Chapitre 4


« Pourquoi seulement toi ? »

Elle avait beau faire ce qu'on attendait d'elle, jamais elle n'aurait droit à ce regard que l'autre était autorisé à recevoir. Leur père ne renverrait jamais que cette expression de douleur, presque de dégoût. Mais face à Eglantine...

Elle posa sa main contre un miroir...

« Laisse-moi sortir ! »

Eglantine se réveilla en sursaut, alertée par un cri au fond de son esprit. Sa propre voix. Ou presque.

Quelques rires discrets retentirent autour d'elle, lui rappelant qu'elle se trouvait dans un amphithéâtre à écouter avec plus ou moins d'attention le cours d'archéologie. Le professeur ne semblait pas s'être aperçu de sa petite sieste contrairement à de nombreuses autres personnes. Elle ne dormait jamais en cours. Seulement, cette nuit Eglantine n'était pas parvenue à trouver le sommeil, trop occupée à tenter de chasser l'image d'un homme de son esprit. Cet étranger magnifiquement terrifiant qui était venu à son aide.

Un frisson d'effroi l'a parcouru à cette vision d'horreur qui la hantait encore. Elle encadra son visage de ses mains, cachant ses oreilles comme pour se protéger d'un danger n'existant que dans ses pensées. Un homme l'avait approché, l'avait touché. Et elle n'avait pas trouvé cela...dérangeant.

Vraiment, ça n'avait ni queue ni tête ! Le simple fait de ne pas se sentir en danger la terrifiait encore plus que le danger en lui-même. Pire encore ! Elle tenait dans sa main le précieux artefact témoin des évènements de la nuit dernière : l'élastique. Sans oublié la veste en cuir bien trop grande pour elle et à l'odeur bien particulière, placée sur ses épaules et ne la quittant plus. Elle l'avait ramené avec elle à la manière d'une cleptomane qui ne se rendrait pas compte de ses vols.

Lorsqu'elle s'était rendue compte que l'élastique se trouvait autour de son poignet et la veste toujours sur ses épaules, elle n'avait pas eu le courage de rebrousser chemin pour les rendre à l'homme. Ses cheveux, plus longs que ceux d'Eglantine, laissaient supposer que ce dernier devait en posséder beaucoup. Ce n'était pas un élastique qui le ruinerait, n'est-ce pas ? Mais la veste... S'il s'agissait de vrai cuir, elle devait valoir beaucoup d'argent. Et il s'agissait bien de vrai cuir !

Elle émit un discret couinement d'embarras. Pourquoi l'avait-elle emporté ?

Elle leva son poignet devant son visage, son coude sur la table. A croire que cet élastique était plus intéressant que le cours d'un professeur allant bien trop vite pour donner le temps à ses étudiants de suivre. Tant pis, elle lirait des livres pour compenser.

Sans doute ne le reverrait-elle jamais, à son grand soulagement. Pourtant, malgré le fait que cela la rassurait, Eglantine ne parvenait pas à se sentir sereine à cette pensée.

Elle tira sur l'élastique, comme si quelques réponses pourraient en sortir ainsi. Ça n'avait aucun sens. La peur l'avait saisi, pourtant ses instincts puissants de fuite s'étaient tut. Si stupide. Quelque chose ne tournait pas rond.

Détachant son attention de l'élastique terriblement simple, elle sortit son portable, regardant les messages que son père n'avait pas cessé de lui envoyer depuis ce matin. Les « Rentre plus tôt ce soir » ou encore « Il faut qu'on parle » étaient ceux qui revenaient le plus souvent.

Comment lui en vouloir ? Une créature dangereuse avait été repérée près de la ville où elle et son père vivaient. On aurait pu croire qu'il s'inquiétait pour sa fille, mais le connaissant, il voudrait qu'elle aille sur le terrain comme elle l'avait fait par le passé. Pour la Ronde. Et se connaissant, elle voudrait simplement se cacher au point d'arrêter l'université si jamais la créature n'était pas appréhendée d'ici quelques jours. Aux jeux de cache-cache et de la fuite, elle possédait un talent inné.

Si ça n'avait tenu qu'à elle, elle serait déjà partie très loin hier soir, dès qu'elle avait appris pour la présence de la créature dans les parages. Cela n'aurait posé aucun problème. Elle possédait toujours de l'argent en liquide sur elle, un poignard dans son sac, une trousse de crochetage, une tenue de rechange et une bouteille d'eau. Ah, et une bombe lacrymogène... Ou plutôt trois. On n'était jamais trop prudent. Le strict nécessaire pour lui permettre de fuir en urgence à n'importe quel moment de la journée. Sans oublier une amulette protectrice.

Mais si elle avait décampé hier soir, où serait-elle allée ? Qu'aurait-elle fait ?

Pour la rassurer, son père avait souvent dénigré ses peurs, les qualifiants d'informations « utiles seulement pour les proies ». Et il avait en partie raison. Les monstres du Téras pouvaient sentir la peur. Lors d'une traque, cela pouvait être fatale.

Malgré tout, ces mots ne suffisaient pas pour que ses peurs désertent, raison pour laquelle elle n'avait pas pu partir la veille, et qu'elle aurait le courage d'attendre peut-être deux ou trois jours avant de fuir si la créature n'était pas détruite d'ici là. Elle devait montrer à son père qu'elle pouvait être courageuse. Une décision qu'elle regrettait déjà.

Eventuellement, cela pourrait plaider en sa faveur lorsqu'elle demanderait de nouveau à quitter le cocon familiale pour une vie indépendante. Elle voulait vraiment échapper à ce quotidien avec la Ronde et le Téras, vivre comme une humaine des plus normales. Rien qu'au souvenir d'hier soir, ce désir se renforça.

Après avoir été agressée par deux hommes et sauvée par un individu plus terrifiant encore, tout ce qui l'avait accueilli à son retour avait été un dossier que son père lui avait tendu. Voyant qu'elle était aussi pâle qu'un cachet d'aspirine, il avait accepté de la laisser pour la soirée. Mais aujourd'hui elle n'aurait surement pas cette chance. D'autant que ce dossier – qu'elle n'avait pas encore ouvert – avait été confié à son intention par l'intermédiaire de son père. La Ronde voulait-elle qu'Eglantine reprenne du service pour elle ? Pourquoi maintenant ?

Elle ne pouvait pas dire que cela la surprenait vraiment...

— Sur ce, je vous donne rendez-vous pour votre examen. Prenez le temps de réviser et de lire. Si vous avez la moindre question, n'hésitez pas à m'envoyer un mail. Mais n'attendez pas la veille de l'examen !

Après quelques mises en garde contre les examens en approche et quelques plaisanteries pour apaiser les cœurs angoissés des étudiants, l'enseignant termina son cours et Eglantine fut, comme toujours, la première à sortir.

Elle se positionnait dans les amphithéâtres, et les pièces en générales, de telle sorte à pouvoir être la première à sortir tout en ayant une vue d'ensemble sur tout ce qui l'entourait afin de voir les dangers avant qu'ils n'arrivent et s'en protéger. Elle n'était pas maniaque ni paranoïaque. Elle était méticuleuse et prudente. Le monde était dangereux, chaque individu était un ennemi potentiel !

Au fil du temps, elle ne faisait même plus attention à ces détails. Tout était devenu comme un instinct, une habitude sans doute.

— Eglantine, attends ! l'appela soudainement une voix.

Elle se stoppa alors qu'un garçon l'approchait. Un ami qui la connaissait suffisamment bien pour rester à un peu plus d'un mètre d'elle avec un grand sourire chaleureux sur le visage, lui laissant un peu de temps avant de briser la distance.

— Victor, qu'y a-t-il ?

Victor la salua d'un geste de la main. Il était du genre taquin, lui prenant de temps en temps la main ou posant son bras autour de ses épaules, juste le temps de la faire blêmir pour en rire. Le seul qui ne s'agaçait pas de sa timidité et de ses peurs.

— Tu rentres déjà ?

— Oui. Mon père...

— Mais aujourd'hui c'est mon anniversaire, Eglantine. Et tu avais promis de venir avec moi.

En effet, elle l'avait promis. Mais c'était avant qu'un monstre n'arrive non loin. Elle ne voulait pas mourir. Sa vie, bien que guidée par la peur et dictée par ses angoisses, était précieuse. Du moins à ses yeux elle l'était puisqu'elle ne voulait pas mourir. Raison suffisante pour préférer rester chez soi plutôt que de devoir suivre son ami luttant depuis des années pour la forcer à rentrer dans un bar. N'importe lequel du moment que l'alcool coule à flot et qu'Eglantine puisse trembler de terreur à se retrouver étouffant parmi de nombreux individus faisant obstacles entre elle et la porte de sortie.

— Je sais que tu as peur de beaucoup de choses, Eglantine. Mais souviens-toi, tu l'as dit toi-même. Il faut affronter ses peurs pour pouvoir les surmonter.

Un conseil qui ne venait pas vraiment d'elle mais de son père. Elle préférait éviter ses peurs plutôt que de les affronter, même si cela l'aurait aidé. Enfin, peut-être pas tout le temps.

Elle regarda Victor. Il avait raison, comme toujours.

— Je... D'accord. Mais on ne reste pas longtemps.

Mais à ce moment-là, Eglantine était loin de se douter de la surprise que lui préparait son meilleur ami. Ce ne fut que lorsque, enfin hors de l'université, ils arrivèrent devant un bar qu'elle comprit que Victor l'avait piégée. Et pourtant, elle ne pouvait pas prétendre être vraiment surprise...

— Je te hais.

— Courage Eglantine, il faut combattre le feu par le feu.

— Non Victor. Dans les bars il y a de l'alcool. Et l'alcool rend les gens saouls. Et les gens saouls sont violents.

Et dangereux. Elle en avait de nouveau eu la preuve la veille.

— Eglantine, c'est mon anniversaire.

— Joyeux anniversaire, mes félicitations pour tes vingt-deux ans. Maintenant, on s'en va.

Et alors qu'elle voulut fuir, Victor l'attrapa par la main, brisant cette espace de sécurité qu'elle s'entêtait à toujours avoir avec tout le monde, l'entrainant de force dans le lieu qui ne lui inspirait que de la terreur. Il relâcha son emprise sur elle, allant commander au comptoir alors qu'elle restait plantée là, comme une idiote.

Son regard se perdait partout, évaluant chaque individu pour repérer une éventuelle menace. Seulement des menaces, il y en avait partout.

Il n'y avait que des hommes, et deux ou trois femmes. Alors lorsque Victor arriva avec deux pichets de bière, elle bu le sien d'une traite pour se donner du courage, juste avant de se souvenir que boire de l'alcool lui était interdit, excepté en cas d'extrême urgence. Eglantine ne tenait vraiment pas l'alcool. D'ailleurs, son père lui-même lui avait strictement défendu d'en boire sans son autorisation. C'était dire à quel point l'alcool lui était déconseillé !

Sobre, elle avait le contrôle. Mais lorsque son esprit se perdait, une porte s'y ouvrait.

— Eh bien, tu m'avais caché que tu avais une telle descente, Eglantine, riait son ami.

Mais déjà Eglantine ne l'écoutait plus. La peur ne lui nouait plus le ventre et un sourire étrange se dessinait sur son visage. Eglantine ferma les yeux, laissant une autre prendre sa place.

Sa posture se modifia, ses mimiques également. Et Eglantine disparu, le contrôle de son corps revenant à une toute autre personne alors qu'elle retirait ses lunettes, inutiles maintenant qu'elle venait de faire son apparition. Il était trop tard pour l'empêcher d'apparaitre.

— Merci Eglantine, remercia à voix basse la jeune femme alors que la conscience d'Eglantine se perdait dans les profondeurs de son esprit.

— Eglantine ? Pourquoi tu te remercies toi-même ? Déjà pompette ?

Elle se tourna vers Victor, un dégoût profond se dessinant sur son visage alors qu'un mâle lui parlait. Un mâle à l'odeur... fumante ? Oui, il sentait la cendre, le brasier.

Elle eut un mouvement de recul après avoir ainsi humé son adversaire... ami. Les amis d'Eglantine étaient éventuellement ses amis. Pas tous, le monde aurait été trop simple.

— Je ne suis pas Eglantine.

Elle retourna au comptoir, commandant plusieurs pichets pour boire autant d'alcool qu'elle le pouvait. Il n'était pas question qu'elle laisse Eglantine reprendre le contrôle. Et les bières l'aideraient à garder le pouvoir sur ce corps qu'elles partageaient à deux.

Victor la rejoignit. Il lui fallut un effort certain pour ne pas le frapper alors qu'il posait sa main sur son épaule pour attirer son attention vers lui.

— Eglantine, tu me fais marcher ?

Elle posa son troisième verre après l'avoir fini, se tournant vers l'homme.

— Je suis Lytanax.

Retirant la veste, trop chaude pour un été en approche au début juin, elle s'arrêta. Cette odeur...

La veste dans ses mains, elle l'approcha de ses narines, inspirant profondément. Grossière erreur alors même que la senteur enivra immédiatement tous ses sens. Un vertige s'empara un instant d'elle. Qu'est-ce que c'était que ça ? Et où Eglantine avait-elle eu ce vêtement ?

Parfois, il lui arrivait de voir ce qu'Eglantine voyait. Elle se souvenait que cette dernière avait été approchée la veille par des hommes. Habituellement, elle serait apparue pour s'occuper de la menace. Mais pas hier. Elle avait été à nouveau endormie.

Son corps semblait intact, et le fait que Lytanax ne se soit pas réveillée dans leur chambre, enfermée avec des plantes et des armes pour l'entourer, prouvait que rien n'était arrivé. Mais comment la froussarde petite Eglantine était-elle parvenue à rentrer sans aucun problème ? Sans elle ?

Et alors que Victor sembla vouloir ajouter quelque chose, Lytanax dégaina son portable qu'elle sentait vibrer dans sa poche. Il s'agissait de son père, un enfoiré de première qui l'avait reniée et qui s'entêtait à l'empêcher d'exister. Après tout ce qu'elle avait subis à cause de lui...

Elle était pourtant sa fille.

— Sérieux Eglantine, ce n'est pas drôle.

— C'est mon père.

Naturellement, elle lui raccrocha au nez. Hors de question qu'un cloporte se mette sur son chemin alors qu'elle allait pouvoir profiter d'un peu de liberté. Eglantine était bien trop douée à son goût dans l'art de la maintenir à l'écart de tout.

Mais là où Eglantine était une pro de la fuite, Lytanax était capable de détruire les menaces. Ensemble, les deux étaient redoutables. Il était dommage que ce maudit père ait eu tant d'influence sur son autre. Sans ça, les deux femmes pourraient sans doute vivre une existence mémorable et agréable.

Elle sortit un billet de son portefeuille et le donna à Victor qui le prit sans se faire prier. Eglantine allait être furieuse lorsqu'elle verrait qu'elle avait dépensé son argent « spécial fuite ».

— Je paye ta consommation. Bonne soirée Victor.

Franchement, Eglantine n'était pas logique. Pourquoi trainait-elle avec un mâle alors qu'elle en était terrifiée ?

Pour Victor, ce fut l'occasion de commencer une bonne soirée. Tout comme Lytanax, mais pas pour les mêmes raisons. Elle sortit du bar, observant les alentours avant de brandir sa carte bleue. La Ronde avait aussi ses avantages. Et cela commençait par un salaire des plus attractif.

Autant en profiter.


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