Responsabilité (1)

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Paige

Les brises fraîches de fin d'après-midi me fouettent le visage et viennent s'engouffrer dans mes cheveux emmelés; je ressère les pans de ma veste en cuir contre mon corps bourrelé tout en frissonant.

Nous sommes en début de septembre et la temperature commence doucement à se rafraîchir, cédant la chaleur ardente de l'été au vent doux de l'automne. Au placard les mini-jupes et bienvenue aux pulls en laine ce qui m'arrange beaucoup: sous ces piles de vêtements, ce sera beaucoup plus facile de cacher mon ventre qui s'arrondira avec la grossesse.

J'avance sur le trottoir, guettant le moindre mouvement, trainant des pieds et les épaules baissées comme si je portais le poids le plus lourd qui ne puisse exister. Tomber enceinte à 19 ans et en plus de ça, gérer ses cours n'est pas facile. Encore maintenant, je n'ai rien dit à ma mère et je ne pense pas en avoir le courage de le lui dire.

J'ai peur. Tout simplement.

J'ai peur de ses jugements. C'est une femme qui peut se montrer optimiste et compréhensive...tout en partant du but que le sujet lui plait. La grossesse précoce est quelque que ma mère lutte contre depuis que je suis venue au monde. Alors vais-je pouvoir lui dire que moi-même, je suis tombée enceinte à même 19 ans. Elle sera vraiment déçue. Et ça me tue.

S'il y a bien quelque chose que j'aime voir dans les yeux de ma mère, c'est bien ce regard fier qu'elle me porte.

Un vibrement sourd me sort de ma torpeur: c'est Sydney, c'est une certitude, il n'y a qu'elle pour m'appeler dix fois de suite en moins de vingt minutes. Je filtre l'appel- comme les fois précédentes.

Elle doit se faire un sang d'encre: il est neuf heures et ce n'est pas dans mes cordes de rentrer aussi tard, vu que mes cours ont pris fin il y a déjà trois heures de cela. Elle s'est mise dans la tête que je n'allais vraiment pas bien- ce qui n'est pas totalement faux- et pour m'aider, elle, Lysbeth et les deux autres filles avec lesquelles je partage le loft ont décidée d'organiser un Pai-jama.

Elle doit penser que j'évite de prendre part à leur soirée mais j'avais à rendre dans la semaine à venir et il fallait que je le finisse, donc je suis passée à la bibliotèque...et il y avait de ça aussi.

Un petit rire m'échappe; Sydney vient de m'envoyer un meme où on voit clairement un clown se faire étrangler par quelqu'un.

Cependant, mon sourire s'estompe et mon corps se recouvre de chair de poule lorsque j'arrive devant le loft faiblement éclairé par les lampadaires accostant le bitume. Cette fois-ci, ce n'est pas à cause de la brise mais bel et bien, la vision de cet étudiant qui se tient, adossé contre cette voiture rouge flagrante, confiant, son visage serein et ses cheveux blonds bien appliqués- comme toujours.

Je déglutis difficilement. Mes pieds n'osent plus faire un pas de plus; je reste clouée sur le trottoir, les yeux rivés sur Jace, le coeur battant à tout rompre. Je sens mes muscles se raidir et ma respiration se comprime violemment dans mes poumons si bien que j'ai l'impression qu'on me broie les côtes.

_ Salut Paige...je crois qu'il faut qu'on parle.

Sa voix me paraît, tout d'un coup, étrangère...et si virile, si parfaite. C'est comme la première fois que je l'ai entendue, comme à l'époque où Jace Rhoman m'était encore un mystère.

Mes sentiments me reviennent comme un boomerang épineux que je me prends en pleine face; et ça fait mal, affreusement mal. Son regard me transperce. Interieurement, je me livre dans un combat acharné contre moi-même et malheureusement, mon coeur a eu raison de moi. Je suis pratiquement sûre que j'ai l'air d'une conne à le fixer, la bouche entre-ouverte.

C'est stupide. Je suis tellement stupide.

Les yeux rivés aux siens, je le regarde sans vraiment le voir: à travers ce regard bleuté, je nous revois quelques jours plus tôt. Je revois Jace avec cette fille, je l'imagine dans ses bras musclés- ces bras dans lesquels j'aimais me blottir. Je suis vraiment stupide.

Reprenant le contrôle de mon corps, je l'ignore royalement et continue mon chemin avec la ferme intention de le contourner mais Jace anticipe: il s'avance au même moment et je me retrouve face contre son torse. Il est tellement proche que je peux humer son eau de cologne nauseux qui me court dans la gorge et aussi sa main ferme frôlant légèrement la mienne, rafermée en un poing, prête à le lui balancer dans les couilles.

_ Tu ne pourras pas me fuir éternellement.

_ Je n'ai rien à te dire, on s'est tout dit la dernière fois.

Je fais un pas sur le côté, Jace intercepte presque instantanement; maintenant, il a ses mains calleuses posées sur mes épaules. Aussitôt, je me defais de sa poigne et m'éloigne de lui, comme si son toucher m'avait brulé jusqu'aux os.

Je ne sais pas si c'est mon geste qui l'a blessé ou si c'est son égo qui a pris le coup mais son visage se renfrogne et ses épaules s'affaisent.

_ Je suis désolé, Paige. Je ne suis pas là pour me disputer avec toi. Je comprends que tu ne veux pas me pardonner, ok. Je veux simplement que tu écoutes ce que je suis venu te dire...seulement ça.

Je ne lui réponds pas.

Je ne saurai lui répondre. Je n'ai plus la force de me battre contre lui.

Je suis à bout; j'ai des poches énormes et violacées sous les yeux, je le sais. Je les ai vues ce matin dans l'image immonde de cette fille que me renvoyait mon miroir. J'ai vu mes bourrelets, mes cuisses hideuses et pleines qui se touchent et mon ventre balloné qui commençent à prendre des formes. Je me suis souvenue alors pourquoi Jace ne m'a jamais trouvé à la hauteur, je ne suis pas l'une de ces mannequins sensuellement irresistibles qui surplombent les magazines.

Non. Moi, je suis la fille aux courbes disproportionnées.

Je parcours le campus avec cet air fantomatique et éteint peint sur le visage. Pendant cette longue semaine où je me battais contre les tentacules terrifiantes et malsaines de ma dure réalité, Jace n'a pas daigné me poser un regard, à croire que cette situation lui est grandement bénéfique.

Je ne sais même plus pourquoi je l'écoute, Jace ne mérite pas mon attention.

Alors que je le contourne pour rentrer chez moi, il ne fait rien, se contentant de se retourner pour me suivre de son regard azur.

_ Mon père m'a appelé. Ta mère a proposé qu'on vienne prendre le dîner de Thanksgiving chez elle.

Thanksgiving? Mais Thanksgiving, on le passe souvent dans l'Oregon avec mes grands-parents. Pourquoi diable cet année maman voulait changer ça?

Et puis Thanksgiving, c'est genre dans deux mois. D'ici là, ma grossesse sera déjà bien en évidence. Effarée, je passe une main nerveuse dans ma tignasse rebelle. Jace tente un pas avant que je l'arrête en elevant mon index devant moi.

_ Je ne leur ai encore rien dit.

D'une part, ça me soulage que Jace n'est rien dit à ma mère.

Depuis mon plus jeune âge, ma mère m'a inculpé tout ce que j'avais à apprendre pour braver cette vie injuste et cruelle et a tout fait pour me protéger de ses facettes sombres- particulièrement des erreurs que, adolescente, elle a pu faire elle-même.

Ma mère- descendante d'un groupe d'allemands qui, pendant les périodes de guerres mondiales, a migré sur son île natale- vient d'une famille peu aisée. Elle n'a pas eu la chance de faire des études ni de fréquenter des écoles prestigeuses vu les revenus médioques de ses parents. D'après grand-mère, c'était une fille qui rêvait vraiment grand, alors lorsqu'elle est venue aux Etats-Unis et a rencontré mon père, un étudiant en droit débordant d'un charme irresistible, elle n'a pas pu résister. Elle n'a jamais rien espéré de cet homme que l'amour qu'ils partageaient et pourtant, après quatorze ans avec l'espoir que tout irait mieux, mon geniteur est parti, laissant derrière lui une mère effondrée et une fille animée par un amour aveugle.

Ma mère a beaucoup souffert avant de devenir ce qu'elle est aujourd'hui, avant de devenir cette femme épanouie et heureuse. Elle entame un nouveau chapitre de sa vie, loin des problèmes de son passé. Je m'en voudrais de gâcher ça.

Était-ce une bonne idée de garder ce bébé?

Certainement non. Mais est-ce que ma mère m'a abandonnée, moi, alors qu'elle n'avait que dix-sept ans lorsque je suis venue au monde? Non. Alors, je n'abandonnerai pas cet enfant. Pas maintenant.

Je suis peut-être soulagée que Jace n'est rien dit mais cela n'empêche pas ma colère sourde de gronder.

_ J'espère que tu as décliné?

_ Justement...non. A leur yeux, nous sommes toujours ensemble.

_ Ça c'est ton problème. Je ne sais pas comment tu vas t'y prendre mais tu vas mettre fin à cette mascarade. Nous ne sommes plus ensemble alors ça ne sert à rien que nos familles passent Thanksgiving en tête à tête. Et puis, je ne voudrais surement pas m'attabler avec un connard de ton genre.

Ma réponse ne lui plait pas: ses pupillent se dilatent, son front se plisse et sa machoire se contracte violemment.

_ Tu sais bien que je ne peux pas. Et c'est pourquoi tu vas avorter.

_ Je te l'ai déjà dit, je n'avorterai pas. Ni maintenant, ni jamais.

_ Si, Paige, tu vas avorter, que tu le veuilles ou non. Cette...chose qui grandit en toi est suffisant pour gâcher mon avenir. Tu te souviens "je me tiens bien pendant mes études et j'hériterai de l'entrepise familiale". Alors arrête d'être égoïste et pense un peu à ton entourage, s'exclame mon ex, visiblement sorti de ses gongs.

_ Je n'avorterai pas, proféré-je, d'une lenteur déconcertante.

Il perd patience: ses narines se mettent à trembler et il siffle entre ses dents serrés:

_ Ok. Finalement, garde-le. Je suis pratiquement sûr que je ne suis pas le père.

Je plisse les yeux, pas sûre de comprendre.

_ Qu'est ce que tu veux dire par là?

_ Si tu n'avortes pas Paige, je te jure que je te pourrirai la vie. A commencer à dire aux parents que tu m'as trompé et que malheureusement, tu es tombée enceinte sans t'y attendre...je préfère largement cette version de l'histoire.

_ Tu n'oserais pas.

Jace me sourit narquoisement et se penche vers moi jusqu'à ce que sa lèvre frôle la lobe de mon oreille.

_ Ne sous-estime jamais un homme...jamais, Paige Ivy London.

Et sur ce, il disparait dans la noirceur de la nuit, me laissant sous mon porche, livide et dans la détresse de mes propres responsabilités.

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Voici le nouveau qui était supposé sortir il y a de ça deux semaines déjà. Mes excuses plates pour ce retard😄

Alors, vous avez vu le new cover #cmoikil'aifait❄

Alors, vos impressions?

J'espère que ce chapitre vous a plu et à bientôt pour le prochain.

IceKiss❄

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