Chapitre 25

MAYA

Kowalski m'a offert son solo. Bien sûr, ça l'arrangerait bien et ce n'est pas une faveur à proprement parler, mais c'est à moi qu'il a pensé. À vrai dire, je crois qu'il a surtout agi par loyauté envers son pote. J'aurais pu refuser ce cadeau empoisonné pour m'éviter une humiliation, mais je l'ai finalement reçu comme une opportunité.

J'ai improvisé devant le public, tâchant au mieux de les divertir sans que personne ne décèle la pointe de panique qui me faisait trembler. Même Elvira n'y a vu que du feu, elle qui a pourtant analysé chacun de nos passages sur scène avec la plus grande attention. Nous avons ensuite enchaîné avec la danse finale, avant de libérer la scène au premier artiste de la programmation – un DJ qui a manifestement abusé de pas mal de substances.

Dans les coulisses, je reprends mon souffle.

— Vous m'avez régalée ! s'enjoue Elvira en nous frappant dans la main. Les gens étaient survoltés, bordel, j'oublierai jamais cette soirée. On l'a fait ! Pour Nico, pour nous tous.

La tête en arrière, je sautille sur place, encore agitée par mon énergie et mes émotions qui retombent petit à petit.

— Quelqu'un a des nouvelles des gars ? reprend-elle.

Un haussement d'épaules collectif lui répond. J'accroche ma pochette en bandoulière sur mon épaule et en ressors mon téléphone.


@justmaya

Ça va de votre côté ?


@noah.kowalski

Yes. Arthur passe des examens. On attend que sa copine arrive.


Je m'apprête à ranger mon portable dans mon sac, mais un nouveau message me surprend.


@noah.kowalski

Alors, ce solo ?





@justmaya

Un jeu d'enfant. J'te raconterai, c'était un bon challenge.


@noah.kowalski

Ton tel bugge ? J'ai pas reçu ton message qui me dit « merci ».


@justmaya

Je capte plus, c'est pour ça.


Pour réponse, je reçois un emoji doigt d'honneur. Je tapote à toute vitesse sur mon écran.


@justmaya

C'est tout ? J'ai eu l'espoir que tu sois pertinent. Déçue, mais pas surprise.

Tu m'as habituée à mieux pourtant.


@noah.kowalski

J'ai plus d'inspi. Tu me stimules pas assez.


Je me pince les lèvres pour les empêcher d'esquisser un sourire lubrique.





@justmaya

Tu reviens quand ? Que je remédie à ça.



@noah.kowalski

On parle toujours de stimuler mon inspi, là ?


@justmaya

Ouais. T'as l'air d'avoir perdu ta repartie. C'est la seule

chose chez toi qui méritait un peu mon respect.


@noah.kowalski

Je te prends en stage si besoin.


@justmaya

Alors que l'élève surpasse le maître ? Quel intérêt ?


Je range mon téléphone quand les autres danseurs sortent des coulisses. Talonnée par Elvira, je les suis et regagne l'air extérieur. L'ambiance est encore plus phénoménale ici. Les jeux de lumière se reflètent dans le ciel étoilé, la musique électro pulse dans le sol et fait tressauter mon cœur.

Sans plus attendre, je suis les danseurs jusque dans la foule. Autant profiter de notre accès gratuit et s'amuser un peu. Quelques têtes se retournent à notre passage, mais je ne m'y attarde pas. Soit certains m'ont reconnue, soit on attire l'attention uniquement parce qu'Elvira hurle son engouement à pleins poumons. Je danse, dégaine mon téléphone pour filmer la scène et le grand écran qui diffuse des images psychédéliques. Soudain, un bras me tire vers l'arrière.

—Justmaya ? Putain de merde, j'adore ce que tu fais !

Je cligne des paupières pour distinguer le visage bombardé par les stroboscopes. Un inconnu, un jeune homme aux yeux exorbités, me secoue les épaules.

— Salut ! Tu t'appelles comment ?

— Je t'ai vue danser ! s'écrie-t-il auprès de mon oreille. On peut faire une story ? Mes abonnés vont pas en revenir !

Il ne me laisse même pas le temps d'articuler quoi que ce soit et plaque presque son écran sur mon visage.

— Regardez, je suis avec Maya ! Je suis venu pour un festival et elle était là. J'y crois pas !

Le bras tendu, il tourne son téléphone autour de moi dans de larges mouvements que j'ai du mal à suivre. Mon sourire se crispe, mais je m'efforce de faire bonne figure. Ce genre de rencontres un poil envahissantes arrivent parfois. Les gens oublient que nous ne sommes que des humains. Nous voir au quotidien à travers les réseaux sociaux leur donne l'impression de nous connaître personnellement. Alors, quand ils nous rencontrent, c'est comme s'ils s'attendaient à ce qu'on leur soit recevables. À leur disposition, en dépit de nos émotions. Si je m'y suis faite, j'admets que ça me met encore mal à l'aise. Et que je n'ose jamais poser certaines limites.

Ça ne part pas d'une mauvaise intention, après tout...

Enfin, l'inconnu range son portable dans sa poche.

— Tu pourrais me republier dans ta story quand je posterai la mienne ? me demande-t-il. Moi aussi, je fais du contenu sur les réseaux. Tu m'as peut-être vu passer ?

— Ça me dit rien... Mais c'est génial. Tu proposes quel genre de contenu ?

Quoi que je prononce, ce gars ne prend pas la peine de m'écouter.

— Je t'imaginais plus grande ! continue-t-il. T'es trop belle, j'aime trop ta tenue.

— Merci, c'est gentil.

Sans prévenir, il me prend dans les bras. Aucune notion du consentement, donc. La stupeur me fait lâcher un rire idiot. Je me crispe contre son torse et lui tapote le dos. Non pas que les gestes d'affection me dérangent, mais j'apprécierais qu'on me les propose au lieu de me les imposer.

— Doucement, doucement, soufflé-je. Laisse-moi respirer.

Il cesse de me dodeliner et s'écarte de moi, les mains toujours sur mes épaules.

— Pardon, je suis excessif, mais je suis trop content.

— Je comprends bien, mais je...

— C'est qui, ça ? Tes potes ?

Je fronce les sourcils et pivote pour suivre la direction que son index indique. Juste derrière moi, Rayan, Baptiste et Noah nous observent.

— Ça va ? me demande Noah, les yeux pourtant figés sur l'inconnu.

— Très bien. J'allais expliquer à ce jeune homme que je cherchais mes amis et vous voilà.

Mon abonné se gratte l'arrière du crâne, gêné.

— J'y vais alors... Je voulais juste parler avec toi, c'était...

— Parler ou lui sauter dessus ?

— Kowalski, râlé-je. T'occupes pas de ça.

Les traits étonnamment moins durs, Noah s'avance vers le jeune et lui empoigne l'épaule.

— Je te dis ça gentiment, mec... T'es content de la voir, je comprends, moi aussi je serais comme un dingue si je rencontrais LeBron James, mais y a des limites. On force pas les gens à des contacts physiques. C'était pas méchant, mais tu vois... C'est pas un jouet.

Je lève les yeux au ciel devant la comparaison avec une star du basketball américain. Les bras croisés, je détourne le regard, gênée par cette discussion que j'aurais dû gérer seule.

— Ouais, mais j'étais trop heureux de...

— Bien sûr ! Elle aussi, elle est heureuse de te voir. C'est génial que tu viennes lui parler, mais elle est humaine. Faut respecter les limites de chacun, tu comprends ?

Ils continuent de parler sereinement jusqu'à ce que mon abonné me présente ses excuses et retourne faire la fête. Rayan et Baptiste ne tardent pas à faire en autant et rejoignent les autres danseurs un peu plus loin, me laissant seule face à Noah.

­— Merci pour cette intervention héroïque, mais je suis une grande fille. C'était juste un mec sans doute défoncé et excessif, pas de quoi en faire un plat.

J'ignore pourquoi je minimise. Aussitôt, Noah pousse un rire perplexe.

— Donc faut endurer et faire comme si ce genre de comportements posait pas de problème ? Notoriété ou non, je vois pas ce que ça change, t'es pas leur chose. Et ça va, j'ai mis les formes avec lui.

— Donc tu viens à ma rescousse. Parce que je ne suis qu'une pauvre femme sans défense. Tellement misogyne cette façon de penser.

Ses sourcils froncés m'indiquent qu'il n'avait pas vu la situation sous cet angle. Je croise les bras, sur la défensive.

— Rien à voir. Ça aurait été toi, Rayan, Baptiste ou n'importe qui, j'aurais pas su fermer ma bouche. Je suis intervenu parce que je sais que tu tiens à ta réputation, et je le comprends, mais ça te retient de les recadrer, du coup. T'as peur d'être au cœur d'un scandale parce que t'auras osé dire merde. Moi, j'en ai rien à foutre de ça. Voilà pourquoi je lui ai parlé et pas parce que t'es une femme. En temps normal, et sans ta notoriété, tu te serais offusquée pour moins que ça. Je commence à te connaître.

Mes épaules s'affaissent. En effet, considéré comme ça, je saisis mieux sa démarche, même si elle était maladroite.

— Te sens pas redevable auprès de ces gens au point d'accepter d'être traitée comme une bête de foire, ajoute-t-il.

— Nan, c'est pas le cas. Essaye de comprendre que c'est mon métier et que ça fait partie du jeu. Je peux pas me permettre de renvoyer chier les gens qui me soutiennent. Je dois avoir un minimum de savoir-être, c'est comme ça. Rien ne m'empêche de l'expliquer cordialement sur mes réseaux, mais y a des façons de faire.

— Je comprends. De loin, j'ai cru voir à ton visage tendu que t'étais mal à l'aise. Si tu me dis qu'il n'y a pas de galère, alors tant mieux.

Un profond soupir et un haussement d'épaules lui répondent – et le remercient aussi, d'une certaine façon. J'ai bon espoir que Noah finisse par saisir les enjeux de mon travail.

— Comment va Arthur ?

— Luxation de la rotule, m'informe-t-il. Il va être immobilisé pendant un petit moment, mais ça va, plus de peur que de mal.

— Pourquoi t'as tant tenu à l'accompagner ?

Instinctivement, je m'éloigne de la foule et me mets à marcher. Noah me suit, les mains toujours dans les poches, l'air pensif.

— Me fais pas croire que tu l'as fait de gaîté de cœur pour m'offrir ton solo, enchaîné-je. Les gars auraient pu gérer et le conduire à l'hosto sans toi. On avait déjà trois danseurs en moins.

Je baisse la tête vers mes baskets qui s'enfoncent dans la pelouse en rythme avec celles de Noah.

— Je me sentais coupable, avoue-t-il simplement. Il m'a pas écouté, mais j'aurais dû insister encore plus pour qu'il ne danse pas ce soir, il avait déjà mal.

— Il s'est blessé tout seul. T'es pas responsable de la connerie des autres.

Je sens le poids de son regard sur ma joue droite. Sans arrêter de marcher, j'affronte son sourire entendu.

— Je sais, dit-il. Mais ça m'empêche pas de douter. On est tous des paradoxes, nan ?

Touchée.

Cette discussion me ramène à notre précédente. Comme quoi... À force de gratter le vernis, je commence à entrevoir quelques points en commun.

Nous continuons de longer la foule. Plus nous nous rapprochons de la scène et plus la musique devient assourdissante. Je suis prête à parier que Rayan vit son meilleur moment, à savourer de la bonne musique électro, en compagnie d'Elvira et des autres.

— On va où, au juste ? intervient Noah en s'immobilisant.

— Je sais pas, tu voulais pas boire un truc ?

Je balaye le public du regard en bougeant mon corps en rythme avec le remix d'une chanson latine. Le gloussement de Noah m'oblige à reporter mon attention sur lui.

— J'ai pas soif, tranche-t-il.

— Dans ce cas, on va danser avec les autres ? Avec un son latino comme ça, c'est l'occasion de dérouiller ses hanches avec une bonne salsa.

Je joins le geste à la parole. Dubitatif, il m'observe pendant que j'ondule mon corps.

— Depuis quand tu maîtrises les danses latines ?

— Qui a dit que je les maîtrisais ? rétorqué-je sans interrompre mes mouvements.

— Bah, y a des preuves qui t'accablent, là, s'amuse-t-il en désignant mon bassin.

— Et toi ?

— Quoi, moi ?

L'effervescence de ce festival me monte plus à la tête que n'importe quelle Tequila Sunrise. Raison pour laquelle je tire sur le poignet de Noah pour le rapprocher de moi.

— Tu les maîtrises ?

Automatiquement, son bras encercle le bas de mon dos, tandis que sa main libre attrape la mienne. Mes yeux s'attardent sur ses lèvres qui m'offrent un sourire défiant.

— À toi de me dire, répond-il.

Ses prunelles crépitent du même feu qui me crispe le ventre. Je reconnais son esprit joueur, j'ai le même et je raffole le lui provoquer. J'ignore ce qui nous pousse à nous chercher autant, mais chaque fois, je me sens différente dans le reflet de ses yeux. Quand il a ce type de regards, j'en viens à espérer qu'il ne les adresse qu'à moi. Par égo. Encore lui. À moins que ça m'arrange de toujours le porter pour responsable.

J'aime me sentir désirable et j'en joue. Avec Noah, la tâche devient de plus en plus facile. J'ai longtemps cru qu'il se laissait séduire pour le bien de nos chorégraphies. Comme un personnage, un simple rôle. Mais des détails le trahissent. Sauf si mon imagination devient trop débordante et que je projette en lui ce que j'aimerais lui déclencher.

Le bras autour de ses épaules et mon autre main scellée à la sienne, je laisse mes hanches chalouper contre lui. Nos corps dansent l'un contre l'autre, nos cuisses s'imbriquent, me permettant de sentir la chaleur de sa peau sur la mienne.

— Ton solo, tu me raconteras ? murmure-t-il.

— Pourquoi tu parles au futur ?

— Tant que tu serpentes, je peux pas tenir de conversation sensée.

Le revoilà qui remet ça avec cette histoire. Je souffle du nez et élève le menton pour capter son regard.

— Je te montrerai les vidéos de mes abonnés, c'était génial.

— Encore mieux que notre duo ? cille-t-il, la tête penchée.

— Disons qu'en étant seule, je suis sûre que mes conseils sont appliqués.

Il plonge ses yeux dans les miens.

— Jusqu'à preuve du contraire, là je te regarde.

Il appuie tellement la fin de sa phrase que je sens ma poitrine s'élever par le souffle que je retiens. Cette nouvelle nuance embrase quelque chose à l'intérieur de moi. Notre proximité est inédite, parce qu'elle n'a pas lieu d'être. Cette fois, nous ne répétons rien.

Je m'apprête à abandonner ce jeu trop ambitieux, mais Noah revient à la charge :

— Alors, c'est qui qui a perdu sa repartie, maintenant ?

Son sourire provocateur envoie valser les pions que j'avais apposés. La partie se retourne contre moi et si, jusqu'à maintenant, je pensais avoir l'avantage, désormais je n'en suis plus si sûre. Mes émotions échappent à mon contrôle.

Tant mieux...

J'ignore lequel de nous craque le premier. Toujours est-il que nos bouches se plaquent l'une contre l'autre dans un geste simultanéité. Cette fois encore, on est sur la même longueur d'onde. Mon bras relâche ses épaules et ma main s'échoue aux creux de son cou. Là, je sens les battements accélérés de son cœur. Noah maintient mon visage, sa paume son mon oreille. Ses lèvres chaudes jouent avec les miennes, sa langue s'immisce dans ce baiser pour y imprimer des vagues lentes qui m'électrisent.

Qu'est-ce qu'il s'est passé dans son cerveau pour qu'il m'embrasse avec autant d'envie ? À moins qu'il ne me rende la monnaie de ma pièce, après toutes mes provocations impayées. Tout me va, tant qu'il continue.

— On devrait... retourner... avec les autres, articule-t-il contre ma bouche, haletant.

Le simple fait d'entendre sa voix dans un tel moment me donne envie de poursuivre ce baiser jusqu'à ce que le souffle me manque. Noah finit par interrompre ma fièvre en écartant son visage du mien. Ses lèvres enflées par nos ardeurs m'appellent encore.

— Ouais, accepté-je finalement. Excuse-moi, c'était pas...

— Nan, nan, c'est moi.

Il passe une main sur son visage pour reprendre ses esprits. Sans rien dire, il m'invite à le suivre vers la foule. Je m'exécute, les pensées en vrac.


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Hello, toi ✨ Aloooooors, t'as vu je t'ai pas menti quand je t'ai dit que ce chapitre allait te plaire 😏 ENFIN UN RÉEL RAPPROCHEMENT. Bien sûr, ça risque de mettre une sacrée zizanie dans la tête des Noaya, tout ça. Mais on signe pour ça héhé. Comme d'habitude, n'hésite pas à me donner tes impressions et à mettre une petite étoile si tu as passé un bon moment avec nous 💛

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