8-
— Où elles sont ?
Aubrey déglutit sans arriver à lâcher des yeux les restes de ce qui était autrefois le vase favori de sa mère.
— Nulle part.
La jeune femme se résout finalement à faire ce qui se révèle toujours être le plus difficile. Inclinant le menton vers la droite, elle dévisage un instant sa mère. Son regard est fou et ses mains tremblent.
— Aubrey ! Ne m'oblige pas à... Je ne vais pas le répéter encore ! Où est-ce que tu les as fichues ?
Entre ses doigts se tient une bouteille d'alcool vide. L'odeur dans la pièce, complètement imprégnée du liquide, est insupportable. Rien de nouveau, mais après avoir s'être délectée de l'air agréablement frais du parc, Aubrey se sent particulièrement nauséeuse. Tandis que la douleur lui compresse les entrailles, elle ferme les yeux et s'efforce de rassembler tout son courage. Elle sait que cela va être difficile, qu'il va y avoir des cris, des pleurs. Il se trouve que cela est d'usage mais le sentiment qui en résulte est toujours le même. Affreux.
— Je les ai vidées dans l'évier, ce matin. Il n'y a plus rien.
Quittant l'entrée avec hâte, dans l'espérance de rejoindre sa chambre sans plus de complications, Aubrey foudroie sa mère du regard. Alors qu'elle pose son pied sur la première marche, la femme saute sur ses jambes et lui attrape violemment le poignet.
— Qu'est-ce que tu dis ?
— Que je les ai vidées, répond Aubrey en marquant une pause entre chaque terme.
Quelques fois, sa mère mélange les mots, alors il est possible qu'elle ne comprenne rien à ce qu'elle lui raconte. Toutefois, à l'entente des propos de sa fille, elle se fige subitement. La pression sur le poignet de la jeune femme s'intensifie.
— Qu'est-ce qui t'as pris, putain ! Comment je fais, moi, maintenant ?
Aubrey se dégage. Elle sait qu'il est inutile de lui faire une leçon de morale. Ce n'est même plus sa mère, face à elle. Juste une femme alcoolique et malheureuse.
— Ne me touche pas, crache-t-elle alors qu'au fond, elle est terrifiée. Je viderai toute les bouteilles que je trouverai dans cette maison et crois-moi, je ne te lâcherai pas de sitôt.
— Tu n'as pas le droit. Et tu mens ! Je suis sûre que tu en as caché... Oui, il y en a encore !
Dans son regard se reflète sa dépendance. Son addiction est telle que parfois, elle oublie qu'Aubrey est sa fille.
— Donne-les moi ! Rugit sa mère, menaçante. Tu n'es qu'une bonne à rien ! Même faire plaisir à ta mère, tu ne sais pas le faire ! Qui m'a donné une fille comme ça ? Bon Dieu, tout est de ta faute ! (Elle se calme soudainement et se laisse tomber sur une chaise, le front en sueur). Chérie, fais au moins ça pour ta mère fatiguée... Elle n'en peut plus. Elle a besoin d'un petit remontant pour oublier. S'il te plait, mon cœur...
— Tu es pathétique.
Aubrey se dirige vers l'escalier sans se retourner. Son cœur décélère et même si les larmes perlent dans ses yeux, elle fait son possible pour les retenir le plus longtemps possible.
— Aubrey ! La rappelle sa mère.
Essuyant sa tristesse d'un revers de la manche, elle redescend sans vraiment savoir à quoi s'attendre. En débouchant dans la cuisine où se trouve la femme alcoolique, elle chancelle, se remet sur pieds, puis un cri de terreur s'échappe de sa gorge. Une autre bouteille de verre s'est écrasée à ses pieds.
— Donne-les moi ! Hurle sa mère. Cette fois-ci, je ne le répéterai pas !
Ses bras sont chargés d'un tas bouteilles vides. Elle est effrayante. Des mèches blondes effilochées tombent sur son visage sale, dégoulinant de mascara et luisant de sueur. Elle bascule sa tête en arrière et, portant une de ses bouteilles à la verticale, tente vainement d'en faire tomber une goutte restante.
Aubrey aurait pu en profiter pour s'échapper. Mais elle en est incapable. Un sentiment indéfinissable la tient complètement paralysée, et elle ne peut que regarder sa mère sombrer un peu plus dans la folie et dans le désespoir.
Quelques secondes plus tard, la femme comprend que la bouteille est belle et bien vide. Alors, elle projette en un ultime hurlement l'intégralité de son attirail sur sa fille, vociférant des horreurs. Les bouteilles sont des projectiles. Elles blessent physiquement et laissent des traces indélébiles psychologiquement. C'est un véritable carnage. Le verre cingle dans l'air, accumule de la vitesse, vise la victime avec précision puis sa peau est déchirée. A différents endroits, le sang perle à la surface de son corps tremblant de terreur. Aubrey ne trouve rien pour se protéger alors elle se terre en boule, cachant sa tête derrière ses bras sanguinolents. Elle ne doit pas pleurer. Ni parler. Cela ne ferait qu'empirer les choses, et du verre pourrait s'infiltrer entre ses lèvres. Aubrey subit en silence dans un chaos de verre et de violence.
C'est la première fois qu'elles en arrivent à ce point. Et Aubrey regrette. Pas d'avoir vidé les bouteilles, non, elle regrette de n'avoir pas accepté plus tôt le fait que sa mère soit malade.
Au bout d'un long moment, tout cesse. Aubrey se lève malgré la douleur. Sa mère vient l'enlacer, lui répétant des excuses entre deux sanglots. Elle caresse sa tête avec la paume de sa main et ses bras l'entourent, la serrent contre elle dans une urgence presque désespérée. La jeune femme n'a pas la force de la repousser. Aubrey est prise de nausées tant sa mère sent mauvais. Mais est-ce réellement l'odeur ou plutôt le contact avec cette peau brûlante, qui lui donne aussi bien le sentiment d'être protégée comme jamais elle ne l'a été auparavant, que de sombrer dans des tréfonds sans fin, emportée par cette masse bien trop lourde pour ses épaules vacillantes ?
Sa mère finit par se dégager, ombre désincarnée d'elle-même, et se laisse tomber sur le siège le plus proche. Le regard vide, Aubrey se dirige péniblement vers sa chambre, tandis que cette dernière lui demande de faire réchauffer une pizza congelée pour le dîner.
La jeune femme reste silencieuse et continue son chemin.
Ce soir, elle ne mangera pas.
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