Chapitre 42


— Elle ne s'enfuira pas.

Stanislav accorda son attention à Nalphas, toujours tourmenté de ne pas se trouver auprès de Whil.

— Qu'en sais-tu ?

— Mon frère, notre nature nous rend tel des sangsues. Mais ta femelle est à moitié Hamadryade. Parfaite pour les plaisirs de la chair, pour te nourrir d'un sang de qualité et pour résister à tes violences.

— A t'entendre, cela donne l'impression que je la maltraite.

Le silence de Nalphas vexa le démon. Avec Whil, il n'y avait pas un jour où les deux ne s'aimaient pas de manière charnelle. Elle n'exprimait aucune plainte. Le repousser, le frapper ou le maitriser n'aurait pourtant pas été trop difficile – bien qu'il se sentait être capable de résister ou de contrer ses attaques – venant d'une traqueuse de la Ronde avec un sang de guerrière aussi barbare que celui des Amazones dans ses veines. Aurait-ce été insensible de croire qu'elle appréciait ce qu'ils vivaient, de penser qu'elle pouvait aimer la manière dont ils l'expérimentaient ?

— Babylas prend son temps, finit-il par perdre patience.

— Tu es pressé ?

Bien sûr qu'il l'était ! Il avait laissé sa femelle loin de ses bras. Entre la tentative de kidnapping des Valkyries et le groupe d'Amazones n'ayant encore engagé aucune représailles à leur encontre pour avoir gardé l'une des leurs, comment son cœur pouvait-il ne pas se noyer d'appréhension ? D'autant que ce fichu sort se trouvait sur une table, caché sous un drap.

— Il faut un certain temps au démon Lilithu pour accepter d'accorder de l'espace à son partenaire lilū, intervint enfin une voix sage. Mais Nalphas a raison, ta femelle est à moitié Hamadryade. Et une telle créature s'enracine. Tu es son mâle, tu es donc la terre qui l'accueille. Tu n'auras pas plus résistante et fidèle femelle parmi le Téras. Elles sont difficiles à convaincre mais une fois cette étape de franchie, le plus difficile est déjà passé.

Babylas chassa les quelques autres individus encore dans la pièce. Le sujet devait être important et délicat pour que la matrone s'inquiète de devoir sélectionner les oreilles autorisées à écouter ou non.

Ces derniers temps, tous ses instincts le poussaient à ne s'intéresser qu'à Whil et rien d'autre. Même ainsi conscient de la réalité, cela ne le dissuadait pas de continuer à nager dans ce bonheur. Il se sentait bien, et pour la première fois depuis longtemps Stanislav était heureux. Ses nuits n'étaient plus hantées par des cauchemars ni par de mauvais souvenirs. Ses journées ne se noyaient plus dans la haine et les complots.

Whil avait fait battre son cœur. Sa simple présence avait forcé son corps à retrouver son état de puissant démon. Tout cela en lui accordant le plus merveilleux des sourires. Ces esquisses qui semblaient rendre plus brillant le Soleil et plus lumineux le jour. Ces expressions et ces gestes capables de chasser n'importe quel hiver glacial et menaçant.

Mais la réalité s'écrasa sur une table. Des plans et des armes.

— Les Saeva ou la Ronde. Qui attaqueras-tu en premier, Stanislav ?

La vengeance...

— Je n'en ai plus vraiment envie, Babylas.

La femme perdait rarement ses moyens. Mais à l'entente de son neveu ne souhaitant plus retrouver sa couronne suffit à faire griser sa peau.

— Stanislav, ils ont tué ta mère, ma sœur. Nous devons la venger.

Dans ses souvenirs, l'image de sa mère renvoyait une grande tendresse et un sentiment chaleureux. Une femme lui répétant qu'elle serait toujours à ses côtés, lui rappelant qu'elle l'aiderait à ne pas devenir un roi s'il souhaitait fuir cette responsabilité ou encore qu'elle forcerait son père à accepter une simple humaine comme princesse s'il aimait cette personne.

Sa mère accordait beaucoup à l'amour, s'accordant des moments solitaire à observer le Soleil se lever avant que des domestiques ne la ramènent en sécurité. De la nostalgie, de la mélancolie et des regrets, sans doute parce qu'elle n'avait pas trouver un partenaire aussi précieux que l'était Whil pour lui. Si cette femme-là le voyait quitter sa femelle et son bonheur à contrecœur pour récupérer le pouvoir...

— Ta femelle est une hybride. Je ne pourrai pas la protéger des Idoles si ces derniers décidaient de la tuer.

— Que dis-tu ? s'emporta-t-il soudain.

— Notre clan est puissant, mais les Idoles sont incapables de mourir. Nous ne ferions pas le poids et tu le sais. Alors pour la protéger, tu te dois d'avoir du pouvoir. Quel qu'en soit la forme.

A trop être aveuglé par les mots doux de Whil, il en avait oublié une menace ayant obligé bon nombre de créatures à fuir le Téras : les Idoles. Autoritaires, orgueilleuses et douées d'une arrogance si prétentieuse que cela en devenait un art, les Idoles étaient bien connues pour ne pas apprécier les hybrides. Whil pourrait devenir leur cible un jour ou l'autre. Pouvait-il vraiment prendre le temps d'attendre ? Si ce jour arrivait, lorsqu'il arriverait, il serait trop tard pour lui d'intervenir.

— La Ronde contient des humains intelligents, cracha-t-elle avec difficulté. Peut-être que ces derniers détiennent des informations concernant de possibles faiblesses concernant les Idoles. Quant aux Saeva, ils ont des contacts, et les Idoles leur accordent le droit de posséder des hybrides. Des dhampires.

La méthode de Babylas n'avait rien de caché dans ses ambitions. Elle cherchait à le persuader d'aller en son sens. Et cela fonctionnait. Il avait cru qu'elle choisirait de s'occuper d'abord de récupérer la couronne mais apparemment, cela lui importait peu. Elle avait réfléchis à différentes stratégies. Tout comme lui.

Elle était dans le même état qu'il l'avait lui-même été avant de rencontrer Whil.

Peter devait sans doute attendre de ses nouvelles. Stanislav l'avait laissé au bon vouloir de Nikita. Il n'avait pas confiance en cette dernière. Personne de censé ne pouvait accorder sa confiance à une telle femme.

Portant sa main à son visage, ses priorités changèrent tout aussi vite. La Ronde, les Saeva et les Idoles.

— Les Idoles ?

Cette voix-ci n'appartenait pas à Babylas, et encore moins à son cousin. Dans l'entrée de la pièce, la porte entrouverte laissait apparaitre timidement l'adorable visage de Whil.

— Je suis désolée, je ne souhaitais pas écouter aux portes. Je voulais simplement te parler, lui confia-t-elle en s'avança jusqu'au petit groupe.

Babylas croisa les bras autour de sa poitrine, permettant à Stanislav de sentir le plan de sa tante germer en son esprit.

— Ne dis rien, lui interdit-il pour l'empêcher de demander quoique ce soit à Whil.

Mais la femme ne l'écouta pas. Avec un sourire d'arnaqueur incapable de tromper qui que ce soit – à l'exception sans doute de Whil – elle s'approcha à son tour.

— Whil, tu es la Carmagnole, tu es une arme de la Ronde.

— Je ne le suis plus, paniqua la petite hybride.

— Je sais, mais tu es toujours la Carmagnole, un membre de notre clan, n'est-ce pas ?

— Ne l'écoute pas Whil, elle cherche à t'amadouer.

Prenant cette dernière par la main, il décida de partir avec elle pour que cette comédie cesse avant d'avoir réellement commencée. Babylas ne fut pas du même avis.

— Que sais-tu des Idoles ?

« Pas cette question », pesta-t-il en connaissant exactement le genre de réaction qu'elle entrainerait. Whil, les yeux brillant de bonheur, se tourna vers Babylas.

— Que souhaitez-vous savoir ?

— Sont-elles immortelles ?

— Bien sûr.

— Je vais modifier ma question. Peuvent-elles mourir ?

Un silence s'en suivit. Whil eut un regard vers lui, comme pour lui demander son approbation. Au point où la discussion venait d'arriver, même lui devenait curieux. Whil avait-elle une limite dans son domaine de compétences et dans ses connaissances sur le Téras ? Seul le chef de la Rébellion semblait être parvenu à l'exploit de mettre fin aux jours d'une Idole...

Toute contente, elle annonça avec joie :

— Bien sûr qu'elles peuvent mourir.

Son cœur loupa un battement tandis que sa tante et Nalphas demeuraient bouche bée. Ils s'accordèrent un regard, comme pour s'assurer d'avoir bien entendu la même chose.

— Whil, les Idoles sont impossibles à tuer, tenta de lui rappeler Stanislav.

Mais la jolie petite hybride n'en démordait pas.

— Seulement si l'on ne s'y prend pas correctement. Dans la Ronde, nous connaissons deux méthodes pour mettre fin à leur jour. Une troisième est en cours de recherche. Elle demande de l'or et...

— Lesquelles ? coupa Babylas, impatiente, d'un ton froid et autoritaire.

— Hm, la première est assez simple. Une Idole peut être tuée par une Idole.

Simple ? Etait-ce réellement une méthode « simple » ? En ce cas, retour à la case départ. Si la seconde méthode était plus difficile, impossible pour eux de tuer une Idole.

— En 1789, la Ronde capturait une Idole pour l'enfermer dans un lieu que moi-même je ne connais pas. De ce que j'en ai lu, ses frères et sœurs sont parvenus à la libérer mais de justesse. Les Murmures de la Ronde étaient à deux doigts de la pousser au suicide.

Une Idole pouvait en tuer une autre. Pousser une créature au suicide... La Ronde était répugnante.

— Les murmures, qu'est-ce que c'est ? s'intéressa Nalphas.

— Nous avons des scientifiques et des traqueurs au sein de la Ronde. Parmi les scientifiques, les Murmures se spécialisent principalement dans la psychologie. Manipulation et contrôle des esprits, lavage de cerveau, torture psychologique. Briser un esprit leur est facile, tout comme pousser un être immortel à s'ôter la vie par lui-même. Cela peut être long mais ils n'échouent jamais.

Il remarqua la furtive émotion dans les yeux de Whil. Douleur et chagrin. Il devait mettre fin à cette conversation tout de suite.

— Et la deuxième méthode ? insista Babylas.

Whil posa sa main contre sa propre poitrine, fermant un instant les yeux.

— Les Idoles sont fortes et solides. Mais leur peau plus solide que le diamant ou que l'or des Nains protège leur talon d'Achille.

Attendant une réponse après la métaphore, Babylas ne le laissa pas l'emmener à l'abris de cette conversation.

— Leur cœur. Le cœur d'une Idole est ce qui lui est le plus précieux parce qu'il est fragile.

Elle rouvrit les yeux, attrapant la mains du démon.

— Détruisez le cœur d'une Idole et vous la tuerez à coup sûr.

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