Tome IV - Chapitre 10 : Un monde en verre

Hello ! En direct de ma pause-dej, je vous poste ce chapitre. Ca été un de mes préférés à écrire donc je suis très contente de vous le livrer. 

Petite info : ça sera le dernier, la pause estivale commence plus tôt que prévue tout simplement car je n'ai plus de chapitres d'avance. Mais pas de panique, reprise de LHDI la semaine prochaine pour compenser ! 

Bonne lecture ! 

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Chapitre X : Un monde en verre

- Rien ! Elle ne veut rien lâcher sur ce putain de Département des Mystères !

- Dorcas ! s'insurgea Lily.

A moitié consternée, à moitié mortifiée, elle suspendit sa théière au-dessus de la tasse d'Edgar Bones.

- Quoi ? rétorqua son amie en lui rendant ses gros yeux. Il n'a pas quatre ans, non ? Je peux dire des gros mots ? Je suppose que vous en avez entendu d'autres, pas vrai ?

L'homme de justice eut un demi-sourire, l'air pris au dépourvu une seconde par la question, mais Dorcas ne fit pas mine de s'excuser et Lily se rassit à table avec eux, frustrée. Elle n'était plus aussi respectueuse de l'autorité qu'elle l'était il fut un temps – Remus appelait ça « l'effet fréquentation de Maraudeurs, c'est une conséquence inévitable » – simplement, il y avait quelque chose qui l'intimidait chez Edgar Bones.

Elle le connaissait peu car il passait toujours en coup de vent au QG et traitait davantage avec Maugrey, Benjy ou les Londubat de part sa position au Ministère ; mais il dégageait une sorte de prestance qu'elle n'arrivait pas bien à y définir. Il n'avait pourtant pas la stature d'un Gideon Prewett aux larges épaules, ni même celle d'un Maugrey à la voix bourru : tout se jouait dans sa façon de détailler une pièce en y entrant, d'en prendre l'attention. Tout criait en lui qu'il connaissait les rouages de la Justice et que c'était cette connaissance qui faisait sa valeur, bien plus que la force brute. Sa puissance magique aidait aussi, ceci dit.

- Ne vous gênez pas pour moi, dit-il à Dorcas d'un geste nonchalant. Vous n'avez pu avoir aucune information alors ?

- Non, Lucinda tient à son poste et respecte « l'institution ». Dès que j'essaye d'en savoir un peu plus sur les employés ou le fonctionnement du Département des Mystères, elle esquive le sujet.

- Assez normal. J'ai déjà croisé des Langues-de-Plomb depuis mon entrée au Ministère, je n'ai jamais pu discuter avec l'un d'eux. Même les employés de la Coopération Magique sont plus sympathiques et pourtant ce sont les gens les plus sérieux de tous les Départements.

Dorcas pianota du bout des ongles sur la table.

- Je sais bien, mais il y a quelque chose qui cloche. Je le sens. Toute la bourgeoisie et les grandes familles alliées de Vous-Savez-Qui se prennent d'un coup d'intérêt pour la recherche magique et décident de financer le Département des Mystères ? Ca n'a pas de sens !

- Ca n'a pas de sens, sauf si un projet se trame dans leur sous-sol, rétorqua Lily.

Elle avait étudié le carnet d'Orion Black à s'en dessécher les yeux avant que Maugrey ne l'embarque pour le mettre sous bonne garde. Les fonds financiers levés étaient adressés à un service particulier du Département des Mystères, celui qui se concentrait sur les innovations magiques liés aux élixirs et potions.

- Tout à fait, approuva Edgar Bones. Mais ça ne m'étonnerait pas. Les mangemorts ne peuvent pas gagner cette guerre simplement sur la force brute, ils ne sont pas assez nombreux. Il leur faut des alliés, des ressources... Et quoi de mieux dans ce domaine que le Ministère lui-même ? Infiltrer l'ennemi pour mieux le détruire.

- Ou pour prendre sa place, commenta Dorcas avec cynisme.

Il inclina la tête en accord sans répondre. Songeur, il contempla le tableau affiché dans la cuisine – celui d'Emmeline et des frères Prewett avec les horaires des missions de surveillance et des mangemorts notoires – et Lily suivit son regard. Les photographies la mettaient toujours mal à l'aise, surtout celle de Regulus Black, épinglée dans les dernières. A chaque fois, son cerveau fatigué mettait une seconde à comprendre que ce n'était pas Sirius.

- Les choses bougent au Ministère, c'est certain, reprit-il en tirant une pipe du revers de sa robe de sorcier. Pas seulement du côté des mangemorts, il ne faut pas être négatif. L'incompétence de Minchum est de notoriété publique, son poste est artificiel à ce stade. Millicent Bagnold commence déjà à tirer les ficelles.

- Elle va être élue en mai, vous croyez ?

- Sans aucun doute. Elle place déjà ses pions un peu partout.

Lily haussa un sourcil. Quelque chose dans le ton de Bones l'interpella et elle croisa le regard de Dorcas par-dessus sa tasse de thé. Son amie lui renvoya la même expression d'intérêt soudain.

- Ses pions ? répéta-t-elle. Lesquels ?

- « Pions » est peut-être trop péjoratif, temporisa Bones en avisant leur curiosité. Disons simplement qu'elle... prépare son arrivée dans le bureau de Ministre avec soin. Elle ne peut rien laisser au hasard, pas dans ce contexte. Et une position clé en ce moment reste celle à la tête du Département de la Justice Magique.

- A la Justice...

- Mais c'est Croupton à la Justice, s'exclama Dorcas. Tout le monde le sait, il est indéboulonnable. Et on ne peut pas dire qu'il reste inactif contre les mangemorts. La mesure qui donne le droit aux Aurors de tirer à vue, c'est lui, non ?

Edgar eut un pli contrarié au coin de la bouche, mais il tenta de le dissimuler en tirant à nouveau sur sa pipe. La cuisine du QG se retrouva momentanément enfumée d'un nuage grisâtre et Lily fronça le nez face à l'odeur âcre. Elle était bonne pour se laver les cheveux avant de partir travailler, sinon Mrs Winger, sa tutrice irlandaise à la langue tout sauf dans sa poche, ne manquerait pas de lui faire une remarque.

- C'est lui, oui... confirma Bones avec réticence. Mais justement, cette mesure ne plait pas à tout le monde. Disons que Bartemius à la réputation de manquer de tact et de faire preuve d'un zèle rigide. Minchum y trouvait son compte : ça lui sauvait la face d'avoir un homme de poigne en vitrine du Ministère.

- Mais Bagnold ne sera pas du même avis, c'est ça ? devina-t-elle.

- Apparemment non, puisqu'elle m'a approché pour le poste.

- Quoi ?

Eberluée, elle se redressa sur sa chaise. Le geste, vif, lui donna presque la nausée et elle repoussa sa tasse de thé dont le goût mêlé à l'odeur du tabac lui souleva soudain le cœur. Dorcas ne parut pas partagée son malaise car elle rapprocha sa chaise d'Edgar Bones, intéressée.

- Elle vous a approché pour le poste ? répéta-t-elle d'un ton incrédule. Elle ne manque pas de culot, elle n'est pas encore élue !

- Certes. En vérité, elle m'a plutôt fait comprendre à demi-mots qu'elle me promettait le poste à partir de mai quand les élections seront passées. Elle constitue déjà son administration, ce qui n'est peut-être pas si impertinent. Dans la bataille face aux forces de Vous-Savez-Qui, le temps va jouer énormément.

- Hum... ça veut dire que vous avez accepté, ça ? Ca serait une belle promotion.

- Dorcas...

Mais Bones ne se démonta pas. Il eut l'air même plutôt amusé et Lily comprit qu'il lui faudrait davantage qu'une jeune fille d'à peine vingt ans pour le désarçonner, lui dont le métier était littéralement de garder la face dans une salle d'audience. Le fait que sa femme soit Auror devait aider aussi.

- Sur le papier ? Sans doute, reconnut-il d'une voix tranquille. En réalité ? J'ai déjà suffisamment une cible sur le dos. Prendre la tête du Département le plus sensible en temps de guerre ne ferait que le renforcer.

- A côté de l'Ordre, ce n'est pas pire, non ?

- Je ne trouve pas. L'Ordre a le mérite d'agir techniquement sous les radars. Être dirigeant au Ministère est bien plus exposé, il n'y a aucun moyen de se cacher et les mangemorts ne manquent pas de le remarquer.

- Mais vous aurez la protection du dit Ministère, opposa Dorcas. Les Aurors, la Brigade de Police Magique, les Tireur d'élites de baguettes.

- Tous ces services ont déjà fort à faire. Croyez-moi, je dois plus voir Maugrey en ce moment que Cassie. Et je ne parle pas des enfants.

Lily se mordit la lèvre. Elle avait tendance à occulter ce facteur : presque personne dans l'Ordre n'avait d'attaches familiales aussi importantes que Bones. Mis à part les Londubat qui étaient mariés, les autres évoluaient en solitaires, jetés à corps perdu pour la cause. Elle passa une main distraite sur son alliance. L'idée lui faisait encore étrange, même trois mois plus tard, mais elle faisait aussi partie de cette catégorie désormais. Au même titre que les Bones et les Londubat, James et elle n'avaient pas engagé qu'eux-mêmes dans l'Ordre : ils y avaient engagé leur mariage.

Chaque jour, elle en mesurait le poids. Ils pouvaient parfois se voir en coup de vent pendant des jours ou devoir s'interrompre en plein milieu d'une conversation en se rendant compte que les informations qu'ils détenaient étaient confidentielles. Cette confiance hachée leur pesait, même s'ils essayaient de faire bonne figure, et elle vivait dans la peur que ce poids devienne un jour trop lourd à porter. Elle le voyait chez les autres après tout : les tensions entre Alexia et Sirius ; le couple d'Emmeline et Gideon qui n'avait pas tenu ; celui de Marlène et Benjy soufflé avant même avoir pu s'enflammer...

Alors si on ajoutait des enfants au milieu de tout ce chaos ? Merlin, elle ne voulait même pas imaginer. Ils vivaient chaque jour dans un monde toujours plus fragile, littéralement fait en verre, et elle savait mieux que personne que tout pouvait voler en éclat du jour au lendemain. Elle l'avait vu à Ste-Mangouste ou aux Archives de la Magie. Un élan de compassion la traversa pour la famille Bones.

- Je suis désolée, s'entendit-elle déclarer avant d'avoir pu se retenir. Ça ne doit pas être facile. Vous venez d'avoir un bébé en plus...

- Il va avoir un an.

Elle cilla. L'année était vraiment passée à une vitesse folle et elle réalisa à quel point elle n'avait pas souffler une seconde à part pour son mariage depuis sa sortie de Poudlard. Sans savoir pourquoi, l'idée lui donna envie de pleurer.

- Mais oui, ce n'est pas simple, admit Bones sans relever son trouble. Notre cadet, Spencer, n'est même pas encore à Poudlard ; il faut s'en occuper...

- Je me souviens de Matthew aussi, intervint Dorcas. C'est le plus grand ?

- C'est cela. Il va être majeur, mais c'est compliqué pour lui aussi. On lui en demande beaucoup, peut-être trop.

- Mais ce que vous faites est important. Votre femme et vous... On ne vous le dit sans doute pas assez, regretta Lily, mais c'est vrai.

Bones passa une main sur sa barbe auburn.

- J'apprécie, Potter, c'est gentil. Mais...

Sa voix fut noyée un éclat de lumière qui apparut au milieu de la cuisine dans un froissement crépitant de magie : une boule, informe, aux reflets bleutés. Lily bondit sur les pieds avant même que le patronus ait terminé de matérialiser.

- Chemin de Traverse ! clama la voix de Benjy. Maintenant ! Demande de tous les membres disponibles !

**

*

- Tu ne trouves pas ça incroyable ? Qu'on entende à peine le chemin de Traverse, je veux dire ?

Regulus ouvrit un œil vitreux sur la chambre du Chaudron Baveur. La lumière de fin d'après-midi, typiquement automnale, jetait des accents cuivrés et mordorés sur les meubles en bois. La poussière, en suspension dans l'air, semblait prisonnière des faisceaux lumineux et dansait lentement. Le tout aurait presque pu paraître figé et il se redressa pour sortir de sa torpeur, les muscles encore à moitié endormis.

Allongé en travers du lit, il contempla la silhouette de Marlène près de la fenêtre. Ils s'étaient rejoints il y a une heure environ, mais il avait peiné à tenir une conversation, épuisé par sa nuit blanche à chercher des informations sur l'Horcruxe du Seigneur des Ténèbres. Kreattur était resté veiller avec lui : il lui avait décrit dans les moindres détails le médaillon qu'il avait vu au fond de cette caverne mystérieuse et Regulus, aux premières lueurs de l'aube, avait commencé à échafaudé un plan... Un plan qui lui retournait l'estomac d'angoisse, mais dont les contours se dessinaient avec trop de précision pour qu'il ne se rende pas compte qu'il était sûrement la seule solution qui s'offrait à lui. Un plan qui l'avait poussé à régler une heure de rendez-vous sur sa montre enchantée pour le jour même. Il avait eu besoin de voir Marlène. La sensation était encore présente dans sa poitrine, lourde et vibrante à la fois, alors même qu'elle était enfin dans la même pièce que lui.

De profil à la fenêtre, ses cheveux blonds avaient pris les mêmes accents dorés que le reste de la chambre et la vision lui vola un battement de cœur. Parfois, à force de se plonger dans la magie noire jusqu'à avoir la sensation de s'y noyer, il en oublierait presque à quoi ressemblait la lumière. Du moins, c'est ce qu'il croyait. Et puis Marlène franchissait la porte de leur nouveau refuge – sans canapé vert, mais avec le nom de Mrs White au bord des lèvres – et il se sentait plus léger.

- Hum ? émit-il en question muette.

- Tu ne m'écoutes pas, reprocha Marlène en roulant des yeux.

Non, je te regarde, aurait-il voulu répondre. Mais ça aurait sans doute été un peu galvaudé alors qu'il dormait à moitié il y a encore une minute.

- Je disais, tu ne trouves pas ça incroyable qu'on entende à peine le Chemin de Traverse ? Il est juste en bas !

- On n'entend pas non plus Charing Cross Road de l'autre côté. C'est le charme du lieu.

Il ne mentait pas : le Chaudron Baveur l'avait toujours un peu fasciné, surtout enfant. Il avait beau vivre en plein cœur de Londres dans une maison sorcière, ses parents ne l'y avaient emmené qu'en de rares occasions. Trop populaire selon eux. Mais Regulus avait aimé l'idée du mur de brique qui s'ouvrait sur la rue colorée et pleine de vie ; un monde entier caché aux yeux des moldus que lui, petit sorcier, pouvait voir. Ça l'avait fait se sentir spécial, ce qui était sans doute idiot avec le recul. Aujourd'hui, il trouvait que la spécialité du lieu résidait ailleurs. Il était une sorte de frontière ; une zone neutre. Le seul lieu où il pouvait retrouvé Marlène en étant coupé du monde extérieur et de la guerre.

- Ouais, j'imagine... fit-t-elle, songeuse. (Elle se mit à arpenter la chambre, curieuse). Tu sais, si t'es fatigué, je ne te force pas à rester. On peut se retrouver un autre jour.

- Quoi ? Non, non, c'est bon... Désolé, la semaine a été chargée.

Il capta la soudaine crispation de sa mâchoire avec un temps de retard et se tendit en retour. Il n'avait pas besoin d'être legitimens pour savoir que les pires scénarios sur sa « semaine chargée » tournaient dans esprit, mais ils s'étaient promis de ne plus évoquer leur engagement respectif chez les mangemorts et dans l'Ordre. Il déglutit. Si elle décidait de l'interroger, il se demanda sincèrement s'il arriverait à ne pas évoquer ses récentes trouvailles sur le Seigneur des Ténèbres. C'était effrayant à quel point sa volonté ne tenait qu'à un fil lorsqu'il s'agissait de Marlène.

Heureusement, elle se contenta finalement d'hocher la tête, compréhensive, même si elle aurait été complètement en droit de lui rétorquer que contrairement à lui, elle travaillait dans la boutique de Mme Guippure et ne s'en plaignait pas. Il tendit la main vers elle.

- Viens là, souffla-t-il, soulagé malgré lui.

Pendant un instant, sa main resta suspendue dans le vide, exactement comme les grains de poussières autour d'eux, et il perçut la légère hésitation de Marlène. Puis, elle dut repousser l'hésitation car elle fit un pas vers lui avant de glisser sa paume contre la sienne. Il referma ses doigts autour des siens pour la tirer vers lui.

Depuis qu'ils se retrouvaient dans cette chambre, elle ne l'avait pas encore laisser l'embrasser. Il se souvenait encore trop bien de la manière dont elle s'était dérobée le premier jour et il n'avait plus insisté, paralysé à l'idée de la voir passer la porte et ne jamais revenir. Il lui laissait le temps. Peut-être qu'ils en manquaient cruellement pourtant – une guerre était imprévisible – mais il prenait ce qu'elle voulait bien lui donner. Aujourd'hui, elle le laissa enrouler ses bras autour de sa taille. Il eut l'impression qu'il aurait pu la briser.

Evidemment, Marlène le détrompa aussitôt : elle n'était plus du genre à se laisser briser, elle n'était plus fragile. S'il pouvait reconnaître une chose à l'Ordre du Phénix – autre que sa stupidité d'organisation secrète – c'était de lui avoir insufflé une confiance et une force renouvelées. Elle se laissa enlacer et enroula ses bras autour de sa nuque. En réponse, il se laissa aller contre elle.

Ils restèrent dans cette position un moment, à tel point qu'il sentit à nouveau la fatigue s'installer jusque dans ses os. Marlène joua avec ses cheveux à la base sa nuque.

- Tu vas t'endormir, se moqua-t-elle.

- C'est faux.

- C'est ton meilleur argument ? J'ai connu un Regulus Black plus éloquent.

Il retint un sourire. Avec effort, il se détacha d'elle et tendit le bras vers la table de chevet. Une idée venait de lui traverser l'esprit.

- Il faut que je m'occupe, ça va me maintenir éveiller, assura-t-il. Tiens, regarde là-dedans. Je crois qu'un ancien client a oublié une boule de cristal.

- Quoi ? Sérieusement ?

En riant, Marlène se mit à fouiller. Il se souvenait avoir trouvé l'objet lorsqu'il avait loué la chambre pour la première fois cet été et qu'il avait tout inspecté minutieusement. Ces temps-ci, personne n'était assez prudent. Victorieuse, Marlène ressortit du tiroir une petite sphère en verre qu'elle brandit entre eux.

- C'est ça alors, ton idée d'occupation ? lança-t-elle. Voir notre avenir ?

Le « notre » provoqua quelque chose dans son ventre.

- Et pourquoi pas ? Donne-moi ça.

Elle lui envoya la boule avec un sourire et il la réceptionna d'une main, mû par ses réflexes d'attrapeur qui semblaient pourtant appartenir à une autre vie. Marlène vint s'assoir près de lui, puis s'appuya contre la tête de lit en étendant ses jambes devant elle. Sa cheville rencontra son genou replié. Ce fut à son tour de marquer un temps d'hésitation : depuis plusieurs semaines, le lit était un espace tendu autour duquel ils tournaient. La règle implicite était de ne pas s'y retrouver à deux en même temps. Visiblement, la règle avait assez duré.

Feignant l'impassibilité, il éleva la boule en cristal à leur hauteur et se pencha en avant.

- Je n'ai jamais pris Divination en option, prévint-il.

- Ca tombe bien, moi non plus. Alors fais-moi rêver : qu'est-ce que tu vois pour moi ? Une chambre d'hôtel pour l'éternité ?

Il lui donna un coup de genou léger, rassuré de la voir sourire malgré tout. Il supposait qu'il avait mérité les petites piques qu'elle s'autorisait à lui lancer. Concentré, il détacha ses yeux du visage baigné par le soleil de Marlène et plongea dans la surface voilée de la boule.

Au début, il ne vit rien. Sûrement parce qu'il n'y avait rien, comme d'habitude avec ce genre de pratique. Mais Marlène attendait, la main glissée sous son menton, et il s'entêta à regarder.

Et soudain il vit. De l'eau.

Il crut d'abord à un effet d'optique. Un simple reflet du soleil. Surpris, il cilla et la vision se brouilla avant de se stabiliser. L'eau était toujours là. Enveloppée d'une légère brume, elle n'était pas agitée et léchait les bords en cristal, latente. Il la fixa.

- Alors ? Tu vois quelque chose ? demanda Marlène.

- Peut-être...

- Vraiment ?

- Hum...

Il se sentit presque tanguer. Son champ de vision se réduit au cœur du monde en verre posé au creux de sa main. L'eau était d'une couleur grise, opaque... Le genre d'eau où le regard ne pouvait pas percer la surface, un peu comme celle du Lac Noir à Poudlard. Mais cette eau n'avait rien à voir avec Poudlard. Il n'aurait pas su dire comment il le savait. Elle se mouvait à peine et avait la consistance d'un miroir voilé, l'air de receler mille secrets dans ses profondeurs. Il pensa soudain au miroir de Square Grimmaurd, celui hanté par l'esprit malin qui tentait toujours de les attirer de l'autre côté. C'était à cela que ressemblait cette eau prisonnière entre ses murs de verre : elle faisait miroiter un ailleurs, prête à vous engloutir à la moindre approche.

Tremblant, il s'arracha à sa contemplation, le souffle haché.

- Reg ?

- Quoi ?

Sa voix sonna rauque. Doucement, Marlène tendit la main et récupéra la boule de cristal. Il la laissa glisser sur sa peau jusqu'à ce qu'elle lui échappe.

- Eh... Tout va bien ? s'inquiéta-t-elle.

- Hum... Oui, oui, évidemment. Désolé, je t'ai dit, je suis fatigué. J'ai rien vraiment vu, juste de l'eau. Peut-être qu'elle a pris l'humidité dans le tiroir.

Marlène la porta devant son visage et l'inspecta.

- Je crois qu'elles ne sont pas censées pouvoir prendre l'eau mais celle-là est peut-être de mauvaise qualité. (Elle la secoua, expectative, mais rien ne se passa). De l'eau donc ? reprit-elle. Pas de richesse incroyable, ni de voyage à Hawaï ?

- Avec un peu de chance, c'était la mer, si !

Il se força à sourire et Marlène rit avant de faire sauter la boule dans le creux de sa main comme une balle. Pendant une fraction de seconde, il s'attendit presque à ce qu'elle loupe son coup et à la voir répandre de l'eau partout en se brisant au sol. Heureusement, Marlène avait le geste sûr.

- Ou alors autre hypothèse, suggéra-t-il pour se sortir de sa léthargie, elle est vraiment cassée et ne montre pas l'avenir, mais le passé.

- Le passé ?

- Oui. Je t'ai raconté la première fois que j'ai fait de la magie, j'ai failli me noyer ?

Marlène arrêta de faire rebondir le boule. Ses yeux s'écarquillèrent.

- Quoi ? s'exclama-t-elle. Non, je ne savais pas ! Pourquoi ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

Il s'étira, le dos douloureux, et remonta sur le lit pour venir s'appuyer à la tête de lit comme elle. Désormais côte à côte, il dut tourner la tête pour la regarder.

- Une histoire étrange, raconta-t-il. Je devais avoir quatre ans et tout le monde commençait à s'inquiéter parce que ma magie ne s'était pas encore manifestée. Rien de bien grave à cet âge-là, mais Sirius en avait fait à un an. Et comme je n'ai jamais pu échapper à une comparaison de toute ma vie avec lui, tu te doutes bien que ça faisait parler.

- J'imagine, oui...

- Enfin, peu importe... On était en week-end à Blackpool en famille. Tante Druella disait que ça nous ferait sortir un peu de Londres, prendre l'air... Il y avait un ponton dans le centre-ville, une sorte de promenade qui avance sur la mer.

A mesure que les mots lui venaient, les souvenirs revenaient en échos. Il se revoyait tenir la main de Bellatrix alors que sa cousine n'avait qu'une envie, provoquer Sirius. Son jeu préféré car il était le seul à réagir avec autant de verve. Elle avait fini par le lâcher pour courir après son frère aîné.

- Je ne me souviens pas de tout, mais je crois que les adultes n'ont pas vu que je m'étais éloigné. Je suis monté sur un banc pour regarder la mer, je cherchais des strangulots.

- Des strangulots ? répéta Marlène, amusée.

- Cissy m'avait dit qu'il n'y avait pas dans la Tamise et que c'était nul d'habiter à Londres pour ça. Alors je voulais en voir. J'ai dû un peu trop me pencher par-dessus la barrière. Je me souviens juste de la chute et de tomber dans l'eau. Evidemment, je ne savais pas nager.

- Oh Merlin !

Marlène éclata de rire, l'air catastrophé. Dans son hilarité, elle se déporta légèrement vers lui et il l'imita, réduisant la distance entre eux. Si elle le remarqua, elle ne commenta pas.

- Et ensuite ? Qui est venu te repêcher ? voulut-elle savoir.

- Personne. Enfin, moi-même plutôt. Je te l'ai dit, c'est la première fois où j'ai fait de la magie. Heureusement, il n'y avait pas beaucoup de moldus autour, mais d'après mon oncle Cygnus, je me suis fait léviter.

- A quatre ans ?

- Impressionnant, pas vrai ?

Dans sa plus belle imitation de Sirius, il tenta d'avoir l'air vantard, mais Marlène garda la maîtrise de son expression, un léger sourire aux lèvres. Il avait oublié qu'il parlait à une Gryffondor.

- La vérité, c'est que j'ai dû recracher de l'eau et trembler dans mes vêtements trempés, finit-il par avouer, vaincu par l'intensité de son regard. Mais au moins ça m'a valu d'enfin être inscrit sur la tapisserie.

- La tapisserie ?

- Une tradition familiale. C'est une sorte d'énorme arbre généalogique dans notre salon où tous les membres de la famille apparaissent. A une époque, c'était dès la naissance. Et puis le grand-oncle Marius s'est révélé être un Cracmol un jour alors il a été effacé... Pour éviter ce genre de surprise, on attend le premier signe de magie maintenant.

- Oh...

Marlène contempla l'information un instant. Il anticipa son verdict rien qu'à son expression.

- C'est tellement Sang-Pur, jugea-t-elle finalement sans filtre. Hallucinant, même.

- C'est de la belle magie, se défendit-il.

Il le pensait vraiment. Même si l'ampleur de la tapisserie lui avait toujours pesé et que Sirius la méprisait purement et simplement, il aimait la magie ancestrale qu'elle dégageait, attachée aux murs même de Square Grimmaud. Quand Sirius menaçait de mettre le feu à la maison par pur esprit de provocation, il s'était déjà imaginé un tas de cendres avec seulement le mur du salon et la tapisserie encore debout.

Petit, il avait passé des heures à l'observer après l'incident de Blackpool, fier d'y voir enfin apparaître son prénom, juste à côté de celui de son frère. Il se plantait littéralement devant et répétait les noms inlassablement. Orion, Sirius, Andromeda, Cygnus, Pollux. Du haut de ses quatre ans, il avait alors compris la leçon la plus importante que ses parents avaient cherché à lui enseigner : une étoile seule n'était rien, il fallait des constellations pour faire briller un ciel étoilé.

- Reg ?

Le murmure de Marlène le tira de ses pensées sur sa famille. Elle était proche désormais – très proche – et il se demanda à quel moment ils avaient autant gravité l'un vers l'autre. Peut-être que ça n'avait pas d'importance tant ça lui sembla soudain inévitable. Il détailla le visage de Marlène penché vers lui. Les yeux à demi-clos, elle ne cherchait pas à reculer, tendue, et il tenta d'interpréter les routes qui se présentaient devant lui. Seulement, son esprit avait du mal à fonctionner, là tout de suite. Il savait juste ce que son corps voulait.

Comme dans la bibliothèque des Malefoy un peu plus d'un an plus tôt, une force le poussa vers Marlène. Elle rabattait toutes les cartes ; elle changeait son centre de gravité pour l'articuler autour d'elle. Toujours elle.

Alors il tenta sa chance. Lentement, il s'inclina vers elle et ses lèvres trouvèrent les siennes dans un souffle mal contenu.

- Merlin, enfin... murmura Marlène entre eux.

« Enfin » ? Il aurait voulu s'indigner. C'était elle qui l'avait repoussé le premier jour ici, il n'avait fait que respecter la distance dont elle avait eu besoin. Néanmoins, la distance ne semblait plus à l'ordre du jour. Avide, Marlène chercha sa bouche et fit levier sur son bras pour se rapprocher. Le nouvel angle les amena face à face et il l'attira vers lui jusqu'à pouvoir se presser contre elle, une main perdue dans ses cheveux. Il avait oublié à quel point embrasser Marlène lui donnait l'impression que son cœur allait exploser.

A cet instant, il fut persuadé de pouvoir tout réussir, tout remporter. Être l'hériter de la famille ; défaire le Seigneur des Ténèbres ; garder Marlène auprès de lui. Les futurs se conjuguèrent pour ne former qu'un fil entremêlé et il eut envie de s'y accrocher de toutes ses forces. Comment pourrait-il perdre en ressentant autant ? En ayant autant à vivre ?

C'est ce que ce baiser lui inspirait.

- Bon sang, McKinnon...

Marlène sourit contre ses lèvres. Ce sourire solaire qui le guidait depuis trois ans.

- Oui, Mr White ? rit-elle.

Par tous les mages, elle savait donc très bien ce qu'elle faisait. Amusé, il se redressa à son tour et laissa sa main glisser vers son cou. Elle frissonna tandis que ses doigts s'agrippaient à la chaîne en argent de sa montre à gousset. Pour un peu, il aurait juré pouvoir sentir le rythme du mécanisme pulser en diapason avec les battements sourds dans sa poitrine.

- Marlène ? Je crois que je t'aime... souffla-t-il, incapable de se retenir.

Elle se figea dans ses bras. Mortifié, il ferma les yeux. Il pouvait entendre d'ici le rire de Sirius, le ricanement méprisant de Bellatrix, le soupir de dépit de son père... Trop sensible, ce gamin, avait pour coutume de dire grand-père Arcturus. Serpentard l'avait endurci. Rentrer dans les rangs des mangemorts aussi. Face au Seigneur des Ténèbres, il avait même appris à fermer son esprit pour maintenir la façade toute Black qu'on attendait de lui. Et voilà que Marlène McKinnon venait de tout abattre.

Il attendit, suspendu à son jugement. Il lui avait dit : il n'avait rien de mieux à lui offrir que cette chambre d'hôtel à l'abris du monde. Était-ce vraiment de l'amour ? De quel orgueil se targuait-il pour lui penser que... ?

- Tu crois seulement ? répondit soudain Marlène, coupant court à sa spirale infernale.

- Comment ?

- Je dis, tu crois seulement ? J'ai assez attendu pour demander de la certitude, tu ne crois pas, Reg ?

Il cligna des yeux, pris au dépourvu. Puis, un éclat d'euphorie gonfla dans sa poitrine. Marlène sourit à nouveau, le front pressé contre le sien, toujours plus proche. Il sourit aussi en lui volant un énième baiser.

- Je t'aime, Marlène McKinnon. Je prends le risque.

Il vit la lueur de reconnaissance s'allumer dans son regard. Un couloir aux murs anciens, désert en pleine nuit, se manifesta entre eux : « tu ne sais pas dans quoi tu t'embarques, Marlène McKinnon » ; « je suis une Gryffondor, je prends le risque, Regulus Black ».

- Dans ce cas...

Elle se pencha et se remit à l'embrasser. Son cerveau cessa d'émettre une pensée cohérente. Dans la chambre, l'air était devenu moite et il ne savait plus où poser ses mains. Il voulait tout atteindre de Marlène et en même temps faire durer le moment. Ils n'avaient jamais beaucoup de temps, ils le savaient l'un comme l'autre. Marlène ne chercha de toute façon pas à aller plus loin. Il la laissa guider le rythme, concentré uniquement sur ses lèvres, sur la sensation de sa langue qu'il devinait lorsqu'un baiser se faisait un peu plus empressé.

- Reg... dit-elle soudain en reculant. Tu entends... ?

- Hum ?

Il mit quelques secondes à intégrer sa question.

- Le bruit, dehors ? T'entends ?

Il se concentra, encore étourdi. Le propre du Chaudron Braveur était d'être détaché des deux lieux qu'il reliait. Ils avaient établi tout à l'heure qu'ils entendaient à peine le Chemin de Traverse, pas plus que Charing Cross Road. Il fronça les sourcils. Et alors, il le perçut. Une sorte de sifflement, puis un bourdonnement, le tout à des rythmes hachés. Il avait passé assez de temps au sein d'un château rempli de jeunes sorciers et plus récemment au sein des mangemorts pour reconnaître le bruit de sortilèges fusants à toute vitesse.

- Qu'est-ce que... ?

Il n'eut pas le temps de se redresser, une main encore posée sur la hanche de Marlène. La fenêtre de leur chambre – la même devant laquelle elle s'était postée dans une lueur dorée tout à l'heure – vola soudain en éclat. Des éclats de verre qui se fracassèrent sur les grains de poussières.

- Oh Merlin ! s'écria Marlène.

Leur sursaut fit rouler la boule de cristal, toujours entre eux sur le couvre-lit, jusqu'au bord du matelas. Figés, ils la regardèrent se suspendre devant le précipice. Regulus eut la sensation de voir l'eau s'agiter, comme soulevée par une tempête.

Il retint son souffle au moment où la sphère bascula, explosant en milles morceaux. Et l'eau le submergea. 

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