Chapitre 27

Babylas ne lui avait laissé aucun choix de refuser. Dans l'arène, elle avait pris conscience que rien ne l'aiderait à ce sortir de ce pétrin.

Ses instincts d'Amazone la rendrait violente, et ses autres instincts dont elle ne connaissait pas l'origine lui permettraient de fuir, et par conséquent de bien esquiver. Ajouter à cela son expérience d'agent de la Ronde...

Elle s'était tournée vers les armes proposées. Une seule lui était possible. Alors elle s'empara de la seule dont elle se servait toujours. Une rapière. L'équilibre n'était pas le même qu'avec sa rapière. Il ne s'agissait pas de son arme.

Celle-ci se trouvait moins flexible, plus fragile. Elle retira son collier en forme de serpent. Elle connaissait ces pierres, mais également les propriétés de cet or. S'il s'agissait bien d'or de nains.

A croire qu'on avait délibérément créé ce collier pour ce combat. Pour elle.

Elle frotta donc la lame de son arme avec ce collier, murmurant quelques paroles gaéliques dont la traduction se rapprocherait de « au sacrifice d'un œil, offre-moi ta vision foudroyante et la bravoure de tes guerrières ».

L'un des yeux du serpent tomba et se brisa sur la lame. La poussière bleue s'y incrusta. L'arme était prête, avec une protection rudimentaire mais d'une grande efficacité.

Ce collier, elle n'en avait plus besoin mais le remettre à son cou était une sage décision. L'or des nains étaient très solide. Bien plus que du diamant.

Sans crier gare, Babylas bondit sur elle. Espérait-elle la déstabiliser ?

La puissance de son coup souleva la poussière autour d'elles. La lame en protection, Whil n'avait bougé que pour placer sa main libre dans son dos. Pour l'instant, elle ne lui était d'aucune utilité.

La rapidité et la puissance des coups de Babylas furent un nouveau chaos que Whil redouta. Elles jouaient ensemble, Whil piétinant le sol de quelques pas, ne cherchant plus à simplement arrêter de front les attaques. Cela lui coutait beaucoup trop en énergie. Babylas ne ménageait pas sa force brute.

S'en suivi quelques coups d'une banalité affligeante et si prévisible que bientôt elle put désarmer son adversaire. Ces coups-là, elle les connaissait parce que la plupart des missions qu'on lui confiait demandait de tuer des créatures puissantes. Et comme tous grands guerriers faisant face à une petite hybride de moins d'un siècle ou d'une supposée humaine sans défense, il était commun que chacun sous-estime ses talents et tombe dans le piège de se croire invincible. Mais dans la vie, rien n'était impossible à vaincre.

Tout à coup, Whil senti une vive douleur dans son dos. Propulsée ainsi au sol, Babylas avait été rapide, la prenant alors par surprise. Le corps tremblant, mordant tout juste la poussière, Whil comprit qu'il y avait un temps pour jouer et un temps pour déployer toute sa combattivité.

La main sur le genou, elle se releva difficilement, crachant le sang dans sa bouche. Elle ne saignait pas dans la bouche. Une blessure interne peut-être ?

Une mélodie commença à se déclencher dans son esprit pour lui inspirer un tout nouveau rythme. Une main tenant son arme, l'autre quitta sa place dans son dos.

« Dansons la Carmagnole », esquissa-t-elle un sourire avant d'attaquer. La primauté de son geste déstabilisa l'adversaire. Whil ne se détacha pas de cette chanson résonnant dans sa tête, chacun de ses pas devenant une danse dont la finalité ne mènerait qu'à un seul dénoumant : la destruction de l'ennemi.

Les rôles s'inversèrent très vite, Whil venant d'abattre sa carte maîtresse. Elle était la Carmagnole. La démone ne pouvait plus que reculer et contrer chacun des coups l'assaillant sans répis.

Aussi, lorsque Babylas se mit à déployer ses grandes ailes, tout le clan cria son enthousiasme. La mère adoptive de Stanislav la prenait également au sérieux.

— Je te l'accorde, tu pourrais bien être capable de vaincre un Lilithu lambda.

— Si tous les Lilithus sont aussi forts que vous, cela m'étonnerait.

Tout ce temps, il était certain que la matriarche n'avait fait que de tester les capacités de l'agent formé par la Ronde. Le but n'était pas de la tuer. La tradition ne le permettrait pas. Mais la faire souffrir ne serait pas exclus. Ce que cette femme semblait également éviter.

Babylas lui adressa enfin un sourire. Pas de dégoût, plus aucun mépris. Il lui sembla même que la mère lui faisant face la considérait comme... l'une des leurs.

Aussi, cela fut très difficile pour Whil. Pour ce qu'elle s'apprêtait à faire.

— Je suis navrée, j'ai triché, avoua-t-elle avec une mine attristée.

Lorsque Babylas prit son envol, Whil leva sa rapière pour pointer la démone avec précision.

— Au revoir, Madame Veto.

Aussitôt, la foudre traversa le mur pour percer un trou avant de pénétrer Babylas pour terminer sa course dans la lame de Whil. Le ciel se découvrit depuis cette nouvelle ouverture témoignant de l'impact du coup. L'oiseau tomba de sa hauteur, percutant le sol de plein fouet.

Elle abaissa sa lame, la lâcha même, pour se précipiter vers Babylas. Inutile de continuer, elle avait gagné. Il était plus important de s'inquiéter pour l'état de cette femme importante aux yeux de Stanislav.

Le silence s'était installé dans l'arène, personne ne bougeait.

Elle arriva auprès de Babylas. Les ailes brûlées, la poitrine béante, elle était gravement blessée mais elle s'en remettrait parce que Whil était douée.

Ses deux mains obligèrent la poitrine à se refermer, ou plutôt les côtes à retrouver leur place. Cette aide permis à sa chair de se retrouver et de commencer une régénération. L'étape suivante fut de s'occuper des ailes. Elle se leva pour les étendre et les ouvrir en grand. S'entaillant la paume après avoir pris une arme encore disposée non loin, elle versa son sang sur ces attributs immenses.

Et pour finir, puisqu'il s'agissait d'une Lilithu et que le sang n'était pas leur seul nutriment, elle se plaça à genoux pour se pencher près de son visage. Un baiser.

Whil n'était pas douée pour embrasser, elle en était consciente. Son manque d'expérience ne justifiait pas sa maladresse puisqu'en vérité elle était trop pudique pour ça. Mais ce qu'elle faisait en cet instant s'apparentait davantage à un bouche-à-bouche à ses yeux. De sa langue, elle obligea la démone à ouvrir la bouche et en fit de même de son côté.

Aussitôt, elle le sentit.

Excitation naissante et faiblesse envahissant tout son corps... La démone se nourrissait d'elle, la vampirisant à la manière d'un succube. Et soudain, tout cessa. Elle s'écartait pour planter ses crocs en elle. La douleur fut saisissante, bien différent de ce qu'elle avait pu vivre avec Stanislav...

Après avoir pris ce qu'il lui fallait, Babylas se leva. Elle aida Whil à en faire de même. Toujours avec cette esquisse aux lèvres, elle s'empara du poignet de cette dernière, levant sa main en l'air.

— Acclamez votre nouvelle guérisseuse !

Et on l'acclama. Des cris et des félicitations, accompagnés de quelques sifflements. Son nom résonnait dans toute l'arène. Pas celui d'Eglantine, prénom donné par son père, ni celui de Lytanax dont elle ne connaissait pas l'origine. Mais bien Whilemine.

Un prénom qu'elle n'avait confié qu'à Stanislav durant leur...

Le rouge aux joues, elle espérait sincèrement que son nom n'était connu que parce que le vampire l'avait véhiculé autour de lui et non à cause de ses cris ou de ses phéromones qui auraient potentiellement pu intriguer de nombreuses personnes pour les pousser à écouter aux portes durant ce moment inopportun.

Babylas finit par la relâcher.

— Bienvenue dans le clan, Whilemine. Ou devrais-je dire La Carmagnole ?

Elle blêmit d'effroi à l'entente de ce nom. Comment avait-elle su ?

— Le Téras t'a donné ce surnom. Sois-en fière et ne le souille plus en laissant la Ronde s'en servir pour toi.

Être fière d'un nom devenu le reflet de ses tueries ?

— Le Téras admire les guerriers. Et lorsque chaque espèce apprendra que La Carmagnole est devenue membre du clan Lilithus, ils se battront pour nous espérer comme alliés. Notre guérisseuse.

Une guérisseuse. Jamais elle n'avait été aussi heureuse. On ne la voulait pas guerrière, bien qu'on ne dénigrait pas ses talents au combat. Mais on considérait son savoir comme une arme bien plus importante. Ce qu'elle avait appris depuis des années était respecté...

— Comment as-tu fait pour me vaincre ?

— Il est dit que dans le Téras, les dieux sont une énergie puissante. Qu'ils soient réels ou non, leur puissance existe bien et elle se trouve tout autour de nous. J'ai béni cette rapière.

— Tu es... Tu es une prêtresse ?

Bien sûr, seuls les prêtres possédaient ce genre de capacité. D'après les croyances des tératos tout du moins.

— Mieux encore. Je crois en la science. Et de cette foi, je crois en cette énergie divine.

Elle alla ramasser la rapière, l'observant un instant.

— C'est parce que j'ai la foi et la connaissance à mes côtés que je suis capable de bénir une arme.

Et elle tendit à Babylas cette rapière qui n'était pas la sienne.

— Voici une arme de Walkyrie.

— De... Attends, de qui ? De quoi ?

— Eh bien, de Walkyrie. N'est-ce pas pour cela que vous m'avez offert ce collier en or de nains et en larmes de Walkyrie ?

Devant l'incompréhension de Babylas, la jeune hybride parut tout aussi perdue.

— Les deux pierres, expliqua-t-elle. Ce sont des larmes de Walkyrie, aussi bleu que leurs yeux. Ça m'a fait mal au cœur de devoir sacrifier l'un de ses yeux mais je pensais que...

Elle observa son arme, repensant à cette larme de Walkyrie cristallisée. Un tel crève-cœur de devoir mutiler une antiquité aussi jolie et ancienne...

— Je pensais que vous saviez déjà et que vous m'aviez délibérément confié ce collier pour que je l'utilise à cette fin.

Apparemment ce n'était absolument pas le cas.

— Le serpent est le symbole de notre amour. Venimeux et mortels souvent. Nous avions de l'or de nain et d'un de ces objets offerts était incrusté de ces deux pierres. Nous l'avons remanié pour qu'il soit un serpent.

— Ah, alors vous...

— Je ne sais pas ce que tu crois, mais je voulais vraiment te blesser, Whil. Je me suis peut-être retenue, mais seulement parce que Stanislav nous observait. Je n'ai pas envie de mettre mon fils en colère.

Stanislav ?

Elle se tourna lentement, faisant alors face à un homme qui devait être là depuis très longtemps. Les bras croisés autour de la poitrine, son expression était impossible à interpréter. Il lui sembla pourtant voir... de la fierté ?

Sa main s'empara brusquement d'elle, non pour la frapper mais pour la serrer contre lui. Sa rapière lui tomba alors des mains, et sans vraiment en connaitre la raison, elle aussi s'accrocha à ce dos, à ce corps bien plus grand que le sien.

— Tu n'es blessée nulle part ?

— Non.

— Evidemment, la Carmagnole en a vu d'autres.

— Tu as entendu ?

Elle s'écarta aussitôt, lui arrachant ainsi une grimace frustrée. Il se tint de révéler ouvertement son agacement d'être séparé d'elle.

— Oui, j'ai entendu.

— Et tu... Tu ne souhaites pas... me tuer ?

Apparemment, la question ne se posait même pas. Elle semblait même être honteuse et détestable, insultante.

— Pourquoi le voudrais-je ? J'étais déjà au courant de ton lien avec la Ronde.

— Mais tu ne savais pas à ce moment-là que j'étais une tueuse.

— Je ne savais pas que tu étais une guerrière manipulée par un monstre complètement dérangé t'ayant fait croire qu'il était ton père.

Elle aurait voulu rétorquer que son père l'aimait malgré l'absence de lien biologique entre eux, mais ce serait se voiler la face. Tous les aboutissants de l'histoire ne lui étaient pas encore parvenues mais elle se souvenait avoir souvent été sujette aux expériences de la Ronde. Sans Eglantine pour faire croire en une part humaine, ce ne serait pas ici, auprès de Stanislav et entourée de Démons Lilithus qu'elle se trouverait mais à côté de sa mère, conservée dans un tube.

Pourtant, l'image de son père, de Solomon observant cette femme plongée dans le coma, lui restait en mémoire. Ne l'aimait-il pas ?

Cette question, elle devait être loin d'ici pour pouvoir en récupérer une quelconque réponse. Même un fragment. Mais à présent que sa main se glissait dans celle de Stanislav, un autre espoir naissait au cœur de sa poitrine, traversant son corps d'une passion inespérée.

Sa propre peau se mit à produire une bien étrange poussière scintillante. Du maquillage ? Du pollen ? Cette nature importa peu lorsque ses doigts fins s'arrêtèrent au plus proche du visage albâtre. Le vampire ne cacha pas sa surprise. Les lèvres entrouvertes, il lui venait à nouveau une soif bien étrange qu'il lui fallait étancher au plus vite. Et ce nectar, elle tenta de le butiner à la bouche de Stanislav.

Comme pétrifier, le vampire ne fit rien ni pour l'arrêter ni pour l'aider. Whil l'embrassait, maladroite sans doute lorsque le bout de sa langue toucha une canine pointue, perçant ainsi la peau. Le sang fut bien plus persuasif que ses baisers. Stanislav la saisissait aux fesses pour la plaquer contre son corps devenu brasier. Un vampire à la peau brûlante... Si rare et appréciable...

Scintillante jusqu'à la pointe des cheveux, celle dont on ne connaissait pas toutes les origines charmaient de son odeur sucrée le beau mâle.

— J'ai... Est-ce que je deviendrai trop impudique et dépravée si je te demandai... de me combler ?

Un mot en particulier devait avoir plu au vampire puisqu'il la souleva de terre pour la porter sur son bras, ne l'empêchant pas de légèrement se frotter contre lui, affamée.

— Jamais, lui susurra-t-il en l'emmenant loin des regards indiscrets.

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