Chapitre 25
A présent unie en une même âme, il semblait à Whil que rien n'avait jamais été double. Comme si, durant toutes ces années elle avait été elle, sans deux personnalités pour habiter un seul corps. Il était donc normal qu'elle n'ait jamais changé. Elle se savait notamment être timide, craintive et pudique si on ne venait pas l'ennuyer ou qu'un homme ne tentait pas de l'intimider ou de la faire culpabiliser d'être une femme. Elle n'était peut-être pas une guerrière surpuissante mais elle possédait tout de même quelques cordes à son arc.
Et si elle appréciait qu'on la regarde, ce n'était pas les regards lubriques qu'elle souhaitait attirer.
Alors bien sûr, elle se sentit gênée.
Babylas l'avait piégé. Tout en l'écoutant parler de ses expériences dans la Ronde, de ses connaissances du Téras, tout en débattant sur telle ou telle tradition, elle l'avait innocemment emmenée dans une pièce cauchemardesque. Chez la couturière du palais dans la montagne. Le palais Lilin.
Attention ! Whil aimait les vêtements. Mais ça...
Petite robe à la jupe plissée, levée bien au-dessus des genoux, bustier solide et moulant parfaitement ses formes pour les dessiner, les maintenir d'une manière bien spécifique, des lacets reliaient le devant en partant du nombril pour former un nœud au niveau de sa poitrine dont le gonflement était visible.
Elle ne possédait pas des seins à damner. Et pourtant, le corsage prenait ces derniers en coupe pour les dresser, leur donner un aspect ferme, maitrisé et charnu.
Bras devant cette même poitrine, sa main libre tirait légèrement sur la jupe plissée. Le tout était en cuir clair, blanc. A ses pieds, bien au lieu de lui offrir des chaussures classiques, des scandales à talon tenaient par des serpents ondulant le long de sa cheville, remontant sa jambe. D'autres dorures serpentaient élégamment sur la robe à des endroits bien particuliers.
— De l'or, confirmait la couturière à Babylas. Les nains nous en ont offert pour nous remercier de les avoir laissé passer notre territoire. J'ai travaillé dessus toute la nuit, dès que tu me l'as commandé. Oh, j'oubliais !
Elle s'approcha avec une parure. Un élégant collier d'or, un serpent dont les yeux étaient deux petites pierres bleus. Et des boucles d'oreilles. Pour les elfes, accrochant aux pointes et libérant deux petites chaînes qui venaient se lier à ses lobes.
— Oh, ça a bougé, s'exclama la jolie demoiselle avant de toucher à nouveau les oreilles de Whil. Vos oreilles sont très sensibles. Elles bougent d'elles-mêmes dès que je les effleure.
L'Eclosion l'avait changé. Jamais elle n'aurait cru possible que son corps se modifie ainsi. Les Amazones ne possédaient pas vraiment de changement particulier, si ce n'était une plus grande susceptibilité et agressivité, notamment dû à une bien plus grande production d'adrénaline pour faire d'elles de grandes guerrières. Plus efficaces, plus agressives par des substances sympathomimétiques inconnues dans le corps d'un être humain, on comprenait pourquoi les mâles du Téras craignaient pour leurs parties intimes.
Mais rien de tout ça pour Whil. Les pointes de ses oreilles n'avaient rien d'humain, pas plus que son sang pailleté. Bien sûr, elle connaissait ces caractéristiques, ainsi que les espèces tératos soumises aux chaleurs et dont le corps produirait une luminescence discrète. Une lueur symbolisant seulement le relâchement d'hormones, de spores, d'une odeur censée attirer un partenaire...
Whil baissa les yeux. Elle n'était pas moitié Amazone moitié humaine. Elle était à moitié fée, ou nymphe. Ou une autre créature sylvestre capable de rut. De ce fait, son père ne pouvait l'être. Solomon Seward n'était pas son père biologique.
Lorsqu'elle était scindée en deux, Whil avait tout oublié de ses souvenirs avant le moment de la brisure. Aujourd'hui, cela lui revenait petit à petit. Ainsi que toutes les expériences qu'on lui avait fait subir. Bien au lieu d'en être traumatisée, elle se plongeait dans une analyse approfondie. Aujourd'hui, elle connaissait la plupart des expériences de la Ronde. Elle savait à quoi correspondait quoi, les raisons de leurs existences, leurs buts. Même si beaucoup d'entre elles n'avaient pour mission que de faire souffrir inutilement...
— Maintenant que tu es prête, suis-moi.
Entre temps, la couturière lui avait ajouté des brassards. Deux types d'objets qui ne la rassurèrent pas. Si les brassards étaient en cuir, les gravures qu'elle y vit... Elle commençait à faire un lien avec sa tenue étrange. Ça et les traditions des Lilithus. L'espèce était supposée être éteinte, raison pour laquelle la Ronde ne s'y était jamais vraiment intéressée. Mais pas la petite hybride venant tout juste de devenir une vraie femelle adulte du Téras.
Trois règles pour survivre dans le Téras. Premièrement, le monde du Téras était une copie territoriale de la terre des hommes mais avec une écosystème différent. Aussi, on savait où trouver les mers, océans et terres. Pour ce qui était des montagnes et des forêts, ou même des lacs, rivières et volcans, il fallait une carte que la Ronde ne possédait pas puisque ses tentatives d'entrer dans le Téras se soldaient par la mort des agents qui parvenaient par miracle à pénétrer le territoire. Menant alors à la deuxième règle : toujours faire profil bas et se cacher. Le Téras était très dangereux. Les espèces se mêlaient difficilement ensemble et les guerres restaient omniprésentes. Alliances, rancunes et vengeances, ou simples conflits ancestraux. Déjà pour un humain lambda, tout était une menace. Mais pour un agent de la Ronde...
Et troisième règle. La plus importante de toutes, valable également sur la terre des Hommes. Ne jamais, Ô grand jamais !, se laisser entrainer dans les traditions tératos. Chaque espèce avait ses traditions, et très peu étaient enviables pour une petite créature terrifiée telle que Whil.
Problème. Elle avait brisé ces trois règles dès le moment où elle avait pris la décision de suivre Stanislav. Non ! Il ne s'agissait même pas de son choix. Il l'avait de lui-même emmené dans ce château !
Première règle. Inutile puisque même en sachant que la Terre et le Téras étaient jumelles, Whil ne connaissait rien de ces terres maudites et dangereuses.
Deuxième règle. Brisée à l'instant même où, au lieu de rester cachée, elle avait suivi le vampire. Même s'il s'était montré particulièrement doué pour prendre soin d'elle – elle décida délibérément de ne pas évoquer leur moment d'intimité – elle aurait pu survivre seule. Se cacher était son plus grand talent depuis sa naissance. Et ses techniques de combats demeuraient fatales.
Malgré ce que pouvait sans doute penser Stanislav, elle n'était pas une demoiselle en détresse. Face à Eglantine, il avait dû penser à elle comme étant fragile, timide et faible. Face à Lytanax, il avait sans doute vu un aspect en colère et combattif.
Mais ce qu'il n'avait pas vu, c'était l'agent en elle. Le chasseur, le traqueur. Il ne l'avait pas vu se battre. Pourtant, s'il le voyait, s'il en était témoin, il comprendrait. Toutes les créatures du Téras le devineraient.
Whil possédait un nom. Un surnom ridicule dû à sa propre négligence.
Une période où elle étudiait l'Histoire de France, seulement pour le plaisir. Déjà enfant, tout cela l'intriguait. Particulièrement intéressée par la guerre et les grands guerriers ayant fait la France, les militaires et les révolutionnaires, rois et empereurs permettant encore à son pays de rayonner dans son passé sur le monde, il était évident qu'elle croiserait le chemin de plusieurs chants. Dont celui-ci. La Carmagnole.
Lors de ses premières chasses, elle se vêtait donc d'une carmagnole bleu royal, le reste de ses vêtements demeurant blanc. Un choix somme toute honteux pour la seule raison qu'elle espérait ainsi être aspergée par le sang de ses ennemis pour donner la couleur de son drapeau préféré. Pire encore ! Elle avait eu l'habitude de surnommer ses proies « Monsieur Veto » et « Madame Veto »...
Même si elle était jeune et stupide, cela n'excusait pas cette prétention de vouloir paraitre comme une super-héroïne avec une punchline complètement nulle !
C'était sa punition. Aujourd'hui, on connaissait la Carmagnole mais pas le visage derrière cet agent qui, muni d'une rapière, ne combattait que d'une main.
Chaque agent possédait un nom de code lors des opérations. C'était la première fois que la Ronde décidait d'accorder à un agent un nom accordé par le Téras.
Tout ceci pour en venir à la troisième règle qu'elle était sur le point de ne pas respecter. Ces vêtements n'étaient pas seulement beaux et d'un aspect sexy. Ils avaient été conçus pour le combat. Et lorsque l'on parlait des Démons Lilithus, deux types de combats existaient. Le sexe et le pouvoir.
L'une de leurs traditions la concernait directement, et elle se sentit bête de ne pas y avoir immédiatement pensé !
Dès qu'un membre du clan Lilithu ramenait dans le château son partenaire destiné, ce partenaire entrait aussi dans le clan, bénéficiant ainsi de sa protection et de tout autre avantage pouvant être offert. Mais avant ça, il y avait une épreuve.
Les Lilithus étant particulièrement violant durant leurs ébats, mais doués de tendresses une fois satisfait, on mettait à l'épreuve le partenaire pour juger de s'il serait capable de supporter vivre avec son nouvel amant.
Le fait était que Whil était considérée comme la partenaire destinée de Stanislav, futur Lilithu puisqu'elle l'avait éveillé à cet avenir de plus en plus proche.
Elle devait fuir. Elle devait partir loin d'ici et de ce peuple. Non seulement elle ne souhaitait pas se battre avec eux, mais elle prenait conscience que lorsque Stanislav serait devenu un Lilithu, il serait insatiable. Il brûlerait d'un désir inassouvissable pour elle. Non seulement elle était vierge, mais l'idée de devoir coucher avec un homme qui pourrait potentiellement faire preuve de sauvagerie durant leurs échanges ne l'attiraient pas. Bien au contraire ! Elle s'en retrouvait mortifiée...
Babylas sembla lire dans ses pensées. Aussi, elle se saisit d'elle par le poignet.
— Tu ne fuiras pas ce combat. Si tu avais seulement été une hybride ou même une humaine, le clan aurait pu accepter de t'épargner cette tradition. D'autant que Stanislav ne serait pas d'accord s'il savait que je serai celle en charge de te la faire passer. Mais le fait est que tu appartiens à la Ronde.
Son regard n'exprimait que haine et mépris pour Whil. Malheureusement, ce n'était pas la première fois pour elle...
— Si tu veux mon fils (elle parlait encore de son neveu comme s'il avait s'agit de son fils), il va te falloir gagner ta place parmi nous. Prouve-moi que tu es une enfant du Téras et non une simple traitresse à ton sang.
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