Chapitre 2

Quelques jours après mon anniversaire, nous étions dimanche. Il était 8h lorsque ma mère me réveilla en me secouant doucement l'épaule.

« Il faut te réveiller mon petit chéri, chuchota-t-elle en me souriant d'un air chaleureux, nous devons aller à la messe. »

Encore endormi, je baillai et me frottai les yeux en me relevant de mon oreiller moelleux. Ma mère se redressa et se détourna pour prendre mes vêtements du dimanche qu'elle avait posé sur une chaise non loin. Je m'assis sur le bord de mon lit et la regardai approcher d'un œil peu réveillé. Elle m'enleva méthodiquement mon semblant de pyjama et se retourna pour prendre ma chemise blanche en coton. Je passai aussitôt mes bras autour de moi en claquant des dents. Qu'est-ce-qu'il pouvait faire froid le matin...Ma mère m'enfila rapidement ma chemise et me passa tout aussi vite mon pantalon en lin un peu grossier.

Une fois debout contre elle, je posai ma tête contre son ventre pour qu'elle me tienne chaud. J'aurais préféré ne pas bouger de là où j'étais plutôt que d'aller jusqu'à l'église pour écouter le prêtre...Elle récupéra sur la chaise mon veston plus élégant que ma veste en laine de mouton et s'accroupit face à moi pour me passer les bras dans les manches. Elle s'affairait à ajuster les épaules de l'habit tandis que je la regardais avec des yeux suppliants. Elle m'ignora fort joliment et me sourit en m'ébouriffant les cheveux d'une main experte avant de se relever.

« Hé voilà !s'exclama-t-elle joyeusement, tu es fin prêt !

-Mais il est trop serrééé !geignis-je aussitôt en sautillant sur place en chaussettes, et puis je peux pas bougeer !

-Arrête tes jérémiades petite fripouille !pouffa moqueusement ma mère, allez suis moi en bas. On va t'essayer tes souliers ! »

Toute fatigue oubliée, je me pressai à sa suite dans l'escalier. Tante Martine, avant de prendre son train, m'avait donné un paquet en carton. Elle m'avait bien précisé de ne l'ouvrir qu'une fois qu'elle serait partie et de lui envoyer une lettre pour me dire si la taille m'allait. Sur le moment, je n'avais pas compris ce qu'elle voulait dire. Mais lorsque j'avais ouvert son cadeau, j'avais aussitôt sauté de joie. Des souliers en cuir tout neuf ! Tante Martine tu es la meilleure ! Maman avait dû mettre des ficelles autour de mes dernières chaussures en date tellement je les avais utilisées. N'ayant pas le temps ni l'argent pour aller faire des achats en ville, j'avais donc dû me contenter de cela pendant plusieurs semaines. Heureusement que tante Martine avait remarqué que je manquais de m'emmêler les pieds dans mes semelles à chaque fois que je faisais un pas lors de mon anniversaire...

Je m'assis donc sur une chaise de la cuisine et ma mère s'agenouilla pour m'aider à faire mes lacets. Je n'étais pas particulièrement doué pour faire ceux-ci...Par contre pour faire un lance-pierre, il n'y avait pas de soucis ! Quel petit fripon...Ma mère avait vraiment beaucoup de mérite en ayant un fils comme moi. Enfin tout ce qui comptait pour moi à ce moment là, c'est qu'elle m'aide à mettre mes chaussures. Bien qu'à peine à l'étroit entre les parois de cuir, je me sentais bien dans mes souliers comme on dit.

Ma mère alla récupérer son panier d'osier où elle mettait toujours une multitude de choses tandis que je me levais de ma chaise pour faire quelques pas. Je me rendis alors compte d'à quel point du cuir neuf pouvait être désagréable. Et ce n'était encore rien avec ce qui allait suivre...

Attendant près de la porte, je vis bientôt arriver ma mère, mais je ne lui dis en aucun cas que je commençais à avoir mal aux pieds. Nous partîmes donc pour l'église après avoir fermé la ferme avec l'unique clé en notre possession. Sur le chemin, je me mis à grimacer de plus en plus. Mes souliers me faisaient souffrir à mesure que j'avançais. Ma mère, malgré qu'elle me tenait la main, ne s'était rendue compte de rien, car je faisais la moue en silence. J'avais l'impression que mes chaussures me coupaient le pied un peu plus à chaque pas...

Lorsque nous arrivâmes à l'église, je m'assis donc sur le banc en bois non sans soupirer de soulagement. Ma mère me regarda d'un air étonné et je me redressai aussitôt pour lui faire croire que j'étais simplement fatigué. Elle pencha la tête à droite d'un air peu convaincu et je baissai les yeux vers mes pieds. J'entendis ma mère soupirer à côté de moi, mais je n'allais pas lui dire que mes chaussures ne m'allaient pas. Il fallait juste que le cuir se fasse ! Rien de plus !

La messe me parut interminable. Étant petit, je pouvais m'endormir dans les bras de ma mère sans avoir de problèmes. Mais maintenant que j'étais plus âgé, il fallait que je sois attentif. Même si tout ceci ne me passionnait pas plus que ça. Je baillai une fois en faisant un peu de bruit et un vieux monsieur se tourna vers moi en me jetant un regard noir. Penaud, je me ramassai sur moi-même et me collai contre ma mère. Le vieux monsieur se détourna ensuite pour continuer d'écouter la messe. Moi, je sentis le sommeil m'assaillir à nouveau tandis que je baissais ma vigilance sans m'en rendre compte.

Un quart d'heure plus tard, je somnolais vaguement et de la bave pendait mollement de ma bouche. Toujours contre ma mère, je me mis à pencher vers l'avant de plus en plus dangereusement. Engourdie par l'attention qu'elle prêtait à la messe, ma mère ne fit pas attention. Et ce qui devait arriver arriva. Je tombai la tête la première sur le sol de l'église dans un grand bruit.

Tout le monde se retourna vivement vers moi et ma mère qui m'aidait à me relever comme elle pouvait. Le genou un peu égratigné par la pierre dure, je me redressai piteusement et dus faire face aux regards chargés de tout le village. Quelques uns paraissaient s'amuser de la situation quand d'autres me fusillaient littéralement des yeux. Ma mère, pas gênée pour deux sous, se leva pour se mettre à côté de moi.

« Cessez donc de regarder mon fils comme ça, déclara-t-elle d'une voix claire mais pas agressive pour deux sous, il n'a rien fait de mal. Retournez donc à votre messe.

-Tu devrais respecter un peu mieux le bon Dieu, femme, rétorqua un homme dans les rangs devant nous. »

Ma mère posa aussitôt ses mains sur mes oreilles pour que je n'entendes rien de ce qui allait suivre. Je réussis néanmoins à percevoir des bribes du discours qu'elle fit à la foule. Je compris donc « Dieu », « mari », « pas vos affaires » et une insulte que je ne saisis pas tout à fait bien sur le moment.

Tout le monde se retourna finalement et la messe reprit tandis que ma mère me prenait sur ses genoux après s'être rassise. Elle affichait à nouveau le même sourire qu'à mon réveil. Un sourire joyeux et léger. Un sourire que j'avais vu disparaître quelques instants plus tôt derrière un masque de rage et de peine mal contenues. J'avais rarement vu maman aussi énervée...Mais, en cet instant, je pensai simplement qu'elle avait voulu me défendre et que tout ceci était plus ou moins normal. Je ne savais encore pas grand chose du monde des Hommes.

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