Tome II - Chapitre 36: Cinquième Épreuve
Chapitre XXXVI: Cinquième Épreuve
Regulus attrapa son manuel de Défense contre les forces du mal et l'ouvrit au hasard. Sous ses yeux, un schéma compliqué s'étalait sur la page et il tenta de déchiffrer la légende. Ses cheveux noirs, qui commençaient décidément à être trop longs, lui retombaient sur le front et il les écarta d'un geste impatient tandis qu'Elizabeth attendait patiemment en face de lui.
Ils s'étaient isolés tous les deux dans le dortoir des garçons de sixièmes années il y a une heure quand elle n'avait plus réussi à supporter les regards de tout le monde dans la salle d'étude.
Regulus était avec Livia et Dolohov à ce moment-là, en train de terminer un devoir de métamorphose, et il avait vu Bertha Jorkins se diriger d'un air déterminé vers Elizabeth, assise toute seule à une table. La Poufsouffle s'était penchée pour lui chuchoter quelque chose et Elizabeth avait craqué. D'un bond furieux, elle s'était levée avant de ramasser ses affaires tandis que toute la salle se mettait à chuchoter fiévreusement. Regulus avait cru qu'elle allait sortir directement de la pièce ; mais au lieu de cela, elle avait foncé droit sur lui, tête haute.
- J'ai besoin de réviser pour mon épreuve du Tournoi, avait-elle dit sans leur laisser de temps d'ouvrir la bouche. Tu veux bien m'aider ?
Il était resté interdit une seconde, surpris. Elizabeth ne lui avait pratiquement pas adressé un mot depuis leur retour du manoir Lestrange.
- Je... pourquoi moi ?
- S'il te plaît, Black...
Sa main s'était crispée sur son ventre arrondi, comme il y a tous ces mois, et il avait senti sa gorge se fermer.
- Va avec elle, Reg, était intervenu Livia d'un ton autoritaire. Ton dortoir devrait être vide à cette heure-ci.
- Mais...
Il avait échangé un regard incrédule avec Dolohov, aussi étonné que lui par cette soudaine solidarité féminine.
- Tu demandes sérieusement à ton copain d'aller avec une autre fille dans un dortoir vide ? Avait demandé son ami.
- Les gens me prennent déjà pour une traînée, avait répliqué Elizabeth. Quelle différence ?
Et c'est comme ça qu'il s'était retrouvé un dimanche matin, à quelques heures à peine de la cinquième Epreuve, à aider Elizabeth Yaxley dans ses révisions. Tous les deux assis par terre, ils se faisaient face, une pile de livres entre eux.
- Quels sont les trois sortilèges principaux de protection ? Interrogea-t-il.
- Protego, et je ne sais plus...
- Yaxley...
- Je n'ai pas eu énormément le temps de réviser ces derniers temps, au cas où tu n'aurais pas remarqué, se défendit-elle d'un ton sec.
- Ton épreuve est dans trois heures...
- Serpentard va perdre de toute façon.
- Encourageant... marmonna-t-il en tournant les pages du manuel.
Elizabeth haussa les épaules.
- Réaliste, corrigea-t-elle. On est en troisième position derrière Gryffondor et Serdaigle, et je sais que je n'ai pas le niveau pour battre les autres.
- Pourtant toute notre maison t'a choisie, non ?
- En début d'année oui. Mes résultats ont chuté drastiquement depuis noël. Je n'arrive plus à me concentrer. Je pense au bébé, à Rosier, à... à ce qui s'est passé chez les Lestrange. Les cours ont l'air de n'avoir aucune importance face à tout ça, tu comprends ?
Regulus comprenait. Il comprenait sûrement mieux qu'elle. Il était celui qui avait jeté le sortilège Impardonnable après tout. Le lendemain matin, après une nuit hantée de cauchemars, il était resté une heure allongé dans son lit, sans bouger. Il aurait voulu ne plus jamais se lever, ni aller en cours. Comme l'avait dit Elizabeth, ça n'avait plus d'importance. Son avenir à la sortie de Poudlard était déjà tracé.
Malgré tout, il se demanda pourquoi est-ce qu'elle lui avouait tout cela maintenant. Ils n'étaient pas proches, ils ne l'avaient jamais été. Plus que leur un an d'écart, leurs fréquentations n'étaient pas les mêmes depuis longtemps, et même hors de Poudlard, lors des bals de sangs-purs, c'est avec Sirius qu'Elizabeth dansait enfant.
- Je comprends, dit-il dans un souffle. Mais il faut savoir garder les apparences pour notre maison.
Elizabeth laissa échapper un rire cynique.
- Les apparences, répéta-t-elle, acerbe. Je déteste ce mot. Mon père n'a pas arrêté de me le rabâcher : « il faut que tu sauves les apparences, Lizzie, il en va de la réputation de la famille ! »
- Il n'a pas tort...
- Je te demande pardon ?
Surpris, Regulus releva la tête et croisa son regard indigné. Il haussa les épaules à son tour.
- Il a raison, dit-il. C'est pour ça qu'on a fait ce qu'on a fait, non ? Pour notre famille, pour sa réputation, son honneur...
- Je l'ai fait pour garder mon enfant et maintenir mon mariage avec Evan, Black ! Mon père peut aller se faire voir avec sa morale et sa réputation.
- Tu aurais pu le faire même sans Voldemort, rétorqua-t-il en faisant semblant de ne pas remarquer la façon dont elle tressaillit. Tu pouvais partir avec Evan, loin de ta famille. Mais ça voulait dire renoncer à leur influence et faire du bébé un enfant illégitime, né hors mariage. Donc si, c'est une question d'honneur.
- C'était une question de survie, répliqua-t-elle. Je me fiche de leur honneur, j'ai besoin d'argent et d'un toit quand mon enfant naîtra. Or, je ne suis pas un homme, ce qui signifie que mon coffre à Gringotts est sous la tutelle de mon père jusqu'à mon mariage... Tu saisis le problème ?
Regulus se sentit soudain idiot. Il n'avait pas pensé à ce détail. Il avait beau être le second fils, il avait toujours disposé de son argent comme bon lui semblait. Il ne s'était jamais demandé si ses cousines ou les filles de la famille avaient le même droit.
Il allait s'excuser lorsqu'Elizabeth se figea en face de lui. Littéralement. Une émotion indicible traversa son visage.
- Yaxley ? S'inquiéta-t-il. Yaxley, tu vas.... ?
- Il a bougé ! S'exclama-t-elle, la voix tremblante.
- Quoi... ?
- Le bébé ! Il a bougé, je l'ai senti !
Avec enthousiasme, Elizabeth tendit le bras et s'empara de sa main, puis la guida vers son ventre. Regulus rougit en prenant conscience de leur proximité et baissa les yeux. Sous la couche de vêtements, il ressentait la chaleur de sa peau, la courbe de son ventre arrondi, et là, presque imperceptible, la sensation d'une pulsation comme si quelque chose venait de cogner à l'intérieur de son corps. Son cœur se mit à battre à coups sourds. Les silhouettes des lits à baldaquins s'évanouirent autour de lui et il se mit à rire nerveusement tout en souriant. Le sentiment était indescriptible. Il y avait un enfant, un vrai, qui grandissait au sein d'Elizabeth.
Regulus se remémora sa dernière pensée face à Gemma Ackerley, juste avant qu'il ne jette le sort fatal car il avait pris la décision d'endosser cette responsabilité. Il refusait que cet enfant à naître vive avec une mère à l'âme déchiré. En voyant les yeux embués de larmes et le sourire d'Elizabeth, ses regrets s'envolèrent une seconde. Juste une seconde tellement libératrice qu'il se sentit respirer à nouveau.
Puis, les regrets revinrent s'abattre avec force sur ses épaules. Gemma Ackerley ne connaîtrait jamais cela, elle ne serait jamais mère, ne fonderait jamais une famille. A cause de lui. Il lui avait enlevé la vie avant même qu'elle ne puisse songer à en concevoir une. Sa gorge se referma, lui coupant le souffle.
- Je suis désolé, s'étrangla-t-il. Je suis tellement désolé...
Sa main se resserra contre le ventre d'Elizabeth et il sentit un nouveau coup, comme si l'enfant lui répondait. D'un geste lent, elle vint recouvrir sa main de la sienne.
- Ne le sois pas, Black, murmura-t-elle. Tu m'as sauvé. Tu as sauvé mon bébé. Cette fille était condamnée... Je... je ne te l'ai jamais dit, je n'ai jamais eu le courage de revenir te voir mais... merci. Merci.
**
*
L'Epreuve se passait à nouveau sur le terrain de Quidditch, un des seuls endroits capables de contenir autant de monde. Les élèves étaient déjà installés dans les gradins, mais depuis sa place James pouvait voir d'autres personnes s'agiter sur la pelouse. Pour la dernière épreuve, des journalistes avaient été invités à Poudlard, et cinq d'entre eux se massaient au bord du terrain pour avoir la meilleure place afin de couvrir l'évènement. Quelques photographes étaient également présents, aveuglant les autres alors qu'ils mitraillaient ce qui se passait, c'est-à-dire pas grand-chose pour le moment. Près des vestiaires, le corps enseignant discutait avec les quelques politiques qui avaient le déplacement, dont le Ministre en personne, Harold Minchum, et le chef du Département des jeux et sports magiques. Moins visibles, mais tout aussi présents, une dizaine d'Aurors encerclaient le périmètre pour assurer la sécurité de tout le monde. James tendit le cou et réussi à apercevoir Maugrey dont l'œil magique tourbillonnait dans son orbite.
Malgré tout, les yeux étaient principalement braqués sur les quatre champions qui patientaient, le visage fermé. Si Sirius se contentait d'avoir l'ai ennuyé, même si James n'était pas dupe, les lèvres d'Augustus Rookwood se mouvaient silencieusement, comme s'il récitait ce qu'il avait appris pour se rassurer. A côté de lui, Ophélia Edwards, l'élève de Poufsouffle, piétinaient anxieusement. Elizabeth Yaxley, quant à elle, semblait détonner. Ses longs cheveux blonds dorés étaient rassemblés en une tresse crânienne dans son dos et sa peau paraissait pâle sous l'effet des flashes des photographes. Son ventre arrondi avait l'air de ravir les journalistes qui ne cessaient de tenter de l'approcher.
- Ce n'est pas dangereux de la laisser participer... dans son état ? Demanda Peter en haussant un sourcil.
- Elle est enceinte, pas malade, rétorqua Lily. Si elle avait voulu se désister, elle l'aurait fait.
- Elle aurait eu le droit ?
- Ce n'est pas le vrai Tournoi des Trois Sorciers, donc je suppose que oui, dit Remus. Normalement, les champions sont liés par un contrat magique, mais comme c'est une compétition interne, ils ne l'ont pas fait ici.
James imaginait déjà le scandale dans la maison des serpents si leur championne s'était défilée au dernier moment.
- Vous trouvez pas que Minchum a encore perdu des cheveux ? Lança soudain Dorcas.
- Ses cheveux sont le dernier de mes soucis, dit-il. Sa politique par contre...
- Il continu à dire que le Ministère sait ce qu'il fait avec Tu-Sais-Qui et les mangemorts ?
- Non seulement il l'affirme, confirma Marlène, mais en plus il a l'air de le croire.
Harold Minchum n'avait en effet pas l'air préoccupé le moins du monde. Il souriait allégrement en discutant avec le professeur Slughorn en lui offrant une corbeille d'ananas confi.
James soupira avant de se tourner à nouveau vers les champions. Pendant une seconde, il croisa le regard de Sirius qui venait de les trouver dans les gradins et il tenta de lui faire passer quelque chose, sans savoir exactement quoi. Calme ? Force ? En tout cas, Sirius eut un rictus et ses épaules se détendirent.
Habillé d'une robe bleue nuit parsemée d'étoiles, Dumbledore s'avança soudain d'un pas lent vers le centre du terrain. Ils mirent tous quelques secondes à s'en rendre compte et le silence tomba sur les gradins progressivement à mesure que les conversations s'évanouissaient. Dumbledore sourit.
- Bienvenu à tous ! Dit-il d'une voix forte, amplifiée par magie. Je suis ravi de vous accueillir tous aujourd'hui pour assister à la dernière Epreuve du Tournoi de Poudlard qui s'est déroulé dans notre magnifique école depuis le début de l'année. Je remercie encore une fois monsieur le Ministre pour son soutien dans cette entreprise et l'ensemble du Département des jeux et magiques. Je ne vais pas vous faire attendre davantage car je suis persuadé que tout le monde attend le dénouement de ces mois de travail et de persévérance avec impatiente. Je rappelle toutefois que le classement à l'issu de cette épreuve ne serait être définitif, puisqu'il faudra encore ajouter les points de bonnes conduites et de bonnes réponses à la fin de l'année... ou en enlever dans le cas contraire, même si j'ose espérer que cela ne soit pas nécessaire.
Quelques rires résonnèrent.
- Cette épreuve de Défense contre les forces du mal se fera en deux temps, continua Dumbledore, toujours sur un ton léger comme s'il annonçait le menu du prochain banquet. Les champions de chaque maison passeront les uns après les autres dans un ordre défini par tirage au sort préalablement. Leur tâche sera simple. Ils doivent tout d'abord faire preuve de réflexion et mettre à profit leurs connaissances afin de répondre à l'énigme qui leur sera posée. S'ils réussissent, ils pourront accéder à la seconde tâche en affrontant... un épouvantard. Parfois, le plus grand mal est notre propre peur, et ils devront ainsi la surmonter en faisant cette fois-ci preuve d'habilité en magie et de sang-froid. Leur parcours sera chronométré. Celui qui parviendra à réaliser les deux tâches le plus vite possible recevra la première place et les 150 points, et ainsi de suite pour les champions suivants. Je leur souhaite bonne chance à tous ! Que la cinquième épreuve du Tournoi commence ! J'invite miss Ophélia Edwards de la maison Poufsouffle à s'avancer.
Une clameur immense monta des tribunes et une vague de jaune et noir s'agita juste en face. James se pencha en avant, les mains contre la balustrade pour mieux voir. Ophélia se détacha du groupe et vint rejoindre Dumbledore qui lui indiqua de s'avancer encore un peu. Elle fit un pas et sembla passer sous un voile transparent qui ondula à cet instant. Le sort qui avait dû dissimuler ce qui se trouvait sur le terrain s'effondra, révélant une sphinx au visage inexpressif et juste derrière une caisse en bois, fermé par un loquet en fer.
La sphinx se tenait tête haute et couvait Ophélia de son regard perçant, son corps de lionne visible même de loin. James écarquilla les yeux. Il n'avait jamais vu de sphinx auparavant, mâle ou femelle.
- Toi qui te présente devant moi, entonna-t-elle d'une voix sourde et mélodieuse à la fois, veux-tu entendre mon énigme ?
- Oui...
James haussa un sourcil.
- Elle n'a pas l'air sûr d'elle, murmura-t-il à Lily.
- Je ne le serai pas non plus face à elle, répliqua-t-elle. Tu as vu ses griffes ?
Il grimaça. Le directeur n'avait pas précisé ce qu'il se passerait si le champion donnait la mauvaise réponse et s'il se rappelait bien de ses cours de Défense, le sphinx pouvait justement devenir agressif dans ce cas-là.
- Mon premier est une note de musique, commença la sphinx et tout le monde retint son souffle. Mon second est source de vie et se trouve en ton sein. Mon troisième est un composant du risque. Mon tout te causera la plus grande souffrance. Qui suis-je ?
Un grand silence suivit l'énonciation de l'énigme et James remercia Merlin de ne pas avoir été choisi pour cette épreuve. Son balai lui allait très bien. Autour de lui, il entendait les autres réciter à nouveau la charade, comme des dizaines d'échos qui s'entrechoquaient, tandis que sur la pelouse Ophélia les yeux fermés, concentrée.
- Vous avez trouvé ?
- J'ai une idée... admit Remus.
Lily se retourna vers lui.
- Je bloque sur le second, dit-elle. Qu'est-ce que c'est ?
- L'eau, répondit-il comme si c'était évident.
James ne voyait pas le rapport, mais Lily hocha la tête, satisfaite. Il allait lui demander d'expliciter pour son pauvre cerveau quand Ophélia rouvrit les yeux.
- Le sortilège Doloris ! Dit-elle haut et fort. La note de musique est le Do, l'eau est source de vie et se trouve dans mon corps, la première syllabe de risque est « ris », et c'est un sortilège qui cause de la souffrance. Doloris !
- Correct.
La sphinx inclina la tête, un léger sourire aux lèvres, puis se décala légèrement pour laisser Ophélia passer. Les Poufsouffle poussèrent des cris de joie.
Sur l'immense pelouse du terrain de Quiddicth, la simple boîte en bois paraissait insignifiante, pourtant tout le monde savait ce qu'elle contenait. Les mains d'Ophélia tremblaient lorsqu'elle souleva le couvercle.
James se demandait bien quelle peur profonde elle pouvait avoir lorsqu'un bourdonnement sonore résonna. Une énorme abeille jaillit de la boîte. Ophélia ne fut pas la seule à pousser un cri strident. Lily recula même si vivement qu'elle faillit tomber de son siège et James s'empressa de la stabiliser en glissant une main dans son dos.
- Merlin... souffla Peter.
L'abeille géante voletait à quelques mètres du sol. Son corps aux rayures jaunes et noires était plus grand qu'un sorcier adulte et ses yeux translucides n'avaient rien de rassurant. En voyant la championne de Poufsouffle si pétrifiée, James fut persuadé qu'elle n'allait pas réussir. Elle était en train de reculer de plusieurs pas, l'air de se retenir de fuir à toutes jambes. Elle s'arrêta juste à temps pour ne pas franchir la limite du cercle où se déroulait l'épreuve.
Dans les gradins, tout le monde, toutes maisons confondues, se mit à crier pour l'encourager.
- Allez !
- Vas-y !
- Tu peux le faire !
Ophélia resserra sa prise sur sa baguette et la leva lentement.
- Ridi... Ridik... Riddikulus !
Les ailes de l'abeille disparurent. La gravité fit son effet et elle chuta avant de s'étaler au sol et de se mettre à tourner sur elle-même en agitant les pattes, comme une toupie géante. Un éclat de rire parcourut les tribunes.
- Félicitations, miss Edwards ! Dit Dumbledore en s'approchant tandis qu'un professeur remettait l'épouvantard dans sa boîte. Vous avez réussi à compléter l'épreuve en 12min et 34 secondes. Vous pouvez regagner votre place, encore bravo à vous ! J'appelle maintenant monsieur Sirius Black !
James se tendit. Les choses sérieuses commençaient.
**
*
Sirius s'interdit de lever les yeux vers les gradins, il regarda droit devant lui en avançant vers la sphinx qui avait repris sa place, son corps félin se mouvant avec grâce. Il essayait de ne pas penser à l'épouvantard qui l'attendait derrière, ni quelle forme il pourrait prendre. Alexia, la poitrine immobile et étendue sur un lit mortuaire ? Lui-même sans les Maraudeurs ? La Harpie ?
- Toi qui te présente devant moi, déclama la sphinx, veux-tu entendre mon énigme ?
Il se contenta d'hocher la tête, le cœur battant.
- Mon premier est en réalité un quatrième, mon second suit sa piste sans relâche, mon tout embrasse les âmes désœuvrées. Qui suis-je ?
- Un détraqueur, répondit-il sans hésitation.
La sphinx parut étonnée et ne s'écarta pas immédiatement.
- D est la quatrième lettre de l'alphabet, un traqueur suit la piste de sa proie, et les détraqueurs embrassent surtout les personnes à l'esprit troublé, explicita-t-il devant le lourd silence qui l'entourait.
- C'est juste, souffla-t-elle.
Pendant une brève seconde, elle s'inclina, puis le laissa passer. Sirius marqua un temps d'arrêt, comme s'il s'attendait à ce qu'elle change d'avis, mais il la dépassa sans encombre. Sur sa gauche, il sentait le regard interloquée de McGonagall et encore plus haut, ceux de ses amis. Il les comprenait. Il ne s'était jamais illustré par sa connaissance des charades. L'oncle Alphard par contre... A chaque repas de famille, tous les enfants se rassemblaient autour de lui pour entendre l'énigme du jour. Narcissa finissait la plupart du temps par partir, frustrée parce qu'elle ne trouvait jamais la réponse, mais lui-même et Bellatrix se battaient pour la résoudre en premier. Il adorait voir son air suffisant se décomposer quand il trouvait avant elle. Quand la sphinx avait posé sa question, il s'était rappelé de son oncle, assis dans son large fauteuil en cuir, qui récitait presque la même le soir de Noël lors de sa première année.
Alors qu'il tendait la main vers le coffre en bois qui gardait l'épouvantard, il entendit des applaudissements. Il osa finalement relever la tête pour voir James et Alexia qui criaient et tapaient dans leurs mains pour l'encourager, vite rejoint par les autres Gryffondor. Il leva les yeux au ciel, un rictus aux lèvres, puis il se rappela qu'il était chronométré. Sans réfléchir davantage, il souleva le couvercle qui grinça sur ses gonds.
Il ne s'attendait pas à ce qui sorti de la boîte. Tout son corps se figea et il eut brusquement l'impression qu'une main glacée se refermait lui. Un silence pesant et perplexe était retombé sur le stade en voyant l'épouvantard.
- Non...
Il se tenait face à lui-même.
Sirius déglutit, conscient de prendre trop de temps. Il aurait déjà dû réagir. Pourtant, il y avait quelque chose de fascinant et d'effrayant à la précision de l'illusion que l'épouvantard avait réussi à créer. Il aurait pu être en train de se regarder dans un miroir. Son double avait les mêmes traits fins, les mêmes cheveux noirs, la même stature. Et le même sourire narquois qu'il avait arboré tant de fois se dessina sur son visage tandis qu'il remontait lentement sa manche.
Des exclamations choquées s'élevèrent de plusieurs endroits. Sirius, lui, ne pouvait qu'observer la tête de mort entremêlée avec un serpent qui se détachait sur sa peau. Instinctivement, il porta la main à son bras, à son vrai bras, comme pour s'assurer que la brûlure qu'il ressentait n'était qu'imaginaire.
Soudain, l'épouvantard Sirius se mit à parler. Même la voix était identique.
- « Oh Sirius... Tu crois ne pas être comme nous mais regarde-toi. L'insolence, la morgue des Black. Tu ne peux pas rejeter le sang qui coule dans tes veines ». « Tu es un Black. Tu es mon fils. Tu le resteras et tu ne seras jamais rien d'autre ».
Avec horreur, Sirius reconnut les paroles de sa mère le jour de son départ, et celles de son père il y a quelques semaines à Ste-Mangouste. Son cœur se mit à battre frénétiquement. Il détestait cette version de lui, il la haïssait. Elle représentait ce qu'il aurait pu devenir, ce qu'il aurait pu être.
Ses doigts se crispèrent sur sa baguette.
- Assez ! Riddikulus...
Rien ne se passa. Il n'arrivait à pas à se concentrer, incapable de quitter les yeux la marque qui se détachait sur son bras, si semblable à celle de... Une lueur passa dans le regard de son double. En un bruit qui ressemblait à celui d'un coup de fouet claquant dans l'air, l'épouvantard changea de forme et cette fois Sirius recula violemment.
Sur la pelouse du terrain de Quidditch se tenait désormais un enfant. Un enfant aux grands yeux sombres expressifs, à la frange de cheveux noirs sur le front, et à l'expression sérieuse. Regulus, âgé de six ans, le dévisageait comme s'il n'avait jamais grandi.
- Tu m'avais promis, dit l'enfant d'un ton accusateur. Tu m'avais promis que tu ne m'abandonnerais pas.
S'il n'avait pas eu conscience de toutes les personnes présentes, Sirius se serait effondré à genoux. Son cœur paraissait sur le point d'exploser, emprisonné dans un étau, et sa vision se brouilla.
- Tu avais dit que tu serais toujours mon grand frère, reprit Regulus de sa voix enfantine.
- Assez... souffla-t-il. Ça suffit !
- Ne pars pas, Sirius ! Ne pars pas ! Se mit à crier Regulus en tendant les mains vers lui.
Sirius ferma les yeux. Il en avait oublié l'épreuve, il avait oublié le sortilège, il avait oublié la baguette aux creux de sa paume. Il ne voyait que Regulus le suppliant.
- Tu m'avais promis, tu m'avais promis, tu m'avais promis !
- Arrêtez ça ! S'écria brusquement une voix réelle.
Avec un temps de retard, Sirius reconnut James. Il rouvrit les yeux. Le Regulus de six ans s'était mis à pleurer, mais au moins il avait cessé de parler. Ou c'est ce qu'il crut pendant une seconde.
- Tu n'es plus mon frère, murmura-t-il. Tu as brisé ta promesse.
Sirius sentit son estomac se retourner. Sa plus grande peur était là, devant ses yeux, et il ne pouvait pas y échapper. Parce que peut-être qu'après tout ce n'était pas la faute de Regulus si leur relation s'était brisée... c'était le sienne.
D'un coup, ses forces l'abandonnèrent et il fit volte-face, incapable de soutenir plus longtemps le regard de cet enfant qui n'existait que dans ses souvenirs.
- J'abandonne, déclara-t-il à Dumbledore.
**
*
Une vague de consternation traversa les gradins à cette annonce. Immobile, Regulus regarda son frère franchir la limite et retourner sur le bord du terrain tandis que Dumbledore appelait Rookwood et que l'épouvantard disparaissait. Il n'arriva pourtant pas à chasser ce sentiment perturbant qu'il avait ressenti à la seconde où la créature avait pris sa forme d'enfant. Il n'avait pas réussi à cacher son trouble et sa surprise malgré les centaines d'yeux qui s'étaient tournés vers lui pour évaluer sa réaction.
- Tu vas bien ? Souffla Livia en se penchant vers lui.
- Je ne comprends pas...
- Quoi ?
- Pourquoi moi ? Pourquoi est-ce que je suis... une de ses peurs ?
- Aucune idée, dit-elle, mais apparemment il n'arrive pas à la surmonter.
Cette constatation le perturba encore plus. Sirius lui avait bien fait comprendre qu'il ne voulait plus de lui dans sa vie, qu'il le méprisait. Avec une pointe de colère, il se demandait comment Sirius osait avoir comme peur Regulus qui lui disait « tu n'es plus mon frère ». Il n'avait pas le droit. Il n'avait pas le droit, pas quand il lui avait jeté lui-même au visage.
Du côté des Gryffondor, c'était la débâcle. Personne ne se préoccupait de l'énigme de Rookwood, trop occupé à discuter de ce qui venait de se passer. De loin, il vit Alexia Cassidy qui dévalait les marches pour tenter de rejoindre le terrain, mais un Auror lui bloqua l'entrée. Toujours assise à sa place, un peu plus haut, Marlène semblait chercher quelqu'un dans la foule et Regulus réalisa que ça devait être lui. Pourtant, il ne fit pas un geste. Il ne voulait pas affronter son regard tout de suite.
- Ironique, commenta soudain Livia. Le champion de Serdaigle qui n'arrive pas à répondre à l'énigme du sphinx !
- Il abandonne ?
- Je ne sais pas... ça en a l'air...
Une minute plus tard, Augustus Rookwood déclarait forfait.
- Elizabeth a peut-être une chance en fin de compte, dit une des jumelles Zabini. Si j'avais su que Poufsouffle serait la seule des autres maisons à réussir...
Regulus tenta de se concentrer à nouveau pour le passage d'Elizabeth malgré la boule dans sa gorge qui refusait de partir.
- Mon premier parvient à se mouvoir sans être vu, entonna la sphinx. Mon second est au meilleur ce que le blanc est au noir. Mon tout ne saurait mourir par perte de sang. Qui suis-je ?
Le calme était revenu. Elizabeth se mit à murmurer, comme si elle essayait d'assembler les pièces du puzzle en raisonnant à voix haute, mais ils étaient trop loin pour l'entendre. Regulus essaya de résoudre l'énigme lui-même, mais il avait mal à la tête, et même l'entraînement de l'oncle Alphard ne suffisait pas à le motiver.
Sans pouvoir résister, son regard quitta Elizabeth pour glisser vers les autres champions. Rookwood avait l'air énervé contre lui-même, Ophélia curieuse de voir ce qui allait suivre, et Sirius... oh Sirius paraissait dévasté et furieux en même temps. Il gardait la tête haute, comme s'il défiait quiconque de lui faire une remarque.
- Le vent est invisible mais bouge, le contraire de meilleur est pire, et un vampire survit grâce au sang qu'il fait perdre à ses victimes, s'exclama brusquement Elizabeth. Donc un vampire ?
- Vous devez être sûre...
- Un vampire, affirma-t-elle.
- Tout juste.
Une dernière fois, la sphinx céda ainsi le passage.
Lentement, une main serrant sa baguette et l'autre posée sur son ventre, Elizabeth s'avança vers la seconde partie de l'épreuve. Regulus eut un mauvais pressentiment dès qu'elle ouvrit le coffre et il ferma les yeux.
Puis il entendit le hurlement d'Elizabeth et de plusieurs dizaines de personnes.
- Par Morgane, s'étrangla Livia.
Regulus eut un haut le cœur en découvrant la forme de l'épouvantard. Un corps s'étendait sur un tapis ouvragé. Des cheveux châtains emmêlés, un nez retroussé, des taches de rousseur. Tout le monde la reconnut, son visage avait fait la une de la Gazette. Le cadavre de Gemma Ackerley gisait sur le terrain de Quidditch de Poudlard à la vue de tous.
En face, dans les gradins des Serdaigle, une silhouette se leva. Tiberius se tenait juste là, livide, et contemplait sa sœur sans vie aux pieds d'Elizabeth Yaxley. Son visage se déforma sous le coup de l'horreur et de la colère.
- Meurtrière ! S'écria-t-il à s'en déchirer la gorge. Tu l'as tuée !
Regulus écarquilla les yeux.
- Non... non... balbutia Elizabeth en secouant la tête.
- Meurtrière ! Scandèrent plusieurs élèves. Meurtrière !
Impuissant, Regulus vit se répandre l'insulte jusqu'à ce qu'un concert de voix brisées se mettent à hurler dans un brouhaha infernal. Livia lui saisit la main avec force. Elle avait les larmes aux yeux.
- Elle n'a pas pu... oh Merlin...
- Elle n'a rien fait ! Protesta-t-il.
- Mais comment est-ce qu'elle connait le corps alors ? Comment est-ce qu'elle peut l'avoir comme plus grande peur ?
Regulus aurait pu avancer des tas de raisons, même s'il connaissait la vérité. Ce n'était qu'une peur irrationnelle, elle avait vu la photo de Gemma dans les journaux et s'était imaginée sa mort. Elle aurait pu être amie avec la jeune fille sans que personne ne le sache et personne n'était au courant. Mais peu importait. La foule l'avait déclaré coupable.
Dans les escaliers, plusieurs dizaines de personnes se bousculaient pour sortir. Tiberius tentait de descendre, comme s'il était prêt à se jeter sur celle qu'il croyait être la meurtrière de sa sœur. Un chaos indescriptible commença à se répandre et Regulus perdit la pelouse du regard au moment où les Aurors s'élançaient pour se saisir d'Elizabeth.
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