Chapitre 21
NOAH
Je ne sais pas ce qui m'a pris de les inviter chez moi. Rayan m'a encore influencé. Impossible de lui refuser quoi que ce soit avec ses grands sourires et sa bonne tronche. Je n'ai accepté que pour une seule raison : débarquer ici en petit comité peut lui permettre de se rapprocher d'Elvira, d'après lui. Maintenant, il faut que je trouve une combine pour les laisser seuls. Moi, je n'y gagne absolument rien, à l'exception de zieuter d'un œil la façon dont il va s'y prendre. Ça s'annonce marrant.
Enfin non.
Avec Maya Morel qui traîne dans leurs pattes, je risque de galérer.
Elle me fait toujours galérer, t'façon.
Installés dans le salon, autour de ma table basse recouverte de cartons de pizzas, nous finissons de manger. La playlist de Neo soul diffusée en fond adoucit un peu l'ambiance. Les filles bavardent entre elles sur des sujets qui m'échappent complètement. Rayan, lui, a jugé utile de me montrer tout un tas de vidéos « drôles » qui affolent les réseaux.
Je passe pas mon meilleur moment, ouais.
Rayan n'y est pour rien. Ses éclats de rire me font quand même marrer. Ce qui me tend, en revanche, c'est de voir Maya ici. Assise sur le bord du canapé – comme si elle risquait de salir ses fringues si elle s'installait entièrement dans l'assise – elle évite la moindre interaction avec moi. Pour une fille qui n'a pas hésité à claquer ses meilleures ondulations de bassin contre mes cuisses, je la trouve gonflée de me snober à ce point.
Ce n'était que de la danse, ouais, mais elle était très à l'aise. Dans son élément. Le plus affligeant, c'est qu'elle m'a cueilli. Je n'ai même pas lutté, même pas essayé de jouer le mec insensible à son art. Je jure que si ça avait été une autre, je...
Nan.
Je n'aurais rien fait, rien tenté. Performer en duo implique de jouer un rôle, chacun le sait. Jusqu'à feindre l'osmose pour que le public puisse y croire. Les gens n'ont pas idée du nombre de partenaires qui ne peuvent pas se pifrer dans les coulisses. Maya et moi, on en est la preuve vivante.
— T'as quoi à nous proposer ? s'enquiert Rayan dans un claquement de mains. Il se fait soif, nan ? Si t'as une bière au frais, je prends.
— Je t'amène ça. Et vous ?
Je lève le menton vers les filles. Aussitôt, Elvira glisse sur le canapé pour se rapprocher de nous.
— Comme Rayan. Ou si t'as un petit vin blanc, ça me va.
— Ouais, j'en ai un bien sucré. Tu devrais aimer.
— Parfait !
— Bon, et toi ?
J'interroge Maya du regard. Le visage neutre, elle ne prend même pas le temps de réfléchir avant de lâcher :
— Ce que t'as d'ouvert.
Je me satisfais de cette vague réponse et me dirige vers la cuisine. Au loin, je distingue des bribes de leurs discussions sans être capable de les décrypter. La musique étouffe tout, couplée aux éclats de voix d'Elvira. Je fouille mes placards, dégaine des verres et les bouteilles. Contre toute attente, Maya apparaît de l'autre côté de l'ilot central.
Aurait-elle pigé le plan de cette soirée ?
— Vous allez encore picoler ? Sérieusement ?
Apparemment non, du coup.
J'avise son air consterné et lui tourne le dos pour m'emparer d'un limonadier.
— Moi, non.
— Oh.
Ces derniers temps, j'ai beaucoup trop abusé de ce côté-là. Rayan pourrait en témoigner... mais son esprit fêtard et bon enfant n'y voit sans doute pas le mal. À contrario, Maya a saisi. Elvira aussi, bien sûr, mais comprendrait-elle pour autant ?
Je fais sauter le bouchon de la bouteille et verse le vin blanc dans un verre à pied.
— Ce que j'ai d'ouvert, tu m'as dit ? demandé-je. Le seul truc ouvert dans mon frigo, c'est une brique de lait qui traîne là-dedans depuis trois semaines. On part sur ça ? Mes toilettes sont au bout du couloir, au cas où.
Ses ongles martèlent le bois du comptoir.
— T'as pas de l'eau ?
Je glousse. Vraiment, elle a l'art de poser des questions pertinentes...
— Nan, déso. Mes robinets servent que de la bière.
— Tu comptais me donner l'eau du robinet ? s'offusque-t-elle.
— Tu préfères celle des chiottes ?
Je crois avoir rêvé quand j'entends qu'elle se marre.
— Ce que tu peux être chiant, souffle-t-elle. Sers-moi ce que tu veux, j'ai même pas si soif.
— Un soda ?
Maya écarquille les yeux.
— Pourquoi tu m'as pas proposé ça dès le début ?
— Je suis dans ta tête pour savoir ce que tu veux ? Et j'aurais pu, mais t'as commencé à mépriser mes robinets.
De toutes nos conversations, celle-ci atteint des sommets en matière de vide. Je ne retiens pas mon soupir quand Maya tire un tabouret pour s'y asseoir.
— Bon, l'abeille, pourquoi tu viens me voler dans les plumes exactement ?
Elle se remet aussitôt sur ses pieds.
— Ça va, ça va. Je retourne là-bas. Je suis venue pour m'assurer que tu foutes pas d'arsenic dans mon verre.
— Une idée alléchante...
Sans broncher, je retourne à mes préparations, avant d'être frappé par l'évidence. Merde. Je me précipite vers Maya et attrape son poignet pour l'empêcher de disparaître de la cuisine.
— Attends, attends. Tiens, apporte-leur ça, dis-je en faisant glisser la bière et le verre de vin sur le comptoir. Après, tu reviens ici.
— Quoi ?
— Fais-moi confiance. T'éternises pas dans le salon.
Un sourcil arqué, elle me toise pendant de trop longues secondes. J'insiste en désignant les boissons du regard et elle finit par s'en emparer, suspicieuse. Bordel, il a fallu que Rayan manigance ce plan foireux ce soir avec Maya dans les parages... Quand elle revient, son air méfiant n'a pas quitté son visage.
— C'est quoi le projet ? soupçonne-t-elle. Ils étaient sur le balcon, j'ai dû aller les servir là-bas.
— Cool. Laisse-les tranquilles maintenant.
Sa bouche s'arrondit et la surprise traverse son regard.
— Oh, je vois. Tu leur arranges un coup ? Et moi, je participe à ça...
— T'es longue à la détente.
— Ils ont pas été assez seuls quand ils sont partis du studio tout à l'heure ?
Je ricane et abandonne son soda à sa portée, sur le comptoir.
— Ouais, t'as raison. Ils ont grave dû se rapprocher pendant que le frère d'Elvira envoyait ses meilleures vagues de gerbe dans la bassine que Rayan lui tenait. Tu les as écoutés quand ils en parlaient ?
Elle enfouit sa moue écœurée dans son verre.
— Nan, avoue-t-elle après avoir avalé. Ils ont eu la brillante idée de nous raconter ça quand on mangeait. Je me suis concentrée sur la poussière qui stagne sur tes meubles pour pas rendre ma pizza.
Je ne réagis pas, ce qui doit sans doute la décevoir. Cette énième provocation ne prend pas, elle n'est que factuelle. Je ne suis pas un as du ménage et, en ce moment, c'est bien ma dernière préoccupation. Maya tapote une nouvelle fois ses longs ongles sur le comptoir.
— Et je peux savoir ce que je fais là, moi ? s'impatiente-t-elle.
J'expulse un long soupir songeur, les yeux dans le vague.
— Voilà une question à laquelle j'ai toujours pas trouvé de réponse depuis que je te connais...
— Ha ha, crache-t-elle. Je comprends même pas pourquoi mes abonnés te trouvent intéressant.
Il faut toujours qu'elle ramène ses fichus fans au centre des discussions. Pire qu'une mère avec ses mômes.
— Tu veux que je pose pour une story ? proposé-je.
Le pouce sous le menton, je barre ma joue avec mon index, me mords la lèvre et plisse les paupières. Maya me dévisage, la bouche entrouverte.
— Continue, et à moi aussi il me faudra une bassine.
— T'y connais rien, râlé-je. J'ai un sacré potentiel d'influenceur. T'es juste trop envieuse pour le reconnaître.
— Avec quel genre de contenu, au juste ? Parce qu'à part être un influemmerdeur, je vois pas.
Sur ces mots, elle dégaine son téléphone. Nul doute qu'elle doit consulter sa montagne de notifications. Le plus naturellement du monde, elle tend le bras, penche la tête sur le côté et se prend en photo, la langue tirée. Après quoi, elle continue de pianoter sur l'écran à toute vitesse.
— Tu viens de poster un truc, là ?
— Ouais, répond-elle sans lever le nez vers moi.
— Mais c'est mort. On doit voir mes meubles de cuisine derrière toi, j'veux pas qu'ils soient mêlés à ça.
Elle se contente de secouer la tête.
— Te plains pas, rétorque-t-elle. C'est le seul angle de ton appart où la déco est pas complètement ringarde.
— Et faire un selfie en tirant la langue, ça se situe où sur l'échelle de la ringardise ?
Enfin, elle abandonne son téléphone sur le comptoir. Le coin de sa bouche s'ourle d'un sourire moqueur.
— Je sais pas, sans doute pas très loin de ton compte Insta.
— Pardon ? m'étouffé-je.
Ce qu'il ne faut pas entendre venant d'elle. J'ai assez peu de leçons à recevoir d'une fille qui photographie toutes les futilités de son quotidien, jusqu'à ses petits-déjeuners scénarisés.
— Ton profil me donne des suées d'angoisse, poursuit-elle. T'as trente abonnés, les seules personnes que tu suis ce sont tes potes, Ryan Reynolds et un compte de trucs scientifiques barbants. Aucune publication, pas de story et ta photo de profil, c'est un chien avec des sourcils.
Je me mords l'intérieur de la bouche pour ne pas éclater de rire.
J'avoue, j'ai fait aucun effort.
— On dirait le compte d'un stalker, continue-t-elle. Typique de ceux qui postent rien, mais qui zieutent tout.
— Tu viens de dresser une analyse de mon profil et c'est moi le stalker ?
— Et toi, tu vas me faire croire que t'as pas regardé le mien ?
Je redresse le buste.
— Pour m'assurer de ne jamais apparaître dans ton contenu, ouais.
— Bien sûr.
Sur le comptoir, l'écran de son téléphone s'anime de tout un tas de bandeaux de notifications. Elle n'y prête pas attention, trop occupée à me passer au crible. Chaque fois qu'elle me regarde, j'ai le sentiment qu'elle sonde la moindre de mes réactions, ça en devient flippant. Après avoir balancé ses épais cheveux bruns derrière ses épaules, Maya me pointe du doigt.
— D'ailleurs, il serait temps de le rafraîchir, ton compte. Les gens commencent à s'intéresser à toi, ils finiront par tomber dessus.
— Qu'est-ce que ça peut bien te faire, à toi ?
Elle penche la tête et allonge le menton, le visage déformé par un air consterné.
— T'as oublié qu'on était un duo ? On va m'associer à toi, quoi que j'en dise. J'ai pas la moindre envie d'être affiliée à un chien avec des sourcils.
Le pshit de ma canette claque en même temps que mon rire.
— J'avais pas non plus envie d'être associé à une foutue abeille et regarde où j'en suis.
Je verse le soda dans mon verre, guettant d'un œil la réaction de Maya. L'ombre d'un sourire atterré plane au-dessus de ses lèvres et provoque doucement le mien. Elle papillonne des cils et me défie du regard.
— Et tu crois me vexer ? reprend-elle. Les abeilles sont essentielles dans la chaîne alimentaire. Elles garantissent la survie, la pollinisation. Elles fournissent du miel, c'est une essence précieuse, tu connais toutes ses vertues ? Ce sont elles, les vraies stars du globe.
— Ouais, 'fin, un coup de pesticide et l'affaire est pliée. Je devrais mettre ça en photo de profil, d'ailleurs.
Son arrogance retombe aussi sec.
— T'es odieux.
— Ça t'évitera de piquer qui que ce soit.
— Les abeilles piquent seulement quand elles se sentent attaquées, enchaîne-t-elle. Tu peux en tirer les conclusions que tu veux.
Elle bascule la tête en arrière et avale son verre d'une traite avant de le claquer sur le comptoir. Malgré moi, mes yeux s'attardent sur les gouttelettes sucrées qui stagnent au-dessus de sa lèvre supérieure.
— On devrait retourner les voir, déclare-t-elle en s'essuyant la bouche. Pour au moins s'assurer que ça se passe bien. Je peux prétexter un truc, genre je pourrais leur amener quelque chose, nan ?
— Pas utile. À mon avis, ils se partagent déjà une salade de langues, là.
Son expression dégoûtée me fait ricaner.
— Alors, on fait quoi ?
— Ah, mais à titre perso, je suis chez moi, lancé-je en soulevant les épaules. Toi, ouais, je sais pas ce que tu fais encore là.
Ce qui, de toute évidence, n'a pas l'air de la tracasser plus que ça. Le coude sur le comptoir, elle se penche auprès de son téléphone et, d'un geste blasé, glisse son index sur l'écran. Une longue liste de mots – que la distance m'empêche de lire – défile sous ses yeux.
— J'ai prévu un post pour présenter les danseurs qui participent aux spectacles, m'informe-t-elle. Chacun commence déjà à avoir sa petite notoriété, c'est sympa pour le stud'. Je te le demande pour la forme, même si je sais ce que tu vas me répondre, mais tu veux participer ?
— Chaud.
D'emblée, elle relève un regard abasourdi vers moi.
— Pardon ?
— Si j'accepte une fois et qu'après t'arrêtes de me gonfler avec tout ça, je suis partant. Il te faut quoi ?
Qu'on ne se méprenne pas ; je me fous d'avoir mon quart d'heure de gloire. Ce qui m'importe, c'est de ne plus passer pour le seul connard qui s'obstine à demeurer anonyme. En plus de ça, je ne supporterai pas longtemps que sa horde de fans m'identifie comme « le mec de l'affaire du doigt d'honneur ». Je récolte ce que j'ai semé, cela dit.
— Une photo, répond-elle.
—Go, je prends la pose.
Je me place devant elle, visage fermé, les deux majeurs tendus. Ses yeux me fusillent.
— Quoi ? T'aimes pas ? L'éclairage est pas ouf, je sais...
— T'auras qu'à m'en envoyer une, suggère-t-elle. Neutre, sans doigt d'honneur, sans artifices. Avec un sourire, peut-être ? Ou j'en demande trop ?
— Ça va me demander une longue fouille dans mes archives, mais je devrais te dégoter ça. Et tu comptes en faire quoi ?
— Je la posterai avec ton prénom, en indiquant les styles de danse que tu pratiques et je préciserai que c'est toi, mon partenaire...
La fin de sa phrase sonne comme une lamentation. Je comprends. Moi non plus, je n'ai toujours pas digéré l'information. En guettant sa montre, Maya lâche un long soupir.
— Je vais faire une sieste sur ton canap', déclare-t-elle. Je suis claquée. Préviens-moi quand ils auront terminé.
Sans même affronter mon air perplexe, elle s'échappe de la cuisine. J'amorce quelques pas et l'observe de loin. Pas gênée pour un sou, elle s'affale sur la méridienne et étend un plaid sur ses cuisses. Cette fille est définitivement beaucoup trop à l'aise. Sur tous les plans.
Je progresse dans le salon et débarrasse la table basse des cartons de pizza. La profonde respiration de Maya m'indique qu'elle s'est déjà assoupie. Je lui jette un coup d'œil acerbe quand les éclats de rire d'Elvira et Rayan me parviennent.
Et voilà que ça roupille pendant que je tiens la chandelle.
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Hello toi ✨
Merci d'avoir lu ce chapitre. Comme d'habitude, n'hésite pas à me donner tes impressions ou à voter si ça t'a plu 💛
Les Noaya arrivent un peu plus à discuter (bon, en s'envoyant toujours un max de vacheries, mais on les changera pas héhé). Trop hâte de vous poster la suite 😏
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