Chapitre 2 ° Home
— J'aurais tellement dû accompagner ma mère, soupira Jewel, allongée sur le lit, faisant défiler les photos que sa mère venait de poster sur son profil. Ça te dit de venir avec moi la semaine prochaine ? Un petit weekend au soleil avant de rentrer dans l'hiver ?
Sinead ratura une phrase de son devoir.
— T'as pas une soirée la semaine prochaine ?
Un silence ponctué du pianotement des ongles sur un écran lui répondirent. Cela lui permit de finir son commentaire.
— Comment fais-tu pour mieux connaître mon agenda ?
— Sachant que je suis très souvent sollicitée pour t'accompagner, c'est un peu mon agenda aussi.
— Certes. D'ailleurs, si justement dit, je compte sur toi vendredi soir.
Sinead se retourna, son stylo coincé entre ses lèvres prouvant l'efficacité toute relative de son travail.
— C'est où ?
— C'est une surprise.
Elle plissa le nez.
— Tu sais que je déteste...
— Je te promets que ça va être bien.
— Comme à chaque fois.
— Il n'y aura pas de gars. Ce sera juste entre filles !
Sinead eut envie de rire devant le regard suppliant de son amie.
— Ok.
Jewel exulta. Elle se mit à parler maquillage et tenues ce qui mit fin aux tentatives de travail de Sinead. Soudain l'écran tactile de Jewel s'illumina et l'image d'un beau brun apparut dessus. Slam l'appelait. Elle s'excusa et décrocha rapidement.
— T'es là ? Ok, j'arrive.
A son air satisfait, Sinead ne put s'empêcher de la questionner.
— Qu'est-ce qui te fait sourire comme ça ?
— Je crois que je l'ai trouvé !
— L'homme de ta vie ?
Jewel leva les yeux au ciel.
— Je crois que je tiens une piste à propos du Sanctuaire.
Pour une fois, elle obtient toute l'attention de son amie. Cela faisait un moment que Jewel n'en avait plus parlé. Sinead savait bien qu'elle n'abandonnait pas les recherches, mais les rumeurs semblaient s'être tari dernièrement.
À l'origine, le Sanctuaire était une comptine commune destinée à tenir les enfants éloignés des lieux dangereux. Vers l'adolescence, cela devenait un défi de le trouver en s'aventurant dans de vieux entrepôts désaffectés ou encore en s'enfonçant dans les forêts obscures qui bordaient la cité. À part une bonne frayeur, le Sanctuaire restait introuvable. Rien n'existait à son sujet à part le bouche-à-oreille et les rumeurs parfois carrément folkloriques de petits malins. Les deux filles avaient fini par reléguer le Sanctuaire à un rêve d'adolescente un brin trop naïve.
Cela aurait dû en rester là. Et puis un soir, Jewel avait tiré Sinead de chez elle à deux heures du matin, les yeux brillants d'excitation. Elle avait rencontré quelqu'un qui était allé au Sanctuaire. Il existait vraiment. C'était un lieu immense où la fête battait son plein jour et nuit et où l'on pouvait exaucer les vœux. Ok, Jewel n'était pas sûre de la dernière partie de l'histoire, mais ça n'avait aucune importance. Le Sanctuaire existait réellement. Il fallait juste trouver un passeur pour les y emmener.
Sauf que Sinead ne fut pas aussi emballée que la brune qui y projetait le lieu de ses rêves.
— Tu es sûre ?
Jewel eut un petit haussement d'épaule.
— Pas encore. Mais pour une fois, ce n'est pas moi qui ai abordée le sujet en première.
— Tu as rencontré quelqu'un ?
Jewel la regarda comme si elle était débile et agita son écran tactile sous son nez. Les liens s'emboitèrent et Sinead ouvrit des yeux comme des soucoupes.
— Slam ? Oh, c'est pour ça que tu as lâché Viko si brusquement ?
La brune fit une petite courbette tout en rangeant ses affaires dans son sac.
— Il me faut encore un peu creuser la question, mais j'ai de bons espoirs. Slam à l'air de connaître beaucoup, elle appuya sur le mot, de monde. Avec un peu de chance, il pourra me présenter à un passeur.
La brune affichait son petit air victorieux de celle qui est à deux doigts de percer la combinaison secrète du plus gros coffre-fort. L'écran tactile clignota et un ronronnement typique d'une certaine moto raisonna dans la rue.
— Fais attention, lui ordonna Sinead.
— Toujours, capitaine !
Elle lui fit un câlin et Sinead huma le parfum floral de son amie.
— Je file, merci pour le diner. Je t'aime fort ! On se voit demain en cours.
Elle claqua une bise sur la joue de son amie et dévala l'escalier. Sinead referma la porte d'entrée et se coula jusqu'à la fenêtre de sa chambre qui donnait sur la rue. Elle poussa délicatement le rideau et observa le gars accoudé contre sa moto en train de regarder son écran. Lorsque la belle brune apparut, il se redressa et lui tendit un deuxième casque de moto. Un bon point pour Slam. La sécurité avant tout.
Était-ce encore une nouvelle fausse piste ou les efforts acharnés de Jewel allaient-ils enfin payer ? Elle en saurait plus demain. Au début, elle s'inquiétait beaucoup que son amie trouve l'accès à ce lieu mystérieux. Mais les passeurs semblaient encore plus difficiles à dénicher que le Sanctuaire lui-même. Jewel faisait preuve de patience, mais les rares anecdotes qu'elles avaient finies par arracher étaient aussi vaporeuses que la fumée de leur cigarette. Le mystère autour du Sanctuaire conservait toute son opacité.
— C'est son nouveau mec ?
Sinead se décala pour laisser assez d'espace à son frère. Celui-ci observa les deux tourtereaux s'installer sur la moto.
— Je croyais que c'était un blond la carrure d'une armoire à glace mal décongelée.
Sinead s'esclaffa face à la description caucasse du pauvre gars qu'elle avait faite. Son frère avait sa chambre juste à côté de la sienne et il n'était pas rare qu'il surprenne leur discussion. En bas, Slam n'en menait pas large avec ses cheveux presque noirs et sa dégaine de petite frappe.
— C'est un autre.
— Ça fait si longtemps qu'elle traine avec Viko ?
Elle se retourna vers son frère avec un air outré.
— Tu écoutes vraiment tout ce qu'on raconte ?
— Fermez la porte aussi.
— Ferme la tienne.
Ils suivirent des yeux le couple qui s'éloignaient dans un ronronnement subtil.
— Comment tu crois qu'il a pu se payer une machine pareille ?
— J'évite de me poser ce genre de question.
Elle ferma le rideau et partit s'asseoir en tailleur sur son lit. Son frère attrapa une boîte de jeu et s'assit en face d'elle. Il sortit un échiquier et vida les pièces en pagaille sur la couette.
— Tu n'as pas peur qu'un jour, elle tombe sur un gars dangereux ?
Sinead contempla la ligne de pions noirs disposé devant elle, parfaitement alignés. Son frère ouvrit les hostilités.
— J'ai mon droit de veto.
Léonard ricana.
— Carrément ?
— Je refuse de l'accompagner dans des soirées cheloues si c'est pour me retrouver avec des mecs dangereux.
— Je pourrais vous accompagner ? Je ferai le garde du corps.
Cette fois, ce fut au tour de Sinead de pouffer. Son frère mangea sa tour ce qui coupa net son rire.
— T'as encore une tête de bébé.
Il leva les yeux au ciel.
— J'ai 18 ans et je fais une tête de plus que toi, argua-t-il. Dans un bar ou dans une boîte, on s'en fiche de savoir si j'ai 18 ans ou 22.
Sinead contre-attaqua et réussit à manger son fou.
— C'est une question de maturité.
Léonard continua sa tactique et accula sa sœur.
— Tu ne ferais qu'attiser leur curiosité, déclara Sinead en soupirant.
Elle tenta encore quelques passes avant de devoir s'avouer vaincu.
— C'est ma cinquième victoire de la semaine, tu dors ?
Un sourire en coin, sa sœur lui lança un pion à la figure qu'il rattrapa au vol.
— Si tu veux, on joue aux dames ou attend, pourquoi pas...
Léonard toussota.
— J'avais pas vu l'heure, j'ai des potes qui m'attendent en ligne.
Il bondit du lit sans demander son reste et esquiva de peu une attaque de coussin.
— C'est toujours moi qui range ! grogna-t-elle.
Elle leva les yeux au ciel, mais garda son sourire aux lèvres tout en allant récupérer la balle perdue. Elle se fit la remarque qu'elle ne risquait pas de gagner de si tôt. Elle avait toujours joué pour s'amuser. Ses coups aléatoires lui avaient permis de déstabiliser son frère pendant un temps. Maintenant qu'il connaissait ses habitudes de jeu, il était capable d'adapter les combinaisons classiques à ses passes risqués. Sinead s'en fichait de perdre. Son objectif était de le surprendre et de l'entendre râler sur ses techniques de jeu complètement barbares et non règlementaire. Les meilleures parties se finissaient avec elle plier de rire alors que son frère se démenait pour achever son roi fou qui traversait le terrain comme s'il était invincible.
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