Chapitre 53
Des siècles dans l'ombre pour fuir des visages connus et des menaces anonymes. Des siècles de préparation, à ruminer des plans de vengeance, à réclamer le retour d'un avenir qu'on lui arracha dans les premières années de son existence. Tout ça pour quoi ? Se retrouver accroché comme un vulgaire prisonnier.
Les chaines n'étaient pourtant pas douloureuses. Suspendu par les bras, pieds au sol, ses chevilles étaient également clouées par des bracelets reliés de fer. Etrange, ce n'était pas la vision qu'il s'était fait de la Ronde. Il ne pensait pas ces humains être capable d'une telle attention. Aucun objet de torture, une pièce propre, un sol n'ayant rien de glacial. Certes, il ne portait en tout et pour tout qu'un pantalon ne lui appartenant pas mais il ne pouvait pas se plaindre de la température ambiante. Si toutes les prisons pouvaient ressembler à ça, il voulait être capturé plus souvent.
— T'es réveillé le nouveau ?
Un rideau le cachait des autres captifs, lui laissant déduire que c'était identique pour tous.
— C'est à moi que tu parles ? répondit Stanislav à la voix masculine d'un voisin.
— Ouais. C'est quoi ton nom ?
— A toi l'honneur.
Stanislav n'avait pas envie de se présenter à n'importe qui sans même voir son visage. Cela pouvait être une ruse de la Ronde. Il ne savait pas à quoi s'attendre après tout.
— Tu es méfiant, ça se comprend. Je suis Afritnar. Ils vont te donner un numéro alors n'oublie pas ton prénom. Eux l'ont déjà oublié.
Evidemment, il ne pouvait pas s'attendre à ce que tout soit parfait pour autant. Mais bon, un simple numéro ? Rien de dramatique.
— Stanislav, se présenta-t-il comme convenu. T'es là depuis longtemps ?
— Penses-tu ! Quelques années. Je m'étais enfuis des geôles des Idoles. La Ronde m'a cueilli dans les alentours, profitant que je sois blessé dans mon effort.
Les Idoles n'étaient pas des tendres. Voilà bien une prison que Stanislav ne souhaitait pas visiter un jour. Pas même pour une petite heure. Que cet Afritnar ait pu en réchapper lui paraissait assez étonnant. Surtout si cela faisait des années qu'il se trouvait chez la Ronde.
— Et pourquoi es-tu encore ici ?
— Tu n'es pas dans une prison ici, mais une salle d'expérimentions. Et j'ai mes raisons d'y rester. Si tu veux t'enfuir, ce ne sera pas évident. Je te conseille d'attendre. Leurs caméras observent et écoutent tout ce que nous faisons.
Il ne pouvait pas me prévenir avant ?
Stanislav ne put retenir un grondement de mécontentement. Mais Afritnar, qu'importe la raison le faisant rester, avait au moins raison sur un point. Il devait rester patient, observer la routine des lieux. Il ne pouvait pas se permettre de chercher à s'enfuir sans savoir ce qui pouvait l'attendre derrière les portes de cette salle.
— J'ai laissé ma compagne seule dans le Téras. Je dois trouver un moyen d'y retourner au plus vite, confia-t-il sans se préoccuper des fameuses caméras.
— La Ronde ne se rend que rarement dans le Téras.
— Ils ont fermé le portail derrière moi.
— Tu n'as pas laissé ta femelle passer en première ? Quelle idée de merde.
Stanislav n'était pas d'accord. Qu'auraient fait ces hommes si Whil était passée avec lui ? Il voulait croire que la Ronde la considérait encore comme l'une des leurs mais il n'en était pas certain. A moins qu'elle ne se soit liguée avec Victor pour lui tendre un piège, mais cette possibilité lui paraissait encore plus stupide.
— A moins que ta partenaire ne soit forte, être seule dans le Téras est bien peu enviable à être emprisonné ici. Le pire qui puisse arriver à une femelle ici est d'être engrossée.
Egoïstement, Stanislav préférait l'idée de Whil en train de combattre des nuées de prédateurs plutôt que d'être touchée par un autre mâle pour des expériences morbides de la Ronde. Que des mains étranges puissent caresser son corps insatiable le rendait fou. Il ne voulait pas imaginer un souffle différent du sien s'unir à celui de Whil, ni qu'un quelconque homme puisse entendre les sons de plaisirs capables de rendre fous tous esprits saints de ce monde. L'illusion de sa Whil pleurant et hurlant son nom de désespoir... Hors de question !
— Si tu avais une femelle, tu saurais que ce genre de perspective...
— ...est inconcevable, termina Afritnar à sa place. Je le sais, je voulais être sûr que tu ne mentais pas.
Alors lui aussi avait rencontré sa partenaire destinée ? Pourquoi rester dans les parages en ce cas ? Peu importe. Se préoccuper des problèmes du voisin ne l'aiderait pas à se sortir de sa situation.
— Quelle est la routine ici ?
— Docteur Folie vient nous tripoter, s'exclama alors un autre prisonnier dans la pièce.
Afritnar grogna à cette remarque. Apparemment, ce Docteur Folie était un sujet sensible.
— Elle nous détaille et prend des échantillons, continua un troisième voisin.
— Quel genre d'échantillon ?
— De tous les genres, reprit Afritnar pour ne pas laisser les deux autres captifs s'exprimer. Prélèvement sanguin, de cheveux, de peau...
— Et de spermes, renchérit l'un des deux.
De nouveau, un son animal échappa à Afritnar.
— Tu verras le nouveau, tu as de la chance si tu tombes sur elle.
— Elle est complètement barge. Tu auras de la chance si tu tombes sur elle.
On lui affirma en outre que cette fameuse Docteur Folie était douce dans ses manipulations, même lorsqu'il s'agissait d'opérations douloureuses. La moindre grimace pouvait la pousser à changer de techniques pour rendre l'expérience plus facile à vivre. Elle était également très bavarde et capable de discuter toute seule si personne ne souhaitait lui répondre.
Et apparemment, Afritnar avait le droit à un traitement VIP.
— J'te jure mec, reprit l'un des prisonniers. Elle lui a taillé une pipe. On l'a tous entendu. Dommage que les rideaux étaient fermés.
— Fermez-la ! s'énervait de nouveau le principal intéressé.
— Arrête de jouer au gros dur, nous on n'a le droit qu'aux piqûres. Alors laisse-nous profiter du peu de moments de débauches qui existe dans les parages.
— Vous êtes encore plus détraqués qu'elle, bande de pervers.
— Qui est le plus pervers ici ? Nous qui devons subir les sons que vous produisez et imaginer ce qu'il se passe ou bien les deux qui ne se gênent pas à copuler malgré la présence de témoins dans les parages ?
Le groupe semblait s'entendre à merveille. L'ambiance était plutôt bancale au vue de la situation. Prisonniers de la Ronde, cobayes de leurs expériences, ils ne nourrissaient pourtant aucune haine ou quelconque animosité.
En écoutant les discussions de ses voisins, Stanislav en déduisit plusieurs informations. Premièrement, plusieurs docteurs passaient dans le coin, certains nommés comme étant des « Murmureurs ». Whil avait mentionné cette particularité que ses compagnons de cellule définirent de nouveau comme étant des humains de la Ronde spécialisée dans l'art d'entrer dans l'esprit des tératos. Cela pouvait aller jusqu'à pousser certains cobayes au suicide.
Ensuite, les cobayes pouvaient être changés de secteur assez facilement. L'un des trois dans la pièce venait du « secteur à baise », comme il le nommait vulgairement. Là-bas, les victimes passaient leur temps à fraterniser, Les petits voyaient parfois le jour, mais cela demeurait rare. On les faisait avorter avant naissance.
Les deux autres, dont Afritnar, venaient d'un secteur d'expérimentation. Les tortures existaient là-bas, et aucun ne souhaitait en témoigner.
Autrement dit, chacun était satisfait de faire partie à présent de ce secteur, et surtout d'avoir le Docteur Folie comme expérimentatrice. Elle était distrayante. Le problème serait d'avoir le Docteur Seward.
Un nom que Stanislav connaissait bien. Il s'agissait du père de Whil. Un homme qui ne lui était pas lié par le sang.
Le groupe communiquait comme si les caméras n'existaient pas, se fichant apparemment des possibles conséquences d'entretenir des discussions délivrant des informations au nouvel arrivant ou médisant sur leurs bourreaux.
Mais bien vite, le silence retomba parmi eux. La porte du laboratoire venait de s'ouvrir, laissant entrer trois individus. Il reconnut Victor, mais pas l'homme aux cheveux plaqués en arrière, ni la femme qui replaçait ses lunettes sur son nez.
Leurs identités épinglées sur leur blouse, Stanislav se retint de rire.
— Je rencontre enfin mon beau-père.
L'homme leva sa face de sa tablette, toisant le démon d'un regard curieux mais peu intéressé. Le genre d'expression qui semblait réclamer le silence, signifiant « Je m'occupe de toi dans quelques secondes, alors tiens-toi tranquille. »
— Numéro 525, le nomma-t-il en s'approchant. Sujet mâle de catégorie démon du peuple hématophage. Un démon Lilithu.
Le docteur Johnson, la femme à côté, tapait frénétiquement sur sa tablette.
— Whil semble croire que vous tenez à elle. J'ai plutôt l'impression que vous vous en foutez de son sort.
Le docteur Seward était en train de préparer son atelier, sortant des aiguilles et des instruments chirurgicaux.
— Tu dois parler de la Carmagnole. La Ronde tient beaucoup à elle. Il s'agit de l'une de nos plus belles réussites. Un gentil toutou apprivoisé et très fidèle. Nous n'avions simplement pas prévu que tu puisses êtes le grain de sable dans nos plans.
— Elle n'appartient plus à la Ronde.
— Agent Adam, pouvez-vous résumer à notre invité ce qui attends la Carmagnole je vous prie ?
L'agent Adam en question n'était autre que Victor. Il supposa que le nom de « Victor » n'était qu'une fausse identité.
— L'agent Carmagnole sera reprogrammé pour devenir de nouveau opérationnel.
— Nous allons tester sur vous deux un nouveau produit censé supprimer le genre de lien qui vous unis. Et surtout, nous voudrions trouver un moyen de le déclencher.
— Le produit ne marche pas, intervint la doctoresse à la mention de ce dernier.
— Johnson, on ne vous a pas demandé votre avis.
— Je l'ai testé sur moi, et malheur ! J'ai vomi durant plusieurs jours. Mais pas la trace d'une âme sœur.
Elle prit une pose mélodramatique, soupirant de tristesse.
— Attention, je pique à trois, prévint-elle en brandissant son aiguille. Un, et voilà !
Il grimaça, lâchant un grognement.
— Que tu es douillé.
— Vous avez triché.
— Mais tu n'as pas eu mal, 525.
Il se comportait comme une enfant. Tant pis. Les autres cobayes se moquèrent de lui, le traitant de poule mouillée avant d'être rappelés à l'ordre par le docteur Seward. Ce dernier sortit un scalpel.
— Notre premier démon Lilithu.
— Que faites-vous ? l'arrêta la doctoresse, un sourcil arqué.
— Je participe.
— Hors de question. J'ai accepté que vous veniez le voir, simplement par courtoisie. Mais il s'agit de mon cobaye. Mon cobaye, mes expériences. Si vous le voulez, allez faire une réclamation auprès du directeur.
— Avez-vous pris vos médicaments, Docteur Johnson ?
— Comment osez-vous ?
Seward se tourna vers Afritnar apparemment.
— Vous semblez dépasser quelques limites ces derniers temps. Nous voudrions vous venir en aide comme nous le pouvons.
La doctoresse n'en démordait pas, malgré la provocation qu'il interpréta insultante pour la jeune femme.
— Nous pourrions également parler de votre jolie Carmagnole et de ses nouvelles fréquentations lorsque vous aurez un peu de temps, Docteur Seward, proposa-t-elle en posant ses mains sur Stanislav.
Il était « les nouvelles fréquentations » en question. L'agent Adam mimait de ne pas entendre, un rictus timide trahissant sa pensée.
— Comme vous voudrez, docteur Johnson. Mais aujourd'hui nous n'avons pas besoin de la semence de 0152.
Elle est le Docteur Folie, devina-t-il sans peine à cette remarque.
— Je ne comptais pas en proposer au labo, acheva-t-elle sans rougir de ce double sens des plus audacieux.
Retenant un grondement agacé, le docteur Seward accepta de sortir sans plus de grabuge, accompagné de près par l'agent Adam.
Celle qu'il devina être la fameuse doctoresse offrant des gâteries à Afritnar, se tourna vers Stanislav, continuant quelques prélèvements en sifflotant ce qu'il reconnu être une chanson d'un Disney.
— Montre-moi ta forme transformée. J'ai envie de voir ce que ça donne.
Stanislav pensa qu'il s'agissait là d'une occasion rêvée. S'il se transformait, il aurait plus de force. Et la doctoresse ne se douterait pas qu'il veuille se défaire de ses liens.
Comme demandé, sa peau se grisa, entamant la transformation.
— Oh, c'est jolie. 0152, c'est comme ta transformation mais en gris.
Elle tapa de nouveau sur sa tablette à l'aide d'un stylet.
— Donc les sous-espèces de la catégorie Démon ont bien tous en commun de pouvoir changer la couleur de leur peau et de voir se dresser sur leur tête des cornes. Les démons Lilithus ne sont pas épargnés par le phénomène, et c'est très jolie à observer. Oh, 525, est-ce que tu ressens plus d'excitation ? Tu as davantage faim ?
Dans l'immédiat, il voulait seulement hurler sa colère. Les liens le tenaient toujours fermement malgré sa transformation !
— Bon, je suppose que non. Dommage que la petite Eglantine ne soit pas présente. Cela aurait été si amusant de voir ses réactions, n'est-ce pas ? parla-t-elle alors toute seule.
Elle se mit à entretenir une discussion imaginaire avec un être inexistant, donnant un aperçu concernant le choix du surnom « Docteur Folie ». Il fronça les sourcils lorsque, intéressée par un autre cobaye, elle se mit à le chatouiller pour le punir de ne pas vouloir obtempérer.
Elle nous prend pour des enfants ?
Son enfer était bien différent de ce à quoi l'on s'attendrait de la Ronde. Était-ce ce qu'avait vécu Whil ?
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Bonjour, comment allez-vous ??
Premier chapitre que je poste sans la validation de ma beta-lectrice... Elle va me descendre si elle passe par là parce que je suis certaine qu'elle aurait eu pas mal de critiques à faire.
Mais puisque j'ai pas mal de retard de publication, tant pis, je n'ai pas attendu ^^
J'espère que vous avez quand même aimé ^^
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