Chapitre 28

MAYA


Une odeur de brûlé me tire de mon sommeil.

Encore un coup de Kowalski...

Du moins, je l'espère. Cette nuit, il a squatté mon canapé. J'aurais pu lui autoriser l'accès à mon lit, mais je lui ai déjà accordé celui à mon corps et c'est amplement suffisant. Par principe, je préfèrerais qu'il soit toujours là, ça me donnerait l'impression de lui avoir été aussi utile qu'un mouchoir usagé, sinon. Je sors de ma chambre et rejoins la cuisine.

— Enfin levée ? s'écrie-t-il auprès des fourneaux. J'ai fait comme chez moi, hein.

À ma grande surprise, je ne trouve rien à y redire. Rien que de voir ses bras dans lesquels mes ongles se sont enfoncés, je sens mon ventre s'électriser. Tout me ramène à cette nuit. Ses yeux bleus nimbés de désir. Sa voix que j'ai entendue s'aggraver quand il gémissait au creux de mon oreille. Son corps. Son souffle haletant.

— Quelle heure il est ?

— Un peu plus de midi, m'informe-t-il.

Merde.

— Ah, je déteste me réveiller aussi tard, râlé-je en m'asseyant sur le tabouret de l'îlot.

— Faut croire que t'avais besoin de dormir.

— Hm.

— De rien pour les endorphines.

J'oriente mes yeux sur son sourire lubrique.

— Tu commences ? Dès le réveil ?

Il lève ses mains en l'air – dont l'une détient une spatule en bois recouverte de pâte.

— Y a pas d'heure pour évoquer les bienfaits d'un bon orgasme, se défend-il. Les tiens ont résonné jusqu'à Cumières-le-Vieux.

Les coudes sur le comptoir, je me masse les tempes. Qu'est-ce qu'il m'a pris, au juste ? Je connais assez Kowalski pour savoir qu'il se jouera de cette situation, mais ça ne m'a pas empêchée de me jeter dans ses bras. Ça valait le coup, je dois l'admettre.

— T'as sérieusement préparé des crêpes ? demandé-je en avisant l'assiette qu'il garnit.

— C'est mes crêpes d'after sex. J'avais faim et tes placards sont vides.

— Elles sont cramées, tes crêpes d'after sex.

Il éteint les boutons de ma plaque à induction et ouvre un pot de confiture.

— Ouais, en hommage à notre soirée. On a incendié ton tapis, alors je carbonise le petit-déj.

Il étouffe un rire devant mon air perplexe.

­— Je suis juste un piètre cuisinier, en fait.

— T'avais même pas besoin de le préciser, raillé-je.

En revanche, ça ne m'empêche pas de me servir et de dévorer ses petites préparations. Après quoi, je me lève et me dirige vers la commode pour récupérer mon téléphone qui n'a pas bougé de la nuit.

— Plus de batterie, soupiré-je en m'empressant de le brancher.

J'entends Noah faire la vaisselle et débarrasser le comptoir.

— Il a dû continuer de filmer, dit-il. Remercie-moi, d'ailleurs, t'étais pas loin d'avoir une vidéo de nos performances dans ta galerie.

­— Quel dommage. Moi qui comptais me préparer une projection privée pour revisionner ce chef-d'œuvre.

— T'as au moins le son. Envoie-le à Rayan, il peut nous en faire un remix.

Pour qu'il ne surprenne pas mon amusement, je lui tourne le dos et entreprends de ranger le salon. Je plie le plaid qui lui a servi de couverture pour la nuit et repositionne les coussins. Noah me rejoint, une expression triomphante sur le visage.

— Fanfaronne pas trop, lâché-je.

— Quoi ?

— Tu crois que je vois pas clair dans ton petit jeu ? Et tu fais trop le malin pour un type qui osait pas me regarder dans les yeux, y a pas si longtemps.

— Ça, c'est parce que j'ai toujours eu peur du vide.

Il s'écroule dans le fauteuil et lâche un rire franc en apercevant mes sourcils froncés.

— Je rigole, me fusille pas du regard comme ça. Tu me fais peur.

— Rigole bien, ouais. Ce qui s'est passé cette nuit, tu oublies. J'avais besoin d'affection et de...

— Whouaaa, l'excuse du besoin d'affection. T'es forte.

— ... et d'endorphines, tu l'as dit toi-même. Merci pour ça, je suis reposée.

Penché en avant, les mains nouées entre ses cuisses, Noah m'adresse un sourire arrogant.

— T'as encore une petite mine, fait-il mine de s'inquiéter.

— Je suis requinquée.

— J'étais si mauvais que ça ?

Pas du tout.

Et il est là, le problème.

J'ignore si notre animosité y est pour quelque chose, ni même si elle est toujours d'actualité de son côté, mais j'ai rarement ressenti une telle tension avec quelqu'un. J'y ai cédé comme une débutante. Pour ma défense, Noah est très persuasif.

Ses coups de rein, surtout.

Mais ses rictus me donnent envie de le calmer avec une clé de bras. Pour fuir ses yeux scrutateurs, je me dirige d'un pas décidé vers le couloir. Il me suit jusque dans ma chambre.

— C'est même pas la question, soufflé-je. Pourquoi tu t'inquiètes de ça ? C'était très bien. Maintenant on peut reprendre notre relation conflictuelle et chiante à mourir.

J'ouvre les rideaux et la fenêtre. Bras croisés, Noah s'adosse au mur.

— Je m'inquiète pas, je voulais juste t'entendre dire que c'était très bien.

Un jour, ce type se fera dévorer par son culot. Je coince ma main sur ma hanche et l'affronte, adoptant la même attitude désinvolte.

— Grâce à moi, déclaré-je, le menton haussé. J'ai été incroyable.

— Jamais dit le contraire.

— Donc je comprends que tu en redemandes, mais toutes les bonnes choses ont une fin. Ravie de t'avoir offert de beaux souvenirs que tu pourras te remémorer pendant tes grands moments de solitude. C'est pour moi, c'est cadeau.

Je tapote son épaule et il observe ce geste d'un regard en biais.

— Elle t'empêche pas de respirer ? lance-t-il.

— De quoi ?

— La modestie qui t'étouffe.

D'un pas, Noah me fait reculer.

— Moi, j'ai été incroyable, rectifie-t-il, l'index pointé sur lui. Parfaite synchronicité du rythme, variation dans la mobilité du bassin, bonne amplitude. Cardio au top. J'ai même marqué les à-coups sur la musique. Franchement, belle perf'.

Je cille devant cette analyse beaucoup trop détaillée.

— Tu viens de griller tes derniers espoirs, annoncé-je en faisant volte-face.

Noah me talonne pendant que je me rends dans la salle de bain.

— Ça va, on peut plus plaisanter, alors ? Je dis seulement qu'on a été assez complémentaires. Tiens, comme dans nos chorés ! On devrait s'accorder d'autres danses. Pour le bien de notre duo et la cohésion d'équipe, c'est tout.

Je mets ma brosse à dents dans ma bouche pour m'empêcher de répondre. Il y met tellement d'assurance que je serais capable d'accepter. Juste pour me perdre encore un peu dans ses bras, oublier mes tourments dans la mélodie de ses soupirs. Et ressentir une nouvelle fois nos cœurs craquelés battre l'un contre l'autre.

Ça, oui. Surtout ça.

Pour la première fois depuis une éternité, j'ai eu le sentiment de m'abandonner aux pieds d'une âme aussi éprouvée que la mienne. Quoique j'en dise, cette étreinte-là, j'en ai eu besoin au bon moment.

Mais il ne faut pas.

Tous les danseurs pourront le confirmer ; avoir des relations sexuelles avec son partenaire, c'est banni. Et destiné à mal finir. En outre, cet imbécile est beaucoup trop insupportable.

J'entreprends de me maquiller et Noah se place derrière moi.

— T'entends ce que je te dis ?

— Assez peu, avoué-je en appliquant une couche de gloss.

Je presse mes lèvres entre elles et abandonne mon tube dans ma trousse. Contre toute attente, Noah pousse un rire franc. J'aime la façon dont son sourire grimpe dans ses yeux clairs. Les bras contre le rebord de l'évier, il se penche vers le miroir par lequel il me scrute.

— Refus de ta part, je note, déclare-t-il. Je m'arrête là, j'insiste pas, je suis pas un putain de forceur.

— Merveilleux.

­— Comme tu dis.

— C'est pas un simple refus, ajouté-je.

Il se redresse, interloqué, et je le contourne pour brancher mon boucleur. Après le bip, je commence à onduler mes cheveux sur les longueurs.

— C'est une mise en garde, précisé-je sans détacher mon attention de mon reflet. Pour le bien du spectacle, je suis pas sûre que coucher avec son partenaire soit la meilleure idée du siècle. On doit restés focus sur le projet du JAX.

— Hm, hm.

— De base, on se déteste en plus.

— De base, ouais.

Je remarque son rictus s'élargir à mesure que je tente de me persuader. Pourtant, je sais que je suis dans le vrai. Il y a trop de mauvais signaux et d'emmerdes à venir que je m'efforce de nous épargner. C'est mieux pour tout le monde.

— C'est impressionnant quand même, lâche-t-il.

— De ?

— Toujours vouloir faire passer le pro avant tout. En dépit de tes envies.

Un rire insonore m'aide à garder la face. Loin d'être dupe, Noah souffle du nez.

— Mais t'as raison, admet-il. C'était pas une bonne idée, au fond.

Cette phrase assomme mon égo. Je ne suis qu'une chieuse, une contradiction ambulante, et je comprends bien mieux ce qu'il pouvait autant détester chez moi. Tout se désordonne dans ma tête. Je n'ai plus aucune idée de ce que je veux, de ce que je suis et ce dont j'ai besoin. La voilà, ma vérité.

Ma charge de travail m'a perdue en route et m'a désorientée. Je suis arrivée au bout du long chemin tracé par mon déni et la réalité me semble tout à coup bien trop immense.

Insurmontable.

J'ai l'impression que Noah a jeté une poignée de sel sur mes plaies ouvertes. Malgré lui. En m'autorisant seulement à lâcher prise.

Je fais abstraction de mon cœur qui se serre et m'asperge d'un peu de parfum.

— Tu vas où, apprêtée comme ça ? s'enquiert Noah qui, étonnamment, n'a pas bronché malgré les effluves de pêche.

— J'ai un shooting pro dans deux heures.

Il ne répond rien, mais je ressens le besoin de me justifier :

­— Pour une marque de bottines de heels. J'ai un contrat avec eux.

­— Ça te plaît ?

— Ouais, l'équipe est cool et les chaussures sont quali. Je n'accepte que les bons partenariats, de toute façon.

Une montagne de mails et un rendez-vous professionnel m'attendent, mais je rêverais de passer le reste de la journée dans mon lit. Voilà ce qu'il se passe quand on est sur tous les fronts. Ce serait sans doute plus simple, mais je refuse de travailler avec un agent. Je préfère choisir les marques avec qui collaborer et mon emploi du temps. La charge de travail est immense, mais j'ai mon libre arbitre.

Les mains dans les poches, Noah s'éloigne vers le seuil de la porte.

— Je te laisse, alors. Bon shooting.

Je l'interpelle avant qu'il ne s'échappe :

— On se retrouve demain au Velvet. Faut qu'on répète un peu avant le show et Rayan aura sans doute besoin d'un coup de main pour aménager le bar.

Il hoche la tête pour toute réponse et disparaît de la salle de bain. Un claquement de porte m'informe qu'il a quitté l'appartement. Je soupire. J'ai à la fois la sensation de reprendre mon souffle et d'avoir le ventre noué.

Peu importe si ce qu'il m'a offert cette nuit était par intérêt. Peu importe même ce qu'il se trame dans son esprit désormais. Rien ne saurait dompter le tonnerre qui gronde dans mon cœur un peu plus chaque jour.

Ni Noah, ni la danse, ni l'été qui s'égrène.

Et ce soir, quand le jour s'éclipsera, quand la nuit s'apprêtera à lui faire de l'ombre, je me déroberai avec le soleil. J'en ai trop besoin. 



————————

Hey, you ✨ On se retrouve aujourd'hui au lendemain de leur nuit enflammée avec un chapitre un peu plus court que d'habitude. Maya a les pensées en vrac, bichette. Petit conseil : accrochez-vous, vous êtes pas au bout de vos surprises avec ces deux-là, héhé. Comme d'hab, hésite pas à me donner ton avis et à mettre un petit vote si tu apprécies le chapitre 💛

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top