Chapitre 47
— Comment ça se fait qu'ils parlent tous en français ? s'étonna en premier lieu Victor.
Il aurait pu s'inquiéter de divers autres détails. Comme de la nature de ces créatures cornues, du lieu hospitalier ne ressemblant en rien à un hôpital habituel, ou encore discuter avec Whil de la raison de sa venue ici. Mais ce qui l'intéressait s'avérait être le choix du français comme langue pour communiquer entre eux.
— Ma présence, répondit tout de même l'hybride. Par respect pour moi, ils communiquent en français lorsque je suis dans les parages.
Victor dévisageait les guérisseurs, méfiant de ces démons Lilithus. En constatant que Whil le décrivait d'un œil intrigué, il lui accorda un sourire habituel, classique. Un sourire qui lui avait presque manqué. Seulement, son seul ami était apparu à elle, blessé, et à présent presque entièrement guéri, cela la rassurait autant qu'elle se sentait mal à l'aise. L'évidence sautait aux yeux de tous. Celui qu'elle avait cru être un humain durant tout ce temps s'avérait être un tératos.
Sur ce point, Whil ne doutait de rien. Aucun être humain normalement constitué ne pouvait guérir si vite. Ce privilège appartenait au Téras et à la plupart de ses créatures.
Pour autant, l'experte qu'elle était dans le domaine tératos sentait un doute l'habiter. Tout du moins concernant la nature de son ami. Un Phénix, si elle acceptait de croire ses connaissances hypothétique sur le métabolisme tératos et les spécificités de ses différentes espèces.
Au-delà de ces savoirs logiques, Whil le ressentait en elle. Son instinct ne la trompait jamais. En tout cas jusqu'à présent.
Elle n'avait aucun problème avec les Phénix, mais ce constat était impossible. L'espèce avait été éradiqué. Une disparition qui datait de bien avant sa naissance. Victor ne pouvait appartenir à l'espèce. Elle devait faire erreur. Pourtant, la flagrance de Victor avait tout d'un brasier à peine éteint. Une odeur de brûlée aux nuances d'encens. Un simple détail qui s'additionnait à la liste pointant cette espèce disparue.
— Etonnant. Ils connaissent la langue ?
— Les tératos apprennent quelques langues humaines, continua-t-elle de répondre de manière quasiment automatique, trop occupée à comprendre la physionomie de son ami.
Comment pouvait-elle être passée à côté de cette information ?
— Tu es un tératos, n'est-ce pas Victor ?
Il lui accorda son attention, délaissant sa curiosité à l'encontre des démons.
— Oui.
Sur quoi reposait leur amitié ? Whil était connue pour être la Carmagnole, une tueuse parmi les plus prolifiques de la Ronde, mais également comme étant la fille de Solomon Seward. Personne ne croirait au hasard de sa rencontre et de son amitié avec Victor. Cela paraissait invraisemblable. Un tératos comme ami d'un agent de la Ronde, c'était suspect.
Était-ce réellement par vengeance qu'il se trouvait dans son entourage ? Avait-elle tué l'un des proches de Victor ? Si tel était le cas, la victime n'était pas un Phénix. Whil se sentit coupable de ne pas pouvoir se souvenir...
Elle devait avoir anéanti plusieurs vies et ce n'était qu'aujourd'hui que sa poitrine se serrait d'un sentiment nouveau.
— Victor, je suis... un agent de la Ronde.
Il acquiesça de la tête. De lui ne transparaissait aucune haine à son encontre.
— Est-ce que... Est-ce que j'aurai fait du mal à l'un des tiens ?
Il posa ses mains sur elle, lui frottant les bras. Une hésitation le rendit plus fébrile que n'importe quel mâle du Téras. Après tout, il ne se souvenait d'elle que comme étant Eglantine. Il ne savait rien de sa fusion.
Or, Eglantine ne supportait pas le toucher. En particulier lorsqu'il venait d'un homme. Mais Whil n'en ressentait plus d'aussi grande crainte.
— Cela ne change absolument rien, Eglantine. Je suis ton ami.
— Oh mon Dieu... J'ai vraiment tué l'un de tes proches, c'est ça ?
Il arbora une expression triste, déchirante, avant de grimacer un sourire impossible à retenir. Puis il éclata d'un rire franc.
— Je t'ai bien eu.
Whil se sentit bête, les joues rouges de honte. Il se moquait d'elle.
— T'es méchant ! J'ai vraiment cru un instant que notre amitié reposait sur un plan de vengeance !
Le doute n'eut plus sa place dans les gestes de son meilleur ami. Victor l'attrapa dans son étreinte, l'y enfermant comme pour forcer ses pensées à s'ancrer telle une vérité en elle.
— Ne doute pas de notre amitié, jamais.
Il s'approcha de son oreille.
— J'appartiens également à la Ronde, Eglantine.
Elle entrouvrit la bouche. De toutes les suppositions, celle-ci était la dernière qu'elle aurait pu imaginer.
— Mais tu es un tératos.
— Et toi une hybride.
Ce regard-là, elle le connaissait. Il était semblable à celui de son père, et au sien lorsqu'elle cherchait à cerner un ennemi.
Victor observait sa réaction pour une raison qui lui échappait.
— Eglantine, tu trembles.
— Parce que j'ai peur. Tu es venue pour me tuer ? Ou peut-être pour tuer ces démons ?
Après tout, la Ronde pouvait l'avoir envoyé pour l'éliminer. Il ne se doutait pas qu'elle était Whil, la fusion d'Eglantine et de Lythanax. Mais s'il l'apprenait...
Non, je veux avoir confiance en mon ami.
S'il s'écarta d'elle un instant en la libérant de ses bras, Victor se refusa tout de même à la relâcher entièrement. Ses mains se glissèrent dans les siennes, gardant le contact.
— On pourrait m'en avoir donner l'ordre, je n'obéirai pas. Eglantine, je te l'ai dit. Tu es mon amie, tu m'es précieuse. Et dès que ta disparition a été signalée, je me suis portée volontaire pour partir à ta recherche.
— On t'a demandé de m'évaluer, n'est-ce pas ?
— Ça suffit. Tu réfléchis trop. Je suis simplement venu te retrouver pour te sortir de cet enfer.
Elle se tut un instant, remettant de l'ordre dans ses pensées.
— Tu es dans mon camp.
— Oui Eglantine. Je suis dans ton camp.
Était-ce naïve de vouloir le croire ?
Whil décida par un hochement de la tête d'accepter ces informations.
— Et tu as loupé tes examens.
Elle blanchit en une fraction de seconde, son sang se glaçant à cette vérité énoncée. Tous ces évènements lui avaient fait oublier ses examens !
Victor éclata de rire, lui ébouriffant les cheveux pour continuer de la taquiner. Son ami n'avait pas changé. Mais cette familiarité ne l'empêcha pas de paniquer. Whil se mit à ronger ses ongles.
Ses examens, son diplôme... Ma liberté.
Il avait toujours s'agit de sa seule issue pour s'évader, s'éloigner d'une existence qu'on lui avait imposé depuis toujours. Loin de la Ronde, loin du Téras.
— Tout doux Eglantine, les rattrapages ne sont pas encore passés. La Ronde a créé une excuse valable pour t'autoriser à repasser tes épreuves.
C'était apaisant. Ce geste naturel lorsque Victor la réconfortait, son rire lorsqu'il se moquait. Whil s'en sentit rougir de bonheur.
— Tu souris enfin, accueillit-il avec tendresse.
— Tu m'as manqué, Victor.
— Je pari que non. J'ai pu rencontrer le beau démon avant de m'évanouir, lui fit-il un clin d'œil. Te serais-tu amusée en mon absence ?
— La ferme !
Whil souleva le drap sur le lit pour cacher son ami moqueur en dessous, ce qui accentua l'amusement entre eux.
— D'accord, d'accord, j'arrête de t'embêter.
— Victor, j'ai une question.
— Pose toujours.
— Tu es de quelle espèce ?
— La grande experte du Téras n'arrive pas à deviner mon espèce ? Tu me déçois Eglantine.
— Et toi tu te moques encore de moi.
— Aller, devine toute seule.
Elle remua le nez, pinçant ses lèvres de tentation face à l'énigme. Whil l'avait résolu, mais une information lui échappait. Elle en était certaine.
— Tu ne peux pas être un Phénix, l'espèce est éteinte.
Il retint un rire.
— Même en cours tu as ces tiques. J'entends d'ici les rouages de ton cerveau. Dis-moi tout.
— Je ne sais pas.
— Pas à moi. Je suis ton partenaire dans chacun des projets de groupe à rendre, je sais comment tu fonctionnes, affirma-t-il en tapotant la tête de l'hybride du bout du doigt.
Alors elle se mit à réfléchir, choisissant de croire que son ami avait raison. Elle était capable de deviner ce qui lui échappait.
Aucun tératos ne rejoindrait volontairement la Ronde. Whil était une exception. Elle avait été élevée par un humain.
Alors, qu'est-ce qui ferait qu'un tératos accepte de travailler pour la Ronde ? De toutes les expériences...
Oh.
— Ah, j'ai l'impression que tu as compris.
Whil tilta. La Ronde n'acceptait pas de tératos dans son camp.
— Le projet Renaissance.
Le projet Renaissance se définissait en un but simple. Rendre des humains aussi forts que les tératos en leur accordant des caractéristiques de créatures disparues.
Le problème étant que les résultats n'étaient pas ceux prévus. Elle en savait bien peu, mais avec Victor devant elle, Whil commençait à cerner le problème. Les cobayes ne se dotaient sans doute pas seulement de quelques caractéristiques tératos.
— Un projet expérimental qui n'a pas encore aboutit.
— Et tu es devenu un Phénix.
— Il faut croire.
— Ta mission était de me surveiller.
— Oui. Non ! se rectifia-t-il trop tard en comprenant que Whil venait de volontairement l'embrouiller.
Il poussa un soupir, passant sa main dans ses cheveux.
— Victor, dis-moi la vérité. Toute la vérité.
Son regard balaya les environs. Il tenait à ce que la conversation demeure privé. Et Whil partageait cette pensée. Les discussions concernant la Ronde restait au sein de la Ronde.
— La Ronde m'a donné des vacances. Le temps de faire mes études.
— D'accord.
Il se mordit la lèvre, embarrassé par la vérité.
— Ma mission était de surveiller une hybride en voie de floraison dans son université. Je devais veiller sur toi, m'assurer que le Téras ne vienne pas te prendre à ta famille.
— Ma famille ?
— La Ronde, et le Docteur Seward. Ne se sont-ils pas occupés de toi ? N'ont-ils pas veillé sur toi ?
Victor voulut parler mais un démon s'approcha, commençant quelques examens pour constater de l'état de son ami.
— La plupart de vos blessures sont entièrement guéries.
Il ne pipa mot, mais lorsque le guérisseur repartit, Whil plissa les yeux, mécontente de ce qu'elle perçu. Victor observait son environnement avec intérêt. Ce regard, ces expressions, elle les connaissait. Ils éveillaient en elle des souvenirs. Celui de la traqueuse qu'elle avait été avant sa rencontre avec Stanislav.
— Ne pense même pas à les combattre, Victor.
— Ce n'est pas mon but.
Mais il gardait le silence, et ça ne lui plaisait pas.
Non seulement l'idée qu'il puisse s'attaquer à ce clan la mettait en rogne, mais elle savait également que Victor périrait. En imaginant Victor et Stanislav, arme en main, se livrer à un combat sans merci, Whil se retint un cri d'effroi.
— Nous devons trouver un moyen de partir, hocha-t-il de la tête.
Son objectif était de la faire sortir d'ici. De l'emmener loin des démons et de la ramener à la maison. Mais était-ce ce dont elle avait envie ? Etait-ce ce dont elle avait besoin ?
— Je vois bien que tu hésites. Mais ton père est inquiet et tes rattrapages sont pour bientôt. Ensuite tu auras ton diplôme. Et si tu en doutes, sache que la Ronde ne te fera pas tuer parce que tu es une tératos. Le docteur Seward y veillera dans tous les cas.
Elle poussa un soupir. C'était ce dont elle avait besoin. Pour sa liberté.
— Tu as un pass ? réclama Whil.
— Non, mais je pensais à celui des Lilithus. Je suppose qu'ils ne te laissent pas l'utiliser et que c'est la raison pour laquelle tu n'es pas revenue.
— Ils n'ont rien de tel.
Victor fronça les sourcils.
— Bien sûr que si.
— Non, sinon Stanislav m'en aurait parlé. Il sait que je veux retourner sur Terre.
— Es-tu sure de toi ? Tu es un agent de la Ronde, une traqueuse de renom. Ils doivent chercher à t'amadouer pour que tu leur révèles des secrets concernant la Ronde.
— Non, ils ne sont pas comme ça.
— D'accord, alors ose me dire qu'ils ne se sont jamais montrés curieux concernant tes connaissances.
— Jamais. La seule question qu'ils...
Elle s'arrêta, se souvenant de Babilas la questionnant sur les Idoles. Mais n'était-ce pas normal de se poser une telle question ? D'autant plus qu'elle était une hybride. Si Stanislav envisageait une vie avec Whil, les Idoles seraient un problème à vaincre.
— Peux-tu affirmer qu'en ce moment ce vampire n'est pas en train de préparer un plan d'attaque à l'encontre de la Ronde ?
— Il... Stanislav est au-delà de la vengeance.
— Pourtant, la Ronde s'attend à devoir essuyer une attaque de l'héritier Dyavol dans les jours à venir. Nous nous inquiétons que ce gars puisse t'utiliser pour attaquer la Ronde, ou pire ! Pour faire de toi une otage. Solomon se sacrifierait pour sauver sa seule fille.
Son père l'aimait-il à ce point ?
— Repose-toi, Victor. Nous parlerons plus tard.
Bien qu'elle ne croyait pas les mots de son ami, Whil se devait de vérifier certaines de ces affirmations. Stanislav préparait la guerre, c'était une évidence. Contre les Saeva. Et il n'avait pas l'intention de lui demander son aide, parce qu'il souhaiterait sans doute la préserver de tous les dangers. S'il envisageait d'attaquer la Ronde, ce ne serait rien de surprenant non plus. Mais qu'il ait volontairement caché un pass capable de la faire rentrer chez elle...
Si j'ai vraiment raté mes examens parce que ce maudit démon m'a caché un tel objet, je jure de le lui faire payer.
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