Chapitre 33

L'évidence de la tradition comme maîtresse de vie ne pouvait être vue comme absurde au sein du Téras. Chaque espèce possédait son Histoire, ses traditions et ses cultes, ses rituels également. Les combats parmi la sanguinaire espèce des démons Lilithus, la mutilation de la première mue des gorgones, l'échange des fleurs parmi les créatures sylvestres... Tout tournait autour de ses règles.

Les sorcières ne dérogeaient pas à la règle.

Pour autant, l'espèce apparaissait assez étrange même pour la Ronde. Elles possédaient un grand nombre de rituel mais certains étaient conservés et d'autres abolies. Tout dépendait du Cercle choisi.

A la manière de partie politique, les Cercles possédaient leurs propres règles et particularités. Chaque sorcière était capable de la même sorcellerie, mais les Cercles ne les acceptaient pas toute. Arrivée à l'Eclosion, la sorcière assistait au seul rituel commun à chacune de l'espèce. Un rituel pour lui donner le choix du Cercle d'appartenance. Le seul rituel durant lequel aucune magie, aucune sorcellerie n'aurait le droit d'intervenir. Ensuite, tout dépendrait du Cercle choisi.

Whil connaissait ces Cercles, elle avait enquêté sur eux. Et de son expérience, l'antre d'une sorcière pouvait en dire long sur son Cercle d'appartenance.

Les crânes et nombreux autres objets liés de près ou de loin à la mort régnaient ici comme une omniprésence inquiétante. Mystère et menace pesante ornaient les lieux de manière peu rassurante. La sorcière appartenait sans aucun doute au Cercle des Murmures. La Mort comme révélation et guide de leur sorcellerie, les sorcières jouaient avec elle ainsi que l'âme des morts et des vivants. Très dangereuses et silencieuses, les sorcières du Cercle des Murmures m'héritaient la méfiance.

Leya, bien loin d'être stupide, avait pourtant pris la décision de l'emmener auprès de l'une d'entre elles. Le lien qu'elle partageait avec Stanislav était puissant. On ne pouvait le briser avec autant de facilité. Etait-il même possible de le faire ? Après tout, il arrivait que ce dernier s'efface naturellement. Tout comme il arrivait pour certaines créatures de posséder plusieurs partenaires destinés. Mais tout ceci tenait du naturel, aucune obligation. La sorcellerie ne pouvait défier les dieux et le Destin.

Comment une sorcière aurait-elle été capable de l'aider à ce genre de problème ?

Plus les deux femmes s'enfonçaient dans ce qui semblait être l'antre de la sorcière, plus Whil se sentait mal. Pour une raison inconnue, elle se sentait nerveuse. La boule au ventre, elle ne reculait pas mais avançait tout de même à reculons.

Décrypter ses émotions, c'était difficile pour la jeune hybride. Elle préférait de loin traquer, espionner et recueillir des informations, travailler sur un nouveau sujet d'étude, s'enfermer aux archives du coin, ou bien dans celles de la Ronde. C'était là que son cœur trouvait sa place. Au calme, sans danger. Combattre, elle savait faire, affronter les difficultés aussi. Mais cela ne signifiait pas qu'elle l'appréciait pour autant. Elle se sentait autant courageuse que lâche. Mais comprendre ses émotions ? Ce n'avait rien de sorcier, mais en connaitre l'origine déclencheur posait davantage problème. Et ça, elle éprouvait des difficultés à les cerner.

— Reste près de moi, lui conseilla Leya.

Whil avait peut-être une tendance à la dévalorisation, mais elle pariait qu'en terme de sorcellerie, elle en connaissait bien plus que Leya.

Notamment, le chemin qu'elles empruntaient mènerait à une maison. A l'habitation de la sorcière. Ce genre de chemin existait même si la sorcière vivait en ville. Truffé de sortilèges, de malédictions et d'autres pièges vicieux, il s'agissait de la route à emprunter pour arriver jusqu'à une sorcière. Si tout se passait bien et que la maison apparaissait, il faudrait se méfier. Entrer à l'intérieur n'était pas sans risque. Certaines sorcières ne lésinaient pas sur la sécurité. Les sorcières vivaient en groupe par nécessité mais en dehors des fêtes et réunions au sein de leur Cercle, elles restaient très solitaires.

Leur territoire était très différent de la plupart des autres prédateurs du Téras. Avec les sorcières, pas de terrain de chasse ou autre. Le plus important se trouvait être leur sanctuaire. Unique à chaque sorcière, il naissait avec elle, il mourrait avec elle. Et pour accéder au sanctuaire d'une sorcière défunte, le mieux restait de faire appel à un membre de la famille des Guédés. Lorsqu'une sorcière vivait, elle vivait seule. Lorsqu'elle mourrait, elle mourrait seule. Leur croyance tendait à supposer qu'à leur mort, les sorcières restaient à jamais dans leur sanctuaire. Raison pour laquelle la sorcière passait toute son existence à prendre soin de ce lieu et à le protéger au risque de sa propre vie.

Elles y rangeaient ses ingrédients, ses livres, ses trésors. Il lui arrivait d'y vivre aussi. Le sanctuaire était si précieux qu'aucun étranger ne pouvait y entrer. Pas même un parent, un ami ou un amant. Il n'était plus question de confiance.

Au bout du chemin, l'antre s'offrit à elles. Le fond d'une grotte, d'une caverne. Cette « maison » était temporaire, c'était presque certain. Néanmoins, cet intérieur était aménagé pour permettre d'y vivre convenablement. Des trous dans les parois pour y placer des objets, des meubles anciens disposés de-ci de-là. Pas de trace d'humidité. La magie baignait les lieux. Sans les squelettes et tous les crânes, ainsi que le bric-à-brac habituellement de la sorcière, cela aurait pu être charmant.

Néanmoins, Whil demeura sur ses gardes. Aucun système de sécurité ne semblait s'être déclenché. Etrange pour la maison d'une sorcière suffisamment puissante pour pouvoir briser un lien du Destin.

— Oh, la Carmagnole ! s'exclama une voix très enjouée.

Une jolie blonde se leva pour aussitôt prendre Whil dans ses bras.

— Tu ne le sais pas encore mais nous allons devenir les meilleures amies du monde ! Je suis tellement contente de pouvoir enfin rencontrer le génie qui sera bien plus désirée que moi.

Whil aurait pu prétendre ne pas connaitre cette femme qui n'avait rien d'une jeune femme. Mais ça aurait été un mensonge. Il s'agissait d'une sorcière connue sous le nom de Sybille, bien que cela ait été une surnom et non sa véritable identité. Avec elle, il était inutile de mentir, la sorcière savait tout.

— Vous êtes la sorcière Bibesia.

Surprise, Sybille eut ensuite un sourire attendrit. Whil eut de nouveau droit à une étreinte.

— C'est pour ça que je t'adore depuis ma première vision de toi. Tiens, je vais t'appeler Double V à partir d'aujourd'hui. Un surnom pour fêter la naissance du présent de notre amitié. Quoique, le présent devient immédiatement passé donc plutôt pour célébrer la naissance non-future de notre amitié.

Elle était aussi étrange que les rumeurs le laissaient penser, mais Whil ne s'en vexa pas. C'était même plutôt réconfortant.

— Et toi... Comment tu veux m'appeler ?

— Vous le savez déjà.

— Mais c'est plus amusant quand les gens parlent que lorsque je devine, Double V. Ça c'est un numéro de cabaret pour arnaquer les gens et prendre tout leur argent.

Puisque Bibesia semblait vouloir persister à l'appeler Double V, alors...

— Double B, s'amusa à prononcer la sorcière en même temps qu'elle.

— Est-ce vous qui devez m'aider à briser mon lien avec un démon ?

Après tout, Bibesia était une sorcière parmi ce qu'il se faisait de plus puissant, toujours selon les rumeurs.

— Pour cette bêtise, non, ce n'est pas moi. Et puis j'aime plus les licornes que les squelettes. Mais tu sais, pas les licornes comme celles du Téras. Plutôt les licornes avec des paillettes et qui font des prouts arc-en-ciel.

Avant que Whil ne s'étonne de cette réponse, une autre femme fit son entrée. L'antre lui appartenait sans le moindre doute.

Vêtements sombres, bien plus encore que sa peau brune, sa longue chevelure tressée d'une multitude de nattes décorées de perles et de pierres. Sans doute Whil avait ses secrets et des mystères – qu'elle comptait bien résoudre à un moment ou l'autre – mais elle pouvait être certaine d'une chose : le domaine de la joaillerie n'était pas son fort. Elle connaissait l'améthyste et le saphir, différencier une vraie pierre de Vouivre d'une fausse, mais son expertise s'arrêtait là. Autrement dit, sauf si les pierres, présent pour décorer la chevelure tout en livrant un message encore étranger à Whil, appartenait à une Vouivre ou à une quelconque créature du Téras, elle n'aurait su quoi en dire.

— Ne t'en fait pas Double V, un jour tu connaitras si bien les trésors et leur valeur que tu seras une Reine parmi les plus prospères.

Tout en faisant des révélations stupides, sans doute pour s'amuser un peu ou répondre à une question dont elle seule détenait le contenu, Bibesia posa un bras sur son épaule. Comme de vraies amies.

Whil n'avait eu que Victor pour seul ami. Un garçon dont elle n'avait plus eu de nouvelle depuis très longtemps. S'inquiétait-il de ne plus la voir ? A la manière d'une petite amie paranoïaque et particulièrement présente, il avait tendance à très souvent lui envoyer des messages, et ne lui laissant presque jamais l'occasion de se sentir seule. Bien que par moment elle l'aurait souhaité.

— En attendant, contente-toi d'être la plus grande experte du Téras et dis-moi que tu ne feras pas la stupide erreur de briser un lien de destiné.

Mais si elle ne se sentait pas experte en pierre précieuse, elle restait une experte du Téras. Tout comme le rappelait si bien Bibesia. Et ces objets dans les cheveux de l'autre sorcière possédait une utilité qu'elle étudiait encore.

A la Ronde, dans l'espoir de pousser son père à la laisser partir et vivre sa vie seule, loin du Téras, elle avait commencé la rédaction d'un dernier manuel. Le dernier qu'elle avait eu l'intention d'écrire pour l'organisation. « Se protéger du Téras », un nom simpliste pour viser l'essence de son œuvre. Et ce que portait la sorcière était des grigris protecteurs. Rudimentaires, certes, mais capable d'empêcher toutes malédictions d'être jetées à son encontre. L'une des pierres n'était d'ailleurs pas un simple quartz mais une pierre détectrice.

Pour les sorcières, et d'autres créatures du Téras, les pierres avaient la capacité d'absorber, de capter et capturer les énergies. Si un lieu avait été sujet d'horreur, la pierre présente durant l'évènement pourrait donner ses souvenirs à celui capable de lire en elle. Un individu comme une sorcière. Ensorcelée, la pierre pouvait cibler, orienter sa capacité naturelle. Cette pierre blanche dans ses cheveux était un détecteur. Sans doute de l'énergie séraphine, étant donné le passif de Bibesia avec l'espèce des Séraphins. Ces créatures ailées, souvent comparées à des anges, voyaient en Bibesia une créature semblable à leurs femelles, capable de communiquer avec un dieu.

Whil aurait pu donner raison à Bibesia qui l'affirmait comme experte du Téras, tout comme elle ne pourrait qu'acquiescer lorsqu'on la pensait être l'arme la plus redoutable de la Ronde. La Ronde elle-même la considérait bien assez maligne et importante pour avoir toujours tout fait afin de la garder au creux de leur main de fer. La preuve en était qu'elle connaissait beaucoup de Bibesia. Notamment son secret d'être ainsi lié au futur.

— Je sais à quoi tu penses. Nous parlerons plus longuement après que Kayla m'ait viré de la pièce, lui murmura Bibesia sur un ton plus sérieux.

Et puisque Bibesia voyait le futur, ce qui devait arriver arriva. L'autre sorcière l'écarta, comme ennuyée.

— Rends-toi utile et va vérifier que nos protections sont toujours actives.

— Oh, mais elles ne le sont plus, je les ai désactivé pour que ma Double V puisse venir me rencontrer.

Voyant la colère et l'impatience dans le regard de la nécromancienne, celle que l'on appelait Sybille – si l'on oubliait sa véritable identité – disparu des regards en brandissant ses deux doigts en V tout en donnant un clin d'œil amusé. Un doigt d'honneur à la française.

— Je suis Kayla, se présenta enfin la sorcière. Et voici ta commande.

Elle lui tendit une fiole. Presque machinalement, Whil eu un geste pour s'en saisir. Kayla recula sa main, secouant de la tête. Son attention se porta sur Leya. La cheffe sortit un autre objet. Une corne que connaissait très bien Whil, qui n'avait encore jamais vu de telle splendeur en dehors de ses livres.

— Une corne de licorne ? s'étonna-t-elle au contraire des deux femmes.

Leur troque effectuée, elle eut le droit de s'emparer du sort.

— Lorsque tu te sentiras prête, ouvre la bouteille et inspire d'une traite son contenu. Mais je dois te prévenir. Il ne s'agit là que d'une aide pour briser un lien. Si le lien est trop fort, l'effet sera temporaire. Tu dois le souhaiter de tout ton cœur.

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