Chapitre 3

Nous sortîmes donc de l'église après la messe. Ma mère, la tête haute, et moi, regardant mes pieds en lui tenant la main. J'avais étrangement honte de m'être endormi, alors qu'objectivement, je n'avais vraiment rien fait de mal. Ma mère l'avait bien dit à tous ces gens qui nous observaient méchamment. Je n'avais absolument rien fait de mal. Et puis d'abord, en arrivant, j'avais parfaitement vu plusieurs personnes en train de dormir sur les bancs de bois pourtant peu confortables. Enfin tout cela, c'était du passé ! Maintenant, j'étais libre pour toute la journée !

Sur le chemin pour retourner à la ferme, je vis de loin Lisette et les deux faux-jumeaux, Eugène et Eugénie. Les parents de ces derniers n'avaient pas forcé leur imagination...Enfin ! Ils se taquinaient souvent entre eux et se chamaillaient presque aussi souvent, mais ils n'étaient pas méchants pour deux sous. Lisette s'amusait souvent à essayer de les départager, même si c'était généralement impossible. Ils adoraient jouer au chat et à la souris. Mais ils étaient mes amis. Et les amis, ça c'est sacré. Pour sûr.

Je courus donc vers eux après avoir lâché la main de ma mère, malgré le fait que mes pieds commençaient à vraiment me faire souffrir. Les deux jumeaux m'accueillirent joyeusement et Lisette, plus réservée et discrète, me fit un large sourire. Tous les dimanches après-midi, nous nous retrouvions pour aller jouer dans les bois à côté du village. Et ce dimanche ne faisait pas exception. Après avoir échangé un regard malicieux avec mes acolytes, nous nous mîmes à faire la course pour rejoindre les bois. J'entendais les cris de ma mère derrière moi.

« Émile reviens ici !m'appelait-elle sans pour autant me courir après, tu vas abîmer tes chaussures ! »

Mais ses appels étaient déjà loin derrière moi et je n'avais décidément pas envie de revenir en arrière.

Nous courions maintenant entre les arbres tels des feux follets dans la lande. Maman m'avait raconté qu'il fut un temps où dans un pays que je ne connaissais pas, la Bretagne, des magiciennes avaient rencontré des petits êtres de lumière. Ces êtres étaient fait de magie pure et n'obéissaient à personne. Ils étaient très farceurs et embêtaient les villageois des bourgs environnants. Les magiciennes, après de nombreuses discussions, ont réussi à conclure un pacte avec eux et depuis, ils n'apparaissent plus que pour guider les voyageurs égarés ou pour leur jouer un tour.

Nous arrivâmes bientôt à notre "campement". Campement qui était en fait simplement une sorte de tente au milieu des bois. Enfin une tente...Un drap tendu entre deux arbres, à vrai dire. Nous avions caché là, dans une malle en métal, tous nos petits trésors dans des bocaux en verre. Il y avait donc des coccinelles, des lucioles que nous avions attrapées un soir d'été et même des criquets. Nous avions également réussi à capturer des cigales dans le champ fauché de monsieur Duval durant ce même soir d'été.

Nous avions convenu de relâcher tout ce petit monde dès que la nuit tomberait. Et nous comptions bien tenir notre promesse. Mais nous avions encore toute l'après-midi pour nous occuper. Aussi nous jouâmes aux chevaliers durant plusieurs heures. Eugène et Lisette contre Eugénie et moi. Avec des épées en bois, nous imaginions des aventures folles dans lesquels des dragons nous chargeaient comme des taureaux en furie et où des royaumes entiers comptaient sur nous pour les délivrer de monstres tous plus gros les uns que les autres.

Puis, nous nous amusâmes à faire la course. Celui qui irait le plus vite aurait le droit de relâcher les cigales ce soir ! Eugénie nous battit d'ailleurs à plate couture ! Nous ne faisions pas le poids face à elle. Son poids de plume et ses jambes nerveuses nous prenaient largement de vitesse à chaque course. Et puis son endurance surpassait les nôtres, de loin. Les jumeaux étaient très fort à l'école pour ce qui était du sport. Mais le reste ne les intéressait pas beaucoup. Aussi faisaient-ils le strict nécessaire pour ne pas se faire disputer par leurs parents. Tous les deux blonds comme les blés, on aurait pu les prendre pour deux angelots...mais ça aurait été un terrible erreur. Malicieux et parfois presque mesquins, ils jouaient des tours à tout le village sans se préoccuper des conséquences. Leur dernière bêtise en date était d'avoir fait échapper tout un troupeau de vaches sur la route principale du hameau.

Lisette était d'un naturel plus introverti. Elle parlait peu, mais souriait beaucoup et suivaient les jumeaux dans toutes leurs aventures. Avec ses boucles brunes et ses yeux vairons, les gens disaient "C'est une bonne gamine à qui il est arrivé de mauvaises choses". Ayant été élevée par sa grand-mère à la suite de la mort de ses parents, Lisette s'était vu affublée du surnom de "chat noir" du village. Ses yeux vairons n'étaient pas appréciés malgré que son caractère soit toujours irréprochable. Sa mère était morte en lui donnant naissance et son père était mort à la suite d'un coup de pied d'une vache en pleine tête peu après le décès de sa femme. Suite à ce terrible accident, tout le monde avait aussitôt pris la gamine en grippe. Tout s'était calmé depuis que celle-ci était devenue mon amie. Ma famille était réputée pour venir en aide à tout ceux qui en avait besoin. Lisette était maintenant plus ou moins sous la protection de ma famille. Elle vivait toujours avec sa grand-mère, mais n'était plus inquiétée par qui que ce soit.

Nous finîmes notre après-midi sur la balançoire que mon père avait installé en bas du terrain de la ferme peu avant de partir en voyage. Je l'avais presque supplié durant trois jours pour qu'il me l'installe. Il avait finalement plié en souriant et m'avait fait promettre de ne jamais la casser. J'avais bien sûr juré sur mon honneur de petit garçon que jamais je n'abimerais le cadeau qu'il me faisait. Le lendemain, les deux jumeaux s'étaient assis dessus et avaient brisé le siège...J'étais alors rentré en pleurant auprès de ma mère et elle m'avait serré contre elle en me demandant ce qu'il m'arrivait. Lorsque je lui avais expliqué, elle avait souri en me caressant doucement les cheveux et m'avait rassuré. Mon père m'avait refait une autre balançoire le jour même en pestant vaguement contre les jumeaux.

Nous passâmes toute l'après-midi dans les bois et dans la montagne. Le soir vint excessivement vite et la nuit tomba bientôt sur nous. Nous retournâmes donc à notre "campement" et prîmes chacun les bocaux d'insectes que nous envisagions de libérer. Eugénie porta précieusement le bocal à cigales contre elle tout le long du trajet jusqu'au champ où nous comptions relâcher les bestioles. Là, à la nuit tombée, nous ouvrîmes tous ensemble les bocaux et les insectes s'envolèrent dans des vrombissements d'ailes et des gazouillements de joie. Les lucioles éclairaient nos visages d'enfant et les cigales se mirent à chanter quelques minutes après les avoir relâchées. Nous nous couchâmes dans l'herbe coupée et appréciâmes pendant plus d'une demi-heure les sensations qui nous parvenaient.

Le hululement d'une chouette nous rappela bientôt à l'ordre. Il était tard et il fallait rentrer chez nous. Nous nous mîmes donc à courir dans la forêt en souriant joyeusement. Dans la descente, Lisette s'emmêla les pieds et fit une roulade avant en réussissant à réatterrir sur ses pieds. Les cheveux en bataille, elle continuait à courir en souriant largement. Chacun se dit au revoir et retourna chez ses parents.

Lorsque je poussai la porte d'entrée de la ferme, mon grand-père maternel lisait son journal en fumant la pipe et ma grand-mère tricotait. Ma mère était en train de faire cuire la soupe en tapant du pied d'un air anxieux. Elle se retourna soudainement et me vit.

Mon veston avait perdu son unique bouton, ma chemise était un peu déchirée et tâchée à certains endroits et mon pantalon était tâché de boue jusqu'aux genoux. Quant à mes souliers en cuir...ils n'étaient déjà plus neufs du tout. Le cuir était craquelé et souillé de glaise.

« Émile !s'écria-t-elle plus de joie que d'énervement en voyant mon état et l'état de mes vêtements, où étais-tu ?

-Mais j'étais dans la forêt maman, répondis-je innocemment sans comprendre le ton inquiet de sa voix tandis qu'elle me serrait dans ses bras.

-Tu m'as fait peur tu sais ?chuchota-t-elle en me regardant pour être sûre que j'avais compris, ne me fais plus jamais ça d'accord ? »

J'acquiesçai énergiquement. Je ne voulais pas que maman s'inquiète pour moi. Celle-ci sourit et me caressa pensivement la joue. Je vis passer subrepticement dans ses yeux une peine incommensurable. Avait-elle eu si peur que ça pour moi ? Elle me relâcha pourtant délicatement et se releva pour retourner préparer la soupe. Moi, j'allai m'asseoir sur le fauteuil entre celui de mamie et de papi en attendant que le repas soit prêt. Une bonne odeur de viande bouillie et légumes cuits régnait dans la pièce...

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