Tome II - Chapitre 29 : Le jeu des Parques
Chapitre XXIX : Le jeu des Parques
- Dernière chance, Lunard, lança James à travers le dortoir. T'es sûr que tu ne veux pas venir ?
- Non... Je suis fatigué et j'ai des trucs à finir. Allez-y, on se retrouve ce soir.
- « Des trucs à finir », répéta Peter. Comme un cours particulier avec Anaïs Dalen ?
Pour toute réponse, il se reçut un pull roulé en boule en pleine tête. Sirius éclata de rire, appuyé au chambranle de la porte. Il poussa James hors de la pièce et Peter les suivit en ricanant à sa blague.
- C'est fou ce que la pleine lune le rend irritable, commenta James, les mains dans les poches avant de sauter les dernières marches de l'escalier.
- Et c'est fou ce que vous êtes lents, rétorqua une voix sur leur droite.
Alexia et Lily, toutes les deux assises sur le canapé face à eux, jambes croisées, les toisaient superbement. La première avait déjà son bonnet en laine gris enfoncé sur la tête et la rousse portait sa cape verte bouteille, celle que les filles lui avaient offerte à noël.
- Rusard ne va pas attendre éternellement à l'entrée, dit Lily. Et tu m'as promis un chocolat chaud avec de la chantilly... j'attends !
Un sourire en coin étira la bouche de James et Sirius sut qu'il allait faire quelque chose. Son meilleur ami lui donna raison lorsqu'il s'approcha de Lily pour la tirer sur ses pieds en prenant ses mains dans les siennes.
- Alors qu'est-ce qu'on fait encore là ? Dépêche-toi, Evans !
- James, rit-elle.
Il la força à avancer à reculons, sans lâcher ses mains, et elle manqua de trébucher tout le long de la salle commune sous les yeux amusés des quelques élèves de premières et de deuxièmes années qui n'avaient pas le droit de se rendre à Pré-au-Lard. Comme il avançait plus vite qu'elle, Lily finit par lui monter sur les pieds et James enroula ses bras autour de sa taille pour ne pas qu'elle tombe. Il réussit à marcher tant bien que mal jusqu'au portrait de la Grosse Dame, et Sirius eu du mal à distinguer James de Lily juste avant qu'ils ne disparaissent, leur rire rebondissant en échos contre les murs.
- Bonne journée à vous aussi, lâcha Peter platement, on se retrouve bien sûr ce soir comme la bande d'amis si proche que nous sommes !
- Ah... les amoureux... Ce que ça peut être idiots.
- Tu m'abandonne aussi, Patmol.
Sirius lui posa une main sur l'épaule.
- Certes... Passe une bonne journée, Pete ! A ce soir !
Il entraîna Alexia à sa suite tandis qu'elle adressait à un dernier signe à Peter par-dessus son épaule. Son autorisation dans une main, elle se mordit la lèvre tandis qu'ils dévalaient les escaliers pour ne pas être en retard.
- T'es sûr qu'il ne va pas s'ennuyer ? Demanda-t-elle, essoufflée.
- Mais non, il se baladera le temps qu'on vienne les rejoindre aux Trois Balais. On avait prévu de passer le début d'après-midi ensemble, pas vrai ?
- Oui, oui je sais... je culpabilise juste de le laisser tout seul. Je pensais que Remus serait avec lui.
- C'est la pleine lune demain... Remus est crevé.
- Oh...
Dès qu'ils passèrent la grande porte et le concierge, Sirius ralentit en constatant que leur course dans les escaliers avait rendu la respiration d'Alexia plus haletante qu'elle n'aurait dû. Les mains enfoncées dans les poches, il l'observa à la dérobée tandis qu'ils remontaient la rue principale de Pré-au-Lard.
Les lumières des vitrines, encore allumées en ce début d'après-midi à cause du ciel plombé qui ne laissait pas passé les rayons du soleil, faisait jouer des ombres sur son visage pâle. Elle avait le bout du nez rougi par le froid et un nuage de fumée se formait à chacune de ses expirations. Il tenta de déceler quelque chose d'anormale, quelque chose qui indiquerait qu'elle n'allait pas bien, mais au bout d'une dizaine de minute, elle parut retrouver une respiration normale.
Alors que son inquiétude commençait tout juste à refluer, elle reprit la parole, les yeux fixés droit devant elle.
- Je vais bien...
- Quoi ?
- Je vais bien, affirma-t-elle, arrête de m'analyser. Tu n'es pas médicomage à ce que je sache.
Elle le disait d'un ton aussi neutre que possible, mais Sirius entendit tout de même l'agacement qui perçait derrière. Il retint la réplique qui lui montait aux lèvres, essayant de relativiser. C'était un sujet sensible pour elle et il ne voulait pas qu'ils se disputent alors qu'ils devaient passés la journée ensemble.
Il se creusa la tête pour entamer une conversation moins sensible, mais elle lui coupa encore une fois l'herbe sous le pied.
- Tu as commencé à réviser pour ton épreuve ?
- Non pas encore... avoua-t-il honnêtement. J'ai le temps, celle de Lily vient de passer.
- J'arrive toujours pas à croire qu'ils aient osé ça d'ailleurs... Je veux dire, empoisonner délibérément des élèves. On est dans une école !
- Le « vrai » Tournoi des Trois Sorciers fait bien pire, contra Sirius. Là ils ne risquaient rien.
- Rien ? Artemisia s'est effondrée, Remus avait l'air sur le point de s'évanouir et je ne parle même pas de... enfin je veux dire Bertha n'était pas... bien non plus.
Même si elle n'avait pas buté sur les mots, Sirius aurait compris ce qu'elle voulait dire à la soudaine rougeur de ses joues. Il revit Regulus, presque incapable de respirer, chanceler puis tomber à terre sous les yeux de tout le monde. Comme les autres, il était resté assis sur sa chaise et n'était pas intervenu. Lui-même ne savait pas réellement pourquoi. Il s'était imaginé se lever, aller l'aider... puis la simple idée de devoir lui parler l'avait bloqué. A une époque, parler avec son petit frère n'était pas une épreuve, il savait toujours quoi dire tout simplement parce qu'il savait comment il fonctionnait. A présent, tandis qu'il regardait Regulus de loin, il prenait conscience qu'il ne savait plus. Il ne comprenait pas le genre de personne que son frère était en train de venir, ce qu'il pensait, ce qu'il aimait... Même Marlène paraissait plus informée que lui.
- Tu peux prononcer son nom tu sais... souffla-t-il.
- Je... Je ne savais pas si tu... enfin je veux dire à cause de ta réaction pendant l'épreuve...
- Je n'ai rien fait.
Alexia lui jeta un coup d'œil en biais.
- Justement, dit-elle, c'était bizarre... Ne me dis pas que tu ne t'inquiétais pas, tu m'as pratiquement broyé la main...
- Désolé...
Elle roula des yeux.
- Je me fiche de ma main, pourquoi tu n'as pas été l'aider ?
- James... Il...
Il n'arriva pas à terminer sa phrase, la gorge sèche.
- James n'est pas toi, même si vous avez tendance à l'oublier, objecta Alexia avec raison. Le pauvre a pratiquement fait l'épreuve tout seul avec Lily. Je veux dire, t'aurais pu aller aider Artemisia ou Remus...
- Et bah t'avais qu'à y aller toi !
Il eut conscience d'avoir haussé la voix avant même qu'Alexia ne s'arrête au milieu du chemin. Elle le dévisagea, l'air stupéfaite et blessée, quelques pas derrière lui. Ils avaient dépassé Pré-au-Lard depuis une dizaine de minute et se trouvaient près de la barrière qui délimitait le terrain de la Cabane Hurlante dont la silhouette sombre se dressait dans leur dos un peu plus loin. Ils venaient souvent ici tous les deux pour s'isoler de la foule et discuter en mangeant des chocogrenouilles.
Le cœur battant, Sirius déglutit.
- Princesse...
- Va te faire voir, répliqua-t-elle. Je suis restée à la table pour toi et pour gérer les ingrédients de potions dont Lily avait besoin. Tu le sais, on l'avait tous décidé comme ça.
- Je ne voulais pas dire ça, Alex, arrête.
- Toi arrête ! Tu prétends que tout va bien avec ton frère, « tu peux prononcer son nom tu sais » ; mais dès que j'essaye d'aborder le sujet tu te braques. Parle-moi !
- Je n'ai pas envie d'en parler... Qu'est-ce que tu voudrais que je dise ? Je me suis barré, princesse. C'est terminé ! Les Black, Regulus, Square Grimmaurd ! Je ne veux pas en parler parce que j'ai décidé que c'était terminé !
- Tu ne peux pas le décider tout seul, Sirius ! Tu as entendu Marlène, Regulus a besoin...
- Regulus est un idiot ! Coupa-t-il, la poitrine serrée. Il n'a qu'à ouvrir les yeux ! Dorcas a raison sur ce point, il croit tout ce que mes parents disent comme si c'était des paroles de Merlin en personne. Je lui ai proposé de venir avec moi, il n'a pas bougé. Tu sais pourquoi ? Parce que ma mère le lui a ordonné ! Et comme d'habitude, Reg écoute. Je ne l'ai pas laissé derrière, il s'est condamné tout seul ! Il va finir chez les mangemorts sans même en avoir conscience !
La fin de sa phrase parut claquer entre eux et résonner contre les cimes des arbres. Les grands yeux bleus d'Alexia le regardèrent, étonnés. Sirius détourna la tête. Il entendit les feuilles et les brindilles craquer sous ses pieds, puis ses mains entourèrent son visage. Sa peau était glaciale contre la sienne.
- Sirius... souffla-t-elle.
- Tu crois vraiment que je n'y pense jamais ? A ce que j'aurais pu... à ce que j'aurai pu faire pour le sauver ? Je ne parle pas de l'épreuve de potion, il ne risquait rien... La vérité c'est juste que... que je ne sais pas comment faire... J'y arrive pas, Alex. J'arrive pas à lui parler sans m'énerver, sans lui jeter des horreurs à la figure parce qu'il... parce qu'il...
Sirius ne se rappelait pas avoir jamais eu autant de mal à former une phrase. Les mots l'étouffaient presque, refusant de passer ses lèvres, et il posa son front contre celui d'Alexia. Face à face, il pouvait voir tous les détails de sa peau, les nuances de bleus dans ses prunelles.
- Parce qu'il te rappelle « eux », compléta-t-elle avec douceur. Parce que tu sais que quoique tu fasses il ne te suivra pas.
- Sans doute, oui, admit-il. Et ça m'énerve tellement... Je n'arrive pas à passer à autre chose alors que je m'étais juré ce soir-là, en partant, que je brisais tous mes liens avec eux.
- C'est ton petit frère... Personne ne te le reproche...
- Lui il me le reproche... murmura-t-il.
Sirius se souvenait encore de sa dernière discussion avec Regulus. C'était l'année dernière, juste après l'attaque de Pré-au-Lard. Il était venu lui parler en une vaine tentative après l'avoir vu avec Rosier. Evidemment, Regulus s'était contenté de le repousser et de l'envoyer balader. A la lumière des mots de Marlène et de ce qu'il savait à présent, Sirius se demanda s'il avait véritablement écouté les paroles de son frère. « Qu'est-ce que tu attends de moi ? ». C'était la question qu'il lui avait demandé et Regulus avait crié, sans réfléchir alors que le ton ne cessait de monter, « Que tu sois mon frère ».
Avait-il vraiment abandonné son petit frère ? Cette question le hantait depuis bien plus longtemps qu'il ne voulait l'admettre.
Alexia le ramena à la réalité en passant son pouce contre sa joue doucement.
- Sirius, tu ne pouvais pas rester là-bas. Il le sait au fond de lui aussi. Arrête de t'en vouloir. Tu ne peux pas tout maîtriser, mais tu as fait ton choix pour toi et toi seul. Ils auraient fini par te détruire, ce n'était pas juste de rester pour lui...
- Je sais... enfin je crois que je sais...
Alexia sourit.
- Alors essaye de ne pas l'oublier.
Elle se pencha pour l'embrasser. Ses lèvres frôlèrent les siennes avant qu'elle ne recule brusquement. Surpris, Sirius manqua de trébucher et mit une seconde à comprendre ce qui se passait. Alexia s'était détournée, secouée par une quinte de toux.
- Alex ?
- Désolée... s'étrangla-t-elle. Une seconde...
Elle se tapa la poitrine deux fois, comme si ça allait l'aider à arrêter de tousser, sans succès. L'inquiétude revint immédiatement.
- Princesse, ça va ?
- Oui, oui... C'est rien...
Sirius se figea, les yeux fixés sur sa poitrine qui montait et descendait trop vite à un rythme erratique.
- T'as pris une fiole ce matin ?
- Avant de déjeuner, acquiesça Alexia. Je comprends pas...
- T'as mal quelque part ?
- Un peu... là et aux côtes...
D'une main tremblante, elle désigna son buste, au niveau du sternum entre les deux poumons. Elle se remit à tousser, une main devant la bouche, et Sirius vit clairement une lueur de panique dans son regard. Il réagit au quart de tour.
- On rentre, décréta-t-il. T'as besoin d'aller à l'infirmerie.
- Non... Ça va passer, attends...
- Je prends pas le risque. On est au milieu de nulle part, princesse. Allez viens.
Alexia parut vouloir protester avant de grimacer de douleur et elle hocha la tête. Presque comme un réflexe, sa main vint chercher la sienne, et Sirius ouvrit le chemin, écartant les branches sur leur passage.
Dans le silence qui les entourait, la respiration laborieuse d'Alexia semblait occuper tout l'espace. Il tenta de presser le pas sans pour autant accélérer, effrayé qu'un effort physique empire son état. Au bout d'une trentaine de mètres, il dû pourtant se résoudre à s'arrêter tandis qu'elle se pliait en deux et qu'elle toussait à s'en déchirer la gorge.
Sirius se crispa.
- Je devrais aller chercher de l'aide...
- Non, croassa-t-elle, me laisse pas... Je peux...marcher...
- Alex, tu peux à peine parler.
Elle secoua la tête, implorante et les larmes aux yeux. Sirius soupira.
- Transplaner alors ? Jusqu'à la grille du château ?
- Je ne sais pas... Le transplanage peut aggraver la crise...
- Il peut aussi nous faire gagner une bonne quinzaine de minute.
Alexia hésita une seconde, comme si elle pesait le pour et le contre, avant de finalement accepter en grimaçant lorsqu'une nouvelle vague de douleur lui dévora la poitrine.
- Fais vite, articula-t-elle. Ça va vite, je me sens pas bien...
- Tiens le coup, princesse. Je reste avec toi, d'accord ?
Un bras autour de sa taille, il repoussa une mèche qui s'était accrochée à son front trempé de sueur. Sirius se demanda comment elle pouvait bien avoir chaud avec ce vent glacial et il transplana, le corps d'Alexia fermement pressé contre lui.
**
*
Les doigts enroulés autour de sa tasse de thé, Marlène s'enfonça un peu plus contre le dossier de sa chaise. Impatiente, elle tapa du pied avant de jeter un énième coup d'œil à sa montre. Elle s'apprêtait à commander une part de tarte à la mélasse lorsque Dorcas poussa enfin la porte des Trois Balais, une bourrasque de vent dans son sillage. Son écharpe rouge et or lui couvrait à moitié le visage et elle mit une seconde à la repérer avant de la rejoindre, slalomant entre les clients attablés.
- Désolée pour le retard, dit-elle. Luce voulait s'acheter une plume.
- Pas de problème...
Marlène attendit que Dorcas s'installe, mal à l'aise. Ses longs cheveux bruns et épais se répandirent sur ses épaules quand elle enleva son bonnet et plusieurs garçons tournèrent la tête, comme à chaque fois que Dorcas entrait dans une pièce.
- Merci d'avoir accepté de venir...
- Il fallait bien qu'on parle à un moment. Seule à seule. Je ne voulais pas que Sirius me saute encore à la gorge ou que Lily tente de jouer les médiatrices.
- Dorcas, ils voulaient juste...
- Je sais, je sais, coupa-t-elle d'un geste de la main. Pardon, ce n'est pas ce que je voulais dire. Je voulais vraiment te voir pour qu'on s'explique, pas pour empirer la situation.
Le ton sincère de son amie la surprit. Elle s'était attendue à plus de résistance.
- Dans ce cas, on ne va pas tourner autour du chaudron. Je pense que tu me dois des excuses et des explications.
- Moi ? Je ne suis pas la seule à être en tort dans cette histoire, tu me dois tout autant des excuses.
- Pour quoi ? Avoir un ami que tu n'aimes pas ?
Dorcas haussa un sourcil.
- La répartie des Black déteint sur toi, maintenant ? Dit-elle, l'air à la fois amusé et impressionné. Mais très bien, jouons cartes sur table. Je veux bien admettre que Regulus n'est pas ma personne préférée au monde, ce n'est pas un secret. Sauf qu'il va falloir que vous compreniez tous que j'ai mes raisons.
- Lesquelles ? Tu ne lui as jamais adressé la parole, Dorcas !
- Par quoi je commence ? Son affiliation aux mangemorts, ses connaissances en magie noire ou sa façon de prendre tout le monde de haut parce qu'il est né dans une famille puissante ? Ou ses idées sur les nés-moldus et les traîtres à leur sang ?
- Je...
- N'essaye même pas de nier, continua-t-elle sans laisser l'occasion à Marlène d'intervenir. Tout ce que je dis est de notoriété publique. Enfin par tous les mages, je ne peux pas croire que tu fermes les yeux sur tout ça.
- Premièrement, tu ne peux pas prouver qu'il est associé aux mangemorts. Il est ami avec Dolohov et traîne de temps en temps avec Mulciber et Avery, ça ne fait pas de lui un mangemort. Il hésite vraiment, je te le jure, et je ferai tout pour l'empêcher de gâcher sa vie. Ses connaissances en magie noire ? Tu lui reproches quoi, là ? Son éducation ? Demande à Sirius, il connait les mêmes choses que lui. Et il ne prend pas tout le monde de haut...
- Je reviendrai sur ce que tu as dit dans une minute parce que tu es vraiment de mauvaise foi, mais passons. Qu'est-ce que tu as comme excuse pour les nés-moldus et les traitres à leur sang ?
- Je sais ce qu'il pense sur ce sujet... admit Marlène à contrecœur. Je ne suis pas d'accord, je ne cautionne pas... mais...
- Mais ? Insista Dorcas.
- Encore une fois, il a connu ça toute sa vie. James, toi, moi... On a tous eu la chance de grandir dans des familles de sangs-purs tolérantes. Pas lui.
- C'est censé m'apitoyer ?
Marlène soupira, frustrée. D'un point de vue cartésien, elle savait intérieurement que Dorcas avait en partie raison de l'accuser de mauvaise foi, mais elle se refusait à résumer Regulus à quelqu'un de semblable à Mulciber.
- C'est censé te faire comprendre. Tu ne peux pas juger une personne sans prendre en compte certains facteurs. Tu ne peux pas ignorer que tu es parfois caractérielle à cause de l'éducation que tu as reçue et le manque d'affection de tes parents.
- On ne parle pas de moi là, on parle de ton amitié avec Regulus Black. Regulus Black, répéta-t-elle en détachant chaque syllabe de son nom. Il est proche des mangemorts, sa cousine en fait sûrement partie, et ton excuse de l'éducation ne tient pas. Comme tu l'as dit toi-même, Sirius a eu la même et pourtant...
- Arrête ! Arrêtez tous de les comparer, par Merlin ! C'est votre argument à tous : « si Sirius a pu partir alors pourquoi pas lui », « Sirius est comme-ci »... Vous l'enfoncez plus qu'autre chose. Regulus n'est pas Sirius comme Sirius n'était pas Regulus. Les comparer sans arrêt n'apportera rien, je pense même que ça empire les choses... Parfois je me demande s'il ne fait pas certaines choses pour sortir de l'ombre de son frère, pour se différencier... Je...
Les yeux dans le vague, Marlène sentit sa voix s'éteindre alors qu'elle prenait conscience des mots qu'elle venait de prononcer. Elle n'y avait jamais réfléchi véritablement, mais elle eut soudain l'impression d'avoir ouvert une porte sur la psychologie compliquée des frères Black. Elle se demanda ce que Regulus lui répondrait si elle lui posait la question frontalement. Sûrement un « ça ne te regarde pas, McKinnon ».
Dorcas ne parut pas sensible à sa découverte et se contenta croiser les bras sur sa lourde poitrine, l'air peu convaincu.
- Tu sais quoi... Je pense que tu n'arriveras à me convaincre que Regulus Black mérite ton amitié et je n'arriverai pas à te convaincre d'arrêter de le voir. A quoi bon tourner en rond ?
- Là c'est suspect, dit Marlène en plissant les yeux. Tu ne lâches jamais l'affaire sans avoir eu le dernier mot... Qu'est-ce qui t'arrives ?
- Rien... Mais c'est vrai, non ? On ne se parle plus depuis une semaine et cette conversation vient de prouver qu'on ne tombera pas d'accord donc...
Seules les années à déchiffrer les humeurs de Dorcas, voire de toutes les filles dans le dortoir, indiquèrent à Marlène que quelque chose clochait. Elle fixa son amie avec attention, tentant de déceler un indice dans sa posture, et elle écarta sa tasse de thé pour se pencher par-dessus la table.
- Tu veux me parler d'un truc ? Murmura-t-elle.
- Non...
- Dorcas...
La façade bravade de Dorcas se craquela une seconde et elle baissa les yeux sur ses mains qui jouaient nerveusement avec le bord de son verre.
- Est-ce que t'as réfléchi ? Demanda-t-elle, la voix presque couverte par le bruit ambiant. A la proposition de Dumbledore ?
- J'y ai pensé, oui...
- Tu vas le faire ? Entrer dans l'Ordre ?
Marlène soupira. Nerveusement, elle se passa la main dans les cheveux, repoussant ses longues mèches blondes.
- Je ne suis pas encore sûre... Spontanément, j'aurais répondu oui... mais je n'arrête pas de penser à tout ce qui pourrait mal tourner. Ma famille, mon avenir... Le danger que ça représente...
- Luce refuse, révéla brusquement Dorcas. Elle ne veut pas le faire.
Cette fois, Marlène se figea et dévisagea son amie. Gênée, et pour la première fois depuis qu'elle la connaissait, Dorcas détourna le regard, les larmes aux yeux.
- Elle te l'a dit ?
- Mots pour mots... Elle veut devenir Langue-de-Plomb et travailler au Département des mystères, sauf que ce n'est pas conciliable avec l'implication que demande l'Ordre et de toute façon elle ne s'en sent pas capable...
- Ce n'est pas fait pour tout le monde, Dorcas, souffla Marlène avec douceur. Tu ne peux pas lui en vouloir...
- Je sais. Je pensais juste... je pensais juste que cette fois quelqu'un m'aimerait assez pour rester... Elle a dit qu'elle avait peur parce qu'elle était née-moldu, je veux bien le comprendre, mais c'est lâche ! Des gens meurent, on pourrait les sauver, les aider au moins, et elle... elle...
La voix de Dorcas se brisa.
Le cœur de Marlène se serra en voyant une larme rouler sur sa joue. Impuissante, elle se contenta de tendre son bras le long de la table et aussitôt Dorcas glissa sa main dans la sienne. Sa peau était encore froide au toucher, comme si elle n'arrivait pas à se réchauffer malgré les boules de feu ensorcelées qui flottaient au-dessus des clients.
- Elle veut sauver sa vie, dit-elle en pesant prudemment ses mots. Est-ce que c'est lâche? Peut-être, mais tout le monde n'est pas un héros. Sinon les héros seraient bien banal... tu ne crois pas ?
**
*
Regulus n'avait rien d'un héros.
Il ne savait pas ce qu'il avait poussé à accompagner Elizabeth aujourd'hui, sûrement sa mauvaise conscience, rien de noble ni d'héroïque. S'il n'était pas tombé sur elle par hasard ce matin, il ne serait pas là à faire le pied de grue devant les portes de l'infirmerie à attendre qu'elle termine son examen avec Pomfresh. Il l'avait pratiquement traîné jusqu'ici après l'avoir vu sortir des toilettes des filles, blême et tremblante à cause de ses nausées matinales. Regulus n'y connaissait rien en la matière, mais il avait assez de sens commun pour comprendre qu'elle ne pouvait pas continuer sa grossesse sans un minimum de suivi médical. Elizabeth avait protesté, terrorisée que quelqu'un l'apprenne, et Regulus avait déployé une patience surprenante pour lui rappeler que l'infirmière scolaire était tenue au secret médical.
Fatigué, il examina la fresque qui courait sur tout le mur d'en face et qui représentait les guérisseurs célèbres. Il était en train de trouver une ressemblance troublante entre Mangouste Bonham et Mulciber lorsqu'un bruit sourd résonna en échos dans le couloir.
Regulus se redressa, tendu. De façon irrationnelle, il s'attendit presque à voir Evan Rosier débarquer, et il écarquilla les yeux en voyant Sirius tourner à l'angle. Pendant une seconde, il ne comprit pas ce qu'il portait avant de réaliser avec horreur que c'était un corps. Le corps d'Alexia Cassidy, inanimée, qui pendait comme un mannequin désarticulé dans ses bras.
- Merlin...
- Ouvre la porte, lui cria Sirius. Maintenant !
Sans même réaliser qu'il se mouvait, Regulus se jeta sur la poignée de l'infirmerie. Le battant manqua de renverser Elizabeth, qui s'apprêtait de toute évidence à sortir, et elle sursauta en reculant précipitamment.
- Black, qu'est-ce que tu fiches... ?
- Pousse-toi ! Ordonna-t-il sans ménagement.
Il la repoussa d'un geste de la main au moment où Sirius s'engouffrait dans la pièce. Il tremblait presque, mais Regulus n'aurait pas su dire si c'était à cause du poids qu'il avait porté dans les étages ou à cause de la peur qu'il devait ressentir. De près, il distingua les traits blêmes de Cassidy et sa poitrine, horriblement immobile.
Vacillant, Regulus s'écarta comme s'il venait de recevoir un maléfice cuisant. Cassidy paraissait morte. Morte comme Gemma lorsqu'elle s'était effondrée sur le tapis brodé du manoir des Lestrange.
- Madame Pomfresh ! S'écria Elizabeth. On a besoin de... elle est...
La porte du bureau, situé dans le fond de la pièce derrière la rangée de lit, s'ouvrit à la volée. La moue exaspérée de l'infirmière se métamorphosa dès qu'elle engloba la scène du regard. Elle se précipita vers eux.
- Mille gorgones ! Allongez-la, tout de suite !
Sirius s'exécuta en une seconde.
- Dites-moi ce qui s'est passé.
- Elle a eu du mal à respirer quand on était à Pré-au-Lard, dit-il, la voix tremblante. Elle a pris ses fioles de potion ce matin, mais elle avait mal au thorax et ça faisait plusieurs jours qu'elle se plaignait de maux de tête... On a transplané jusqu'à Poudlard, elle s'est évanouie au niveau du premier étage...
- Je vois. Miss Yaxley, allez immédiatement prévenir le directeur, dites-lui que nous avons besoin d'un transfert à Saint-Mangouste en urgence. Dépêchez-vous !
Regulus s'écarta pour laisser Elizabeth sortir en courant et il resta figé sur place alors que l'infirmière s'agitait autour du lit.
- Comment ça Saint-Mangouste ? Qu'est-ce qu'elle a ?
- Pas maintenant, monsieur Black, laissez-moi travailler. Sortez d'ici.
- Hors de question.
- J'ai dit dehors, claqua Pomfresh. Black, faites-le sortir. Attendez dans le couloir.
Pendant une seconde, Regulus ne comprit pas qu'elle s'adressait à lui. Tous ces Black jetés à tort et à travers l'embrouillaient.
Hésitant, il attrapa son frère par le bras pour le tirer vers la porte. Il réalisa avec un certain malaise que c'était la première fois en plus d'un an qu'il le touchait, qu'ils se retrouvaient aussi proches physiquement. Sirius résista, les pieds fermement ancrés au sol, avant d'abdiquer lorsque Pomfresh commença à jeter der sortilèges en direction de la poitrine de Cassidy dont la moitié du corps se souleva du matelas, le dos arqué.
Ils sortirent de l'infirmerie sur cette image avant que le lourd battant en bois ne se referme en un bruit sourd, comme un glas irrévocable. Sirius s'affaissa contre le mur. Malgré ses cheveux noirs, décidément trop longs, qui lui retombaient devant le visage ; Regulus entrevit son air hagard et il réalisa soudainement ce qui venait de se dérouler en moins d'une minute. Alexia Cassidy était mourante à quelques mètres à peine.
Dos au mur opposé, Regulus eut brusquement l'impression qu'un espace bien plus vaste qu'un simple couloir le séparait de son frère qui gardait les yeux obstinément fixés au sol. Avec amertume, il réalisa que Sirius n'avait pas jamais parut affecté à ce point. Ni quand grand-mère Melania était morte, ni quand Andromeda avait été reniée, et encore moins le jour où il avait claqué la porte de la maison en une ultime provocation. Il affirmait souvent que les Black n'étaient pas sa véritable famille ; qu'il s'en était construit une autre, une meilleure, à Poudlard et Regulus en avait la preuve aujourd'hui. Il se demanda si Sirius réagirait aussi ainsi si c'était sa mort imminente à laquelle il faisait face... il n'osa pas poser la question.
Son cœur résonna en coups sourds à ses oreilles. L'image de son père, imposant dans son costume noir, lui revint à l'esprit en voyant les mains de Sirius se mettre à trembler. Une des premières leçons que le patriarche de la famille leur avait enseigné était qu'un Black ne devait jamais montrer ses faiblesses, ne jamais pleurer, ne jamais laisser transparaître ses émotions. Comme toutes les valeurs familiales, Sirius semblait avoir rejeté celle-ci en même temps que tout ce qui touchait de près ou de loin aux Black.
Regulus se mordit la lèvre. Il hésita un instant à partir, après tout personne ne le retenait, mais la curiosité et un sentiment qu'il refusait de nommer le forcèrent à rester là où il était.
- Elle... Qu'est-ce qu'elle a ? Cassidy ? Murmura-t-il.
Il avait peur d'hausser la voix, comme si Sirius allait exploser au moindre bruit.
- En quoi ça t'intéresse ? Rétorqua-t-il.
- Voir quelqu'un inconscient a tendance à te rendre intéressant pour les autres...
Un espèce de rire étouffé échappa à son frère. Il tourna finalement la tête et leurs regards se croisèrent enfin. Sirius sembla le jauger un long moment en silence, voire le juger, avant de soupirer.
- Elle est malade depuis ses treize ans. Une maladie chronique d'origine magique qui atteint les facultés respiratoires...
- Mais... elle se soigne... ?
- Non Reg, elle préfère souffrir le martyr et s'évanouir tous les deux jours, lâcha-t-il d'un ton lourd de sarcasme. Evidemment qu'elle se soigne, mais ça ne fait que maintenir son état stable, il n'y a pas de remède à long terme.
Le caractère funeste de ces mots pesa entre eux et Regulus observa réellement Sirius pour la première fois depuis longtemps. A force de l'éviter, de l'ignorer, il avait gardé en mémoire ce frère, encore enfant, toujours trop malin pour son propre bien... Ce frère qui n'arrivait pas à se résoudre à baisser les yeux quand leur mère le réprimandait ni à garder ses réparties provocatrices pour lui ; qui s'amusait à pousser les adultes à bout juste pour voir jusqu'où il pouvait aller ; et qui arrivait toujours à se sortir des situations compliquées par un sourire charmeur et une nonchalance insolente. Sirius, le frère à l'ombre envahissante dans laquelle il avait été plongé dès la naissance car il n'était pas le premier-né, il n'était pas l'héritier. Il n'avait toujours été que le remplaçant.
Si Sirius, avec son histoire aux airs de tragédie grecque, était le prince découronné ; Regulus, lui, était le roi sans trône ni royaume, l'éternel enfant qui aux yeux de ses parents n'avait pas l'étoffe de son frère.
Il avait appris à vivre avec. Il s'y était résolu, avait même apprécié cette position à certains moments, surtout parce que la seule personne qui ne l'avait jamais regardé comme un double imparfait de Sirius était Sirius lui-même. Fierté et malédiction à la fois... Si les autres, même ses parents, avaient tendance à le sous-estimer car il était le second fils, il avait souvent eu l'impression que Sirius attendait de lui quelque chose qu'il ne parviendrait jamais à véritablement atteindre.
Aujourd'hui, plus d'un an après sa fugue, Regulus avait la sensation que son frère avait changé. Il n'était plus le petit garçon qui défiait sa mère et rejetait les ordres de son père, il était presque adulte et il ne portait plus des siècles de tradition et d'attentes sur ses épaules.
- Je suis désolé...
Regulus ne savait pas pourquoi il s'excusait. Pour Cassidy ? Pour les Black ? Une lueur indéchiffrable s'alluma dans les yeux gris de Sirius.
- Moi aussi... dit-il. Pour ce que ça vaut, moi aussi...
Le ventre serré, Regulus veilla à garder une expression neutre, priant intérieurement pour ne pas retomber dans le silence.
- Tu crois qu'on devrait aller chercher Dumbledore ? Demanda-t-il. Il n'est toujours pas là...
- Il y a une autre entrée qui donne accès directement au bureau de Pomfresh. Il a dû passer par là pour aller plus vite.
- Ah...
Regulus ne chercha même pas à savoir comment son frère pouvait bien savoir ça.
- Qu'est-ce que tu faisais ici d'ailleurs ? Interrogea Sirius, les sourcils froncés.
- Rien...
- Quoi ? Tu voulais juste contempler l'affreux visage de Mangouste Bonham au lieu de profiter de Pré-au-Lard ?
- Non, je passais juste par-là, je...
Encore une chose que Sirius avait toujours su bien mieux faire que lui : mentir. Leurs parents lisaient sur son visage comme dans un grimoire tandis que son frère pouvait leur servir un mensonge sans ciller. Evidemment, Walburga finissait toujours par le percer à jour, ce qui augmentait encore plus son énervement.
- Tu trouves pas que Mangouste Bonham ressemble à Mulciber ? Lança brusquement Sirius.
Surpris, Regulus cligna des yeux, puis éclata de rire. Un vrai rire franc.
- Si, reconnu-t-il. Je me disais la même chose...
- De profil, c'est vraiment saisissant. Viens voir.
Sans réfléchir, il traversa le couloir pour venir s'adosser au mur à côté de son frère dont un sourire amusé s'accrochait aux lèvres. Et effectivement, le fondateur de Saint-Mangouste ressemblait encore plus à Darren Mulciber de profil.
- J'aurais dû le remarquer plus tôt...
- Sans doute... Tu vas me dire ce que tu faisais vraiment là, sinon ?
Epaule contre épaule, ils ne se regardaient pas directement et Regulus s'en trouva soulagé alors que son esprit tournait dans le vide. Il se passa une main nerveusement sur la nuque, puis opta finalement pour une demi-vérité.
- J'accompagnais Elizabeth Yaxley. Elle ne se sentait pas bien.
- Depuis quand est-ce que tu te soucies de Yaxley ?
- Depuis jamais, mentit-il, j'étais juste là c'est tout...
Il allait commencer à inventer une excuse quelconque sur des maux de ventre lorsque Sirius se figea. Pendant une seconde, Regulus crut qu'il avait entendu quelque chose sur Cassidy derrière la porte de l'infirmière avant de se rendre compte que les yeux de son frère étaient fixés sur un point précis. Son avant-bras gauche...
La manche de son avant-bras gauche qui s'était relevée avec son mouvement un instant plus tôt... Il voulut s'écarter et la rabattre pour couvrir le début de son tatouage qu'on devinait, mais Sirius fut plus rapide. D'un geste leste et ferme, il lui saisit le poignet.
- Ce n'est pas... ce n'est pas ce que tu crois...
- Ne me dis pas que tu as fait ça, souffla Sirius. Merlin, Reg...
Une panique pure parut se diffuser dans ses veines et il tenta de se dégager. Les doigts de son frère resserrèrent leur prise.
- Ils... C'est eux, pas vrai ? Père et mère ? Ils t'ont convaincu ? Obligé ?
- Lâche-moi !
- Réponds !
- Ils ne sont même pas au courant ! Pas encore... Lâche-moi !
Sirius jeta un dernier regard dégoûté à l'encre noire qui ressortait vivement sur sa peau pâle et s'exécuta. Le teint blême, Regulus recula et manqua de trébucher avant d'heurter le mur.
- C'était Bellatrix alors ? Qui d'autre... Evidemment que c'est Bella...
- Tu ne comprends pas...
- La ferme, Reg ! Bon sang, comment tu as pu... ? Qu'est-ce qui t'es passé par la tête, espace d'idiot ?!
- Je n'avais pas le choix, tu ne comprends pas...
- Pas le choix ? Répéta Sirius, cynique. Oh arrête...
- Tu ne comprends rien, asséna-t-il. Tu ne sais rien, tu n'étais pas là ! L'honneur des Black devait...
La voix de Regulus fut couverte par l'éclat de rire sinistre de Sirius.
- Quel honneur ? Ouvre les yeux, Reg, cette famille n'a rien d'honorifique ! Ils sont tous rongés par leur haine et leur folie !
- Arrête, père et mère ne sont pas comme ça, tu le sais...
- Merlin, ils t'ont vraiment lavé le cerveau ?
- Tu ne les as pas vus quand t'es parti... Mère a pleuré pendant des jours...
- Pour ça, il faudrait déjà qu'elle ait un cœur, railla Sirius avec violence.
- ... et père s'est enfermé dans son bureau, il était dévasté, continua-t-il en ignorant l'intervention. Tu n'as même pas pris la peine de donner de nouvelles, on a juste reçu une lettre d'Euphemia Potter une semaine plus tard pour nous dire que tu allais bien, on ne savait pas où tu étais ! Une lettre d'une étrangère ! Tu nous as abandonné !
- Elle m'a jeté dehors ! Elle voulait que je rejoigne les mangemorts ! Mais je ne suis pas comme toi, je ne serai pas un pion dans leur jeu. Bordel, Reg, est-ce que tu réalises ce que tu as fait ?
La gorge de Regulus se referma. Une bouffée de colère et de honte le traversa en voyant la déception qui s'étalait sur le visage de son frère. La respiration haletante, il ne broncha pas lorsque Sirius envoya un coup de poing dans le mur, frustré. Il n'avait pas dû frapper assez fort pour se faire mal, mais Regulus préférait qu'il s'en prenne aux antiques pierres plutôt qu'à lui.
- Depuis quand ? Articula Sirius. Quand est-ce que tu as... la marque... ?
Il ne répondit pas.
- C'était pendant les vacances de noël ?
- Non... Je te l'ai dit, les parents ne savent pas...
- Alors quand... ?
Sirius s'interrompit lui-même. Il pâlit si brusquement que Regulus eut peur un instant qu'il ne s'évanouisse lui aussi.
- Ne me dis pas que... Le jour où Bellatrix est venue au château...
- Sirius...
- On a appris la mort de Gemma Ackerley le lendemain. Je n'avais pas le rapprochement, je pensais que c'était pour les préparatifs du mariage avec Lestrange... Mais je me trompais, pas vrai ? La cérémonie d'initiation... ?
Regulus secoua la tête, tremblant. Il avait l'impression de perdre son frère une seconde fois, qu'il lui échappait à nouveau, cette fois sans retour en arrière. Il serra les poings.
- C'était toi ? Tu l'as tué ?
- Je...
- Regulus, réponds !
- Je n'avais pas le choix...
Il aurait pu lui raconter. Lui parler du manoir des Lestrange, celui-là même où il lui avait promis qu'il serait toujours là pour lui. Il aurait pu expliquer que le Seigneur des Ténèbres était présent, qu'il s'en serait pris à lui ou à leurs parents à la moindre erreur de sa part. Lui expliquer qu'il n'avait pas pu se résoudre à laisser Elizabeth porter ce poids pour le restant de sa vie avec un enfant à naître.
Il se tut. Sirius ne comprenait pas, il n'avait jamais compris. Peu lui importait pourquoi Regulus avait ça, ou qu'il ait sauvé ce qui restait de leur famille ; il ne voyait que la tête de mort et le serpent qui se mêlaient sur sa peau.
- T'es un idiot, Reg, murmura Sirius, les traits déformés par la colère. Et moi qui pensais... J'aurais dû me douter...
- Tu vas me dénoncer ?
Le calme de sa voix le surprit lui-même, comme s'il était soudain vidé de son énergie. Sirius le dévisagea de ses grands yeux gris, ceux qui prouvaient en dépit de tout le reste qu'il appartenait aux Black malgré ce qu'il prétendait.
- Non, dit-il, cinglant. Considère ça comme ma dernière faveur. Mais en ce qui me concerne, je n'ai plus de frère.
Qu'est-ce que ça change ? Songea Regulus. Tu n'étais déjà plus là...
- Disparais ! S'écria-t-il soudain. Allez, disparais !
L'ordre l'atteignit aussi violemment qu'une gifle. Regulus tourna les talons. Il avança dans les couloirs dans un état second, son tatouage le brûlant presque à travers le tissu de son uniforme. Le souffle bloqué, il atteignit les cachots avec difficulté et il entra dans sa salle commune sans même avoir conscience d'avoir donné le mot de passe. Livia leva la tête vers lui lorsqu'il passa devant elle, mais il ne s'arrêta pas, même en l'entendant héler son nom.
Au fond de lui, il savait que Sirius tiendrait parole. Il ne révèlerait à personne qu'il avait rejoint les rangs des mangemorts, pas tant qu'il serait encore à Poudlard. Rosier avait réussi à tenir une année sans se faire repérer grâce à un sortilège de dissimulation, il y arriverait aussi et veillerait à ne plus jamais l'oublier, même s'il devait partir précipitamment pour emmener une fille enceinte à l'infirmerie.
En montant les marches qui menaient à son dortoir, il se demanda si Cassidy allait s'en sortir, si elle irait bien... Il poussa la porte de sa chambre. Vide.
Ses genoux lâchèrent et il s'effondra. Il éclata en sanglot en poussant un cri étranglé. Il hurla à s'en briser la voix, des larmes brûlantes dévalant ses yeux et répandant un gout de sel dans sa bouche.
Le petit roi venait de récupérer définitivement la couronne d'héritier.
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