Chapitre 48
— Te voir si heureux est assez déroutant, mon frère. Je suppose que ta petite hybride a su satisfaire tes besoins ?
Stanislav se tourna vers Nalphas, un sourire innocent sur le visage. Cela paraissait-il si évident ?
— Sa maison, c'est moi.
— Je sens que je vais regretter d'avoir posé la question, mais pourquoi ça ?
— Elle s'est enracinée en moi.
— Enracinée...
Visiblement, son cousin ne comprenait pas ce que cela signifiait et au moment où il sembla se représenter une vague idée de ce que cela impliquait, Stanislav n'eut pas besoin de lire dans ses pensées pour en connaitre le contenu.
— Les hamadryades ont des racines. Et les hommes n'ont pas beaucoup de trous.
— Tu as tout faux, Nalphas.
Il tira sur son haut, révélant son flanc et les cicatrices qui avaient du mal à disparaitre.
— A merde. Elle a enfoncé ses racines en toi ? Littéralement.
— Elle ne l'a pas contrôlé.
— Je préfère mon incube. C'est vraiment...particulier comme histoire, mon frère.
Certes, il marquait un point. Une hamadryade n'utilisait pas ses racines pour ce genre d'acte. Tout du moins, pas à sa connaissance. Et le Téras en savait bien peu sur l'espèce sylvestre. Mais elles étaient censées être pacifiques. Sans doute que le côté amazone de Whil la rendait moins docile.
— C'est douloureux ? appuya son cousin de ses doigts sur la blessure.
— La sensation n'est pas encore partie.
— Je ne sais ce qui m'effraie le plus. Le fait que si une hamadryade le souhaitait elle pourrait nous tuer facilement, ou que tu ais aimé être pénétré par les racines d'un arbre.
— Pas d'un arbre, mais de Whil.
Nalphas opina de la tête d'un signe convaincu.
— Tu as définitivement perdu la tête mon frère.
Mais la discussion fut vite interrompue. Babylas faisait son retour.
— Nous avons à discuter.
Les deux hommes acquiescèrent, conscients qu'il y avait beaucoup à réaliser. Il devait donner la priorité sur les Saeva. Récupérer sa couronne, son territoire et sa légitimité au pouvoir s'avérait primordial pour construire une solide défense contre les Idoles et pour protéger Whil. Seulement...
— Whil a laissé entendre qu'un traitre se trouvait dans mes rangs.
— Et tu la crois ? demanda tout de même Babylas, doutant des paroles qu'on pouvait exprimer durant une dispute.
La question se posait, parce que cette information avait été lancée pour le blesser. Mais Stanislav ne pouvait se permettre un tel luxe. Il croyait en l'honnêteté de Whil, et en le fait qu'elle semblait incapable de lui mentir.
— Il ne faut pas oublier qu'elle appartient à la Ronde, reprit Nalphas, ce qui l'agaça.
— Je t'interdis de...
— Calme-toi, Stanislav. Je ne dis pas qu'elle travaille encore pour eux. Mais elle l'a fait. Elle sait des choses. Et ce n'est pas une nouveauté. Tout le Téras est au courant que la Ronde possède un service d'espionnage plus performant que les nôtres. L'information, c'est leur mine d'or. Alors je suis d'accord, je pense que ta protégée dit vrai.
— Très bien, dans ce cas nous devons changer nos plans, proposa Babylas.
Sa tante posa sur la table une clé. Un pass pour leur donner le pouvoir de rejoindre la terre des Hommes.
— Il faudrait rejoindre Nikita. Elle est en contact avec mon espion, et tous les deux ont dû réfléchir à des plans de leur côté.
Il avait pleinement confiance en Peter. D'autant plus qu'il était marié avec une Ker. Jamais il ne le trahirait.
— Nikita ? Je ne fais pas confiance à cette sangsue, grogna Babylas.
Soudain, la porte s'ouvrit en grand. Chacun se tourna vers l'imprudent ayant décidé d'ignorer tous les ordres interdisant qu'une réunion soit interrompue.
Un parfum envoûtant envahi les lieux, apaisant toute colère. Whil venait d'entrer, les yeux curieux, la démarche légère.
— Whil, que se passe-t-il ?
Puis le regard verdoyant de cette dernière se pétrifia sur une direction. Il suivit cette dernière, et blêmit. Elle venait de voir la clé. Le pass. Savait-elle de quoi il s'agissait ?
— Victor avait raison.
Le fameux Victor entra à son tour, ne pouvant sans doute pas s'empêcher de venir observer ce chaos à venir qu'il venait de provoquer.
— Lorsque nous sommes arrivés dans le Téras, tu as vu ma détresse et tu as juré de trouver un moyen de me ramener sur Terre, lui rappela-t-elle alors.
Stanislav tendit la main, cherchant à atteindre la jolie femelle que le Destin lui avait confié. Son hybride s'étant enracinée en lui. Mais son mouvement demeura en suspens, le choc pétrifiant Stanislav.
Whil pleurait, le visage déchiré d'une souffrance qu'il ne saisissait pas. Ne souhaitait-elle pas rester à ses côtés ? Si c'était le cas, alors cette clé, ce pass n'avait aucune sorte d'importance !
— Tu avais promis, Slav. Tu l'avais promis...
— C'était avant que les Valkyries ne tentent de t'enlever à moi, que les Amazones ne cherchent à nous séparer. C'était avant que tu plantes tes racines en moi, Whil.
La fureur se mêla à ses larmes.
— Tu comptais me le dire lorsque j'aurai raté mes examens ? Oh, laisse-moi deviner. Tu voulais d'abord te venger de la Ronde puis reprendre ta couronne. Ensuite tu m'aurais emmené dans un château aussi froid que le corps d'un vampire.
— Ne parle pas comme si j'avais eu l'intention de te garder prisonnière.
— Si je peux me permettre, chercha à intervenir Nalphas.
— Tu ne peux pas ! aboya Stanislav.
Un souffle de mépris échappa à Whil.
— Ah ! Alors explique-moi ce qu'il en est vraiment ! Je n'ai pas le droit d'aller hors du palais Lilin. Je n'ai pas le droit de suivre tes petites réunions secrètes concernant tes conquêtes. Alors que moi, j'en sais bien plus que toi sur toute la ligne !
Il tilta de nouveau sur cette dernière information. Encore une fois, Whil laissait supposer connaitre beaucoup sur sa situation, sur son entourage et sur ses missions.
Que savait-elle exactement ? Que cachait-elle ? Et si elle était au courant, qui d'autre l'était ? La Ronde ?
Il grogna son avertissement, et elle eut un sursaut avant de se ressaisir, comme n'importe quelle Amazone le ferait.
— Si tu sais quelque chose...
— Oh, alors ce que j'ai à dire t'intéresse ?
— Merde Whil ! Bien sûr que je m'intéresse à ce que tu dis !
— Whil ? s'étonna son ami, qui ne devait la connaitre que sous le nom d'Eglantine.
— Et mes besoins ? décida-t-elle de l'ignorer, à son plus grand bonheur.
Il voyait très bien sur quel chemin son hybride cherchait à l'emmener.
— Je ne vais pas répondre à cette question tant elle est absurde.
— D'accord, tu sais quoi ? Je vais tout te dire. Et en échange, je veux le pass.
Il hésita. La proposition était tentante. D'autant qu'il était persuadé qu'elle ne saurait pas s'en servir. Mais la dispute que cela entrainerait... Les informations de Whil valaient-elles le coup d'un affrontement ?
Au pire, elle ira bouder dans le jardin en se transformant en arbre.
Cela lui donnerait également le temps de combattre pour sa couronne et sa vengeance. Avec de la chance, à son retour elle serait trop heureuse de le voir pour se souvenir des raisons les ayant poussé à se prendre la tête.
— Je marche. Dis-moi tout.
Même Babylas leva les yeux au ciel.
— Sale con, prononça distinctement Whil.
Mauvaise décision qu'il regrettait déjà. D'autant que derrière sa femelle, le male concurrent se retenait de rire aux éclats.
— Très bien, bomba-t-elle le torse, plaçant ses mains sur les hanches pour se donner une posture dominante. Tu as une taupe parmi ton armée de révolutionnaires. Elle est la raison pour laquelle tu n'arrives jamais à rien.
— Qui est-ce ?
— Je suis quand même surprise. Je connais ta vie mieux que tu ne la connais toi-même. C'est vraiment surprenant. Je devrais retourner à la Ronde. Au moins j'y étais utile en tant que guerrière et informatrice.
— Ne m'énerve pas.
— Toi ne m'énerve pas ! Je suis celle qui a les réponses. J'ai vécu tout ce temps sans toi à mes côtés pour me protéger ! Et même sans toi, je saurai refaire ma vie ! Tu as besoin de moi, le reste est encore à confirmer.
Il lui fallut une fraction de seconde pour saisir Whil par la gorge. Elle n'eut aucune crainte, le toisant du regard.
— Eglantine, depuis quand quelqu'un est capable de t'attraper ? s'étonna ce Victor.
Ils restèrent ainsi à se chercher, à s'évaluer, la respiration lourde et maitrisée.
— Je ne suis pas la méchante, Stanislav. J'ai fait une erreur. Une seule. Cette maudite potion. Et tu t'en sers comme d'une arme de culpabilité contre moi. Je me suis excusée, je t'ai prouvé que je t'aimais mais tu n'arrives toujours pas à me faire confiance. Le problème, ce n'est plus moi, mais toi.
Elle le repoussa, massant délicatement son cou avec une grimace qui lui fit regretter son impulsion. C'était la deuxième fois qu'il devait violent contre elle ainsi. Il n'y aurait pas de troisième.
Ses poings se serrèrent.
— Je... , commença-t-il sans savoir quoi dire.
Devait-il avouer ses fautes ?
— J'ai simplement peur, Whil. Tu es une hybride, tu es jeune. Tu es intelligente, l'esprit le plus brillant qu'il m'ait été donné de rencontrer. Tu es un puit de savoir, une beauté qu'on rêve de croiser au moins une fois dans son immortelle de vie.
Elle rougissait. Il était sur la bonne voie. Devait-il continuer ainsi ?
— Ce n'est pas par manque de confiance en toi. Comprends-moi. C'est à moi que le Destin a confié une créature aussi parfaite. Une jolie hybride avec autant de force que de faiblesse. Notre monde est hostile aux hybrides et à la Ronde. Et je ne connais pas d'autres manières de te protéger que celle de t'épargner de tout ça.
— De m'enfermer. Tu m'arraches à ma liberté pour me protéger alors même que je n'ai jamais eu besoin de ta protection.
Avait-il encore dit quelque chose de travers ?
— Nikita. La taupe est ta tante, Nikita.
Son sang se glaça à cette révélation absurde.
— Ma tante m'a sauvé la vie.
Stanislav serra le poing, furieux par une telle accusation. Certes, sa tante n'était pas un exemple de loyauté, mais il refusait de croire qu'elle puisse le trahir après s'être donnée tant de mal pour le maintenir envie.
— Elle est celle qui m'a sauvé des Saeva pour que je puisse réfléchir à ma vengeance.
Le rire de Whil n'eut rien d'amusé. Bien au contraire, il était étrangement moqueur. Ce n'était pourtant pas son genre.
— Pose-lui la question par toi-même, Slav. Je pense que vous aurez beaucoup de choses à vous dire. Et si elle ne sait pas quoi te répondre, commence pour lui demander la raison réelle pour laquelle Lizebeth Báthory, aujourd'hui appelé Lizebeth Saeva, a-t-elle décidé d'attaquer ton père. Oh, et précise-lui que tu sais pour la prophétie. Ça devrait l'aider à délier sa langue.
Il ne put en croire un mot.
— Maintenant, le pass, réclama sa partenaire destinée.
Elle tendait la main telle une affamée. Etait-elle impatiente de le quitter ? Non, elle souhaitait une liberté qu'elle l'accusait de lui refuser.
Furieux, il en oublia cette histoire de trahison, lançant l'objet à l'hybride au cœur cruel. Le sourire sur son visage fut d'autant plus douloureux.
— Merci Slav.
Elle le remerciait avec sincérité, cette expression ne la quittant pas. S'était-il réellement montré aussi tortionnaire qu'elle le prétendait ?
— Je vais aller régler cette histoire avec ma tante et à mon retour nous parlerons sérieusement de tout ceci.
— Attends, parce que tu crois vraiment que je vais t'attendre sagement ici ?
— Bon sang Whil ! Est-ce que tu as conscience du nombre de personne qui te cherche ou des dangers que tu cours ?
— Les Valkyries et les Amazones, oui je sais. Tu me le siffles dans les oreilles comme un putain de mantra presque tous les jours ! J'avais l'intention de revenir te trouver une fois mes examens finis mais tu sais quoi ? Lorsque j'aurai terminé, je vais aller me trouver une forêt et je n'en sortirai plus. Au moins ça te donnera le temps de faire ta vendetta sans m'avoir dans tes pattes.
— Que tu sois d'accord ou non, tu ne sais pas te servir de cet objet. Et personne ne t'aidera ici, parce que chacun à conscience des dangers que tu encours en sortant d'ici.
— Ah oui ? Si tu le penses vraiment, c'est que tu ne me connais pas si bien au final. Parce que je suis un génie !
Aussitôt dit, elle posa sa main au sol. La terre s'ouvrit, laissant apparaitre un objet qui ne se trouvait pas dans les parages. Sa rapière. Celle de la Carmagnole, une arme demeurée bien loin.
Elle se mit à murmurer dans un langage qui ne lui était pas familier. Les divers symboles sur sa lame s'allumèrent.
— Victor ! hurla-t-elle alors.
Ce dernier déploya ses grandes ailes au plumage solaire, s'agrippant à Whil. Elle laissa le pass tomber par terre, planta sa rapière dedans sans hésiter. Et elle disparut, en compagnie d'un autre que lui.
Médusé, Stanislav s'approcha, ne découvrant que le pass.
Son regard se fixait sur cet objet. Une clé responsable d'une discorde. Elle n'avait pas été brisée par le coup d'épée de Whil. Pas une éraflure.
Babylas s'avança.
— Je comprends la situation mais...
— Ne dis rien de plus, Babylas.
Durant des siècles, sa guerre, sa vendetta fut une priorité, l'essence de sa vie. Avant Whil.
— Elle est ma priorité. Je vais la chercher.
Il ne voulait pas de cette méprise entre lui et Whil. Avant de passer à l'attaque, il voulait pouvoir régler la situation et ce malentendu entre eux deux.
— Elle est sans doute encore dans le Téras. Le pass n'a pas été utilisé.
Le territoire n'était sécurisé que par les peuples et les clans qui savaient se protéger de ses multiples dangers. Whil se trouvait avec un autre homme, un autre mâle. Et Stanislav n'était pas certain des bonnes intentions de ce dernier, ni même s'il saurait protéger Whil dans le Téras. Allait-il seulement lui venir en aide si elle se trouvait face à de dangereux prédateurs ?
— Nous ne pouvons nous passer de toi, mon fils. J'enverrai nos hommes, ils la ramèneront.
— Non, je souhaite m'en charger moi-même.
Il savait que ce serait difficile de s'entendre avec Whil lorsqu'il la rencontra. Elle, une guerrière et savante de la Ronde, lui, un prince déchu en guerre contre les acteurs de cette chute.
Le conflit était naturel. Il faudrait du temps. Il avait espéré en avoir ici, au palais Lilin. Un mauvais choix visiblement. Même sans cet oiseau de malheur, ce Victor, ce n'aurait été qu'une question de temps avant que Whil ne trouve le pass.
— J'ai attendu des siècles pour la couronne. Whil est bien plus importante.
Babylas comprenait, tout comme son cousin qui lui accorda un clin d'œil complice.
— Les relations entre espèces différentes comportent son lot d'obstacles. Mais le temps fait son œuvre, et tu es d'une nature patiente, acquiesce Nalphas. Va, et reviens-nous vite avec ta petite reine. La vengeance attendra.
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