Tome III - Chapitre 31 : Des gens comme nous

Hello ! J'espère que tout le monde va bien. Courte intro aujourd'hui parce que j'ai un livre qui m'attend haha ! 

Mais je suis ravie de vous livrer ce chapitre, je l'attendais pas mal. Il est un peu original et va vous introduire une nouvelle facette de l'histoire... et un nouveau personnage ^^ Bonne lecture ;) 

**********************************************************

Chapitre XXXI : Des gens comme nous

- Fiancée ? Comment ça fiancée ? Avec lui ? Mais t'as dit qu'il ressemblait à un morse et qu'il avait autant de conversation qu'une huître !

- James, c'est faux ! C'est toi qui a parlé d'un morse quand je t'ai montré la photo !

- Mais l'huître, c'était bien toi !

Hilare, Remus manqua de recracher sa gorgée de bière au beurre devant la mine déconfite de Lily et celui triomphant de James. Tout autour de la table, les autres éclatèrent de rire et il s'enfonça un peu plus contre le dossier de la banquette, heureux et presque incrédule d'être là à pouvoir simplement se détendre. Ils avaient décidé de tous se rendre au Chaudron Baveur pour une soirée entre amis, à boire et à rire, et jusque-là c'était une franche réussite. Une réussite dont Remus avait désespérément besoin. Et pour cause, la semaine avait encore été compliquée, peut-être même la plus compliquée depuis longtemps.

Lundi, il avait passé un énième entretien d'embauche chez la compagnie Nimbus. C'était bien le dernier comble pour lui qui n'aimait pas voler sur un balai, mais il fallait bien que des ingénieurs ensorcèlent les pièces destinées à la conception ou réfléchissent aux sortilèges pouvant améliorer la qualité des produits vendus. Alors même si les balais n'étaient pas son rayon, il avait tenté de mettre en avant ses compétences en magie. Le recruteur en avait même été impressionné et tout s'était bien déroulé. Remus avait mis toutes les chances de son côté ou presque. Fabian, qui avait eu vent de son entretien, lui avait proposé dans un rare élan de sympathie dénué de sarcasme de toucher un mot à Caradoc Dearborn pour lui. Après tout, Caradoc était directeur de département à la prestigieuse IRIS, l'institut spécialisé dans les sortilèges notamment, et une lettre de recommandation de sa part aurait eu du poids. Remus avait été touché que Fabian le propose : après tout, il n'avait vu Caradoc qu'une paire de fois depuis son entrée dans l'Ordre – il y avait des membres comme ça qu'il voyait somme toute assez peu même s'il savait qu'ils se battaient de leur côté à l'image des Londubat, de Caradoc lui-même, voire de Podmore à la Bridage de police magique – et surtout il n'avait pas été élève à l'IRIS. Recevoir ce genre de lettre de recommandation n'aurait donc pas eu grand sens et c'est pour cela qu'il avait fini par décliner : il ne fallait pas attirer l'attention sur des liens étranges entre membres de l'Ordre qui n'avait a priori rien en commun. De toute façon, il ne saurait jamais si cette fameuse lettre aurait fait la différence car lorsqu'il avait évoqué avec le recruteur la possibilité d'un à deux jours d'absence par mois pour « raisons personnelles », la réponse avait été sans appel : « désolé, votre profil ne convient pas à l'entreprise ». Et même si l'homme était resté poli, Remus n'avait pas manqué de remarquer qu'il ne lui avait pas serré la main en partant, ni son mouvement de recul et son regard entre peur et dégoût. Ce regard, il y était habitué. Ce n'était pas rare que les recruteurs comprennent entre les lignes sa condition, même si ça n'arrivait pas à chaque fois. Ça l'avait été cette semaine en tout cas... Et il retournait donc à la case zéro concernant le travail. Il ne pouvait prétendre qu'à des petits boulots, des missions ponctuelles, mais ses économies commençaient sérieusement à fondre comme des feuilles de mandragore sur le feu. Il ne devait son salut qu'à son logement gratuit au QG de l'Ordre et au soutien financiers de ses parents et ses amis.

Le reste de la semaine n'avait ensuite pas été mieux. Missions de surveillance, fatigue, blessures... Pas d'attaque majeures de mangemorts pourtant, mais il y avait parfois le quotidien à gérer. Il avait dû intervenir sur une bagarre qui avait dégénéré sur le Chemin de Traverse, à quelques pas d'ici : un groupe de soutien aux idées de Tu-Sais-Qui, un peu alcoolisé, s'était mis à invectiver les passants en leur demandant leurs statuts de sang. Rien de radical si on comparait au Coup de Ste-Mangouste de janvier, mais assez extrême pour que des sorciers et des sorcières s'en mêlent et ripostent. D'après les témoins, un débat houleux s'était engagé avant qu'une énième insulte de trop ne vienne faire exploser la poudrière. Les sorts et les coups s'étaient mis à pleuvoir, les commerçants étaient sortis pour tenter de calmer le jeu, Marlène et Mme Guipure en tête. Cette dernière avait fini avec la pommette et le nez sacrément amochés dans la mêlée avant que Marlène ne se décide à appeler une personne en renfort. Il se trouve que Remus avait été au QG à ce moment-là. Les bagarreurs du dimanche avaient fini par se disperser après de longues minutes, mais le malaise qu'il avait ressenti avait persisté devant ce que tout cela signifiait : cette guerre prenait une ampleur insoupçonnée et se jouait à toutes les échelles. Du plus petit détail, de la plus petite pensée en faveur des mangemorts, jusqu'aux attentats et aux actes de masses. Tu-Sais-Qui était en train de se construire un réseau si immense que ç'en était vertigineux.

Plongé dans ses pensées moroses, Remus n'en fut sorti que par Sirius lorsque celui-ci lui donna un coup de coude involontaire en se penchant par-dessus la table.

- Attends, attends, répète encore ! J'ai besoin d'être sûr de comprendre l'info : ta sœur va se marier ? A ce Dursley là ?

- Oui, bon, vous n'allez pas vous moquer d'elle toute la soirée, maugréa Lily en jouant avec son verre de vin de groseille. Pétunia est très heureuse et je le suis pour elle. Si elle l'aime, c'est l'important non ?

- Mais elle te l'a vraiment annoncé par lettre, juste comme ça ?

Même avec la pénombre, Remus vit clairement le visage de Lily se fermer. Il retint un soupir : déjà que Sirius n'avait pas beaucoup de tact à l'accoutumée, il était pire que tout après quelques verres. Pris de pitié, il tenta de dévier la conversation avec la première idée qui lui passa par la tête.

- Eh Alex ? T'as réussi à prouver que la dame de la compta était un vampire pour Gideon alors ?

Alexia, qui était en train de parler avec Peter et Marlène, s'interrompit immédiatement et grogna d'un air dramatique.

- Oh arrête, me rappelles pas ça ! Ca fait la cinquième fois qu'il vient me voir ! Et il ne veut pas lâcher le morceau !

- Je crois qu'il en parlait déjà le jour de... enfin vous savez, quand on l'avait eu à Poudlard l'année dernière, vous vous souvenez ? dit Dorcas après réflexion.

Elle resta assez vague mais leur adressa un regard entendu et Remus comprit avec une demi-seconde de retard qu'elle parlait de leur entretien d'entrée dans l'Ordre, celui qui s'était déroulé à la Tête de Sanglier en présence des frères Prewett et d'Emmeline. Et maintenant qu'elle le disait, il se rappelait effectivement un lointain souvenir où Gideon évoquait déjà cette idée lorsqu'il avait présenté à Alexia son posté clé en tant qu'espionne-secrétaire au Ministère.

- Ah oui, c'est vrai... réalisa Sirius, songeur. Vraiment un timbré depuis qu'on le connait.

Pour toute réponse, Alexia le repoussa en appuyant directement sur sa tête et, en bout de banquette, il manqua de basculer à terre. James s'écroula de rire. Bon sang ce que c'était étrange de rire en ce moment. Remus avait presque l'impression d'entendre un son étranger et pourtant les autres clients riaient aussi tout autour d'eux. C'était une image de la guerre sur laquelle il s'arrêtait peu. L'esprit obnubilé par l'Ordre et les missions, il avait tendance à oublier que le temps poursuivait toujours sa course et que les citoyens normaux étaient toujours dans leur couloir de piste à avancer bon gré mal gré. Quelqu'un l'avait évoqué un jour, même s'il ne savait plus qui : si les mangemorts et Voldemort pouvaient continuer à agir sans qu'une révolution n'éclate ni de la part de la communauté sorcière ni du Ministère, c'était parce que pour le moment cette guerre ne touchait que les marginaux. Les créatures magiques, les nés-moldus, les moldus eux-mêmes... Tristes, déplorables, mais pas de quoi risquer de se mettre dans la ligne de mire. Et tous ces gens qui riaient en ce vendredi soir, sans le poids du monde sur les épaules qu'il ressentait depuis des mois, en était la preuve. Ce constat le rembrunit brutalement... Entre colère et amertume, il avala une nouvelle gorgée de son verre.

- Merlin tout puissant ! s'écria soudain Dorcas. Qu'est-ce que c'est que ça ?

Remus manqua de sursauter. Préoccupé par ses idées noires, il crut l'espace d'un battement de cœur frénétique que des mangemorts venaient de débarquer, mais Dorcas ne regardait pas du tout l'entrée du Chaudron Baveur. Au contraire, elle avait les yeux rivés sur la main d'Alexia qu'elle venait de saisir au vol avant même que cette dernière n'ait pu se ressaisir de son verre après avoir poussé Sirius.

- Bon sang, Dorcas ! rabroua Lily, une main sur la poitrine. Tu m'as fait peur. Qu'est-ce qui te... ?

- Mais ça ! Ca ! s'exclama leur amie.

Elle tenait toujours la main d'Alexia entre ses ongles vernis avec soin et la secoua dans tous les sens pour faire bonne mesure. Remus vit flou une seconde.

- Mais lâche-moi, ça va pas...

- Arrête de bouger, on n'arrive surtout à rien voir, protesta Peter à côté de lui.

Visiblement surexcitée, Dorcas eut du mal à se réfréner mais elle finit par arrêter de prendre la main d'Alexia pour une fiole à mélanger, même si elle ne relâcha pas sa prise pour autant. Et c'est alors que Remus vit ce qui avait provoqué le fameux élan dramatique. A son annuaire était passé une bague élégante en bronze surmontée d'une simple perle, une bague à l'aspect ancien, bien loin des rares bijoux fantaisies qu'il lui avait déjà vu porter.

Les réactions fusèrent de concert autour de la table : Marlène étouffa une exclamation, Peter s'étrangla à moitié, les yeux de Lily s'écarquillèrent et James se tourna d'un bloc vers Sirius d'un air indigné.

- Tu déconnes ! hurla-t-il si fort que plusieurs personnes tournèrent la tête dans leur direction. Comment ça je n'étais pas le premier au courant ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Sirius Orion Black !

Si Remus ne connaissait pas James aussi bien, il aurait sincèrement cru que Sirius venait de commettre une faute impardonnable. S'il n'avait pas non plus été aussi choqué lui-même, il aurait également rappelé James à l'ordre sur sa façon d'en faire toujours trop. Mais sa voix l'avait abandonné en même temps que les autres et il pivota pour mieux voir Sirius, surpris. Ce dernier avait l'air tout aussi abasourdi qu'eux, ce qui formait au moins un tableau assez comique.

- James Fleamont Potter, répliqua-t-il d'une voix nasillarde. (Il marqua un temps d'arrêt, comme s'il s'attendait à quelque chose, puis leva les bras au ciel). Mais arrête de me regarder comme ça !

- Mais comment tu veux que je te regarde ! Je croyais qu'on était amis et j'étais pas au courant ?

- Au courant de quoi par Merlin ? Oui, c'est la bague de ta mère, tu le savais, je t'ai même demandé si ça te posait problème quand elle me l'a donné et...

Remus n'arriva pas à se taire et intervint :

- Et elle a atterri sur la main d'Alexia par accident ? Merlin, Patmol !

- Eh, eh, calmez-vous, je suis toujours là, lança la principale intéressée à la cantonade. Si ça vous a échappé, c'est ma main droite.

Elle la leva bien haut, comme prouver son argument avec autorité, et Lily laissa échapper un « oh ». Remus ne fut pas certain de bien comprendre, mais Sirius renchérit tout de suite.

- Attendez vous avez vraiment cru que... ? Mais non ! On n'est pas... enfin... (Il secoua la tête, puis se mit à rire franchement). Merlin, vos têtes !

- J'ai du mal à suivre... marmonna Dorcas. Ce n'était pas une demande de fiançailles ?

- Non ! réfuta Alexia, amusée. J'ai la bague depuis mon anniversaire, ça va faire presque un mois. Il me l'a offert c'est vrai, mais elle était trop grande, ça faisait des semaines que je devais passer la faire resserrer. Elle me va maintenant, c'est tout.

Elle ponctua son explication en faisant glisser la bague de son doigt pour la montrer à tout le monde. Remus ne se pencha même pas, partagé entre soulagement et déception. Il avait l'impression d'être monté et descendu d'un ascenseur émotionnel trop rapidement, mais sa raison lui revenait doucement. Une bague de fiançailles se portait à la main gauche, la même main qu'une alliance, réalisa-t-il. Surtout, ça aurait été presque inconcevable que Sirius ait fait quelque chose d'aussi important sans leur en parler d'abord ou du moins c'est ce qu'il croyait. En revanche, il avait bien offert la bague à Alexia... La symbolique était énorme, surtout si elle avait appartenu à Euphemia dont le souvenir sembla flotter quelques secondes mélancoliques au-dessus d'eux. D'ailleurs, James n'avait même pas baissé le regard sur la bague présentée au creux de la paume d'Alexia : il fixait toujours Sirius avec attention.

- Mais je serai quand même le premier au courant si ça arrivait, pas vrai ? lâcha-t-il brusquement.

Leur table repartit en fou rire.

**

*

Une heure plus tard, les conversations par petits groupes avaient repris et Remus se retrouva à contempler le fond de son verre vide. Il hésita seulement un instant, partagé entre l'envie de rester assis avec les autres et d'apaiser la sensation sèche dans sa gorge. Finalement, la seconde l'emporta. Il se leva donc avant de se dire que c'était une mauvaise idée et ses jambes protestèrent, signe qu'il était resté assis depuis trop longtemps. Il tenait de toute façon mieux l'alcool que tous ses amis, seul avantage de sa lycanthropie, et il échapperait donc certainement à la gueule de bois demain matin. C'était déjà ça.

Autour de lui, le bar s'était rempli considérablement depuis leur arrivée. Les clients se pressaient un peu partout dans un brouhaha indistinct et il n'y avait plus une table de libre. C'était pourtant marquant de voir certains groupes se former, comme des frontières invisibles. Des employés du Ministère, notamment, se pressaient en masse près du comptoir après une journée de travail harassante. Les conversations avaient l'air animé, mais Remus ne parvint pas à saisir de paroles concrètes au vol ; tout se brouillait et se mélangeait pour son ouïe fine de lycanthrope. Tête basse, il arriva à se frayer un chemin jusqu'à Tom, le barman qui avait repris l'établissement il y a quelques années à peine. Il ne s'en sortait pas si mal compte tenu de la situation, même si Remus n'avait jamais vraiment discuter avec lui et il fut surpris de le voir visiblement agacé en arrivant face à lui. Tom ne faisait pas attention aux clients qui attendaient pourtant, il élevait plutôt la voix contre une jeune femme penchée par-dessus le bar à l'air buté.

- ...déjà dit non, ma grande ! Tu vas faire fuir la clientèle avec tes histoires, allez dehors !

- Mais à quoi ça t'engage ? ragea-t-elle avec colère. Je les laisse juste là, les gens intéressés pourront se servir ! C'est de l'information.

- Non ! Ca prend de la place pour rien. Et tu sais très bien que je risque gros, toutes les grandes pompes du Ministère peuvent passer ici. S'ils voient ça, c'est sur moi que ça retombe ma jolie. Donc reprends tes foutus tracts, allez.

Il repoussa des feuilles de papiers que la jeune femme avait glissé jusqu'à lui et elle émit un grondement sourd.

- T'es lâche, Tom ! Qu'est-ce qu'ils t'ont promis, hein ? cingla-t-elle. (Elle avait un léger accent qui ressortait sous le coup de son emportement). Un peu d'argent pour refaire des travaux ? Organiser des évènements ici ? Et en échange, tu la ferme ?

Remus haussa un sourcil, pris au dépourvu. Le teint de Tom, lui, vira à l'écarlate avant de tirer vers le livide et il se pencha un peu plus en jetant des coups d'œil nerveux autour de lui.

- Ecoute Ornella, j'ai accepté une fois pour te faire plaisir et parce que tu es une bonne cliente. Mais ça s'arrête là. Tu veux qu'on me tombe dessus de tous les côtés ? J'ai déjà une descente de mangemorts et une du Ministère ce mois-ci, c'est à en devenir dingue ! Alors je ne veux pas de problème.

- Mais...

- Estime-toi déjà heureuse que je ne mette pas dehors les gens comme toi, d'accord ? asséna-t-il.

La remarque sonna violente, même si Remus n'arriva pas à déterminer ce qu'elle était censée signifier. La dénommée Ornella, elle, le comprit clairement car son visage se ferma un peu plus et avec une moue dégoûtée elle s'écarta finalement en empoignant ses tracts d'un geste sec. Et alors que Tom se détournait enfin pour prendre la commande de clients à l'autre bout du comptoir, elle croisa soudain son regard. Pris en flagrant délit, Remus voulut se donner un air occupé par autre chose, mais il était trop tard. C'était évident qu'il avait écouté et assisté à toute la scène et il se sentit brusquement coupable de quelque chose sans bien savoir quoi. Ce n'était pas comme si la conversation avait eu lieu dans un endroit intime... Ce n'était pas non plus comme s'il était censé être un « espion » confirmé et entraîné par l'Ordre. Il s'imagina le regard déçu d'Emmeline et celui goguenard des Prewett face à une telle performance.

- Un problème ? lui jeta la jeune femme, agressive.

- Oh hum...

Il se râcla la gorge, indécis, et elle soupira avant de se rapprocher. Il la laissa faire. Désormais face à face, il s'aperçut qu'elle était plutôt grande, du moins assez pour le regarder droit dans les yeux. Elle avait la peau métisse et des cheveux afro tout en volume qui encadraient son visage jusqu'à ses épaules. Les pointes, teintes en un blond qui tirait vers le bronze, éclairciraient son expression méfiante mais ne cachait pas ce qui avait échappé à son attention jusqu'ici. Une énorme cicatrice lui barrait le cou entre la clavicule et la gorge. Elle devait être ancienne car la peau n'était plus à vif, mais simplement d'une couleur plus pâle, presque comme un tatouage au relief étrange.

Remus se raidit, glacé. Ce genre de cicatrice, il les connaissait par cœur. Il en arborait une lui-même, moins visible, au niveau de l'épaule... Là où Greyback l'avait mordu à cinq ans et avait fait basculer sa vie. Avec un soubresaut à l'estomac, il comprit brusquement la remarque de Tom. « Les gens comme toi ». Il ne parlait pas de radicaux politiques, ni de femmes engagées... Ou en tout cas, ça allait au-delà.

- Besoin d'une longue-vue pour mieux observer ? fit-elle soudain avec mordant et son accent rendu les syllabes plus dures encore. Ce n'est pas poli, vous savez.

- Pardon... s'excusa-t-il immédiatement. Je ne voulais pas... je sais que...

Il se tut. Il savait quoi ? Ce que ça faisait d'être dévisagé ainsi ? Bien sûr qu'il savait, mais il ne pouvait pas l'avouer à n'importe qui, même si quelque chose s'agitait dans sa poitrine. Il n'était pas complètement sûr de lui, mais ce genre de cicatrice ne courait pas non plus les rues et il ressentait une sorte de fascination morbide envers cette femme. Il n'avait jamais vraiment pu parler à quelqu'un affecté du même mal que lui... C'en était presque vertigineux de se retrouver face à la possibilité.

- Oui ? relança-t-elle, visiblement impatiente et l'air de le trouver particulièrement stupide.

Le ton sec le tira de sa torpeur. Il secoua la tête, embarrassé et désigna les tracts d'un geste vague, faute de trouver mieux.

- Qu'est-ce que c'est ? Ce que Tom ne voulait pas, je veux dire ?

- Probablement quelque chose dont vous n'avez rien à faire, comme toutes les personnes de ce fichu bar. Je perds mon temps.

Agacée, elle serra le poing et voulut le contourner pour partir, mais un élan de panique le déchira. Il avait la sensation qu'il ne pouvait pas la perdre de vue maintenant, pas alors qu'il touchait du doigt une possibilité étrangère.

- Non attendez ! la retint-il. Vous avez dit que les gens intéressés pourraient s'informer. Je suis intéressé.

- Vraiment ? Vous ne savez même pas de quoi ça parle.

Méfiante, elle lui jeta une œillade de travers et il reposa son verre vide sur le comptoir avant de carrer les épaules pour se donner un air plus sérieux.

- Peu importe. Tout ce qui dérange m'intéresse. (Il marqua une pause, puis ajouta avec espoir). S'il vous plait ?

Il tenta de faire passer tout son charme du « Maraudeur calme » dans sa phrase, ce même charme qui avait tant de fois fonctionné sur ses professeurs et qui clamait « je peux briser les règles mais je suis trop malin pour me faire prendre ». La jeune femme le toisa, incertaine, puis finit par soupirer.

- Je suis venue jusqu'ici, autant prendre un verre. Ça sera un cognac pour moi, monsieur l'inconnu.

Et avec un rictus, elle lui fit un signe de la main avant de tourner les talons, avalée par la foule. Remus écarquilla les yeux, traversé par un élan de panique, mais il la repéra à quelques mètres en train de se glisser à une table qu'un couple venait à peine de quitter. Il ravala un soupir de soulagement. Message compris. Avec empressement, il héla Tom et commanda un wiskey pur feu et un cognac avant de jeter quelques mornilles sur le comptoir. Il avait peur de prendre trop de temps et que la jeune femme ait disparu entre temps.

Heureusement, quand il arriva devant la table avec ses deux verres à la main, elle se tenait toujours là, la joue posée contre son poing. Dans cette position, ses épais cheveux cachait sa gorge et elle leva les yeux lorsqu'il tira la chaise face à elle. Il déposa son cognac à côté des tracts.

- Et voilà pour vous, dit-il avec emphase. Je ne savais pas si vous vouliez des glaçons... ?

- Avec un cognac ? Jamais voyons, blasphème. (Elle le tira vers elle, possessive, puis l'observa plus attentivement). Merci. Et... au risque de paraître présomptueuse, on peut peut-être se tutoyer ? T'as pas l'air bien plus vieux que moi ?

- J'ai dix-neuf ans.

Les sourcils de la jeune femme se haussèrent et elle émit un rire moqueur.

- Ok, en fait je suis carrément vieille, Merlin... (Elle lui tendit la main). Ornella McCall, vingt-trois ans, débaucheuse de jeune homme étrange dans les bars.

- C'est moi que tu débauches ? rit-il.

- Regarde, je te fais boire.

Elle désigna son propre verre et Remus se fit un devoir d'en prendre une grande gorgée avant de répondre. L'alcool lui brûla la gorge, puis l'estomac, mais il veilla à ne pas tressaillir. Ornella le toisa à nouveau, l'air peu impressionné.

- Remus Lupin, se présenta-t-il finalement. Trop curieux pour son propre bien, je pense...

- Hum, sûrement. Mais n'oublies pas, tout ce que je vais te dire, tu l'auras demandé. Tant pis pour toi.

Il inclina la tête de bonne grâce. A mesure qu'elle parlait, il commençait à situer son accent aux sonorités marqués et tenta de deviner :

- McCall... ? C'est écossais ?

- Evidemment, mon ami. Je suis tout ce dont tes parents t'ont dit de te méfier : indépendantiste écossaise, métisse, sang-mêlé, lycanthrope, radicale politique et pire que tout... une femme. (Elle leva son verre vers lui en un salut ironique). Alors, toujours envie de m'écouter ?

Remus en resta sans répartie. A force de fréquenter Sirius Black ou Dorcas Meadowes, il avait cru s'être endurci et ne plus pouvoir être choqué par grand-chose, mais Ornella venait de lui voler sa voix. Le mot « lycanthrope », plus que les autres, le percuta avec force. Jamais il n'avait entendu quelqu'un revendiquer le terme avec le menton fièrement dressé, sans ciller ni s'excuser. Un terme si honteux, prononcé à voix haute à la portée de tous dans un bar bondé un vendredi soir... C'était presque irréel.

- Je t'ai cassé ? se moqua-t-elle, mutine. Qu'est-ce qui te choque le plus ? Que je sois une femme, pas vrai ?

Et maintenant, elle abattait la carte de la provocation. Remus la dévisagea un peu plus. Bon sang, d'où sortait Ornella McCall ? Inconsciemment, il fit un bref calcul dans sa tête. Ils avaient cinq ans d'écart... mais il ne l'avait jamais vu à Poudlard. Il ne pouvait pas certes connaître tous les élèves qui avaient foulé le sol du château en même temps que lui, mais il avait le sentiment que la jeune femme aurait été difficile à louper. Surtout, il aurait forcément été au courant si quelqu'un de sa condition avait partagé ses nuits de pleine lune. Instinctivement, ce fut cette remarque qui lui monta aux lèvres.

- Tu n'étais pas à Poudlard, n'est-ce pas ? dit-il d'une voix sourde. Je ne t'ai jamais vu...

Elle perdit d'un coup son sourire. Crispée, elle croisa les bras sur sa poitrine dissimulée sous un t-shirt blanc qui ne faisait qu'accentuer sa cicatrice et il se força à ne pas baisser les yeux pour que son regard ne soit pas mal interprété.

- Bien vu, l'inconnu, acquiesça-t-elle avec un temps de retard. Décidément rien ne t'échappe, hum ?

- Je suis du genre perspicace. Et je croyais que je n'étais plus un inconnu ? Tu connais mon nom maintenant.

- C'est vrai... Remus Lupin. (Son accent écossais écorcha son nom avec âpreté et elle prit le temps de boire une gorgée de son cognac avant de poursuive). Non... Pour répondre à ta question, je ne suis jamais allée à Poudlard. C'est difficile quand tu as des envies meurtrières une fois par mois. Et je ne parle pas de mon autre problème plus féminin, si tu vois ce que je veux dire.

A nouveau, elle lui fit un rictus sardonique, à croire qu'elle prenait plaisir à essayer de le choquer. L'effet était partiellement réussi. Evidemment, il comprenait parfaitement de ce dont elle parlait... sur les deux fronts au demeurant. Vivre en pseudo colocation avec les filles au QG depuis des mois lui avait appris deux ou trois choses, notamment que Dorcas pouvait être plus imbuvable qu'à l'accoutumée la semaine avant ses règles ou que Lily devait des potions à base de graines de pavot les premiers jours pour calmer ses crampes.

- Mais Poudlard... tu aurais pu... ? Dumbledore...

- Dumbledore est un sorcier puissant, mais il n'a pas encore découvert comment m'enlever ça, Lupin, coupa-t-elle avec condescendance en désignant sa cicatrice. Tu crois quoi ? Qu'il est tout puissant ?

Il en resta coi. Dans un sens, oui, il considérait Dumbledore comme tout puissant. Il lui devait tant qu'il se crispa d'instinct devant le ton méprisant d'Ornella.

- Tu veux dire que tu n'as même pas essayé ? Même pas cherché à le contacter pour voir si tu pouvais venir à Poudlard ? Il y avait peut-être des aménagements possible, des solutions...

- Oh arrête, ne me fais pas rire. Tu me voyais débarquer dans son beau château pour lui demander de me prendre comme toutes les autres petites têtes blondes ? (Elle roula des yeux). Poudlard n'est pas pour les « gens comme moi » comme dirait Tom. Cherche pas, Lupin, c'était impossible.

Elle haussa les épaules avec fatalisme, l'air peu perturbé par l'idée. Remus, lui, en fut horrifié. Il avait eu la même croyance il y a longtemps pourtant ; ses parents aussi... Il se revoyait en train de pleurer le jour de son onzième anniversaire, persuadé qu'il ne recevrait jamais la fameuse lettre frappée du sceau de Poudlard. Il avait tenté de le cacher pour ne pas faire de peine à sa mère, mais elle l'avait quand même surpris et l'avait serré contre elle en chuchotant des mots de réconfort aussi creux que doux. Son père, lui, s'était contenté de poser un regard déçu sur lui ; un regard que Remus n'oubliait pas, encore aujourd'hui.

Et puis Dumbledore était arrivé de son pas serein et de son air tranquille pour lui donner ce qu'il n'avait cru possible : l'espoir. L'espoir d'avoir une place quelque part, d'être presque normal. Sans le célèbre directeur, il ne savait pas quelle direction sa vie aurait pris... Il n'aurait jamais rencontré les Maraudeurs et l'idée même lui perforait le cœur. Ne jamais avoir connu l'enthousiasme de James, le rire de Sirius, les blagues de Peter... C'était inenvisageable. C'était lui retirer une partie de lui-même et il s'imagina dans la position d'Ornella. Peut-être qu'il aurait fini aussi cynique qu'elle finalement.

La gorge comprimée, il avala la boule chauffée à blanc dans sa trachée et voulut en savoir plus.

- Mais alors si tu n'es pas allée à Poudlard... Comment tu as fait ?

- Tout le système scolaire britannique n'est pas reclus dans ce foutu château, tu sais. J'ai eu de très bon tuteur toute mon enfance, j'ai avancé et été diplômée plus vite que toi, même !

Elle pencha la tête avec fierté, mais il ne rit pas. A vrai dire, l'image qui se forma dans son esprit était habitée d'une grande solitude.

- Mais du coup ça veut dire... enfin, tu as ça depuis que tu es petite, c'est ça ? réalisa-t-il avec lenteur.

Il se trouva stupide de désigner sa cicatrice par un simple « ça », si vague et impersonnel, mais « mordu » lui semblait un terme trop risqué à prononcer à voix haute. Ornella n'eut pas ses scrupules.

- Je suis une loup-garou depuis que je suis petite, tu veux dire ? Oui, c'est vrai.

Une fois encore, son cœur s'affola. Anxieux, il craint une seconde que quelqu'un ne vienne les invectiver sur le champ, mais personne n'entendait leur conversation dans le bruit ambiant. Plus loin, un verre se cassa et tout le bar partit d'un « ohhh » collectif. Ornella lui renvoya une œillade entendue, goguenarde.

- Détends-toi, Lupin, ton petit moment frisson de la soirée sera sans conséquence, promis. J'ai l'habitude.

- Je ne cherche pas le frisson...

- Non ? Alors qu'est-ce qui t'a poussé à venir me parler, hum ?

Il joua avec le bord de son verre, nerveux.

- Je te l'ai dit, je voulais en apprendre plus... en savoir plus... affirma-t-il avec sincérité.

- Un esprit consciencieux. Comment on appelle ça dans ton château ? Serdaigle ?

- Gryffondor, corrigea-t-il instinctivement. Je veux dire, je suis un Gryffondor. Ou je l'étais, je suppose...

Ornella plissa les yeux.

- Ah, un courageux donc, dit-elle avec emphase. C'est vrai, je te l'accorde, il faut aussi être un peu courageux ou timbré pour venir me parler. On verra ce que tu es à la fin de la soirée.

Il ne chercha pas à la contredire. Intérieurement, il nota juste que pour quelqu'un qui se moquait ouvertement de Poudlard et prétendait n'avoir aucun lien avec, elle connaissait les caractéristiques rattachées à chaque maison.

- Très bien, reprit-elle finalement. Apaisons ta curiosité, allons-y. (Elle vint croiser ses longs doigts fins sous son menton). J'ai été mordu à huit ans, si tu veux tout savoir. Et oui, ça a été compliqué, douloureux, et tous les termes horribles auxquels tu peux penser. Mais c'est ce que je suis donc à quoi bon pleurer ? Je préfère me battre.

- Te battre pour ça ?

D'instinct, porté par l'alcool qui commençait à faire un peu trop effet, il pointa les tracts toujours posés entre eux. Au fond de lui, son cœur ne ralentissait pas et il s'accrocha au discours d'Ornella. Se battre était une idée qui l'obsédait tant ces derniers temps au niveau de l'Ordre qu'il voulait en savoir plus sorti de ce contexte si particulier, comme pour réinventer les couleurs que pouvaient prendre la lutte.

- J'y viens, c'est bon, céda Ornella. Mais avant ça, un peu de contexte... Tu connais le Registre des Loups-Garous ?

Le terme lui tomba tel une pierre glacée dans l'estomac. S'il connaissait ? Son nom était inscrit dessus, alors ça aurait été dur à ignorer. C'était son père lui-même qui l'y avait inscrit, quelques semaines après sa morsure à cinq ans, ignorant les doutes de sa mère. Il avait affirmé d'un ton fier et droit qu'il refusait de se mettre plus en porte à faux avec le Ministère, bien décidé à rester un citoyen respectable « malgré les circonstances ». Même enfant, Remus avait bien compris qu'il était les circonstances.

Tendu, il se pencha sur le bord de sa chaise et prit donc le temps de compter plusieurs battements de son cœur avant de répondre.

- J'en ai entendu parler, oui, concéda-t-il, évasif.

- Parfait. Alors est-ce que tu sais qu'il a été créé en 1947 et complètement détourné de son usage premier ?

Ornella venait d'employer sa plus belle voix que Remus appelait secrètement « à la Lily Evans », c'est-à-dire d'un ton entre professoral et « je-sais-tout ». Il cilla, surpris. Il avait presque l'impression d'être pris en faute, comme s'il aurait dû le savoir.

- Hum non... avoua-t-il, les joues rouges.

- Alors laisse-moi t'expliquer cette fascinante histoire. Tu vas voir, c'est du grand art en termes de manipulation politique. Prêt ? (Elle avala un trait de cognac, puis entonna). Ce fameux Registre, donc, sert à recenser la population lycanthrope sur le territoire britannique dans un esprit – à première vue – simplement informatif. Celui qui est en est à l'origine se nomme Norbert Dragonneau et est un célèbre magizoologiste dont tu as peut-être déjà entendu parler pour ses travaux et ses combats autour des animaux fantastiques et de la flore magique.

Le nom lui disait effectivement quelque chose. Il était à peu près sûr d'avoir étudier certains de ses livres en cours de Soins aux créatures magiques pendant sa scolarité et il hocha la tête.

- Bien donc à première vue, ce Norbert est un chic type, pas vrai ? reprit Ornella. Et son projet était assez noble sur le papier en vérité. Il voulait créer ce Registre pour que les loups-garous puissent former une communauté et s'aider entre eux. Le tabou autour de cette « infection » était si fort que la plupart vivait dans la solitude ou en marge de la société et le but de Dragonneau était de les aider à créer des réseaux. A terme, il voulait même que cela permette de faire avancer les recherches sur la lycanthropie et peut-être pourquoi pas un jour d'y trouver un remède. Une sorte de rêve utopique, tu vois ?

Ornella grimaça alors, signe que la dite utopie lui semblait absurde et Remus tenta d'ignorer la chappe de plomb dans sa poitrine.

- Vraiment, je ne lui jette pas la pierre en fin de compte... Il avait réussi à changer les choses pour d'autres, pourquoi pas les gens comme moi alors hein ? Le problème, c'est que Dragonneau a été trop impatient... En 1947, ce n'était absolument pas le moment de lancer un projet pareil. Le monde sorcier sortait de la terreur de Grindelwald et son règne avait marqué les esprits... notamment le rôle que les loups-garous y avaient joué. (Elle fit une moue équivoque et balança son verre au bout de ses doigts, songeuse). Grindelwald nous avait promis la liberté, qui ne l'aurait pas souhaité après tout ? lâcha-t-elle alors. C'était le premier à enfin se soucier de notre sort.

- Mais Grindelwald voulait anéantir les moldus...

Ornella secoua la tête immédiatement, agitant ses boucles dans un mouvement qui se fondit avec l'obscurité.

- Non, non, Lupin, pas de raccourci. T'as oublié ma liste de la honte au début ? Je suis sang--mêlée. Imagine le choc pour ma pauvre mère moldu d'apprendre que j'étais loup-garou avant même que je me révèle tout à fait sorcière. (Elle porta son poing contre sa gorge, effleurant sa cicatrice d'un air absent). Grindelwald ne voulait pas anéantir les moldus, il voulait établir le grandeur sorcière... Il voulait nous sortir de cette solitude, tous. Loups-garous compris. Il a été le premier à nous inclure.

- Mais...

Il se retrouva à nouveau sans savoir quoi objecter. C'était frustrant. Il ne connaissait pas assez l'histoire de Grindelwald pour trouver les arguments face à quelqu'un comme Ornella, si renseigné et endurcie par ses convictions. L'alcool ne devait pas aider non plus, tout comme sa fatigue de la semaine. Il s'aperçut surtout qu'il n'avait pas tant envie que ça d'argumenter, il voulait qu'elle continue.

- D'accord, admettons, céda-t-il finalement. Et alors ? Quel lien avec le Registre ?

- A ton avis, Lupin, tu crois que les politiques ont la mémoire courte ? Il faut fédérer pour être élu. Une élection était prévue pour 1948 parce que Leonard Spencer-Moon était trop fatigué pour continuer après ses mandats agités. Seulement, dans le même temps, des voix commençaient à s'élever contre la lycanthropie en rappelant le rôle des loups-garous auprès de Grindelwald et qu'il fallait les faire passer en procès... Compliqué quand la plupart vivait donc en autarcie ou caché du reste de la société, tu ne crois pas ?

D'un coup, Remus commença à voir vers où se dirigeait le récit. Il ferma les yeux brièvement, une légère douleur à l'arrière du crâne résonnant de concert.

- Mais le Registre pouvait aider...

- Bingo, souffla Ornella. Le tout nouveau Registre, si beau et si pratique ! Le Ministère n'a pas hésité et très vite on s'est aperçu que ce Registre censé aider la communauté lycante servait plutôt de Bureau de recensement. Comme par hasard, les infos filtraient... Ceux encore intégrés avaient du mal à trouver du travail, perdaient leurs amis, se faisaient convoquer pour tout et n'importe quoi. Bref, le Registre est devenu ce qu'il est aujourd'hui : un écran de fumée, une belle illusion, une fausse promesse... Choisi ce que tu préfères.

Amère, Ornella termina son exposé historique en se renversant contre le dossier de sa chaise avec lassitude, puis termina son cognac d'une gorgée sèche. Remus, lui, contempla la triste vérité sans savoir quoi ajouter.

- On a vu plein de répercussions au cours de l'histoire, continua Ornella avec fatalisme. Les plus marquants sont évidemment que le Registre est passé sous la tutelle du Département de contrôle et de régulation des créatures magiques.... Je ne suis donc même pas humaine selon ce raisonnement, cracha-t-elle, hargneuse. Et comment oublier le fameux livre de Emerett Picardy, La Lycanthropie est un crime : pourquoi les loups-garous ne méritent pas de vivre ?

Son ton dégoulinait de sarcasme maintenant, mais ça ne suffit pas à atténuer le coup que Remus eut l'impression de prendre dans la poitrine. Protégé par sa mère toujours si aimante qui s'était saignée aux quatre veines pour lui et par ses amis à Poudlard, il avait été préservé de ce genre de propos... Il en avait eu son lot pourtant, mais il se rendait compte qu'Ornella avait sans doute pris la haine en pleine figure de façon bien plus violente. Elle l'avait regardé droit dans les yeux. Lui ? Il avait été traité de monstre par Severus Rogue et même si le souvenir lui arrachait toujours un frisson, il se souvenait surtout du regard incendiaire des trois garçons à ses côtés qui l'avaient soutenu sans commune mesure.

- C'est horrible... murmura-t-il alors.

Dès que les mots quittèrent ses lèvres, il les trouva faibles, puériles... Ornella dû le penser aussi mais elle ne le releva pas, du moins pas de vive voix. Son regard parlait pour elle. Malgré tout, elle laissa couler et fit glisser un de ses tracts vers lui.

- Ils sont pour ça, en vérité, expliqua-t-elle. Parce que quelque chose de révoltant est en train de se passer dans l'indifférence générale et j'ai envie de me taper la bouteille de cognac rien que d'y penser.

- Qu'est-ce que... ?

- Ils veulent rendre le Registre obligatoire !

- Quoi ?

Sa voix s'était faite beaucoup trop forte, à tel point qu'il sentit des regards se tourner vers lui cette fois-ci. Il s'en ficha. C'était impossible, ils n'avaient pas le droit d'obliger les loups-garous à venir s'enregistrer, c'était contre le principe même du Registre qui reposait sur la volonté de chacun. L'Ordre en aurait forcément entendu parler, Edgar Bones ou Benjy l'aurait mentionné devant lui... Mais personne ne savait ce qu'il était dans l'Ordre. Personne à part ses amis, toujours en train de rire bruyamment à quelques tables de là, et Remus se sentit à nouveau violemment en décalage avec le monde entier.

Pris de nausée, il chercha dans les prunelles sombres d'Ornella une réfutation, mais elle se contenta de contracter les mâchoires, la révolte chevillée à chaque tension de ses muscles.

- Et oui, dit-elle, venimeuse. Ces incapables du Ministère se font accuser de ne pas réussir à lutter contre la guerre qui gronde de tous les côtés depuis quelques mois et Minchum sent sa tête vaciller. Il veut pouvoir clamer « regardez, je fais quelque chose d'utile, je recense les soutiens de Vous-Savez-Qui, nous serons plus efficaces ». La vérité, c'est que ça va être pire que dans les années 50 ! Déjà que les Aurors ont obtenu le droit de tirer à vue sans rendre de comptes, maintenant ils pourront arrêter de manière abusive tous ceux qui viendront poser leur nom dans ce putain de Registre !

Elle frappa la table du plat de la main et Remus rattrapa son verre avant qu'il ne vienne valser au sol. L'indignation gonfla dans ses veines. Le droit de tirer à vue ? Encore une mesure qu'il avait loupée, l'esprit embrumé par les problèmes terre à terre de l'Ordre, les missions de surveillance, les stock de potions que Lily ne pouvait pas gérer seule... Et pendant ce temps-là, de vraies choses se passaient dans les tours d'ivoire du Ministère.

Des choses, réalisa-t-il, que les membres imminents de l'Ordre ne pouvaient pas ignorer. Maugrey et les Londubat chez les Aurors, Bones à la Justice, Benjy et Podmore à la Brigade... Tous aux premières loges, tous concernés. Mais les informations ne circulaient pas, chacun était centré sur ses missions. Dorcas et Sirius, par exemple, étaient sur le cas de Millicent Bagnold, la principale rivale politique de Minchum, et Remus prit conscience qu'il ne savait rien de ce qu'ils avaient découvert sur le sujet. Ils étaient censés être un instrument bien accordé pour pouvoir lutter contre la machine infernale qu'étaient les mangemorts et Tu-Sais-Qui, mais la vérité c'était qu'ils étaient désorganisés, rongés par la peur et le culte du secret.

Et à cause de ça, des gens comme lui allaient en souffrir... Or, plus que jamais, cette appartenance résonna dans ses entrailles. Des semblables, il en avait, même s'il n'avait jamais cherché à s'y intéresser et Ornella en face de lui en était la preuve.

- Qu'est-ce qu'on peut faire ? lâcha-t-il soudain, habité par un feu brûlant qui ne l'avait plus consumé depuis son entretien d'entrée dans l'Ordre. Pour que cette réforme ne passe pas ? Qu'est-ce qu'on peut faire ?

- On ?

Il haussa un sourcil.

- Ce n'est pas pour ça que tu distribue des tracts ? Pour faire bouger les choses, éveiller les consciences ?

Il trouvait ça tellement rafraîchissant. L'Ordre évoluait par essence dans l'ombre, en marge de la légalité, mais Ornella était là à crier sa colère au sein du Chaudron Baveur et à distribuer ses papiers. Alors certes, elle n'était pas la bienvenue, mais elle continuait tout de même.

- Si... fit-elle avec lenteur, une lueur dans les yeux. Mais généralement, peu de personnes sont touchés par notre combat. Les familles, tout au plus. On a un groupe de paroles, seulement on ne fait venir que les personnes de confiance pour ne pas être débusqué...

- Et je ne suis pas digne de confiance ?

- Tu m'as écouté parler et offert un verre. Ne précipites pas les choses, Lupin, tu veux ?

Le sourire sardonique, à la limite de la condescendance, était de retour. Remus eut envie de l'effacer, de lui faire comprendre que chaque mot qu'elle avait prononcé pulsait désormais en lui et nourrissait le loup caché sous la surface. Il venait de toucher quelque chose du bout des doigts – une lutte personnelle – et il refusait qu'elle lui échappe.

Sans réfléchir, il se mit déboutonner sa chemise. Ornella écarquilla les yeux.

- Ouh la, le tombeur ! s'exclama-t-elle. Je crois que t'as mal compris mes intentions...

Mais il ne s'arrêta pas. Le dernier bouton céda et il fit glisser sa chemise le long de ses bras, révélant un simple t-shirt qu'il portait en-dessous. Il en releva la manche, puis pivota de profil vers Ornella.

- Et ça ? lança-t-il. C'est se précipiter ou ça te suffit ?

Ce fut à son tour de rester sans voix. Bouge-entrouverte, elle fixa la chaire meurtrie que Remus avait trop souvent contemplé ou évité dans le miroir selon des humeurs. Une cicatrice en dents-de-scie, béante ; traumatisme du jour où les mâchoires d'une bête mi-humaine mi-loup s'était refermé sur son bras. Il entendait encore son propre hurlement de douleur dans le fond de son esprit les soirs de pleine lune, mais surtout celui de sa mère, terrifiée et étranglée par des sanglots qui suppliait sans fin... Qui priait le ciel pour son petit garçon.

D'un geste précipité, il remit sa chemise en place avant que quelqu'un d'autre ne le remarque, et le regard d'Ornella resta fixé sur le point désormais invisible.

- Depuis le début... murmura-t-elle. Pourquoi tu... ?

- Parce que je voulais entendre ce que tu avais à dire sans parti-pris. Et je veux en être. Si cette réforme est vraiment sur le point de passer, je veux venir à ton groupe de parole, je veux aider... Je pourrais t'apporter plus que tu ne le crois.

Elle fronça les sourcils. Dans son regard, il lisait toute sa méfiance, mais aussi tout son intérêt. Il ne pouvait rien lui promettre, ni s'étendre sur les cartes qu'il avait en main. Seulement, un membre de l'Ordre avait un peu plus de poids qu'un citoyen lambda et il tenta de lui faire passer tout son sérieux – toute sa conviction – pour lui faire prendre conscience qu'elle pouvait lui faire confiance. Autour d'eux, les clients parlaient toujours plus fort et voilà qu'ils étaient enfermés dans le silence... Un silence dans lequel passait tant de mots.

- OH LUNARD ! Merlin, je l'ai trouvé ! Il est là !

Brusquement, Remus fut tiré de sa torpeur par une masse qui vint s'abattre sur ses épaules. Il se retourna à demi pour voir Sirius, un bras passé autour de lui, et il se stabilisa pour éviter de tomber.

- Bon sang, Remus, préviens la prochaine fois quand tu pars draguer une fille, lança-t-il avec un sourire d'enfant terrible. On se demandait si tu t'étais pas perdu dans une bouteille de bière !

- Merci pour ta sollicitude... grinça-t-il. Je vais bien, comme tu vois.

- Oh oui, je vois très bien. Enchanté, mademoiselle.

Avec tout son charme habituelle, Sirius pivota vers Ornella sans le lâcher pour autant. Cette dernière semblait avoir retrouvé ses esprits et les toisait avec amusement, bras croisés sur sa poitrine.

- Enchanté, répondit-elle. Comme ça, t'es pas un solitaire qui traîne dans les bars, Lupin ?

- Très drôle...

- Non, non, vraiment. Tu viens m'aborder sans me dire que t'as des amis qui ressemblent à ça ? (Elle fit un sourire charmeur à Sirius). Un verre, beau brun ? J'aime le cognac.

Remus leva les yeux au ciel. Il commençait à voir la technique d'Ornella pour avoir des verres gratuits. Sans cérémonie, il se leva en emportant Sirius dans son élan et celui-ci vacilla avant qu'il ne l'attrape par le bras.

- Allez viens, Patmol. Désolé, ajouta-t-il en direction d'Ornella, mais il est fiancé !

L'ironie qu'il mit sur le dernier mot fit grogner Sirius.

- C'était la main droite, Remus ! Une promesse, tu vois ? Un truc symbolique ?

- C'est ça, oui. Une promesse en forme de bague d'Euphemia pour quelqu'un qui en vaut la peine.

Il jeta un regard équivoque à Sirius. Son ami détourna les yeux alors qu'ils se glissaient entre les clients pour regagner leur table et il sourit triomphalement. Il avait hâte que James ait décuvé demain pour lui tomber dessus. La conversation promettait d'être intéressante.

Guidé par le rire de Dorcas, il avançait toujours lorsqu'une voix perça le bruit derrière lui :

- Lupin ! Eh, Remus !

Il se retourna. Ornella se pressait contre un couple et un pilier pour l'atteindre et il ralentit. Sirius leur jeta un drôle de regard. Elle arriva finalement jusqu'à eux et se planta devant lui, haletante, avant de lui mettre une feuille de papier contre le torse avec force. Il la rattrapa par réflexe.

- Ne me le fais pas regretter, l'inconnu... murmura-t-elle.

Puis, aussi vive qu'en début de soirée, elle replongea dans la foule. Le cœur battant, Remus baissa les yeux. C'était un des tracts plié en deux. Ornella y avait griffonné trois lignes au dos :

7 juillet à 20h 
33 Rupert Street, Soho, Londres 
Vient seul

************************

Ta da ! Verdict ? ^^ 

Alors toute la partie sur le registre des loups-garous et son histoire est en grande partie issue de Pottermore, mais l'idée de la réforme et toutes les implications politiques autour dans le passé et dans le présent sont issues de mes réflexions ( et de mon brainstorming avec Perri, encore merci éternellement à elle !). C'était un aspect de la guerre que je n'avais pas encore traité et ça me permettait aussi de remettre Remus au coeur des évènements. Je voulais que cette guerre soit sur plusieurs fronts : médiatique, politique, combative; qu'elles touchent les citoyens, l'Ordre, les politiques, les nobles, les marginaux. Et Ornella en est aussi l'incarnation. 

Le personnage d'Ornella s'est imposé à moi doucement, d'abord par un prénom que j'aime beaucoup puis par sa personnalité radicale. Vous la retrouverez dans le tome 4 et j'espère que vous l'aimerez ! 

Pour la suite, je posterai sûrement le prochain chapitre dans la semaine pour ne pas vous faire trop attendre, puis il ne restera plus que l'épilogue... Allez, dernière ligne droite ! 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top