Chapitre 31

Le Téras accueillait un grand nombre d'espèces différentes, de créatures variées. Parmi les plus intelligentes, beaucoup vivaient en groupe. En clan. Et chacun pouvait posséder son territoire, bien que certaines terres restaient vierges de tout contrôle. Ce qu'affirmait tout du moins Penthesileia, Chef temporaire des Amazones en attendant le retour de leur Reine.

Les Amazones avaient autrefois possédé un grand royaume. Mais sans Reine pour les protéger et les gouverner, elles avaient perdu leur territoire. Fut un temps où la terre des Hommes devint un espoir. Encore aujourd'hui, elles s'y rendaient assez régulièrement. Seulement, leur Reine y avait disparu.

— Notre Reine est belle et forte, la guerrière la plus puissante que le Téras ait pu confectionner.

Penthesileia, nommée plus facilement Leya, était une femme magnifique. Whil la reconnaissait comme étant sa sauveuse, le premier visage aperçu après sa chute. Une Amazone.

L'espèce n'abritait que des femmes, ne donnaient naissance qu'à des femmes par un procédé biologique qu'encore aujourd'hui la Ronde ne parvenait pas complètement à comprendre. Même si des théories étaient bien nées pour donner quelques réponses hasardeuses.

Aussi, Whil n'était pas leur « sœur » à proprement parlé mais une sœur d'arme. Une Amazone, comme elles. Cela suffisait pour la considérer comme l'une des leurs.

La Ronde haïssait le Téras, lui enseignant à son tour cette haine. Pourtant, les Lilithus lui avaient offert une protection et un nom, un rôle dans leur clan, ils l'avaient acclamé haut et fort sans se soucier de son espèce différente de la leur, hybride pour couronner le tout. Et à présent, les Amazones lui ouvraient leurs bras, l'accueillaient comme un membre de la famille, ne s'intéressant pas à son passé. Elle était à demi Amazone, une femme et blessée. Rien d'autre se paraissait les intéresser. Même si par moment Leya se montrait curieuse.

La jolie brune, tout en buvant, criant et chantant à tue-tête d'une voix forte en compagnie de ses consœurs, s'empara du visage de Whil. Devait-elle s'inquiéter de ce mouvement ?

— Whilemine, quel est ton nom d'Amazone ?

Elle n'en possédait pas.

— Je suis juste... Whil, proposa-t-elle.

Leya leva la main, la paume ouverte. Une autre femme lui glissa un pinceau.

— Tu as dû vivre loin de nous autres, sans mère... Mais cet enfer qui était le tien touche à sa fin ! A présent, tu resteras avec nous !

L'engouement se répandit très vite dans le reste du village de fortune. Leya la maquilla de son pinceau, reproduisant un style propre aux Amazones. Elle traça des formes le long de son nez, s'appliquant ensuite au dessin d'un masque en visière.

Whil eut une esquisse en prenant conscience de l'attention qu'on lui portait. Son père ne l'avait jamais tenu dans ses bras, ni ne lui avait accordé des gestes qu'un enfant attendrait. Il ne s'était jamais attendrit de ses pleurs, n'avaient eu que colère et froideur. Sa bonté ne se tournait que pour sa part humaine, une moitié ne coulant même pas dans ses veines !

Haïr le Téras avait été naturel, un acquis aussi évident qu'un nouveau-né apprenant à marcher dès la première année de sa vie. Pourtant ces femmes, sans même la connaitre, lui accordaient ce que nul ne lui avait jamais promis.

— Elle sourit ! Notre bébé Amazone sourit ! s'exclama-t-elle alors qu'en effet, Whil se mettait à sourire.

— Je n'avais jamais rencontré d'Amazone, avoua-t-elle.

— Ne t'en fait pas ma belle, nous allons bien nous occuper de toi. Et tout t'apprendre. A commencer par comment arracher correctement les boules d'un mâle irrespectueux et arrogant.

Toutes les Amazones se mirent à claquer leur langue contre leur palais en un geste méprisant.

— Première leçon, commença-t-elle en tapotant son nez avec le bout en bois du pinceau. Les mâles nous sont inférieurs, les femmes sont l'avenir du monde. Si un mâle te fait la cour, tu lui fais bouffer la bite. La sienne de préférence. Lorsqu'ils sont particulièrement fiers, Antiope les sodomise avec. Ça en refroidit pas mal.

Antiope lui accorda un signe de la main. Peau chocolat et longs cheveux sombres aux reflets roux, ses yeux ambrés n'hésitaient pas un instant à virer au vert, imaginant sans doute ces scènes particulièrement atroces que Whil visualisait sans peine dans son esprit.

— Je ne suis pas aussi barbare.

— A d'autres, balaya-t-elle sa réponse d'un geste de la main. Les Amazones sont violentes par nature. Nous aimons nous battre, nous avons cette rage dans le sang. Je suis certaine que si je te mets une épée dans les mains, peut-être une lance ou un arc, le calme envahira ton esprit et tu te battras à ta manière. Et tu aimeras ça.

Elle ne le nia pas. Avec une rapière dans les mains elle se sentait souvent complète, bien. Apaisée. Tout devenait claire et elle se battait sans jamais être vaincue. Avec une arme dans ses mains, Whil devenait comme quelqu'un d'autre.

Il aurait d'ailleurs été hypocrite de juger les pratiques barbares des Amazones. Whil n'était pas étrangère à l'art de la torture. Auprès de la Ronde, le rôle d'une scientifique en laboratoire ne lui avait jamais été attribué malgré ses efforts nombreux, soupoudré d'un désir d'attirer l'attention et la fierté d'un père froid et distant.

Mais aujourd'hui, Stanislav lui permettait de voir au-delà de tout ça. A ses côtés, il lui semblait apercevoir une autre possibilité d'avenir. Celle d'une vie paisible, sans contrainte ni obligation. Une existence de sourire dans ses bras.

S'il n'aimait pas ces termes, elle n'en connaissait pas d'autres capables de l'exprimer. Elle aimait Stanislav. Un amour bien plus fort encore, bien plus fou bien sûr. Mais même ainsi, elle l'aimait. Elle commençait à l'aimer. Et lui aussi. Elle le pensait, elle le croyait.

Il n'attendait rien d'elle mais désirait ardemment l'avoir à ses côtés. Il ne la souhaitait pas comme on l'avait toujours attendu à la Ronde mais son regard ardant réclamait tout de ce qu'elle pourrait donner. Il exigeait bien plus que ce qu'elle pensait posséder, et cela lui plaisait. Il ne voulait qu'elle, sans artifice, sans se soucier de ses origines, de ses crimes passés. Tout ce que le démon voyait en elle, c'était ce qu'aujourd'hui elle acceptait de lui montrer. Elle et rien d'autre.

Depuis son Eclosion, tout lui semblait de plus en plus clair et des vérités oubliées revenaient, des mystères aussi.

— Quel est ta signature ?

La question la laissa penaude. Que sous-entendait la matriarche ?

— Antiope aime les bites, déclara-t-elle avant de faire signe à Antiope de ne pas s'énerver. Bien sûr, nous ne parlons pas de fellation mais bien d'arracher ces boudins à leurs burnes. Si tu vois des guirlandes de pénis après les Saturnales, tu peux être certaine que notre Mère Noël c'est bien amusée.

Antiope s'inclina en toute modestie tandis que le village l'applaudissait pour féliciter un évènement auquel Whil n'avait encore jamais participé.

— Quant à moi, je préfère les dents.

Elle sortit fièrement de sa poche des colliers de dents.

— Une dent par victime.

Il arrivait que les Amazones soient collectionneuses. En vérité, elles l'étaient toutes, cherchant un moyen de montrer leur tableau de chasse. Certaines se tatouaient, ou collectionnaient des objets. Mais la plupart tenait un carnet. Si jamais elles ne possédaient rien de physique, elles marquaient toujours leur proie et ne commettraient jamais l'erreur d'en oublier le nom. Ces guerrières demeuraient respectueuses malgré leur sauvagerie innommable.

— Et toi, quelle est ta signature ?

Depuis qu'elle était enfant, ses tentatives pour conserver des parties de ses proies s'étaient toujours soldés par des échecs. Le choix pour remplacer cet instinct dont Eglantine n'avait jamais saisis l'importance, la signature fut bien vite vitale.

— Puis-je ? demanda-t-elle à Leya son pinceau.

Cette dernière le lui tendit. Elle ferma les yeux, murmurant tout en créant un dessin dans le creux de sa paume. Une sorte de larme, ou de flamme. Le dessin s'anima et Whil prit une grande inspiration. Elle sentait toute cette énergie la relier à la terre, la transporter au-delà de son corps sans pour autant le quitter. Elle les sentait.

Aussi, elle serra la main de Leya. La femme poussa un gémissement, ses yeux se fermant un instant et ses lèvres happant au mieux l'air qui lui manquait.

Lorsqu'enfin leurs deux mains se désunirent, le symbole perdit de son rayonnement et tout s'évapora. La tension soudaine disparu, la terre ne lui confia plus aucun secret.

— Trente-trois, énonça Leya.

Le nombre de créatures qu'elle avait chassé, ses proies.

— Je n'avais jamais vu ce genre de signature. Aurais-tu du sang de sorcière dans les veines ?

— En aucun cas.

Elle présenta sa paume sur laquelle se trouvait encore le dessin.

— Il s'agit d'une racine. Si l'on y mêle sa prière à la terre, le sol vous ouvre à son énergie.

Petite, elle compensait cela à l'interdit de son père. La forêt était son refuge et son père ne l'acceptait pas. Si les murs de sa chambres se couvraient de dessins d'arbres pour simuler l'intérieur d'une forêt, la raison ne venait pas de nulle part. Et ce petit tour de passe-passe lui permettait dès lors de se connecter à cette sensation n'importe où. Tant que la terre se trouvait sous ses pieds.

Il y avait du bon à connaitre les secrets du Teras.

— J'enterre un morceau du corps de mes proies et par ce biais je peux les retrouver.

La plupart du temps, un os, une dent ou même une corne. La Ronde lui dérobait bien souvent le reste, emmenant pour eux et leurs laboratoires ce qu'elle chassait par obligation...

— Tu es une prêtresse ?

Les tératos ne semblaient pas capable d'élargir leur vision. Une énergie divine, une prière ne s'entendait pas seulement de la voix d'une telle spécificité.

— Il suffit de croire.

Aussi, Leya se leva, reprenant son pinceau. Usant de son symbole comme modèle, elle en peignit les traits sur le front de Whil.

— Je connais tes proies, je connais ton tableau de chasse. Et ce n'est pas celui de Whilemine.

Son regard verdoya, une lueur de fierté illuminant son visage. Chacune ici laissait apparaitre la couleur surnaturelle de leurs yeux facilement, sans se brider de convenance et de retenue.

— Je connais ton nom d'Amazone.

Elle-même ne le connaissait pas. Persuadée de ses dires, Leya se tourna vers le reste de la tribu.

— Faisons un accueil digne des Amazones à Lytanax, la guerrière Carmagnole !

Son anonymat si précieux se brisait partout où elle passait. Et bien au lieu d'être méprisée, tout comme chez les démons Lilithus, les Amazones l'accueillirent à bras ouverts. Des bières fusèrent de partout, comme une capacité surnaturelle de ces guerrières peu maniérées. Elles sortaient leurs pichets remplis à la vitesse de la lumière sans laisser l'occasion d'en découvrir la provenance.

Whil fut obligée de boire. Un interdit de plus imposé par son père... Et de nouveau elle le brisait.

Pour la première fois de sa vie, Whil bu à en devenir saoule. Et elle aima ça.

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