Tome IV - Chapitre 8 : Les liens du sang
Hello ! Vraiment désolée de ne pas avoir posté ce matin, hier et aujourd'hui ont été un speed, mais j'avais une bonne raison...... J'ai eu MON PERMIS ! Moi ! A 27 ans, il était sans doute temps de la passer mais en bonne parisienne que je suis, j'en avais jamais eu besoin. Les transports, ça va plus vite (enfin quand ils fonctionnent ahem). J'en ai toujours pas besoin, mais c'était mon défi de le passer, histoire de pouvoir dire "c'est fait, je l'ai". Donc vraiment trop contente !
Sinon, en ce qui concerne ATDM, on continue sur notre lancée à Square Grimmaurd. Si vous vous n'êtes pas encore lassé.e des frères Black, c'est parfait, parce qu'on les retrouve tout de suite.
Bonne lecture !
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Chapitre VIII : Les liens du sang
L'impression de déjà-vu qui saisit Sirius lorsqu'il entra dans le bureau de son père fut frappante. Littéralement. Il eut l'impression de se prendre un coup en pleine tête, même s'il tenta de ne pas le montrer, trop conscient de son petit frère juste derrière lui. Il aurait dû le prévoir après tout : la force d'Orion Black résidait dans sa constance. Il ne doutait jamais de rien, surtout pas de lui-même, et son bureau se devait d'être à son image. Impeccable. Comme si les piles de documents bien alignées et les livres bien rangés dans la bibliothèque criaient à chaque personne qui entrait que leur propriétaire était un homme respectable et important.
Sirius eut envie de tout envoyer au sol à la seconde où il posa un pied dans la pièce. Et c'est donc ce qu'il fit.
Sans perdre une seconde, il se mit à fouiller. Si Orion dissimulait des preuves compromettantes, elles seraient forcément à l'abris des regards, bien cachées mais à portée de main. S'il y avait une deuxième chose qui caractérisait son père, c'était qu'il ne s'embarrassait pas d'effort inutile. A cet égard, il était comme Lucius Malefoy. Une pièce secrète pour dissimuler ses activés ? Oui, évidemment. Mais une fois à l'intérieur, il laissait ses carnets de comptes bien en évidence pour ne pas à avoir le chercher partout. Ça aurait été perdre son temps précieux pour rien, voire pire, ça serait revenu à douter de ses capacités à ne pas se faire démasquer. Ce genre d'homme ne doutait de rien et Orion Black encore moins que les autres.
Méticuleusement, Sirius entreprit donc d'écarter chaque livre et de retourner chaque tiroir, l'esprit alerte. Une flamme impatiente lui brûlait les veines. Il fallait qu'il trouve quelque chose, il y était résolu.
- Merlin, jura Regulus depuis le seuil du bureau.
Il redressa la tête une seconde. Appuyé contre la chambranle, son frère avait croisé les bras devant lui et observait le dérangement d'un air blasé.
- Je vois que t'aimes toujours mettre les parents hors d'eux, même sans vivre avec nous... marmonna-t-il. C'est vraiment nécessaire, tout ça ?
Sirius laissa échapper un rire étouffé et continua à retourner le bureau d'Orion avec précision. Il n'arrivait toujours pas à croire que Regulus le laisse faire une chose pareille, mais il n'allait pas laisser l'opportunité lui filer entre les doigts.
- Jaloux ? lança-t-il, provocateur. Si tu veux faire ton rebelle, me laisser fouiller ne suffira pas. Je serai ravi de te donner des cours pour vraiment les énerver tous les deux. Tu verras, une fois que la Harpie commence à crier, ce n'est pas si terrible, t'as juste à attendre qu'elle s'épuise en première. (Il fit exprès de renverser une rangée de livres dans la bibliothèque, défieur, et Regulus tressaillit face au bruit sourd quand le dernier chuta au sol avec fracas). Enfin, évidemment, ça nécessiterait que tu oses enfin... entrer dans l'arène, si tu vois ce que je veux dire.
Il jouait à un jeu dangereux à l'instant, il s'en rendait bien compte. Il ne savait pas vraiment ce qu'il cherchait à faire à vrai dire. Provoquer son frère ? Entamer un dialogue briser depuis longtemps ? Réaffirmer qu'il n'était pas ici par nostalgie ? Peut-être seulement faire réagir Regulus, figé avec son masque de parfait enfant... Ce dernier lui jeta à cet instant un regard proche du mépris.
- Sans façon, déclina son frère, mains plongées dans les poches. Je n'ai pas besoin de conseils, ça ne m'intéresse pas de les énerver contrairement à toi. En fait, je n'essaye pas d'être toi, même si ça te semble absurde... Désolé de te décevoir.
Sirius suspendit son geste, près à forcer le tiroir du bureau de son père. Le ton froid de Regulus était porté par une pointe coupante, presque ironique, et il sut qu'ils touchaient à quelque chose d'important. Tout en continuant à jouer avec la serrure, il vrilla ses yeux sur lui et haussa un sourcil.
- Oh ne t'inquiète pas, je ne t'ai jamais accusé de ce crime horrible que ça serait pour toi. Mais simple curiosité... Tu ne crois pas que la vraie question c'est plutôt qui tu essayes d'être ?
Pendant une seconde, Regulus parut déstabilisé. Il cilla, ses yeux gris habité par un orage qui n'était pourtant qu'interne. A l'extérieur, il maîtrisait tout. Typique de Regulus : prêt à encaisser, à être pousser dans ses retranchements, mais jamais prêt à rendre les coups ni à perdre son calme. C'était l'attitude des Black dans toute sa splendeur. C'était tout ce dont Sirius avait lui-même toujours manqué et tout ce qui le hérissait au plus profond de lui. Il savait que de toute façon la question était purement rhétorique. Regulus ne prit d'ailleurs même pas la peine de répondre et il secoua la tête en laissant échapper un souffle moqueur. Evidemment. Ils savaient tous les deux qui son petit frère essayait d'être.
- J'avais oublié... marmonna Regulus.
- Oublié quoi ?
- A quel point tu pouvais me taper sur les nerfs.
A nouveau, Sirius sourit.
- Génial, ça veut dire que je n'ai pas perdu la main. Ça m'inquiétait. Si ça peut te consoler, moi aussi, j'avais oublié.
- Quoi ? Que t'aimais me taper sur les nerfs ?
- Ca aussi, oui. Mais non, je parlais de la maison. Des tableaux qui commentent tous tes faits et gestes, chaque marche qui grince, même les têtes d'elfes. On finit par oublier qu'elles sont horribles. Oh et je rêve ou t'as mis un mot sur la porte de ta chambre ?
A sa plus grande joie, le visage de son frère s'empourpra.
- Non, nia-t-il un peu trop vite pour être crédible. T'as dû mal voir.
Merlin, c'était ça, le fleuron de l'armée de Tu-Sais-Qui ? Sirius arrêta de fouiller le bureau et se redressa. Soudain habité par la simple envie de contrarier Regulus, il retraversa la pièce, un rictus au coin des lèvres.
- Oh vraiment ? se moqua-t-il. Alors attends, laisse-moi revoir la porte de ta chambre. C'est tellement pratique qu'elle soit sur le palier.
- Par tous les mages, tu devais juste fouiller le bureau ! Sirius ! Attends...
A sa décharge, Regulus essaya de lui barrer le passage, toujours positionné dans l'embrasure de la pièce. Malheureusement, il faisait toujours quelques centimètres de moins que lui malgré sa poussée de croissance depuis la fin de Poudlard et il lui suffit de regarder par-dessus la tête de son frère pour distinguer la porte close à l'autre bout du pallier. Sur la peinture sombre avait été apposée une petite pancarte prétentieuse où des lettres soignées s'étalaient :
DÉFENSE D'ENTRER SANS L'AUTORISATION EXPRESSE DE REGULUS ARCTURUS BLACK
Ce fut plus fort que lui, il sentit un rire gonfler dans sa poitrine et passer ses lèvres dans une exclamation étouffée, au bord de l'incrédulité. L'expression de Regulus se décomposa.
- Sirius, je te jure... commença-t-il, mâchoire contractée.
- Non mais alors là ! Reg, sérieusement ? Qui est-ce que t'espérais garder dans le couloir avec ça, hein ? Les parents ? Kreattur ?
- Arrête...
- Tu t'imaginais que ça suffirait à les empêcher d'avoir la main sur toi ? Où tu t'es retrouvé dans une situation embarrassante et t'as pas eu d'autres idées de coller une affiche comme un gamin de dix ans ?
- Par tous les mages ! La ferme, Sirius !
Il ravala sa prochaine pique en même temps que son amusement, surpris par l'éclat dans la voix de son frère, et se tourna vers lui. Son visage était fermé, mais plus que tout ce fut son regard qui le figea soudain. Un regard hanté, comme s'il voyait à travers ce simple écriteau quelque chose qu'il ne pouvait même pas imaginer et il se demanda soudain s'il y avait une véritable raison derrière ce signe sur une porte de chambre d'enfant.
Une drôle de sensation l'envahie. Pendant quelques minutes, occupé à retourner le bureau paternel, il avait pu prétendre que les choses étaient à peu près normales : il était redevenu l'éternel aîné problématique, celui qui faisait tout pour faire enrager les parents, mais qui avait toujours un motif caché. Enfin, caché... c'était vite dit. Son implication pour l'Ordre n'était plus un motif caché depuis un moment et il n'avait que lui-même à blâmer pour cela. « Vous avez un fils de chaque côté de cette guerre, père. Vous pouvez être fier ». C'étaient ses mots, il s'en souvenait parfaitement. Mais oui, l'espace d'un instant, il était retourné dans le rôle qu'on lui avait si bien attribué au sein de la famille et le fait d'avoir Regulus en train de l'observer d'un air réprobateur, incapable pourtant de se tenir à l'écart comme lorsqu'ils étaient petits, n'avait fait que renforcer cette impression.
Sauf que la réalité était revenue s'insinuer entre eux d'un coup, implacable. C'était la maison qui faisait cela, il en était certain : toujours familière, toujours prête à sauvegarder les apparences, mais il suffisait de gratter le verni pour voir la vérité. La noble demeure de la noble famille Black. Presque un énième membre sur leur arbre généalogique, celle qui les enterrait tous. Celle qui serait leur tombeau.
La pensée morbide le fit déglutir difficilement. A côté de lui, Regulus se crispa.
- Faut toujours que tu fasses ça, cracha-t-il, amer. Te moquer de tout, comme si rien n'était digne que tu oses le prendre au sérieux ! Comme si c'était au-dessus de toi. Désolé, Sirius, mais ça ne fonctionne pas comme ça pour ceux qui ne peuvent pas s'échapper. Pour ceux qui sont rester et qui portent l'héritage.
Oh Merlin... Et voilà, il faisait son retour, ce fameux héritage. Il faillit rire à nouveau, mais s'en garda bien et se contenta de faire volte-face pour retourner dans le bureau.
- L'héritage, l'héritage, tu parles... marmonna-t-il en ouvrant un à un les carnets posés sur le bord d'un secrétaire. Faudrait encore qu'ils te l'aient donné l'héritage.
-Qu'ils me l'aient... ? Quoi ?
La note d'étonnement dans la voix de Regulus lui parut sincère. A nouveau planté sur le seuil de la pièce, son petit frère le dévisageait et la réalisation le frappa brusquement. Il referma le carnet qu'il tenait d'un claquement sec. Un nuage de poussière vola entre eux quelque secondes.
- Ne me dis pas que... Non, ils n'ont pas osé te faire croire ça quand même ? s'exclama-t-il, sidéré.
Orion et Walburga avaient beaucoup de défauts, mais il ne pensait pas leur coller celui-ci sur le dos : nourrir les illusions de leur petit dernier. Garder la main sur les complications de leur succession et maintenir leur image de parfait sang-pur auprès de toute la famille, y compris leur fils qui ne jurait que par eux. Ah ! Peut-être que c'était lui qui était naïf en fin de compte parce qu'à bien y réfléchir, c'était parfaitement leur genre. Regulus fronça les sourcils.
- Me faire croire quoi ? Allez, parle ! exigea-t-il avec hauteur avant de soupirer, l'air agacé. Et par pitié, arrête de tout mettre en pagaille, Père va faire un infarctus !
- Ca nous en débarrassa plus tôt...
- Ne dis pas ça, fit Regulus d'une voix sourde.
Il roula des yeux. Mais affectivement, lorsqu'il s'arrêta deux secondes pour détailler l'état du bureau, il se rendit compte que son passage avait laissé les traces d'une tornade lancée à pleine vitesse. Gideon et Fabian auraient été très déçus qu'il applique si peu leur formation dans l'art de fouiller une pièce sans se faire repérer. Une petit part au fond de lui tenta de le convaincre de laisser le bureau dans cet état, juste pour imaginer la réaction de son père à son retour de Sainte-Mangouste, mais l'agent de l'Ordre qu'il était avant tout s'y refusa : d'un coup de baguette, il commença à remettre les affaires d'Orion en place. Regulus suivit chacune d'elles du regard comme pour vérifier qu'il ne se trompait pas.
- Mieux... jugea-t-il quand la bibliothèque présenta enfin ses rangées de livres bien alignées habituelles. Et donc, l'héritage ? Tu disais ?
- Je ne disais rien. C'est aux parents de te le dire.
- Oh arrête, tu meurs d'envie de me balancer ce que tu sais au visage, je te connais.
Il ne pouvait même pas nier : ni la première affirmation, ni la deuxième d'ailleurs. Et Regulus savait très bien en jouer.
- J'ai envie de te balancer beaucoup de choses au visage, c'est vrai, convint-il, mais peut-être pas celle-là. Toute façon, ça n'a pas de sens.
- C'est toi qui n'a pas de sens, là, tout de suite. Parles, par Merlin ! s'impatienta son frère.
- Pourquoi ? Qu'est-ce que te ferait de savoir que légalement je suis toujours l'héritier, hum ? (Son ton sec résonna contre les murs et il ne loupa rien de la manière dont le corps de Regulus devint rigide d'un coup, assommé par l'information. Il lâcha un rire sans joie). Voilà, tu sais maintenant ! Satisfait ?
Il se détourna, juste pour laisser à son frère le temps de se remettre et de ne pas voir son expression. Ça ne lui semblait plus très amusant d'un coup. Tendu, il continua à remettre les piles de dossiers à leur place : le moindre centimètre comptait et il fallait qu'il se concentre. Le silence qui venait de tomber était de toute façon trop assourdissant pour qu'il ne l'occupe pas en manipulant tout ce qui était à portée de main.
Prudemment, il releva un œil pour jauger la réaction de Regulus. Il était entré dans le bureau désormais, appuyé contre le mur du fond, et regardait dans le vague, le visage dépourvu d'émotions. Son ventre se contracta. Il ne savait pas à quoi il s'était attendu, mais au moins à des cris ou à se faire traiter de menteur. Et là, rien. Comme s'il ne venait pas d'enlever à son frère sa seule fierté, la seule chose pour laquelle il s'était battu durant des années : faire la fierté de la famille en étant l'héritier qu'il n'avait jamais su être. Quelque chose clochait.
- Reg ? appela-t-il, nerveux. Tu m'as... tu m'as entendu ?
- Hum ?
Son frère tourna sa tête vers lui. Il parut sortir de sa torpeur.
- Oui, Sirius. Je t'ai entendu. T'es toujours l'héritier légal des Black, très bien... Ça doit juste être une procédure judiciaire un peu longue, c'est tout, ça sera réglé bientôt, affirma-t-il avec flegme.
Sirius cilla. Visiblement, le politiquement correct venait de reprendre le dessus et il se retrouva une seconde à ne pas savoir quoi répondre. Le déni de son frère n'avait pas de limite.
- Si c'est ce que tu veux croire... finit-il par se moquer, désabusé. J'en ai plus rien à faire de toute manière. Mais fais attention, si Père passe la baguette à gauche bientôt, faudrait pas que tu retrouves à me demander la permission pour vivre chez moi.
Ironique, il engloba la maison d'un geste grandiloquent, mais Regulus ne sembla pas amusé pour deux noises. Pas même un sourire réprimé comme il pouvait parfois lui arracher et c'est ce détail qui lui fit comprendre que son frère était plus contrarié qu'il ne le laissait paraître. Il ne trouva rien à dire pour diffuser la soudain tension tombée sur eux. Mal à l'aise, il se remit à fouiller et ranger le bureau en même temps : l'intention contraire le rendait imprécis et il se reconcentra, l'esprit embrouillé d'émotions dont il ne voulait pas.
L'Ordre, se fustigea-t-il. Penses à l'Ordre, allez ! Il avait une mission – certes auto-confiée avec un manque criant de jugeote – mais il fallait quand même qu'il la réussisse. L'heure passait et même Regulus ne réussirait pas à tenir leurs parents à l'écart longtemps s'ils rentraient maintenant de Sainte-Mangouste. Avec urgence, il accéléra. Les dossiers retrouvèrent leur place initiale, la bibliothèque fut à nouveau bien alignée, et les tiroirs se refermèrent un à un. Accroupi pour fermer les derniers, il s'arrêta pourtant soudain... Là, presque dans l'ombre du vieux bois poli par le temps, il distingua un carnet plus petit que les autres mais à la reliure en cuir craquelée. De toute évidence, Orion s'en était servi à de nombreuses reprises.
Il n'hésita pas une seule seconde. Hors de question de refaire la même erreur qu'au manoir des Malefoy.
D'un geste souple acquis grâce à des années de mauvais coups et de blagues en tout genre en bon Maraudeur qu'il était, il s'empara du carnet et jeta un sort de duplication sans même le formuler à voix haute. Flitwick aurait été fier de lui. Du moins, il l'aurait sûrement été s'il n'avait pas été en train d'utiliser son enseignement des sortilèges pour voler son propre père, mais c'était une autre affaire. Le cœur battant, il se releva de derrière le bureau. Regulus n'avait rien vu.
- C'est bon ? s'impatienta son frère. T'as terminé de ne rien trouver ?
- Qu'est-ce qui te fait dire que je n'ai rien trouver ? rétorqua-t-il, défieur.
Regulus lui jeta un regard blasé.
- Pourquoi est-ce que Père aurait à voir avec les mangemorts quand il sait que son fils se contente de faire le travail ? Abandonne Sirius, ça ne sert à rien.
Et avec une amertume presque résignée, il tourna sur lui-même pour sortir de la pièce, comme s'il était à bout de patience ou juste rattrapé par l'ennui de toute cette situation absurde. Sirius resta planté là, les bras ballants. Dans sa poche, la copie du carnet sembla peser une tonne, mais il n'y prêta pas attention. Il sortit de sa torpeur pour suivre son frère, le bureau en ordre derrière lui. Regulus avait raison : il n'y avait plus rien à en tirer.
Une seconde, il crut qu'il allait devoir le courser dans toute la maison, mais Regulus attendait juste sur le palier, assis à même le sol, et il ne leva même pas les yeux dans sa direction à son approche. Il hésita. La logique aurait voulu qu'il dévale les escaliers et quitte cette maison des horreurs tout de suite sans se retourner, exactement comme il l'avait déjà fait et pourtant quelque chose au fond de lui le retint. Il avait eu un regret la dernière fois... Ça avait même été une des premières choses qu'il avait dit à James en arrivant chez lui, trempé et tremblant. Il avait laissé Regulus derrière. Il avait essayé de l'emmener avec lui sans réussir et cette pensée l'avait hanté des semaines après sa fugue en s'imaginant son frère, désormais seul pour affronter Square Grimmaurd alors qu'il avait été un rempart pour lui pendant des années. Aujourd'hui, il ne pouvait pas réparer ce qu'il avait un jour brisé, ni même être assez fou pour croire que Regulus le suivrait, mais peut-être qu'ils avaient encore des choses à se dire...
La gorge comprimée, il se laissa donc tomber à côté de lui, dos au mur. Littéralement et métaphoriquement.
Son frère coula un regard surpris vers lui sous ses mèches noires.
- Qu'est-ce que tu fais... ?
- Je prends une pause. La nuit a été longue et j'ai envie de rester avec mon petit frère. J'ai le droit, non ?
Il détesta la façon dont sa voix parut soudain moins assurée, comme s'il demandait la permission, et Regulus sembla trop pris au dépourvu pour comprendre tout de suite. Ils se dévisagèrent.
- Je ne sais pas... finit-il par répondre, incertain. Tu n'avais pas eu beaucoup envie jusque-là. Tes amis vont pas finir par se demander où t'es passé ?
- Qui te dit qu'ils ne savent pas que je suis là ?
Regulus haussa un sourcil, pas dupe. Il retint un soupir agacé : il fallait toujours que ce gamin soit trop perceptif pour lui.
- Ok, très bien... reconnut-il en ramenant une jambe contre lui, le bras étendue à moitié dans le vide, à moitié sur son genou comme pour se protéger. Ils ne savent pas. La soirée a été... compliquée. Ouais, on va dire ça.
- Compliquée, hum ? Qu'est-ce qui passe ? Je croyais que tout n'était qu'amour et arc-en-ciel du côté de la bande de Dumbledore.
L'ironie cynique fut aussi tranchante qu'un maléfice et Sirius tressaillit. Merlin, si Regulus savait à quel point ils étaient loin d'un idéal... Entre les heures de sommeil réduites, les missions qui n'en finissaient pas, les divergences d'opinion, il n'y avait pas une semaine sans qu'une dispute éclate au QG. Emmeline et Gideon avaient failli s'envoyer la bouilloire à la figure l'autre jour. Il eut un rire sans joie, fatigué.
- J'aurais aimé... Va dire ça à Alexia alors.
- Cassidy ? s'étonna son frère, le regard résolument fixé sur l'escalier devant eux.
- Ouais... On s'est un peu engueulées ce soir. Je te passe les détails, mais disons qu'elle me reproche de ne pas la faire passer en premier, je crois. Elle a raison... c'est juste qu'il y a toujours trente choses par jour en ce moment. La guerre s'arrête jamais.
Regulus fit un « hum » approbateur, signe qu'il comprenait. Et s'il y avait bien quelqu'un qui comprenait, c'était effectivement lui, même de l'autre côté du champ de bataille.
- Elle m'en veut aussi de ne pas réussir à me détacher de... ça, avoua-t-il avec réticence, en faisant un geste de la main autour d'eux.
- Ca ?
- Les Black. Toi. Cette maison.
Il n'osa pas jeter un œil vers l'expression de son frère, embarrassé. Il ne savait même pas pourquoi il dévoilait tout ça d'un coup, juste que les mots s'accumulaient contre ses lèvres et qu'il les laissait s'échapper, trop fatigué pour lutter ou se dire que c'était une mauvaise idée.
- J'ai eu le temps d'y réfléchir depuis que je suis parti, tu sais... souffla-t-il. Je crois que je sais pourquoi je finis toujours par revenir d'une manière ou d'une autre. Surtout vers toi.
- Oh ?
- Hum... Je crois que dans un sens...t'es le seul qui peux comprendre. Le seul qui sait.
A ces mots, Regulus tourna enfin la tête vers lui et il plongea ses yeux dans les siens, si semblables. Le lien du sang ne mentait pas. Il était criant dans cette foutue nuance de gris si particulière, il se voyait littéralement au milieu de la figure dans chacun de leurs traits. D'un coup, Sirius fut habité par l'absolu certitude à cet instant qu'il disait la vérité. Regulus comprenait. Regulus savait. Mais il n'énonça une fois de plus à voix haute de peur que les mots ne l'étouffent s'il ne le faisait :
- T'étais le seul. T'es le seul qui était là tous les putains de jour à subir les leçons de français et les cours de valse, les sermons sur l'héritage et la famille. Le seul qui sait ce que ça fait de recevoir les coups et les sorts parce qu'on avait oublié un nom sur cette maudite tapisserie. Le seul qui se souvient des repas où on n'avait pas le droit de parler sans permission, des jeux avec Andromeda, Bella et Cissy...
- Le seul qui sait que t'as eu peur des chenilles jusqu'à tes huit ans ?
Lancé dans sa réflexion dévorante, il mit une seconde à comprendre la phrase, puis un rire étouffé monta de sa poitrine et il se passa une main sur le visage.
- Des monstres rampants, Reg, je l'ai toujours dit, grinça-t-il.
- Evidemment. C'est ça le courage de Gryffondor alors ?
Merlin, quel gamin impertinent. Perspicace, mais impertinent. Pour toute réponse, il lui fit un doigt d'honneur et ce fut au tour de son frère de sourire alors que le silence retombait. Il fallut plusieurs secondes à Regulus pour demander soudain :
- Tu dis que je sais... tout ça, les punitions, les jeux, ce que les parents nous ont fait subir, mais... Potter ? Il sait aussi, non ? Et tes amis ?
Sirius déglutit. En sept ans, il y avait peu de choses qu'il avait pu cacher aux Maraudeurs, particulièrement James. La nuit de sa fugue, il s'était même épancher comme il ne l'avait jamais fait, trop épuisé pour les faux semblants et les « je vais bien » de circonstance. Il supposait que donc oui, James savait d'une certaine façon. Mais il savait seulement à travers des mots. Regulus, lui, savait dans sa chair même, les souvenirs gravés au fer rouge aussi sur le corps que sur l'esprit. Il eut besoin de le prouver en attrapant brusquement le poignet de son frère – celui dépourvu de marque noire – et en le levant entre eux. Regulus eut à peine un mouvement de recul, pris par surprise.
- James sait beaucoup de choses, reconnut-il d'une voix rauque. Mais il ne connaître jamais ça, ajouta-t-il en traçant doucement la minuscule cicatrice sur la paume de Regulus, juste à la jonction entre le poignet et le pouce.
Son frère suivit le geste des yeux, le souffle bloqué. Ils se rappelaient très bien tous les deux le jour où Regulus s'était fait cette marque, la première fois qu'il avait fait de la magie à l'âge tardif de quatre ans. C'était un de ses premiers souvenirs d'enfance et rien que d'y penser lui tordit le ventre. Sans rien ajouter, il relâcha son bras.
Regulus ne chercha pas à poser plus de questions. Il se contenta de refixer le vide et Sirius aurait pu jurer que le temps s'était arrêté, juste l'espace de cette conversation. Il n'arrivait pas à s'arracher à la bulle irréelle dans laquelle il semblait flotter en tout cas. Plus que jamais, la fatigue commença à lui peser, lancinante, et il s'apprêtait à se relever, décidé à devoir enfin mettre un terme à tout ça, quand Regulus le stoppa brusquement avec une énième question.
- Sirius... ? Est-ce que... Marlène voit encore Benjy ?
Il le figea tel une statue de sel. Il aurait dû voir le nom de Marlène surgir dans la conversation à un moment, mais il s'était laissé engluer dans ses propres émotions.
- Tu sais qui est Benjy ? lâcha-t-il, inquiet.
- Non, pas vraiment. Je ne sais pas qui c'est pour de vrai, si ça peut te rassurer. Marlène avait juste prononcer son nom à la fête de Cissy l'année dernière... Elle avait dit... enfin... qu'elle sortait avec lui...
- Et elle te l'a dit avant ou après que vous vous soyez embrassés ?
Le visage de Regulus s'empourpra d'un coup.
- Comment tu sais que... ?
- Je le savais pas, en fait, avoua Sirius, amusé. Je le soupçonnais, mais merci pour la confirmation.
- Tu le... Milles gargouilles, Sirius !
Maintenant écarlate, même dans la pénombre, son frère lui donna un coup de coude dans les côtes et il se plia en deux dans un râle exagéré. Regulus ne prit évidemment même pas la peine de s'excuser, mâchoire crispée et air gêné vissé sur le visage. Sa réaction le fit soudain douter : jusqu'à quel point le béguin de Marlène et Regulus était sérieux ? Il avait cru qu'après le manoir Malefoy, les choses seraient retombées d'elles-mêmes par la force des choses, mais le doute s'insinua en lui. Il décida soudain de jouer un coup de dé.
- Si tu veux tout savoir, Benjy et Marlène se voient assez souvent, ouais, dit-il avec flegme. Ils sortaient plus ou moins ensemble à un moment même, il l'a emmené dîner cet hiver.
- Oh...
Regulus fronça les sourcils.
- Mais... depuis cet hiver ? voulut-il savoir.
Il tenta de garder un ton neutre, mais Sirius perçut facilement la certaine tension sous-jacente. Il se concentra pour ne pas rien laisser paraître.
- Je n'ai pas tout suivi, je sais juste qu'ils se voient de temps en temps.
- Pourquoi ? Il fait partie de l'Ordre ?
- Tu sais bien que je peux pas te le dire, esquiva-t-il immédiatement avant d'ajouter. Qu'est-ce que ça fait de toute façon ? Si elle le voit avec l'Ordre ou en dehors ?
Regulus eut l'air d'avoir mordu dans un citron. Visiblement, la différence était importante et Sirius prit soudain pitié de lui. Il roula des yeux.
- Reg ?
- Hum ?
- Respire, j'ai menti. Il n'y a plus rien entre eux.
Et je commence à comprendre pourquoi, se dit-il mentalement. C'était effrayant de constater que Regulus pouvait être sans expression par moment, parfait petit héritier qui ne laissait rien paraître, et complètement transparent dès qu'il s'agissait de Marlène McKinnon. Comme s'il ne comprenait pas bien les émotions qui le traversaient et ne savait pas quoi en faire : elles filtraient tels des rayons de soleil impossibles à endiguer dans les fissures qu'il n'avait probablement même pas conscience d'avoir.
Regulus le fusilla du regard, l'air agacé contre lui-même d'être tombé dans le chaudron.
- Ça t'amuse pas vrai ? devina-t-il, résigné.
- De quoi ? Voir mon petit frère paumé à cause d'une fille ? Un peu, ouais. Mais je vais te dire la même chose que j'ai dit à Marlène, Reg. Arrête. Ca ne peut pas bien finir et vous allez vous faire mal...
- Tu crois que je ne le sais pas ?
Pour un peu, il crut entendre Marlène lui répondre à peu près la même chose. « Je suis amoureuse de lui et j'ai l'impression que j'arriverais jamais à ne plus l'aimer ! Alors dis-moi ce que je peux faire avec ça ? ».
- Si, je le sais, apaisa-t-il. Mais sois honnête avec toi-même, ce n'est pas comme si tu pouvais la revoir ou faire quelque chose. Donc à quoi ça rime, hum ?
Il espéra qu'asséner une logique bien réelle allait être l'argument décisif, mais Regulus garda le silence, tendu. Un doute s'insinua en lui.
- Tu ne l'as pas revu, pas vrai ? s'assura-t-il. Depuis la fête de Cissy ?
- Non. Comment veux-tu que je la revois ? Tu l'as dit en plus, ça servirait à rien.
Il plissa les yeux. A moitié tourné vers son frère désormais, il tenta de déceler une once de mensonge dans son affirmation, mais Regulus soutint son regard sans faillir, ses doigt pianotant contre le cadrant de la montre à son poignet. Soit il n'était pas aussi transparent qu'il l'avait cru il y a quelques minutes, soit il disait la vérité. Il décida de croire en la seconde option.
- Ok, très bien... C'est presque dommage, tu sais, ajouta-t-il après coup d'un ton plus léger, décidé à briser la tension. Dans une autre vie, j'aurais pu te donner des conseils. Si on avait été une famille normale.
- Des conseils sur quoi ? railla Regulus. Sur les filles ? Qui est là ce soir parce qu'il s'est embrouillé avec sa copine, rappelles-moi ?
- Eh !
Techniquement, toute la dispute avec Alexia était partie de la tentative de chantage de leur père, mais il préféra ne pas le soulever.
- Peut-être pas des conseils de communication, non, convint-il avec un rictus. Mais sur comment séduire la fille. Comment l'embrasser. Enfin, ça, t'as pas besoin de conseil visiblement.
- Sirius !
Il ravala son rire, juste par égard pour l'embarras de Regulus dont le sang lui était monté aux joues une nouvelle fois. Il ne chercha en tout cas pas à pousser le sujet et, cette fois, lorsque le silence les enveloppa, il sut qu'ils arrivaient en bout de course. Ils avaient prolongé l'instant – l'illusion – aussi longtemps que possible, mais il allait falloir qu'il reparte. En bas, il entendait Kreattur s'agiter, signe qu'il ne resterait sans doute pas au rez-de-chaussée avec son plateau de thé indéfiniment. L'elfe l'inquiéta peu. Regulus avait toujours eu un lien avec lui et un ordre de sa part suffirait à garantir son silence.
Sans même le verbaliser, ils se remirent donc sur leurs pieds, face à face. Sirius se sentit vide. Vide de mots, vide d'émotions. Il se contenta de regarder celles de son frère valser au fond des yeux gris, puis soudain Regulus rompit la distance entre eux. Instinctivement, il ouvrit les bras et ils se retrouvèrent dans une étreinte étrange où ils purent cacher leur visage à l'autre. Pendant une seconde, il s'autorisa à baisser la garde et à faire tomber son masque.
- Fais attention, Reg, tu m'entends ? murmura-t-il. Si tu meurs dans cette guerre, je viendrais te tuer moi-même.
Son frère eut un souffle étranglé.
- Noté. Pareil pour toi. Sers-toi de ta tête pour une fois, Sirius.
- Je vais essayer.
Essayer, il supposait que c'est ce qu'ils avaient de mieux à se promettre l'un l'autre. Et avec une dernière tape sur l'épaule – un dernier contact – il relâcha son petit frère. Plus que sa fugue, plus que leur dispute le jour où il avait appris pour la Marque des Ténèbres, plus que son départ de Poudlard ; cette fois-ci lui laissait un goût de finalité comme jamais auparavant.
Quoiqu'il se passe désormais, la guerre allait les emporter... Il le savait au plus profond de ses os. Elle avait déjà commencé à les piéger dans ses courants et ce soir n'était qu'un remous inespéré où ils s'étaient rejoints. La seule chose qu'il pouvait faire désormais, c'était prier pour qu'aucun d'eux ne finisse noyé dans la tempête.
Le cœur lourd, il lui tourna le dos sans se retourner et dévala les escaliers. Il vit à peine les têtes d'elfes coupées le long du mur, ni même Kreattur tapis dans l'ombre. Il traversa le hall avec la sensation que s'il ralentissait, il ferait volte-face. Ses pas furent étouffés par l'épais tapis sur le sol et par des siècles de tradition encombrants avant qu'il n'atteigne enfin la porte d'entrée. Il manqua de faire claquer le battant contre le mur en l'ouvrant avec force avant de se retrouver enfin à l'air libre, dehors, dans l'atmosphère moite de l'été londonien. Il était sorti de l'Enfer. Il avait quitté le tombeau.
Il enfourcha sa moto volante et laissa Square Grimmaurd et ses fantômes derrière lui.
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Verdict ? ^^
Teaser pour dans deux semaines, aka mon dernier chapitre d'écrit pour le moment. Va falloir que je me dépêche haha !
Chapitre IX : Le secret d'Orion Black
Il n'aimait pas particulièrement fumer de toute façon, même si ce soir il accueillit la sensation de sentir ses muscles se dénouer avec gratitude. A ses côtés, Sirius avait déjà tiré trois bouffées de plus que lui et il roula des yeux. C'était toujours le problème lorsqu'il fumait avec lui. Sirius fumait plus vite. Il l'avait toujours fait et c'était une constance dans la vie de Remus. De manière générale, il était toujours plus lent que James, Sirius et Peter.
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