Chapitre 3


Il était vrai que les cours à l'Université avait quelque chose d'étonnant et de passionnant. Une chose qu'admirait Eglantine. Seulement ce soir, elle n'aimait pas ses cours. A cause de son dernier professeur de la journée, elle avait tardé à sortir de la fac. Elle était du genre à poser des questions et, flatté par l'intérêt d'une étudiante concernant leur discipline, les professeurs étaient bavards. Au point où le concierge les avait fait sortir de force de la faculté pour pouvoir fermer.

Seulement, ce n'était pas son professeur qui allait la raccompagner chez elle. Il possédait une voiture, contrairement à Eglantine dont le père et le reste de la Ronde lui interdisaient la conduite sauf en cas d'urgence. Elle supposait même qu'avoir obtenu son permis de conduire au bout de la cinquième fois devait être une pression de la Ronde pour l'empêcher de recommencer l'examen.

Jetant un regard inquiet à sa montre, Eglantine grimaça. Son père était au courant qu'elle terminait tard, et surtout qu'elle était très bavarde lorsqu'il s'agissait d'apprendre ou de discuter de sujets qu'elle maitrisait.

Mais la jeune femme était effrayée par la nuit. Puisque la nuit était effrayante. Surtout lorsque personne ne se trouvait dans les environs. Aucun passant, aucun autre étudiant, aucun ami pour la raccompagner chez elle. Seulement un groupe de deux hommes au loin. Deux hommes.

Voilà exactement pourquoi elle ne sortait jamais la nuit.

Eglantine pâlit à cette vision. La dernière fois, elle avait été agressée par trois individus la trouvant « super bonne ». Assez fréquent la nuit dans des coins un peu louche et à l'écart des réverbères.

Marchant sur le même trottoir qu'elle, tenant un portable pour visiblement regarder une vidéo amusante puisqu'ils riaient joyeusement, ils ne semblaient pas se préoccuper d'elle. A la bonne heure !

Eglantine baissa tout de même les yeux, serrant son sac contre elle alors qu'elle avançait tout en faisant attention à ne pas croiser le regard des individus ou même attirer leur attention. Cela fut un franc succès.

Elle expira profondément de soulagement lorsqu'ils la dépassèrent. Un apaisement qui fut de courte durée. Son portable se mit à vibrer violemment dans sa main, l'obligeant à pousser un petit cri étouffé tant elle avait eu peur.

Il s'agissait de son père, ce qui ne la rassurait pas vraiment. Pourquoi l'appelait-il ?

Elle décrocha, nerveuse.

— Papa, qu'est-ce qu'il se passe ?

— « Où es-tu ? »

— Je viens de sortir de cours. Je pensais... Je pensais t'avoir prévenu...

Avait-elle oublié de prévenir son père ? Elle était pourtant persuadée du contraire. Elle devait toujours le tenir au courant de ses faits et gestes toutes les heures et à chaque fois qu'elle pensait à faire quelque chose en particulier, comme aller à la bibliothèque par exemple ou faire un arrêt à la boulangerie pour s'acheter un sandwich le midi lorsqu'elle savait qu'elle n'aurait pas le temps de faire un arrêt à la maison avant la reprise des cours.

Un silence lourd de sens s'installa entre elle et son père qui restait muet. Elle crut entendre un soupir venant de sa part.

— « Oui, cela m'était sorti de la tête. Excuse-moi Eglantine. Il faut absolument que tu te dépêches de renter. »

— Qu'est-ce qu'il se passe ? commençait à s'inquiéter sérieusement la jeune femme.

— « Nous avons reçu un code rouge de la Ronde. »

Un code rouge... Ce n'était vraiment pas la meilleure des nouvelles. Cela signifiait l'apparition d'une créature dangereuse. Mais ce qui inquiétait Eglantine était que son père la prévenait maintenant alors qu'elle n'était toujours pas rentrée...

Non, Eglantine n'était toujours pas chez elle. Elle était même restée sur place depuis le début. Il lui faudrait une trentaine de minutes pour aller jusqu'à la maison. Bon sang ! Pourquoi s'était-elle arrêtée ? Elle venait de perdre du temps... Cela ne la pressa pas à reprendre sa marche.

— Papa, le code rouge... c'est ici ? Dans notre ville ?

Le silence de son père fut la réponse qu'Eglantine redoutait. Une créature dangereuse était ici, en ville. Tout du moins, jusqu'à ce que ce dernier réplique :

— « Dans les alentours de la ville. »

Une réponse qui n'avait rien de rassurant. Ni lui ni elle n'étaient des personnages grandement appréciés. La Ronde les protégeait, même si leur réputation suffisait à ce qu'aucun monstre ne les recherche.

Son père, le Docteur Seward, n'était qu'un nom donné, un titre offert par la Ronde. Elle n'était pas non plus véritablement « Eglantine Seward ». Ce n'était qu'en référence au célèbre personnage du roman Dracula. Au sein de la Ronde, un Seward était un savant capable de tuer de son savoir. Cela en disait long sur comment le Téras pouvait les percevoir, raison pour laquelle aucun ne viendrait ici les affronter. Pas sur leur propre territoire...

Mais, et si justement une de ces créatures s'était mis en tête de les traquer ?

— Je rentre immédiatement.

Elle n'était pas naïve. Si Eglantine voulait trouver un trou où se cacher le temps que le danger disparaisse, son père souhaiterait sans aucun doute qu'elle parte en mission pour tuer la menace, alors même qu'elle avait arrêté avec tout ça depuis trois ans à présent. Quand exactement accepterait-il le fait que sa seule et unique fille était une froussarde incapable de faire face au moindre danger ?

Mais lorsqu'elle reprit la route, relevant les yeux devant elle, elle comprit. Elle ne rentrerait jamais chez elle.

— « Eglantine ? Tu es toujours là ? »

Elle ne répondit pas, raccrochant presque involontairement avant de se pétrifier à la vision lui faisant face.

A quelques mètres d'elle, assit sur un banc, un homme avait levé le visage vers le ciel comme pour observer les étoiles, ou la Lune. Un homme très différent de ce qu'elle avait l'habitude de côtoyer.

Elle blêmit, l'homme étant d'une beauté saisissante et irréelle. De long cheveux blonds, platine, et une peau laiteuse, l'individu la tétanisait sans avoir rien eu à faire. Ses narines humaient l'air et l'odeur qu'il se mit à sentir dû lui plaire puisque tous les muscles de son corps se contractèrent. Un corps tout aussi magnifique et... effrayant. Viril, parfaitement sculpté sous sa chemise légèrement trop petite laissant deviner sa musculature, l'homme était grand. Plus grand qu'elle.

Ce fut à ce moment très précis qu'elle remarqua que l'homme ne se tenait plus assit à regarder les étoiles. Il était debout, et ce qu'il observait en cette instant au loin c'était elle, Eglantine. Il avait posé ses yeux de saphir sur elle, ne la quittant plus.

Son cœur s'accéléra brutalement dans sa poitrine, nourrissant une sensation qu'elle n'avait encore jamais ressenti. Une sorte de démangeaison qui la brûlait petit à petit de l'intérieur. Un désir brûlant, réclamant une chose dont elle ne connaissait pas de mot pour la décrire.

Elle déglutit péniblement, la gorge soudainement sèche. Que lui arrivait-il bon sang ? Était-elle si terrifiée que de nouvelles sensations l'envahissaient en une vague de chaleur indomptable ? Elle n'en avait pourtant pas l'impression. Ce qu'elle ressentait n'était pas exactement de la peur... Et cela la terrifia d'autant plus !

Brisant partiellement le charme qui s'était installé, elle trouva le courage de faire un pas en arrière. Seulement, quelque chose en elle voulut l'arrêter dans son envie de fuir. Un genre d'instinct qui la poussait même à faire un pas en avant. Si de tout son être Eglantine voulait partir loin de l'individu, elle ne parvenait pas à le souhaiter réellement.

Certes, cet homme était un... homme. Il était intimidant, effrayant. Un individu se comblant parfaitement sous la Lune d'argent, se confondant à l'astre et à sa nuit au calme serein. Pourtant quelque chose en lui...

— Hey, comment tu vas ma belle ?

Eglantine sursauta tandis qu'un bras s'enroulait autour de ses épaules en toute confiance. L'odeur de l'alcool enivra ses sens pour faire place au dégoût. Un autre homme faisait son apparition. Il était moins beau que l'autre plus loin mais Eglantine se mit tout de même à trembler. Surtout lorsque l'ami de l'homme qui la tenait arriva à son tour.

L'individu splendide avait disparu. Cela ne la rassura pas. A présent, elle se sentait piégée entre deux hommes imposants et alcoolisés.

Elle n'osa pas dévisager les deux, serrant davantage son sac contre elle, comme s'il s'agissait d'une arme dont elle aurait été capable de faire usage.

— Oh qu'elle est mignonne. Elle tremble comme une feuille.

— Tu as froid ? On habite juste à côté, tu viens ?

— Ouais, on te réchauffera à deux.

Eglantine voulait leur demander de la laisser tranquille. Elle n'y arrivait pas. Sa voix restait bloquée dans sa gorge. Elle avait appris à ne pas crier. On ne demandait jamais l'aide des humains pour combattre le Téras.

« Laisse-moi sortir ! »

Un cri, un ordre. Une voix dans sa tête qui grognait de frustration, grattait en elle pour tenter d'arracher son âme. Elle voulait sortir, et Eglantine ne voulait pas. Qu'importe ce que ces hommes allaient faire...

Tremblante, elle imaginait déjà ce qui lui était destiné avec ces deux hommes.

« Je nous sauverai, laisse-moi sortir ! »

Pour se protéger, la jeune étudiante voulu céder. Elle pourrait vraiment les sauver, même si cela reviendrait à condamner à mort les deux jeunes complètement saouls. Elle l'envisagea vraiment... Son père arrangerait les choses, comme à chaque fois...

Et tout s'arrêta. Eglantine se sentit plus apaisée. Plus en... sécurité.

— Je ne vous le dirais pas deux fois. Eloignez-vous d'elle, ordonna une voix gutturale.

L'homme à la beauté irréelle était revenu. Son regard furieux pénétrait ceux des deux menaces, ignorant totalement la présence d'Eglantine qui en sembla satisfaite. Elle savait que ce genre de regard la terrifierait jusqu'à la mener au bord de l'évanouissement.

Les mains des hommes posées sur elle se mirent à trembler.

— Mec, va te chercher une autre meuf. On l'a trouvée en premier.

L'individu aux cheveux nattés ne répéta pas son ordre. Ce qu'il exigea, il le prit. Abattant une main sur le visage de l'homme qui tenait encore Eglantine par les épaules, il arracha la jeune femme pour la prendre dans ses propres bras.

Elle glissa ses doigts sur la chemise, timidement dans un premier temps. Juste le temps de sentir son parfum, de rassurer ses instincts. Et lorsque tous ses désirs de fuite s'éteignirent, elle se permit une chose très dangereuse. Bien plus que ses deux agresseurs. Elle s'y agrippa.

— Est-ce que ça va ? lui demanda-t-il sur un ton presque affectueux, doux.

Elle osa lever son regard vers lui. Il ne regardait qu'elle avec une tendresse déconcertante. Un monde se formait, une bulle les isolant de tout. Il n'y avait rien de plus important que cet instant. Parce que pour la première fois depuis très longtemps, depuis jamais, Eglantine se sentait apaisée. Pas de danger, pas de désir dans la fuite. Même sa propre chambre ne lui offrait plus ce sentiment de sécurité avec une telle intensité. Ici, dans ces bras, elle était en confiance. En son for intérieur, tout en cet homme lui assurait qu'elle n'avait plus rien à craindre.

Mais pas sa raison.

Il y avait aussi cette lueur. Comme un prédateur. Sans doute était-il plus dangereux que les deux autres ? Eglantine en était presque certaine. Il était dangereux.

Pourtant elle se sentait mieux ici, prisonnière de cette étreinte, plutôt qu'avec les deux goujats. Elle ferma les yeux, se blottissant encore davantage contre ce corps dépourvue de chaleur mais emplie d'une senteur agréable.

L'homme émit un grondement animal à l'encontre des deux individus qui préférèrent déguerpir que d'avoir à affronter ce prédateur.

— Ils sont partis, tout va bien à présent, lui assura l'homme.

Ces mots la réveillèrent de sa torpeur inconsciente et stupide. A présent que les deux autres étaient partis, elle se retrouvait seule face à un autre homme. Un homme plus imposant, plus terrifiant, plus magnifique que les deux autres. Un homme à cause duquel elle se sentit soudainement fiévreuse.

Ses doigts la démangeaient. Intriguée, elle voulait les glisser dans cette chevelure à la teinte irréelle, vérifier par elle-même s'ils étaient aussi doux qu'elle le pensait. Son regard se posa sur ses lèvres, fines et entrouvertes. Il semblait avoir du mal à respirer. La main de l'étranger sur elle bougea un instant, caressant la hanche d'Eglantine qui trouvait cela... normal.

Elle-même dirigea sa main vers lui. Il ne bougea pas, semblant trouver le geste anodin lorsqu'elle libéra la longue chevelure de son élastique. La natte disparue bien vite lorsque le vent fit retrouver à ces cheveux presque blancs toute leur longueur.

Un vent léger la fit sursauter et il posa sur elle une lourde et chaude veste qui pesa sur ses épaules mais lui évita d'affronter la caresse d'une température nocturne.

— Où vis-tu ?

Elle reprit ses esprits, rappelée à la réalité.

Où vivait-elle ? Pourquoi lui posait-il cette question ?

Dans sa panique, Eglantine réussi à trouver le courage de se débarrasser de cette étreinte, ce qui sembla déplaire à l'homme. Elle détourna les yeux lorsque leurs regards se croisèrent. Il ne se vexa pas de son geste, ne réclama rien de plus.

— Quel est ton nom ?

— E... Eglantine...

— Très bien Eglantine. Je souhaiterais simplement te ramener en sécurité jusqu'à chez toi. Tu ne voudrais pas que les deux rigolos de tout à l'heure s'en prennent de nouveau à toi, n'est-ce pas ?

La jeune femme secoua négativement de la tête, les yeux fixant le sol tandis qu'elle serrait excessivement son sac contre elle, l'élastique toujours entre ses doigts, la veste toujours sur ses épaules. La peur lui nouait le ventre. De tous les hommes, celui qui l'avait aidé était sans aucun doute le plus effrayant qu'elle ait rencontré.

Il faisait naitre en elle quelque chose qui détruisait ses défenses les plus élémentaires.

— Est-ce que tout va bien ? demanda-t-il en tendant sa main vers elle. Tu trembles. Serais-tu encore effrayée ?

De son inquiétude s'en suivi un mouvement du bras alors qu'il semblait simplement vouloir poser sa main sur son épaule en un geste compatissant. Un mouvement qu'elle esquiva en faisant un pas en arrière malgré elle.

— Je... Je vais bien. Je vais simplement rentrer chez moi.

Elle ne laissa pas le temps au bel étranger de déclarer quoique ce soit, fuyant immédiatement vers sa forteresse impénétrable, gardé par le plus féroce des gardiens : son père.

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