changeant de sujet tout en guidant Ulrich à travers le dédale de couloirs.
-J'ai à m'entretenir avec Petrus sur quelques points, à propos de notre prise de pouvoir commune, répondit-il, l'angoisse le submergeant peu à peu en même temps qu'il s'enfonçait dans les galeries de pierre, faiblement éclairées. Ils prirent à gauche et descendirent quelques marches et une apparente froideur et une sensation d'étouffement l'accablèrent aussitôt.
-Ah, le pouvoirrr, une de vos obsessions communes, un mot bien rrrelatif, plaisant pour ceux qui pensssent le possséder. Toutefois, quelle en est sssa vérirrtable mesurrre, à quel moment peut-on qualifier un homme de "puisssant" ? Il n'en rrreste pas moins un mot. Un mot, entaché de félonie et de trrrahison, rrrécolté par des guerrres. Mais celui qui le prrrend parrr la forrrce en est-il donc pourrr autant digne ? Je penssse que cela est le cas pourrr Petrrrusss.
Pourrr ma parrrt, continua-t-il je sssuis asssez heurrreux de ne pas avoirrr à le porrrter surrr mes frrrêles épaules et de n'en rrressentirrr nullement le besoin, ni d'y êtrrre contrrraint de parrr mon sssang.
Le courrrage n'a jamais été mon forrrt et bien heurrreusement, les conflits ont toujourrrs sssemblé bien loin de mon âme si bien que mon honneurrr n'a jamais eu à en payer le prrrix forrrt.
Ulrich écoutait Théodore silencieusement et avec attention, bien qu'il ne soit pas certain d'avoir saisi un traître mot de ce que venait d'avancer l'étranger. Il se contenta donc de hocher la tête, tout en laissant Théodore soliloquer à sa guise sur un pouvoir dont il ne se "sentait digne" et dont il voyait en Petrus le "digne détenteur".
Il avait toujours admiré les gens capables de s'auto-suffire de telle manière qu'ils n'avaient nullement besoin d'une personne en face d'eux pour celer la boucle d'un échange.
Cela l'arrangeait d'ailleurs car dans un rare moment d'angoisse comme celui-ci, il pouvait laisser ses pensées aller et venir à sa guise sans penser à une quelconque réponse à donner à Théodore sur un sujet qui le dépassait en bien des aspects aussi bien intellectuellement que d'un point de vue purement rhétorique, même si sa fierté l'empêchait de se l'avouer.
Après quelques minutes de marche dans un labyrinthe de couloir, Ulrich et Théodore arrivèrent une nouvelle fois dans le Salon Rouge, comme il lui plaisait de l'appeler. Le corps de Petrus était paresseusement allongé sur le sofa, au centre de la pièce, à croire que celui-ci passait sa journée entière à flâner sur le canapé, son seul mouvement consistant à passer d'une position assise à allongée, et inversement.
Il parut surpris de voir Ulrich au premier abord mais son expression devint rapidement neutre, ne laissant rien paraître.
-Ulrrrich, que nous vaut le plaisirrr ?
Ce dernier entreprit alors de le mettre au courant des derniers événements, depuis l'annulation du mariage jusqu'à la fuite des amantes dans les bois et, par conséquent, la disparition du nom de sa sœur en tant qu'héritière du trône. Ulrich n'était par ailleurs pas peu fier du retournement de situation qu'il était parvenu à créer, se délectant de sa propre intelligence.
-Que faisons-nous désormais ? interrogea Ulrich. Mon père enverra certainement quelques gardes pour appréhender ma sœur, et après ce scandale elle ne pourra plus régner.
Il ne reste que mon père. J'utiliserai le poison que j'avais initialement prévu et...
-Cerrrtainement pas, l'interrompit Petrus. Votrrre pèrrre a de nombrrreux gouteurrrs et je vous garrrantis que ce poison ssserrra décelé bien avant qu'il n'en avale une goutte, même s'il est long à agirrr. De plusss, le poison est une arrrme de femme et de lâche, dit-il un éclat de méchanceté dans le regard, vous n'êtes pas une femme Ulrrrich, n'est-ce-pas ? Cependant, j'ai des doutes sur le lache...
Ce dernier, bien que très blessé par la remarque de Petrus ne laissa rien paraître et garda un visage impassible. Les femmes étaient des êtres faibles et insignifiants. Le seul fait d'être associé à de pareilles créatures l'anéantit. C'est comme s'il avait reçu un grand coup dans l'estomac.
Il n'était pas non plus un lâche et il le prouverait à Petrus. Ce dernier n'osera plus jamais douter de sa grandeur.
-Que proposez-vous ?
Un sourire s'étala sur le visage rond de Petrus.
Il entreprit alors le récit du plan qu'il avait concocté depuis quelques temps déjà.
A la fin de celui-ci, Ulrich bien décidé à prouver sa valeur aux yeux de Petrus et à faire oublier la lâcheté à laquelle il avait été associé un peu plus tôt, déclara :
-Très bien, mais je me chargerai de cela.
Je le tuerai.
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