Chapitre 36
La brume tombait, aveuglant d'un voile de mystère le regard de l'imprudent et du curieux. Un voile de glace, froid et dangereux. La teinte blanche, symbole de pureté, n'inspira que de l'inquiétude à ses yeux.
Le sort contenu dans la fiole tourbillonnait avec une lenteur hypnotique, reflétant par moment sa magie par quelques lueurs discrètes. Elles apparaissaient de manière hasardeuse, ne rassurant pas l'hybride. Whil, le cœur serré, suivant la matriarche des Amazones avec une assurance singée. Elle était bien trop hésitante pour marcher aussi naturellement dans la dignité et la discrétion que Leya.
Double B – elle aimait beaucoup trop ce surnom pour aucune raison – lui avait donné plusieurs conseils. Le premier avait été de ne pas consommer ce sortilège.
Stanislav, son mâle destiné. Un homme d'une beauté impossible, d'une force protectrice et doué d'une retenue respectueuse. Jamais aucun homme ne l'avait regardé comme lui le faisait, avec cette fascination pour chacun de ses mouvements. Il l'écoutait et refusait de la laisser s'effondrer. Pour autant, il ne l'empêchait pas d'agir à sa convenance. Il respectait ses choix et pensait leur avenir, lui donnant la force de ne la pousser à rien, de prendre son temps.
Un homme respectueux, un mâle patient. Et plus que tout, Whil l'aimait beaucoup.
Mais d'un autre côté, elle était une hybride.
Il était sa faiblesse, celui qui pourrait être la raison de sa mort prématurée. Elle avait été élevée, dressée dans la violence physique et psychique pour être la meilleure des armes.
Son environnement se pliait à ses choix, tout était toujours sous contrôle pour empêcher le chaos de faire surface pour envahir son monde. Mais depuis son arrivée dans sa vie, plus rien n'allait dans son sens. Stanislav l'avait éveillé à des réalités qu'on ne souhaitait pas entendre.
Son père, qu'elle avait idolâtré depuis l'enfance, ne l'était pas. Maltraitance oubliée ou niée, affection absente mais il s'était toujours occupée d'elle lorsqu'elle n'avait personne pour l'aider à se lever. Cette manie du contrôle devait venir de lui. Ce dernier n'avait jamais été capable de la laisser prendre des décisions par elle-même, encore moins de lui donner l'indépendance souhaitée à son âge.
Et puis, elle était de la Ronde. Le passif de Stanislav allait le pousser à une tuerie, ou tout du moins une guerre contre l'organisation. Contre Whil.
Peut-être ne la haïssait-il pas aujourd'hui parce qu'elle avait fait battre son cœur ? Mais qu'en serait-il de demain, lorsqu'en démon Lilithu il se réveillerait en se souvenant de cette haine envers ce qu'elle était ? S'il ne la tuait pas, il continuerait tout de même de souffrir simplement de se tenir à ses côtés, presque par obligation. Simplement parce qu'eux deux partageaient un lien indépendant de leurs désirs et de leurs choix.
Whil n'avait rien d'une gentille fillette, d'une innocente jeune femme. Elle restait avant tout La Carmagnole, l'arme de la Ronde terrifiant le Téras encore aujourd'hui. Une des raisons pour lesquelles aucun tératos n'avait jamais tenté de détruire l'organisation.
En rentrant au camp, elle n'eut pas le loisir de se plonger davantage dans des débats internes de pour et de contre. Les Amazones étaient toutes agitées, presque excitées.
Antiope arriva, répondant à l'interrogation des deux femmes revenues de la chasse, sans gibier.
— Nous avons capturé un mâle.
— Pourquoi « capturé » ?
La question n'avait rien de stupide. Les Amazones ne prendraient pas la peine d'uniquement capturer un mâle. Elles s'amuseraient à le torturer.
Mais lorsque le regard d'Antiope se posa sur elle, Whil eut un frisson d'appréhension.
— C'est son mâle.
***
Une odeur de fleur approchait, mettant tous ses sens en alerte. Il reconnaitrait cette effluve entre mille. Celle de Whil.
Lorsque l'entrée s'ouvrit pour lui donner raison, laissant entrer dans la tente sa jolie hybride, il ne put retenir un sourire soulagé. Elle n'était pas blessée, elle allait bien. Pas même une égratignure ne caressait sa peau claire.
Après une telle chute... Peu de créatures, même immortelles, auraient survécu. Encore moins remis avec une telle facilité. Le guérisseur du camp avait réalisé un excellent travail. Sa reconnaissance serait éternelle pour cet inconnu, qui devait plutôt être une inconnue. Les Amazones ne laisseraient jamais un homme vivre parmi elles, guérisseur ou non.
La grimace qu'il perçu sur le visage de Whil ne lui plut pas. Elle ne semblait pas partager la même joie que lui.
Pourtant, ses joues rosirent aisément en sa présence. Quelque chose la tracassait. Et il supposait que ce n'était pas les chaines le retenant ici mais une question plus complexe. Lina avait énoncé la possibilité qu'on lui demande de le tuer pour prouver son appartenance au clan des Amazones. Envisageait-elle de prendre cette décision ?
Elle posa de nouveau son regard vers lui :
— Pourquoi ?
— Whil, je ne comprends pas ta question.
Cela ne parut pas avoir d'importance. Elle s'avança pour se mettre à genoux, se plaçant à sa hauteur. Ses petites mains écartèrent et recoiffèrent agilement ses cheveux sombres, l'aidant à l'observer sans obstacle.
Le geste était tendre, une caresse apaisante...
— Pourquoi es-tu venu ici ?
La question lui fit l'effet d'une insulte.
— Stanislav, les Amazones sont dangereuses.
— Tu es venue me rejoindre pour me tuer, Whil ?
— Jamais ! s'écria-t-elle, horrifiée par cette possibilité.
Elles ne lui avaient pas arraché sa femelle. Lina avait tort, Whil ne chercherait pas à rejoindre ce groupe aux pratiques barbares. Elle le choisissait lui.
Son visage s'étira et il posa son front sur celui de la rouquine.
— Si tu n'es pas là pour me détruire, fais-moi sortir et rentrons. Je suis venu te chercher, Whil.
Elle eut un soubresaut, entre une excitation naissante et une surprise réelle dont il ne connaissait pas l'origine.
— Je ne peux pas non plus.
— Embrasse-moi.
Un nouveau sursaut. Le grondement devait avoir été trop brutal de sa part. Mais là, tout de suite, c'était tout ce dont il avait besoin. De la sentir contre lui, de la goûter. Juste la goûter...
A la place de quoi, bien au lieu de l'embrasser, elle s'écarta de lui. Dans ses mains, une fiole. Un sort s'y trouvait.
— Je..., commença-t-elle à bégayer. Tu me rends faible, Stanislav. En tant qu'Amazone, je ne peux pas... je ne peux pas me le permettre.
La colère commença à lui piquer le nez, comprenant ce qui était en train de se jouer. Elle cherchait à l'écarter, le mettre sur la touche.
— Whil, je ne suis pas un humain. Tu ne peux pas rompre avec moi. Ce qui nous lie...
Elle lui présenta la fiole.
— C'est pour ça qu'une sorcière m'a confié ce sort. Il brisera ce lien du Destin entre nous.
— Il n'en est pas question, cracha-t-il, soudain blême de cette information. Ne me fais pas ça, Whil. Tu me condamnerais à une sentence pire que la mort.
La terreur faisait battre son cœur à tout rompre. Ce n'était plus simplement de convaincre Whil de s'habituer à lui. Lui faire apprécier le Téras petit à petit pour la détacher de la Ronde, l'aider à aimer être une créature n'ayant rien d'humaine, lui montrer un possible avenir ensemble, heureux et sans nuage obscure pour menacer ce bonheur.
— Stanislav, j'y ai vraiment réfléchis.
— Réfléchis-y encore ! Bordel Whil, tu me demandes d'accepter ça ? De te perdre et de vivre sans toi pour toujours ?
— Le Destin t'accorderait quelqu'un d'autre. Une femelle réellement parfaite.
— Mais je l'ai déjà trouvé ! Si ce n'est pas toi, Whil, alors ça n'en vaut pas la peine...
Pouvait-il lui faire changer d'avis ?
— Je suis désolée...
Non, il ne pouvait visiblement pas. Son visage s'affaissa, la douleur et le désespoir ne faisant qu'accroitre. En cet instant, il souhaitait seulement tout détruire, l'attraper et l'emmener avec lui. La prendre de force s'il le fallait pour l'obliger à ne plus le quitter, l'enfermer dans une cage dorée pour qu'elle soit sa reine, lui briser les jambes dans les cas les plus extrêmes pour qu'elle ne puisse pas le fuir.
Et surtout, détruire cette aberration, ce blasphème qu'elle tenait dans sa main. Ce sort de malheur ! Il trouverait la maudite sorcière et lui arracherait la tête pour avoir tenté sa femelle à le fuir ainsi.
Et pourtant...
Le démon garda son calme.
— Est-ce qu'elles te menacent ? Peut-être du chantage ? Je t'aiderai Whil, tu le sais parfaitement.
Le silence ne lui offrit pas même un semblant de réponse, seulement la présence lourde d'une décision pressante et rempli d'une souffrance sans nom.
— Whil, regarde-moi bon sang !
Elle leva son visage.
— Si tu souhaites me tuer, me torturer, me frapper, ou que sais-je encore ! Je l'accepterai. Même... Même continuer à travailler pour la Ronde.
Ces mots lui coûtaient beaucoup, tant l'organisation le répugnait.
— Je mettrai sans doute tout en œuvre pour te convaincre de ne pas le faire, parce que je suis ainsi fait. Te convaincre, pas te contraindre. Je respecterai tes choix. Mais tes choix, pas ceux de femmes frigides ne connaissant rien de nous ni de ce qui nous lie l'un à l'autre.
L'hésitation. Ce fut son espoir. Ce regard pour lui offrir un apaisement certain en son être. Elle allait renoncer à cette folie et...
— C'est l'heure, annonça avec joie une autre Amazone à la peau sombre.
Il avait confiance. Mais lorsque deux femmes vinrent pour l'emmener, il se pencha pour murmurer à sa femelle :
— Tu m'es destinée, même sans ce lien.
Il tenait difficilement ses émotions. La fureur commençait à germer et ses instincts à s'émoustiller. Pour elle.
Contiens-toi et attends.
Quoiqu'il puisse advenir, il ne renoncerait pas à Whil.
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