Chapitre 54

— Double V, ne fais pas la tête. Je te jure que ça va être super amusant.

Telles étaient les paroles de Bibésia. Elle semblait volontairement omettre leur situation. Les Walkyries les tenaient en sac à patate. Et contrairement à la joyeuse sorcière, Whil était ligotée.

Certes, d'apprendre que Stanislav n'était pas victime des tortures de la Ronde avait de quoi l'aider à s'apaiser. Mais cela ne lui arrachait pas son ambition de le retrouver, de le sauver des griffes de ses anciens employeurs. Pour l'instant, son partenaire destiné, son compagnon, ne subissait rien de douloureux, mais pour combien de temps encore ?

Au moment de questionner Bibésia, celle-ci ouvrit la bouche :

— T'inquiète, ma deuxième meilleure amie, qui ne sait pas encore qu'elle est ma meilleure amie, prends soin de lui.

Essayer de suivre la logique de Bibésia se révélait rarement facile.

— Tu n'as jamais pensé à te balader avec du paracétamol ?

— Je suis une sorcière immortelle. Pourquoi j'en aurai besoin ?

— Ce n'est pas pour toi mais pour tous ceux avec qui tu discutes.

Bibésia la gratifia d'un magnifique sourire.

En vérité, Whil avait beau bouder, elle était rassurée de se savoir accompagnée dans cette mésaventure. Avoir Bibésia la Sibylle à ses côtés l'apaisait. Elle n'était pas seule.

Après quelques minutes, Bibésia lui indiqua « Attention, vague de nausée en approche ! », et elle eut raison. La tête lui tourna, un flash l'aveuglant un instant avant de révéler un nouveau paysage. Elles venaient d'arriver dans un autre monde. Appartenait-il au Téras ?

Des montagnes s'étendaient à perte de vue, empreinte d'une verdure fleurissante. Les couleurs, vives et éclatantes, réchauffaient leur destination inconnue. Passant au-dessus de forêts et de plaines baignées dans la lumière du soleil, elle aperçut une grande table qui rassemblait de nombreux individus. Principalement des hommes, mais la présence de quelques femmes attiraient le regard. Tous mangeaient, buvaient, se battaient amicalement, ou encore se baignaient dans le grand lac à proximité.

L'homme en bout de table se leva pour le faire un signe de la main, saluant d'un large sourire leur passage dans les airs.

Les Walkyries les emmenèrent plus loin, au pied d'une sorte de temple en ruine. Quelques femmes en sortirent, portant des cruches remplies d'eau.

— Ah, ce doit être l'heure de l'arrosage.

— Enfin te voilà Olrun, s'exprima une voix depuis le temple.

Une femme vêtue d'une longue robe, et à la coiffe extravagante, apparu. Se posant devant Whil, elle accorda un regard vers Bibésia.

— Que fait cette sorcière ici ?

— Nous avons dû faire vite, Skuld. Nous avons pris les deux, la sorcière étant agrippée à elle.

— Et vous ne l'avez pas laissé tomber dans le vide pour vous en débarrasser ? Je suis impressionnée, peut-être que finalement certaines d'entre vous ont encore un cœur.

Olrun gronda son mécontentement, sa hache à la main. La grande femme à l'apparence lui faisant davantage penser aux dimensions d'une armoire plutôt qu'à celle d'une personne, lâcha Whil pour accuser de sa hache une autre Walkyrie à l'aspect bien plus angélique.

— Brumehilde est simplement stupide.

Chacune se tourna vers la fameuse Walkyrie qui posa Bibésia au sol. Elle fusilla ses consœurs du regard.

Elle et Olrun se mirent à vociférer dans une langue que Whil ne connaissait pas. Au moins Skuld avait-elle eu l'amabilité de s'exprimer dans un dialecte moderne et humain.

— Bonjour Whilemine. Je me prénomme Skuld, s'annonça-t-elle d'un grand sourire enjoué. Pardonne notre retard pour venir te chercher, il faut croire que le bon personnel se fait rare.

— Ah non ! La dernière fois, la petite a crié comme une Banshee et le temps qu'on cherche à la retrouver, les Amazones l'avaient déjà caché.

Skuld menaça du regard la Walkyrie sur les nerfs, la défiant de trouver une nouvelle excuse. Sortant une gourde, Olrun bu goulument ce qui empestait l'alcool. S'agissait-il de son remède ?

— Même Brumehilde ne s'est pas faite autant incendier après avoir laissé un guerrier en vie alors qu'Odin le voulait à sa table.

Brunehilde détourna le regards, les joues rougies par l'embarras de sa faute. Elle passa une main dans ses longs cheveux ondulés, presque timide.

— Une faute unique. Je fais toujours un excellent travail, se défendit-elle du mieux qu'elle le pouvait. Mais toi, Olrun, tu es tellement souvent bourrée que...

— Fausse-vierge, insulta Olrun à l'encontre de Brumehilde, la coupant soudainement.

Cela jeta un froid. Des éclairs sortaient du regard de Brumehilde.

— Répète un peu pour voir ? Moi, pas vierge ? Je suis pure de la tête aux pieds, contrairement à une certaine personne dont la bouche est souillée.

Et ce qui devait arriver arriva. Les deux Walkyries s'échangèrent des coups. Skuld poussa un soupire mais ne les arrêta pas.

— Viens avec moi Whilemine. Je dois te présenter à quelqu'un qui était vraiment impatient de te rencontrer.

Passant en première, Skuld évita sciemment les deux Walkyries qui se battaient, ne leur accordant pas la moindre attention.

La Ronde en connaissait peu sur les guerrières-vierges. Considérées tout de même comme tératos, elles s'en différenciaient par un aspect en particulier. La Walkyrie était, initialement, une guerrière qui mourrait au combat. Foudroyée par la foudre d'un accord commun entre des dieux, elle devenait une Walkyrie.

Elles étaient censée être des guerrières mortes vierges. D'après les recherches effectuées par la Ronde, leur inexpérience sexuelle les rendait moins influencées par les physiques, souvent attrayant, des guerriers qu'elles avaient pour mission de tuer et d'emmener au Valhalla. Stupide, évidemment. Il n'y avait qu'à écouter les accusations de Brumehilde à l'encontre d'Olrun, et inversement, pour s'en rendre compte.

Mais, aussi étrange que toutes les Amazones dans l'ensemble détestaient les hommes, les Walkyries tenaient énormément à leur virginité. Il serait insultant de les accuser du contraire.

Whil n'en savait pas beaucoup plus sur elles. Dotées d'ailes, la rumeur voulait qu'elles soient capable de déclencher des tempêtes. Rien n'avait été prouvé.

Skuld lui accorda un regard, comprenant que Whil ne la suivait pas. Sans doute parce qu'elle était encore saucissonnée ? Elle s'empressa de corriger le tir, lui retirant ses liens. Aussitôt, l'hybride devint bien plus docile, acceptant celle dont la natte était si légère qu'elle volait dans son dos au moindre coup de vent. La grâce que se dégagea de la créature n'ayant rien d'une Walkyrie, était distrayante. Là où elle passait, les regards ne pouvaient que se poser sur elle.

Bibésia les accompagna, glissant sa main dans celle de Whil.

— Meilleures amies même après la mort, lui accorda-t-elle un clin d'œil enjoué.

Elles suivirent le chemin qu'empruntaient toutes ces femmes portant un vase. L'heure de l'arrosage, se souvint-elle. Mais pour arroser quoi ?

— Je suis certaine que tu le sais, ricana Bibésia pour répondre à une question que Whil n'avait pas encore posé.

— Ce sont...des nornes ? devina-t-elle.

— Bingo ! Avoue-le, tu es toute excitée maintenant.

Oui, Whil l'était, parce qu'elle ne connaissait rien des nornes. Ces femmes ne se rendaient jamais sur la terre des Hommes. Ou très rarement. Trop peu souvent pour que la Ronde s'y soit un jour réellement intéressée. Tout ce qu'elle en savait lui venait des textes de civilisations vikings.

— Petite leçon d'Histoire pour Double V. Les nornes sont complètement perchées. Et elles ne vivent que pour une chose. Papa Ygg.

— Papa Ygg ? Qui est-ce ?

Arrivées près d'un immense chêne, les femmes arrosèrent ses épaisses racines avant de repartir, souriante.

L'arbre avait une apparence tout à fait...magique. Une écorce d'un blanc pur, ses feuilles paraissaient être d'or. Il se dressait en majesté au centre d'un temple à toit ouvert, donnant au lieu une ambiance tout à fait extraordinaire. Tout ce blanc avait de quoi éblouir, les touches de couleurs aidant à harmoniser et rendre vivant son environnement.

Skuld eut un mouvement de la main pour lui montrer l'arbre, s'écartant du chemin de Whil.

— Whilemine, je te présente Yggdrasil.

Du tronc de l'arbre de légende apparu un visage, suivit d'un corps. Un homme sortait. De longs cheveux clairs, une peau pâle, ses yeux ressemblaient à ceux d'un aveugle. Comme l'un des deux yeux de Whil lorsque leur aspect tératos prenait le dessus.

Yggdrasil ressemblait à un elfe, ses oreilles pointues n'aidant pas à visualiser une image différente. Un sourire discret se dessina sur ses lèvres fines.

— On est d'accord que tu ressembles vachement plus à l'hamadryade-homme qu'au psychopathe Solomon.

Mais Whilemine ne l'écoutait déjà plus, s'avançant vers cet homme qui, à présent, lui tendait la main.

Leurs deux paumes se rencontrèrent, et les doigts libres de l'homme se levèrent pour placer les cheveux de Whil derrière son oreille.

— Les cheveux de ta mère, mais les oreilles des êtres sylvestres.

— Vous êtes... ?

Il opina du chef, répondant à sa question muette.

— Oui, répondit-il d'une voix enchanteresse, muée d'un écho. Je suis ton père.

Whil avait un père. Et il ne s'agissait pas de Solomon.

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