Tome II - Chapitre 33: Promenons-nous dans les bois
Chapitre XXXIII : Promenons-nous dans les bois
Dissimulé sous sa cape d'invisibilité, James tenta de faire le moins de bruit possible en se glissant hors du Hall du château. Le dîner ne serait servi que dans deux heures et quelques élèves étaient encore en cours, il devait veiller à ne pas se faire prendre. Normalement, Peter tiendrait compagnie à Remus suffisamment longtemps pour que son absence n'éveille pas les soupçons.
Alors qu'il avançait d'un pas rapide, veillant à ne pas trébucher sur le sol humide, il frissonna. Son souffle formait des volutes de fumées à chaque respiration et il essuya les verres embués de ses lunettes d'un geste impatient. Même s'il avait cessé de neiger depuis des semaines, l'hiver était encore prégnant en Ecosse et les traces de gelée restaient visibles le long du chemin. Il regretta de ne pas avoir pris ses gants tandis que ses doigts engourdis maintenaient la cape en place. Par expérience, il savait qu'il ne pourrait la retirer qu'une fois arrivé dans la forêt, car Hagrid pouvait toujours se promener dans le parc, peu importe l'heure ou le temps.
James songea à ses amis, probablement assis face à la cheminée dans leur salle commune chaleureuse, protégés par les épais murs de la tour de Gryffondor. Il accéléra un peu plus, pressé de rentrer. Une petite voix dans sa tête lui souffla qu'il pouvait encore faire demi-tour. Après tout, la pleine lune n'arrivait pas avant le mois prochain, il pouvait toujours attendre que Sirius soit avec lui. Sauf que contrairement à ses devoirs, il n'aimait pas repousser au lendemain ce qu'il pouvait faire aujourd'hui lorsque la sécurité de Remus était en jeu.
Il n'avait pas voulu l'évoquer devant lui pour ne pas l'inquiéter, mais il avait encore des sueurs froides en repensant à la dernière pleine lune, et ce n'était pas la faute de la météo cette fois-ci. Quand il avait vu le loup commencer à sortir de leur périmètre habituel pour se mettre à courir vers Pré-au-Lard en contre-bas, son cœur avait loupé un battement. Et un loup-garou courait vite. Heureusement, un cerf aussi. En voyant que Sirius, sous sa forme de chien et qui était pourtant le plus près, ne réagissait pas, l'air ailleurs, James s'était lancé à la poursuite du loup au galop. Il avait réussi à le rattraper et s'était mis en travers de son chemin, lui barrant le passage à coup de ramure face à lui. Sirius était enfin venu l'aider une seconde plus tard et, à eux deux, ils avaient ramené le loup vers la cabane. Dès l'aube, lorsqu'ils s'étaient tous retransformés après avoir laissé Remus, James s'était tourné vers les autres. Peter était livide sous l'éclat de la lune qui commençait à disparaître tandis que Sirius évitait son regard, nerveux. Il avait retint l'exclamation qui lui avait brûlé la gorge. Il n'avait pas besoin de demander à son meilleur ami ce qui le perturbait, la crise d'Alexia était bien présente dans son esprit aussi. Et même si ce n'était pas une excuse pour avoir frôlé une catastrophe pareille, il avait laissé couler et s'était contenté d'annoncer d'une voix sans appel qu'il faudrait une clairière plus reculée pour que le loup puisse se défouler sans risque.
Le ciel gris donnant l'illusion que la nuit pouvait tomber d'une minute à l'autre, il s'arrêta face à la lisière de la Forêt Interdite. Sa masse sombre courrait sur des kilomètres et bordait le parc du château, inquiétante. James s'y était déjà aventuré au moins trois ou quatre fois au cours de sa scolarité, mais il n'en restait pas moins angoissé. Il avait beau être souvent téméraire, il savait pertinemment que les créatures qui peuplaient ces bois pouvaient être dangereuses, et à moins de s'appeler Hagrid ou Norbert Dragonneau, il valait mieux s'en tenir éloigné.
Evidemment, James franchit les premiers arbres d'un pas ferme et pénétra dans la forêt sans réfléchir davantage.
**
*
Epuisée, Lily plongea la main dans ses cheveux pour les ramener en arrière et les attacher en queue de cheval. Elle venait de passer deux heures avec Jonas Gallagher, un petit de première année qui avait des difficultés en potions.
A la fin du premier trimestre, Slughorn lui avait demandé si elle pouvait lui donner des cours de tutorat puisqu'elle était une des meilleures élèves. Pour tout dire, elle avait hésité à continuer le tutorat cette année à cause de son rôle de Préfète-en-Chef, des rondes, et des Aspics qui ne se réviseraient pas toutes seules, mais elle avait finalement accepté. Jonas Gallagher était né-moldu et, même s'il s'en sortait plutôt bien, toutes ces nouvelles matières et ce nouveau monde lui causaient quelques difficultés. Lily n'avait pas résisté, se souvenant d'elle-même à cet âge. Elle avait été à la place de Jonas, elle se souvenait encore de nuits entières durant lesquelles elle révisait et relisait ses notes pour être au niveau. Elle voulait tellement prouver qu'elle avait sa place dans cette école, même si elle n'avait jamais entendu parler de la magie, des sortilèges ou des potions quelques mois auparavant. Pendant deux trimestres, la préfète de l'époque, Victoria Abrahams, l'avait aidé aussi. Toujours patiente, elle lui avait permis de prendre ses marques et de comprendre les nouveaux savoirs à sa portée. Grâce à elle, Lily avait terminé sa première année en tant que troisième élève de sa promotion, juste derrière Remus et Severus. Si la fierté dans les yeux de ses professeurs et de ses parents l'avait emplie de joie, c'était surtout sa propre fierté d'avoir surpassé ce qui lui semblait impossible qui l'avait finalement poussé à accepter de donner des cours à Jonas.
La séance du jour avait pourtant été pour le moins chaotique. Jonas avait été incapable pendant près d'une heure de retenir les différentes propriétés de divers ingrédients de potion, et quand il y était enfin parvenu, il les mélangeait une fois sur deux. Lily avait beau lui faire des tableaux ou lui donner des moyens mnémotechniques, le petit garçon semblait avoir l'esprit ailleurs. Elle savait que ce n'était pas entièrement de sa faute, tout le monde avait des mauvais jours et avait généralement un coup de fatigue à cette période de l'année, mais elle avait fini par s'agacer en conseillant à Jonas d'apprendre par cœur sa leçon pour la prochaine fois. Avec dix minutes d'avance, leur séance s'était donc terminée sur un mal de tête pour tous les deux et Jonas s'était contenté de marmonner un vague au revoir avant de s'enfuir à toutes jambes, sûrement par peur que Lily le rassoit de force sur sa chaise pour les dix minutes restantes.
Le seul point positif était au moins qu'elle n'avait pas pris de sac pour se rendre au tutorat et qu'elle n'aurait pas à porter le poids de ses livres en remontant au dortoir. Elle allait justement commencer à monter les marches de l'escalier principal lorsqu'un mouvement attira son attention du coin de l'œil. Elle crut d'abord que c'était un reflet des pierres précieuses dans les sabliers, avant de se rendre compte qu'il s'agissait d'une des portes du Hall. Porte qui venait vraisemblablement de s'ouvrir mais aussi de se refermer toute seule.
Perplexe, Lily cligna des yeux, se demandant si toutes ses activités n'avaient pas fini par la rendre folle de fatigue. Elle resta immobile une seconde, le pied sur la première marche, puis un sentiment au creux de son ventre la poussa finalement à s'avancer prudemment vers la porte. D'un geste lent, elle posa sa main sur le bois patiné par le temps, mais rien ne se passa. Ce qui était plutôt normal en vérité. Pourtant, elle n'arriva pas à chasser ce sentiment étrange et, sur un coup de tête, elle ouvrit la porte.
Aussitôt, un vent glacial s'engouffra dans le Hall et autour de son corps, et elle recula instinctivement. Devant elle, le parc s'étendait, immense et vide. Rien d'inhabituel. Elle allait définitivement renoncer et mettre tout ça sur une invention de son esprit lorsqu'elle remarqua les empruntes. Les traces de pas, bien visibles grâce au sol détrempé qu'avait laissé la pluie matinale, commençaient juste au seuil de la porte puis s'éloignaient sur quelques mètres en ligne droite. Cette fois-ci, sa perplexité ne dura qu'une seconde avant que la réponse logique ne surgisse dans son esprit.
- James... soupira-t-elle.
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*
Une branche craqua sous son poids et James manqua de sursauter. Le cœur battant, il roula des yeux, imaginant les moqueries de Sirius s'il avait été là pour le voir. Il s'était enfoncé depuis une dizaine de minute dans la forêt et la lumière commençait à avoir du mal à percer la végétation. D'un geste ample, il enleva la cape d'invisibilité avant de frissonner violemment. Il faisait encore plus froid au cœur des bois. Il plia la cape et la glissa dans sa poche puis reprit sa route. Par expérience, il savait qu'il valait mieux éviter de rester immobile.
D'après ses souvenirs, il y avait une clairière à quelques mètres qui pouvait être suffisamment grande pour le loup. Ils étaient tombés dessus par hasard la première fois qu'ils avaient exploré la forêt avant que le grognement d'une bête au loin ne les fasse détaler en courant.
- James ! Appela soudain une voix.
Alors que son nom résonnait en échos contre les arbres, il lâcha un cri de surprise et se figea littéralement.
- James !
- Lily ?
Abasourdi, il se retourna et fouilla l'obscurité du regard. Et là, au bout de quelques secondes, il vit une silhouette émerger de la brume en face de lui. Les cheveux auburn de Lily tranchaient nettement avec les couleurs grises des arbres en hiver, elle se détachait comme une tâche de couleur au milieu d'un univers en noir et blanc.
- Merlin, qu'est-ce que tu fais ici ?
- Je te retourne la question, rétorqua-t-elle en arrivant à sa hauteur, l'air furieux. Je peux savoir ce que tu viens faire dans la Forêt Interdite alors que la nuit ne pas va tarder à tomber ? Le nom n'était pas assez clair pour toi ?
- Lily...
- Je vais t'étriper, Potter ! Venir ici, tout seul, sans rien dire à personne !
- Peter sait...
Lily le dévisagea et il recula d'un pas.
- Tu en as parlé à Peter ? Oh dans ce cas, ça change tout ! S'exclama-t-elle avec sarcasme. Bon dieu James, tu es préfet-en-chef, tu fais partie de l'équipe de Gryffondor, tu es capitaine de Quidditch... Tu ne peux pas faire ça !
La voix de Lily dérailla dans les aigus lorsqu'elle lui donna un coup dans l'épaule pour ponctuer sa tirade. James tressaillit et lui saisit le poignet avant qu'elle ne recommence.
- Baisse d'un ton, lui intima-t-il, anxieux. Tu vas rameuter toutes les créatures...
- La faute à qui ? Siffla-t-elle. On n'a pas le droit d'être là !
- Je ne t'ai pas demandé de venir... Comment... Comment tu m'as trouvé... ?
- Je t'ai suivi. Je rentrais du tutorat quand j'ai vu la porte du Hall s'ouvrir et se refermer alors qu'il n'y avait personne... Et puis j'ai vu les traces de pas au sol. J'ai deviné que tu devais être sous la cape. J'allais te perdre quand tu l'as enfin enlevé et que je t'ai vu.
James planta ses yeux dans ceux de la rousse. Il se demanda ce qui lui serait arrivé s'il n'avait pas retiré la cape à cet instant, si elle s'était perdue dans la Forêt toute seule et qu'elle avait dû errer toute la nuit. Sous l'effet de la brume, ses cheveux commençaient à gonfler à cause de l'humidité et son teint pâle faisait ressortir les quelques tâches de rousseurs qui parsemaient ses joues. Le ventre serré, il inspira une goulée d'air glacé avant de prendre sa décision.
- Je te ramène... dit-il. Allez, viens.
Il attrapa sa main pour l'entraîner dans son sillage, mais Lily ancra fermement ses pieds dans la terre.
- Attends. Ne crois pas t'en sortir comme ça. Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Rien d'important...
- James !
- Chut !
Il fit volte-face, lui faisant signe une fois de plus de baisser la voix. Elle serra les lèvres.
Comme la dernière fois, lorsqu'elle lui avait demandé le soir de pleine lune pourquoi il ne pouvait pas la remplacer pour ses rondes, son esprit se vida. Il ne pouvait décemment pas lui dire qu'il était venu pour trouver une clairière assez grande et isolée pour accueillir un loup-garou, mais également trois animagi non déclarés.
Il faisait confiance à Lily, évidemment. Seulement, ce secret était celui des Maraudeurs. Un pacte passé entre trois garçons de deuxième année, encore des enfants, à la lueur d'une bougie alors que Remus était une fois de plus absent. Le processus avait été un calvaire pendant près de trois ans, mais aucun d'eux n'avait abandonné malgré les risques aussi bien magiques que judiciaires.
- C'est rien, j'étais juste venu me balader...
- Te balader ? Répéta-t-elle, incrédule. Au cœur de la Forêt, par ce froid ? Pourquoi tu... ?
Elle s'interrompit et parut blêmir, hésitante.
- Ton père va bien, pas vrai ? Il... il ne lui est rien arrivé... ?
Comprenant brusquement à quoi elle avait pensé, James s'empressa de secouer la tête, une boule dans la gorge en voyant l'inquiétude qu'elle ressentait.
- Non, non, il va bien. Ma mère allait chercher ses résultats d'examens aujourd'hui en accompagnant Sirius et Marlène, elle me donnera des nouvelles demain...
- Bien... c'est bien... murmura-t-elle. Mais alors... ?
- Lily...
- Je ne suis pas idiote, je sais que tu me caches quelque chose.
- C'est faux, mentit-il, le visage impassible.
- Juste admet-le, s'énerva-t-elle. Si tu avais un minimum de respect, tu l'admettrais et peut-être que je comprendrais pourquoi tu agis comme ça !
- Parce que si je te disais que je te cachais quelque chose, mais que je ne pouvais pas te dire quoi, tu accepterais de laisser passer ? Vraiment ?
Lily se mordit la lèvre. La réponse était inscrite sur son visage et James leva les mains au ciel. Il allait à nouveau la tirer par la main pour la faire avancer lorsque le bruit éclata derrière eux. Des sabots qui martelaient violemment le sol et qui se rapprochaient dangereusement. Tout le corps de James se tendit et il sentit les ongles de Lily s'enfoncer dans sa paume.
- James...
Un corps de chasse sonna au loin et le sol se mit à vibrer sous leurs pieds.
- Cours ! Cria-t-il.
**
*
Lily réagit par instinct. Son corps se mit à bouger sans qu'elle en ait véritablement consciente et en une seconde elle était en train de courir, les arbres se confondant en des lignes brumeuses à la périphérie de sa vision. James était à ses côtés, même si elle sentait qu'il retenait ses foulées pour ne pas la semer.
- Allez, t'arrêtes pas, encouragea-t-il. Cours !
A ses oreilles, le fracas des sabots couvrit sa respiration haletante et elle tenta d'accélérer, les jambes brûlantes et les poumons en feu. Elle savait que les centaures n'étaient pas des créatures dangereuses par nature, même s'ils pouvaient se montrer farouches ou hostiles envers les sorciers, surtout lorsqu'ils étaient en troupeau. Elle n'en avait jamais rencontré, mais elle n'était pas prêtre à parier comment la rencontre tournerait. Le peur instinctive avait pris le dessus et elle continuait de courir aussi vite que possible.
Très vite, elle réalisa pourtant que c'était peine perdue. Ils ne pourraient jamais aller plus vite que des centaures, ils ne parviendraient pas à sortir de la forêt sans se faire rattraper avant. James dû avoir la même prise de conscience, car il s'arrêta brutalement et elle lui rentra dedans, incapable de freiner sa course. Une vague de douleur la traversa quand leurs corps rentrèrent en contact.
- Qu'est-ce que... ?
- Monte ! Dit-il en désignant l'arbre à côté d'eux. Dépêche-toi !
Lily déglutit. L'arbre était haut, mais des branches basses à l'air suffisamment solides pour supporter leur poids leur permettraient sans doute de se mettre à l'abri. Les centaures avaient beaucoup de talents, mais pas encore celui de grimper aux arbres. Malheureusement, ce n'était pas non plus un des siens.
Les mains tremblantes, elle commença à escalader. Les deux premiers mètres furent la seule étape simple de l'ascension. Au fur et à mesure, les branches, bien que plus épaisses, étaient aussi plus espacées entre elles. Lily tendit la main à s'en décrocher l'épaule, mais ses doigts ne firent que frôler l'écorce de la branche au-dessus de sa tête. Une boule au ventre, elle baissa les yeux. Le sol n'était pas encore assez loin pour qu'ils soient hors d'atteinte et le bruit des sabots n'étaient plus qu'à quelques minutes de distance.
- Continues ! Qu'est-ce que tu fais ? Lança James en se hissant à côté d'elle.
La branche sur laquelle ils étaient oscilla et Lily sentit son cœur lui remonter dans la gorge, presque nauséeuse. Elle s'accrocha désespérément.
- J'arrive pas à atteindre la suivante, cria-t-elle pour se faire entendre malgré le vent et le heurt des sabots toujours plus proche.
- Il faut qu'on aille plus haut...
- Je peux pas, je... ahh !
En équilibre précaire, James venait de la soulever de quelques centimètres, les bras fermement entourés autour de sa taille. Les mains de Lily se refermèrent sur la branche et elle resta suspendu ainsi une seconde, le corps dans le vide. Puis James poussa un peu plus sous ses pieds et elle se hissa tant bien que mal, contractant ses abdos inexistants. Elle s'étala plus qu'autre chose sur la branche, à plat ventre et les jambes enroulées autour du bois. Le visage tourné vers le bas, elle vit avec horreur James battre des bras, comme s'il allait tomber, mais il se stabilisa, blême et le souffle-court. D'un mouvement souple, il la rejoignit et elle le regarda, effaré. Elle se promit intérieurement de commencer à faire du sport une fois que toute cette histoire serait terminée.
- Est-ce qu'on doit encore monter ?
- Deux ou trois mètres, oui... Là où il y a des feuilles. Ça nous cachera le temps qu'ils passent, sinon ils pourront nous atteindre avec leurs flèches...
- Merlin...
Les mains écorchées et des branches lui griffant le visage, Lily continua son ascension. Elle eut la peur de sa vie lorsque son pied dérapa et qu'elle manqua de basculer, mais elle réussit à se rattraper in extremis.
Ils venaient juste d'atteindre le feuillage de l'arbre, en sueur et essoufflés, quand le troupeau les rattrapa. De loin, le bruit de leurs sabots avait déchiré le silence. De près, il était assourdissant. Lily sentit son corps entier vibrer et ses oreillers résonner au moment où le troupeau passa sous leur arbre, lancé à pleine allure dans un tourbillon de fourrure colorée. La terre sembla se soulever littéralement. Ils étaient une vingtaine, tous majestueux même observés à sept mètres de hauteur.
Adossée contre le tronc et le corps douloureux, Lily les contempla, fascinée, jusqu'à ce qu'ils disparaissent aussi rapidement qu'ils étaient arrivés en une chevauchée rapide. Elle en aurait presque oublié qu'elle était coincée dans un arbre à une heure pareille, transie de froid et de peur. En détournant enfin les yeux pour se tourner vers James, elle lut le même sentiment sur son visage.
- Bon sang, je suis un idiot, marmonna-t-il.
Il y eut un long silence, comme s'il s'attendait à ce que Lily dise quelque chose, qu'elle le rassure en lui affirmant qu'ils allaient s'en sortir, mais elle ne fit que le dévisager.
- Si tu attends que je te contredise, ça va être une longue nuit, répliqua-t-elle.
**
*
Si le temps avait semblé se figer pendant leur course folle, il s'étirait maintenant douloureusement, dans tous les sens du terme. James passa une main sur sa nuque raide et grimaça. Leur branche d'arbre n'était pas la plus confortable qui soit et son corps fatigué protestait à chacun de ses mouvements.
Le bruit des centaures avait continué plusieurs minutes après leur passage, comme une menace invisible tapie au creux de la forêt. Tout autour d'eux, venant de partout et nulle part à la fois, des sons étranges résonnaient et ils n'avaient pas pu se résoudre à regagner la terre ferme.
- Ca va bientôt faire une heure, soupira Lily. Tu crois qu'on peut descendre ?
- Je ne sais pas... Je n'entends plus rien, mais...
- Mais il n'y a pas que les centaures qui pourraient nous trouver...
James hocha la tête et se frotta les yeux, épuisé.
- Non, c'est vrai... Mais on ne peut pas rester ici toute la nuit, on va mourir de froid ou chuter pendant notre sommeil.
- Réjouissant.
La mine sombre de Lily lui serra le ventre. Distraitement, il tendit la main vers la sienne et elle le laissa entremêler leurs doigts entre eux alors que leurs jambes se rencontraient doucement en se balançant dans le vide.
- Je suis désolé, s'excusa-t-il sincèrement. Tu ne devrais pas être là...
- Toi non plus, objecta-t-elle. Je suis sûre que tu n'avais pas prévu de finir perché en haut d'un arbre.
- Pas vraiment...
- Et bien dans ce cas, pourquoi ne descendriez-vous pas ? Intervint une voix grave et puissante qui monta jusqu'à eux malgré la distance.
James aurait bondi de surprise s'il n'avait pas été assis sur une branche. Son cœur émit des coups sourds dans sa poitrine et il baissa les yeux en même que Lily, tremblant. Au pied de leur arbre, une main posée contre le tronc, se trouvait un centaure au pelage sombre et au buste musclé. De la hauteur où il se trouvait, James ne réussit pas à distinguer ses traits, seulement le carquois qu'il avait dans le dos et l'arc qu'il tenait le long de son corps de cheval.
- Ce sont nos terres, reprit-il. Vous n'avez rien à y faire.
- Nous... nous...
La voix de Lily l'abandonna.
- Descendez. Cet arbre n'est pas un support pour sorciers. Il faut que vous partiez au plus vite, vous ne vous êtes que trop attardés en ce lieu qui ne vous appartient pas.
- Vous nous laisseriez juste partir ? Demanda James, incrédule.
- Nous ne nous en prenons pas aux jeunes, répondit le centaure solennellement. De plus, Mars brille de clémence ce soir. Maintenant, descendez. Je ne le répèterai pas.
La gorge sèche, James croisa le regard de Lily par-dessus ses lunettes. Ils ne prirent pas le temps de réfléchir, ni d'hésiter, et entreprirent leur descente. Sans l'adrénaline qui avait saturé leurs veines une heure plus tôt, la moindre écharde était une torture pour leur peau meurtrie et James vit à plusieurs reprises les bras et les jambes de Lily se mettre à trembler lorsqu'elle contractait ses muscles pour éviter la chute. Sa queue de cheval, dont plusieurs mèches s'étaient échappées, lui battait les épaules au rythme de ses mouvements.
Dès que James posa le pied à terre, ses genoux flanchèrent et il manqua de s'écrouler, mais la présence du centaure, imposant et impérieux, lui donna la force de rester debout. Maintenant qu'il se trouvait face à face, il ne put s'empêcher de déglutir en voyant sa stature. Il lui arrivait à peine à la taille. Son visage était fier, avec des pommettes hautes, et était encadré de cheveux noirs. Il paraissait aussi sauvage que la Forêt elle-même.
- Merci, articula Lily. Merci pour votre indulgence...
- Je ne fais que suivre les étoiles, sorcière. Votre chemin est tracé dans le ciel.
- Quoi... ?
- Les planètes sont alignées au-dessus de vous, leur influence prendra du temps, mais le sort se réalisera, dit-il de sa voix grave qui transperçait littéralement l'atmosphère. Le grand sacrifice s'inscrit dans le ciel et les constellations chuchotent l'avenir... L'amour est une force au coût terrible...
Avec horreur, James entendit des paroles résonner en écho au fond de son esprit, comme si sa mémoire embrouillée refaisait surface. L'odeur des feuilles mortes s'estompa, remplacée par celle des feuilles de thé séchées et de l'encens, et les couleurs ternes de la nuit se métamorphosèrent en des voiles vaporeux chatoyants.
« Le sort inévitable qui vous emportera tel la roue implacable », « un grand sacrifice vous attend », « l'amour vous rendra fort et vous coûtera la vie », « vous l'aimerez à en mourir ».
Malgré tous ses efforts, il n'avait jamais réussi à oublier les mots d'Esméralda, la diseuse de bonne aventure sur le Chemin de Traverse.
- Je ne comprends pas... commença Lily.
- Il n'y a rien à comprendre, coupa-t-il, la voix rauque. On doit s'en aller. Le dîner doit avoir commencé, il faut qu'on retourne au château...
- Mais les autres créatures ?
Le centaure les observa longuement. Son regard d'ébène, qui paraissait sans fond et qui reflétait le ciel étoilé, pesa sur James comme le supplice d'Atlas avant qu'il ne reprenne la parole.
- Je pense, jeune sorcier, que tu sais comment rejoindre l'école.
Résigné, il acquiesça et Lily fronça les sourcils.
- Mais...
- Partez au plus vite. Immédiatement.
Sur ce dernier ordre, le centaure se cabra, projetant des gerbes de terre autour de lui, puis il s'enfonça entre les arbres et disparut, avalé par l'obscurité. James garda les yeux fixés sur le vide de longues secondes, l'esprit engourdi. Il réalisa qu'il ne connaissait même pas le nom du centaure.
Il se demanda si ce dernier avait deviné son secret, comme une sorte de sixième sens, ou s'il l'avait lu dans ses foutues étoiles, dans ses cartes astronomiques... A moins qu'il ne l'ait aperçu durant l'une de leur ballade pendant la pleine lune aux côtés du loup.
- James, qu'est-ce qu'il voulait dire ?
Nerveux, il se tourna à Lily pour lui faire face. Leurs regards s'accrochèrent.
- Tu voulais savoir pourquoi j'étais venu ici ce soir ? Souffla-t-il. Tu vas bientôt le savoir. Prête pour l'ultime secret des Maraudeurs ?
**
*
Lily avait l'impression d'être en plein rêve, ceux où les évènements s'enchaînaient sans aucune logique et où elle ne comprenait pas ce qui se déroulait sous ses yeux. Les mots énigmatiques du centaure tournaient dans son esprit sans prendre sens et cela l'agaçait au plus haut point. Et ce qui l'agaçait encore plus, c'était que James, lui, semblait ne pas partager sa perplexité.
- Est-ce que tu vas enfin m'expliquer ce qui se passe par Merlin ?
- Je... je ne sais pas par où commencer...
- James !
- C'est peut-être mieux que je te montre directement, marmonna-t-il, l'air de se parler à lui-même. Et puis je t'expliquerai après. On n'a pas le temps de rester là.
- Je ne comprends vraiment pas ce que tu...
Les mots moururent sur ses lèvres et elle s'étrangla de stupeur. Les feuilles mortes craquèrent sous ses pieds tandis qu'elle reculait, effrayée et incrédule à la fois. Elle n'eut même pas le temps de penser qu'elle hallucinait, elle était trop abasourdie. En une fraction de seconde, James avait disparu. Littéralement. Mais à la place du vide qu'il y aurait dû avoir, un cerf se dressait désormais de toute sa hauteur. Il avait une silhouette majestueuse, une ramure impressionnante et son regard... oh son regard était tellement humain.
Tremblante, Lily s'approcha avec hésitation et l'animal baissa la tête, comme une invitation. Elle approcha sa main avec lenteur, enveloppée dans une sorte de torpeur, et elle frissonna lorsque sa peau entra en contact avec le pelage du cerf.
Elle aurait pu rester ainsi à l'observer indéfiniment, fascinée, mais le chant d'un oiseau au loin la remmena sur terre. Le cerf ploya ses pattes pour être à sa hauteur et Lily inspira fortement avant de monter sur son dos, incertaine. Elle n'avait jamais vraiment fait d'équitation, et avait encore moins chevauché un cervidé, mais il fallait qu'ils partent au plus vite. Avec détermination, elle resserra ses jambes contre les flancs de l'animal, ce qui fit protester ses muscles douloureux, puis elle s'agrippa fortement à son cou. Elle espérait qu'elle ne lui faisait pas mal.
Dès qu'elle fut installée, le cerf s'élança. Un cri lui remonta dans la gorge et elle s'accrocha désespérément, le vent lui fouettant le visage. Tout se brouillait autour d'elle, les arbres défilaient en formes imprécises qui se confondaient, tel un tableau impressionniste. Le rugissement des bourrasques était le seul son qu'elle arrivait à distinguer. Elle avait l'impression de flotter, de voler, enivrée. Le cerf paraissait léviter au-dessus du sol.
Grisée par la course folle, elle n'aperçut l'orée de la forêt que quelques secondes avant qu'ils ne franchissent la lisière des arbres, presque comme s'ils crevaient la surface de l'océan et retrouvaient la lumière du monde d'en haut. Sous la lueur de la lune, qui était maintenant haute dans le ciel, le cerf semblait entouré d'un halo d'argent.
Lily se laissa glisser à terre, chancelante. Elle n'eut pas le temps de reculer pour englober une dernière fois l'animal du regard, car James se retransforma à cet instant. Ils étaient si proches qu'elle sentait son souffle court dans le creux de son cou.
- Tu es un animagus... dit-elle immédiatement, la voix fragile. Merlin...
- Lily, je te présente Cornedrue.
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*
Sans ciller, James fixa Lily et sentit son rythme cardiaque erratique s'emballer. Il vit l'instant où la compréhension de la signification de son surnom se peignit sur ses traits. Elle se contenta de rester silencieuse, pâle, et l'attente était un véritable supplice pour lui, mais il lui laissa le temps d'assimiler la révélation. Pour tenter de maîtriser le tremblement de ses mains, il les enfonça dans ses poches.
- Un animagus, répéta-t-elle, incrédule. Tu es vraiment un animagus, mon dieu... Comment... ? Comment tu as fait ?
- Le processus était assez long et compliqué, avoua-t-il. Genre, vraiment compliqué. Ça nous a pris presque trois ans.
Il repensa à la maudite feuille de mandragore qu'il avait dû garder en bouche un moins entier. Au bout de quatre tentatives, il avait enfin réussi à ne pas l'avaler en mangeant ou en dormant, mais il en avait gardé une aversion à vie pour le goût de ces feuilles. La seule fois où sa mère lui avait proposé un thé de mandragore, il avait failli envoyer la théière contre le mur, juste par pure vengeance. Il se souvenait même de la fois où Sirius avait enfin réussi à conserver la feuille dans sa bouche pendant un mois, mais qu'il avait dû tout recommencer à cause du ciel nuageux lors de cette pleine lune.
- Trois ans ? Mais... depuis quand ?
- Depuis la cinquième année.
Les yeux de Lily s'écarquillèrent.
- Tu veux dire que tu es devenu animagus à quinze ans ? Dit-elle, l'air à la fois horrifiée et impressionnée. Oh mille gorgones, James, est-ce que tu sais à quel point c'était dangereux ?
- Je m'étais renseigné avant, s'indigna-t-il. Ce n'était pas un simple coup de tête, enfin pas vraiment...
- Mais même, tu n'avais personne avec toi pour encadrer la transformation et... est-ce que tu as dit « nous » ? Réalisa-t-elle brusquement. « Ça nous a pris presque trois ans ».
James se balança sur ses talons, essayant de paraître penaud, mais un sourire se glissa sur ses lèvres.
- Je n'étais pas seul, dit-il, je ne l'ai jamais été...
- Quoi ?
- Réfléchis, Lily. Pose la bonne question.
Elle lui décocha un regard noir, comme si elle se retenait de lui mettre une gifle malgré le trouble qu'elle devait ressentir. Elle prit tout de même la peine de réfléchir une seconde avant de le dévisager en haussant un sourcil.
- Pourquoi ? Demanda-t-elle finalement. Pourquoi tu es devenu animagus... ?
- Parce que c'était la seule chose à faire, répondit-il en un battement de cœur. Parce qu'il ne devait pas supporter cette souffrance tout seul.
- De qui tu... ? Commença-t-elle. Oh...
James hocha la tête, une chaleur étrange au creux de la poitrine. Il n'avait jamais douté de sa décision, et il ne la regretterait jamais.
- Remus, murmura Lily. Tu as fait ça pour Remus... Vous avez fait ça pour lui. Peter et Sirius aussi, n'est-ce pas ? Un loup-garou ne s'en prend qu'aux humains, pas aux animaux. Il est même apaisé par la présence de certains.
- C'est ça... Mais il ne le savait pas, je veux dire il ne savait pas ce qu'on essayait de faire avant qu'on lui montre une fois qu'on avait réussi. J'essayais de trouver une nouvelle clairière pour le loup ce soir, avant que... avant que tout parte en vrille.
- Vous êtes fous, complètement fous, grommela-t-elle. Personne n'est au courant ? Vous n'êtes pas déclarés auprès du Ministère ?
- Non, c'était notre secret. Dumbledore et les profs auraient compris quelque chose sinon, on ne pouvait pas prendre le risque de trahir Remus. Tu es la seule au courant en dehors des Maraudeurs. Félicitation.
Lily porta la main à ses tempes et James se doutait qu'elle avait atteint sa limite pour la soirée. Frigorifié, il tira sur les manches de son uniforme.
- Si quelqu'un apprenait ce que vous avez fait illégalement... Vos baguettes seraient brisées, vous ne pourriez plus faire de magie, vous seriez exclus de Poudlard...
- ... et envoyés à Azkaban, compléta-t-il. Crois-moi, je sais. On le savait tous les trois, on connaissait les risques. Mais il y a certaines choses dans la vie qui en valent la peine. Remus en vaut la peine, Lily ! Il aurait fait la même chose pour chacun d'entre nous.
La conviction de James ne pouvait qu'être contagieuse et il sentit l'intensité dans sa voix balayer les derniers doutes dans les yeux de Lily. Elle était toujours inquiète, elle ne sautait pas de joie, mais elle comprenait. Il ne s'était attendu à rien d'autre de sa part. Il l'aimait pour ça.
- Je sais que ça fait beaucoup... dit-il, culpabilisant. Tout ça, l'animagus, la forêt, les centaures. Je suis désolé.
- Ne le sois pas, répliqua-t-elle en comblant la distance entre eux pour enrouler ses bras autour de lui.
Doucement, il posa son menton contre le haut de sa tête et l'enlaça à son tour. Le froid hivernal ne faisait pas le poids face à Lily Evans.
- Je ne veux pas que tu aies l'impression que tu ne peux pas tout me dire, souffla-t-elle, la voix étouffée contre son épaule. Je suis avec toi, James. Jusqu'au bout. Et ça veut dire avec Remus, Peter et Sirius aussi. Votre secret est en sécurité, je te le promets. Je te le promets.
- Je sais, murmura-t-il. Je sais. Et je t'aime,Lily. Je t'aime...
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