Un nouveau regard en arrière, Whil ne savait pas vraiment ce qu'elle s'attendait à voir surgir. Le Téras était un territoire vaste et aux dangers multiples. En ce sens, il serait insensé de ne pas prendre garde au moindre bruit.

Pourtant, un autre sentiment troublait son cœur lorsqu'elle se permettait de se tourner pour observer derrière son dos. Même en compagnie de Victor, de son ami, son seul véritable ami, elle ne pouvait s'empêcher de se sentir seule.

— Eglantine... Je veux dire, Whil, se rattrapa Victor en corrigeant son nom.

— Comment m'as-tu appelé ?

— Whil. C'est bien comme ça que cet homme t'appelait, n'est-ce pas ?

Effectivement, c'était ainsi que l'appelait Stanislav. Mais l'entendre de la bouche de Victor lui donnait une sensation étrange. Elle voulut le corriger, avant de s'en rendre compte : il n'était pas censé l'appeler ainsi. Victor, en ayant entendu Stanislav lui donner ce surnom, aurait sans doute eu l'idée de croire en tout sauf en la vérité. Celle qu'elle ne s'appelait pas vraiment Eglantine mais bien Whilemine.

— Victor, tu...

Elle hésita à en dire plus. Le doute n'avait pas sa place dans sa relation avec Victor. Pourtant, ce fut plus fort qu'elle. Jusqu'à quel point pouvait-elle se confier auprès de son ami ? Elle n'oubliait pas qu'il appartenait aussi à la Ronde, tout comme elle. Mais contrairement à lui, elle n'était pas une humaine ayant été transformée en tératos par la biais d'une expérience. Elle était née tératos.

Victor avait rejoint la Ronde en humain. Il devait croire en la propagande de l'organisation, comme tous ses membres. Ou presque tous puisqu'un certain nombre s'y trouvait par pure curiosité scientifique.

— Whil, je sais parfaitement ce que tu es. Alors tu n'as pas à me cacher quoique ce soit.

— Tu sais tout ?

— Oh, mais tu n'en savais peut-être rien, s'inquiéta-t-il alors Victor, Whil hésitante dans sa démarche de découvrir ce qu'il savait exactement. Tu es une tératos. Une hybride.

— Alors tu savais.

Il opina de la tête devant l'évidence. Son ami connaissait son dossier, il savait ce qu'il y avait à savoir sur elle. La Ronde restait une organisation puissante et se composant des meilleurs. Rien de moins.

— Du coup, dis-moi tout. Tu peux te transformer en arbre, Grand-Mère Feuillage ?

Lorsqu'elle eut la référence de ce vieille arbre dans Pocahontas, valant à son ami un regard furieux, ce dernier éclata de rire.

Sa rapière à la main, Whil continuait d'avancer, préférant ignorer cet idiot qui paraissait vraiment aimer l'embêter dès que l'occasion se présentait. Mais vers quelle destination avancer ?

— Nous devons trouver un pass. Comment es-tu arrivé dans le Téras, Victor ? changea-t-elle de sujet, ne voulant pas aborder sa nature d'hybride avec lui.

— Par le passage de la Vouivre.

Elle en avait presque oublié sa mission. Initialement, Whil était censée s'occuper de ce serpent. Une créature à cause de laquelle elle et Stanislav se retrouvèrent à devoir errer dans le Téras.

Mais si Victor était également arriver avec cette même méthode, tout se compliquait. Il n'y avait aucune chance qu'ils puissent sortir du Téras sans pass. Le seul qu'elle vu de prêt se trouvait encore dans le palais Lilin, celui-là même qu'elle avait quitté quelques minutes auparavant.

Et pourtant, ils avançaient. Ils marchaient ensemble, côte à côte, à destination de nulle part. La seule certitude qu'avait Whil était qu'il s'éloignait du territoire des Lilithus. Et son cœur en devenait de plus en plus lourd.

— Je n'aurai pas dû partir, finit-elle par regretter son départ précipité du palais.

Si elle faisait demi-tour maintenant, qu'elle rejoignait Stanislav, ils pourraient se réconcilier. La discussion les aiderait à se comprendre. Sans doute qu'il ne serait pas d'accord avec toutes ses demandes, tout comme Whil refuserait d'être enfermée pendant qu'il irait se battre pour une vengeance stupide et dangereuse.

Mais ils sauraient faire des compromis, l'un pour l'autre.

Victor ne parut pas d'accord avec cette idée.

— Il reste un démon hématophage, Whil. Un tératos. Et toi tu appartiens à la Ronde. Je sais que ça va être difficile à entendre, mais ils se servent de toi pour nous atteindre.

— Stanislav ne ferait jamais ça !

Elle ne voulait pas le croire.

— Tu ne le connais que depuis quelques jours. Comment peux-tu à ce point lui faire confiance ? s'énerva Victor alors que Whil avait hausser la voix.

Elle eut un mouvement de recule devant son ami qui se tournait brusquement vers elle, lui montrant un visage qu'elle ne lui connaissait pas. Celui de la colère.

— Whil, reprit-il sur un ton plus calme. J'ai bien vu que tu semblais l'apprécier, et que tu t'amuses ne me dérange pas. Je ne suis pas aussi fermé que certains à la Ronde. Mais il ne te retournera jamais cette affection qui tu sembles avoir pour lui.

— Tu ne sais rien.

— J'ai lu son dossier, ça me suffit. Tu ne serais pas la première à être passée dans son lit pour lui servir des informations sur un plateau d'argent.

Whil aimait sincèrement Victor, mais en cet instant il la mettait vraiment en rogne. Elle n'était pas à ce point dupe ! Si Stanislav avait fait semblant, pourquoi aurait-elle eu de telles sentiments à son égard. Il appartenait au Téras, elle appartenait à la Ronde. Jamais cela n'aurait pu fonctionner sans l'intervention du Destin puisque Whil ne leur aurait pas donné une chance de se connaitre.

— Il t'a fait le coup du partenaire destiné, c'est ça ? devina sans aucune difficulté Victor qui n'affichait plus de l'agacement mais de la pitié.

Elle se serait bien passer d'un tel sentiment de sa part. D'autant plus pour un sujet aussi idyllique que l'amour prédestiné.

Mais le silence de Whil parla pour elle.

— Whil, il se sert de toi. Tu avais peur des hommes à une époque, c'était le seul moyen à sa disposition pour te tenter.

— Tu ne sais pas de quoi tu parles.

Elle se souvenait de son temps en tant qu'Eglantine. Cette peur qui lui nouait le ventre à l'approche d'un homme, de sa terreur d'être un jour prise en chasse par l'un des mâles du Téras. Mais dès qu'elle avait posé ses yeux sur Stanislav, un vampire à l'apparence fragile et froide avant de devenir un démon, toutes ses craintes s'étaient envolées. Oh bien sûr, il avait eu ce côté terrifiant par moment, mais jamais elle ne l'avait réellement craint.

Victor ne pouvait pas comprendre.

— De toute manière ça ne te regarde pas, se braqua-t-elle à la discussion qui tournait au vinaigre.

— Bordel, mais il te manipule !

Ce fut difficile à encaisser, parce que Whil se rendit compte qu'elle devait choisir entre son ami et son amant. Elle n'aimait pas ça.

— Il est... Il est ma destinée.

— Tu es sérieuse ? Tu vas vraiment y croire de manière si candide ?

Le calme s'était de nouveau installé entre eux. Mais Victor ne semblait pas la croire. La grimace qu'il tirait, sa main qu'il utilisait pour, sembla-t-il, calmer une migraine naissante, et sa posture furibonde, tous les indices étaient là pour montrer que la situation l'agaçait.

— Tu l'as toi-même admis dans ton encyclopédie, Whil. Initialement, ces histoires de partenaires destinés sont des moyens de reproduction. Tu comptes porter les gosses de ce monstre ?

Son visage s'empourpra. Jamais elle n'avait pensé à ce genre de possibilité. Tout ce qui l'intéressait était de pouvoir apprendre à connaitre Stanislav, vivre avec lui, l'aimer et profiter de l'amour qu'il lui offrait. L'idée d'avoir des enfants n'étaient pas un sujet envisageable pour elle. Pas aujourd'hui, ni demain. Et bien qu'un temps elle avait aussi pensé que les partenaires destinés n'étaient qu'un moyen de reproduction, en l'expérimentant elle voulait penser différemment.

— Tu as changé, lui reprocha-t-il en secouant de la tête. Je ne te comprends plus. Tu étais une grande chercheuse, un excellent élément de la Ronde. Mais maintenant...

Il ne termina pas sa phrase, préférant se remettre en marche. Ce fut douloureux à encaisser, à entendre. Au final, elle n'arrivait pas à saisir la raison de cette dispute. Pourquoi refusait-il de croire qu'elle et Stanislav pouvaient être liés d'une quelconque manière par le Destin ?