Chapitre 23

NOAH


Le corps réinitialisé par une longue douche fraîche, je reviens dans la salle de danse. Maya déambule au centre, occupée à se parler à voix basse, manifestement en pleine concentration. Ses pieds nus claquent contre le parquet et le font grincer par endroit.

Elle s'est changée pendant mon absence ; cette fois, elle a enfilé une brassière et un short rose pâle. J'ignore le nombre d'ensembles de sport qu'elle a dans sa penderie. À chacune de nos répétitions, elle en exhibe un que je n'avais encore jamais vu. Pas que ça m'intéresse – elle se met bien ce qu'elle veut sur le dos – mais j'en viens à me dire qu'elle devrait signer un partenariat avec Nike. Si ce n'est pas déjà fait.

— On devrait s'inspirer de notre impro pendant ta démo de heels, lâché-je en l'obligeant à me faire face.

— Donc on change toute la choré ?

— Ouais, mais on peut garder nos premières idées. Rien n'empêche d'intégrer un peu de heels, de hip hop et de conserver le contempo. À nous deux, c'est ce qui nous représente, non ?

Maya acquiesce d'un vif hochement de tête. Après un détour au niveau des vestiaires, elle revient avec la chaise et l'installe sur le parquet. Sa paume tendue m'invite à m'y asseoir, alors je m'exécute. Cette configuration me renvoie à sa démonstration enflammée, là où, malgré moi, je me suis laissé amadouer.

— Je te laisse gérer l'introduction toute seule, dis-je, les mains jointes entre mes cuisses.

— Très bien. J'enfile mes bottines ?

— Pas utile.

Ses yeux plissés me jaugent un instant. D'un mouvement de l'index, je l'invite à se rapprocher et, quand elle me fait face, je tire sur ses poignets pour la contraindre à s'agenouiller devant ma chaise.

— On va reprendre à partir de là.

Ma paume empoigne sa gorge.

— Quand tu me rejoins, comprend-elle avant de déglutir contre ma peau. Ça marche, on y va. Donc, tu te penches vers moi.

— Hm, hm.

Je reproduis ses explications, tâchant de plonger mon regard dans le sien. Comme elle me l'a exigé sur le terrain de basket. Je ne supporterai plus d'entendre ses maudits claquements de doigts résonner près de mes oreilles.

— Tu te lèves et tu vires la chaise, continue-t-elle.

— Et un, deux, trois, quatre...

— Je tourne et m'étends au sol.

— Cinq, six, sept, huit. Et un...

— C'était pas mal quand tu plongeais pour venir en équilibre au-dessus de moi, pense-t-elle, allongée sur le parquet.

Debout devant elle, je me remémore mon improvisation.

— Parfait, alors on conserve ça. Ensuite, tu reviens par là.

J'attrape ses poignets pour l'aider à se remettre sur ses pieds. D'un mouvement de mains hasardeux, je mime la continuité de la chorégraphie.

— On peut enchaîner quelques pas de heels et hip hop, mais à partir de là, ce serait pas mal que tu te débarrasses de tes talons pour qu'on ajoute du contempo et des portés.

Les dents enfoncées dans sa lèvre, Maya prend le temps de la réflexion.

— OK, donc je les enlève, répond-elle en mimant de s'écarter pour retirer des bottines imaginaires. Et quand je reviens, pourquoi pas...

Le bras autour de mon torse, elle se relâche en arrière. Je plie les genoux et me penche vers elle pour l'accompagner au mieux. Son buste trace le chemin d'un demi-cercle, avant de se redresser pour me faire face. Son autre bras encercle mes épaules et, j'ai à peine le temps de réfléchir à la suite qu'un claquement de doigts me vrille le tympan.

— Mais tu rends fou ! m'écrié-je en m'éloignant d'elle. Je te regardais. J'ai fait de gros efforts depuis tout à l'heure !

— Ah ça, je peux le nier ; tu me regardes. Mais pas comme il faut.

— Voilà encore autre chose, tiens...

— Avec une choré pareille, tu peux pas te contenter de simplement me fixer. Tes yeux sont plongés dans les miens, d'accord, mais tu t'arranges toujours pour garder une distance de sécurité.

Je secoue la tête, les sourcils froncés.

— Quelle distance de sécurité ?

— Tu dois te rapprocher de moi.

— On était collés comme des sangsues !

— Ton visage ! s'agace-t-elle. À chaque fois que j'essaye de coller ne serait-ce que mon front contre le tien, je te sens te tendre et me tenir à l'écart.

Il s'agirait de se poser les bonnes questions, aussi. Un lourd soupir fait gonfler mes joues. Ces répétitions s'annoncent interminables. Elle a l'air d'oublier qu'on a déjà passé une longue partie de l'après-midi en plein soleil. Actuellement, je puise dans mes réserves. À en croire son sourire malicieux, Maya a une idée en tête qui risque de m'agacer encore plus.

Elle me tourne le dos, se précipite vers son sac et revient, munie d'un tube de rouge à lèvres.

— J'ai vu cette technique dans Danse avec les stars, explique-t-elle en se tartinant la bouche. Je pensais jamais m'en servir, mais tu me laisses pas le choix.

Danse avec les stars ? Sérieusement ?

Cette fille va m'user.

Je lui jette un regard rempli de jugement à cette information. Les bras croisés, j'observe ses lèvres se colorer de carmin. Comme si ça ne suffisait pas, elle n'hésite pas à en mettre plusieurs couches.

— Là, on pourra constater visuellement si on était assez proches ou pas, déclare-t-elle en refermant le tube. Si t'as pas de trace sur le visage, pars du principe que ça suffit pas.

En temps normal, j'aurais refusé catégoriquement de me plier à un excercice aussi ridicule. Mais Maya a raison sur un point : il faut qu'on avance. Ça ne m'a pas empêché de lever les yeux au ciel, cela dit.

— Si j'accepte, tu me foutras la paix avec tout ça ?

— Ah, mais t'as pas le choix, s'amuse-t-elle. Sauf si tu veux passer pour un danseur rigide et sans émotion, mais tu m'entraîneras pas dans ta chute, Kowalski. J'ai une réputation à tenir.

Je hausse les sourcils. Maya enclenche la musique comme pour m'empêcher de rétorquer quoi que ce soit. En claquant des doigts pour provoquer l'inspiration, elle marche autour de moi.

— OK, dit-elle enfin. On reprend ce mouvement.

De nouveau, elle s'agrippe à mon torse pour se courber en arrière. Quand je l'oblige à revenir vers moi, ses lèvres se contentent de m'effleurer la mâchoire. Je sens que mon corps la tient à l'écart, en effet. Mon buste se raidit, c'est presque instinctif. D'un geste de recul, elle analyse ma peau qui, à n'en pas douter, n'a aucune trace. Elle soupire.

— Tu vois que tu te défiles, raille-t-elle. Allez, on continue.

Nous renouvelons l'opération : échec cuisant. Maya ne jette pas l'éponge pour autant et, chaque fois que je croise son regard, je ressens l'irrésistible envie de lui effacer cet air moqueur du visage. C'est sans doute ce qu'elle veut provoquer, d'ailleurs, mais peu importe. Je refuse de lui laisser le dessus sur cette situation. Sur quoi que ce soit, en fait.

Question de fierté.

Différents mouvements s'enchaînent. Notre nouvelle chorégraphie prend forme. Sur ma droite, Maya tend le bras et je tire franchement sur son poignet pour l'attirer à moi. Après plusieurs pirouettes, son corps se plaque contre le mien. Nos fronts se frappent presque. Pour la première fois, ses lèvres entrouvertes s'écrasent sur mon nez sans que je ne détourne le visage. Ça me demande un certain effort, je l'admets, mais l'assurance dont elle fait preuve me motive à l'affronter.

Je maintiens la posture, agrippe sa jambe qui encercle ma taille et nous fait tourner. Elle finit par se détacher de moi. Son maquillage s'est légèrement calqué sur son menton, preuve qu'il m'a gravé aussi. Mon rictus entraîne le sien.

— T'arrêtes pas, s'essouffle-t-elle. Tu tiens le truc.

Elle continue de danser, enchaîne des pas aléatoires que je m'efforce d'épouser au mieux. D'une ample glissade au sol, je poursuis son corps qui se dérobe dans des petits tours assemblés. Toujours accroupi, je cramponne ses hanches comme pour l'empêcher de s'enfuir. Elle se statufie entre mes mains, à disposition de mon inspiration.

La sensualité de la musique commence à me retourner le cerveau, à moins que la canicule m'ait grillé quelques neurones. Quoi qu'il en soit, les railleries de Maya turbinent encore dans mon crâne.

T'auras ce que t'es venu chercher, l'abeille.

Ma bouche frôle son ventre tandis que je prends le temps de me mettre debout pour la rejoindre. Quand je l'affronte, son nez se presse contre ma peau. Ses lèvres abandonnent une trainée grasse qui s'étire sur ma joue.

Maintenant, je me fous d'être recouvert de maquillage, je veux juste lui rendre coup pour coup. Même si ça n'a aucun foutu sens. C'est elle qui a lancé ce truc idiot, elle récoltera tout ce que ça me provoque.

Nos fronts glissent l'un contre l'autre, permettant à nos yeux de s'imbriquer. D'ici, je peux constater son regard enflammé.

Elle joue bien, bordel.

Sa respiration chaude érafle ma bouche. Je me retiens de l'humecter pour aucune raison, si ce n'est celle de ne rien lui accorder de plus. Ce ne sont que des répétitions. Pourquoi elle tient autant à ce que ça semble réel ? Je saurais aviser le moment venu. Pour l'instant, j'ai l'affreuse sensation de jouer bêtement avec le feu.

Ses cils s'abattent à une vitesse déraisonnée. Aucun de nous ne rompt le contact. Question de fierté, encore. Elle en a autant que moi, ça me fout en l'air. À ce rythme, nos prochaines représentations ne ressembleront qu'à des affrontements d'égos. J'avoue que ce n'est pas pour me déplaire, je n'avais encore jamais rencontré quelqu'un d'aussi défiant. Avec son fichu caractère, Maya aiguise mon goût du challenge.

Et du risque.

Je prends conscience que je n'ai pas détaché mes mains de ses hanches. Mes doigts se sont même crispés contre sa peau. Elle s'apprête à articuler quelque chose, mais des pas précipités dans les escaliers nous obligent à nous éloigner l'un de l'autre. Rayan apparaît dans la salle de danse, encore beaucoup trop heureux pour rien.

— Hey ! s'enjoue-t-il avant de bloquer sur mon visage. Oula, tu fais une allergie, mon vieux ? T'as des espèces de plaques rouges.

Il fait quelques pas pour analyser ma peau de plus près. Une main sur mon épaule et l'autre sous mon menton, Maya me secoue la tête comme si j'étais un brave gamin.

— Ton cher ami est enfin parvenu à se surpasser ! Il était temps.

Aussitôt, Rayan fronce les sourcils en apercevant les bavures de maquillage qui ont également maculé le visage de Maya. Il nous jauge à tour de rôle, dépassé.

— C'est un truc dans Danse avec les stars, m'empressé-je de préciser. Cherche pas. La butineuse a toujours des idées bizarres.

Étant donné son sourire libidineux, il s'est déjà fait une montagne de films. Ça m'apprendra. Je pivote vers la responsable de ce massacre.

— T'as du démaquillant ?

— Pas sur moi.

— Putain... Ça part avec du gel douche ?

— Essaye avec de l'acide.

Je roule les yeux vers le plafond et récupère mon téléphone sur le banc. Rideau. J'en ai terminé pour ce soir.

Entre notre entraînement en pleine canicule et la seconde vague de chaleur que je viens de subir pour pas un rond, j'ai assez donné.

À peine ai-je le temps de regarder mes messages que trois sons de notification résonnent en même temps dans la salle de danse. Je consulte Maya et Rayan qui se sont empressés de déverrouiller leur téléphone.

@elviratamara

Hello, tout le monde. C'est avec une joie immense que je peux enfin vous le confirmer : CE WEEK-END, ON DANSE AU NIGHT'MUS !



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Heeeey, toi ! ✨ Alors, qu'as-tu pensé de cette deuxième partie des répétitions ? On est d'accord qu'il s'est passé quelque chose dans la tête de notre Kowalski national, nan ? N'hésite pas à me donner ton avis sur ce chapitre, c'est toujours un plaisir de lire les commentaires 💛

En tout cas, je dis ça, je dis rien, mais il va se passer des choses très très intéressantes au festival Night'Mus 😏

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