Chapitre 19
La pluie tombait à flot. Stanislav n'avait pas perdu de temps, courant avec son fardeau sur le dos vers le plus proche abri. Il jeta son dévolu pour un terrain encadré de trois gros arbres.
Eglantine sur son dos, il l'allongea délicatement sur le sol de mousse. Le feuillage épais des arbres protégeaient de la pluie.
Après une crise de jalousie venue des deux personnalités, Lytanax avait de nouveau observé son reflet. Et Eglantine était apparue, paniquée. Il n'avait pas vraiment compris, seulement supposé que regarder son reflet activait quelque chose. Mais pourquoi avait-elle semblé effrayée ? Pourquoi s'était-elle évanouie ?
Stanislav se laissa tomber à ses côtés, épuisé. S'occuper d'une hybride, aussi jeune pour couronner le tout... Vraiment difficile. Il en venait à avoir hâte de son Eclosion...
Eglantine se mit à gémir, alertant le mâle déjà aux aguets.
Elle grimaçait. Souffrait-elle ? Etait-elle malade ? Le Téras regorgeait d'énergies très différentes de ce que l'on pouvait trouver sur la terre des Hommes. Peut-être sa moitié humaine la fragilisait plus qu'il n'aurait pu le croire ?
Bien vite, un nouveau bruit attira son attention. Des bruissements naturels, mais pas pour le vampire. La pluie l'empêchait de sentir certaines odeurs. Pourtant, il y avait bien quelque chose qui rôdait.
Laissant ses crocs sortir, il siffla sa mise en garde. Eglantine était convalescente, il ne pouvait pas se permettre de trop la bouger. Encore moins sous cette pluie battante. Et si les créatures tapis dans l'ombre étaient nombreuses, il n'était pas sûr de pouvoir les vaincre tout en protégeant la belle évanouie.
Des buissons finirent par sortir plusieurs individus. Des hommes et des femmes vêtus légèrement. Leurs cornes dressées sur la tête et leur peau grisée donnait un indice sur leur nature. Les crocs et les yeux rouges indiquaient autre chose.
Mais à cette vision, Stanislav se détendit.
— Tu es..., commença à s'exprimer l'une des femmes du groupe de cinq individus. Stanislav ?
— Babylas, cela faisait bien longtemps.
Comprenant que la femme le connaissait, chacun baissa sa garde.
Babylas était une amie. Lorsque ce jour-là Lizebeth avait pris le pouvoir, que la Ronde avait anéanti sa famille, Stanislav avait été obligé de fuir avec sa tante. Mais pour se cacher, Nikita l'avait emmené dans un endroit encore plus dangereux mais toujours moins pour lui que sur la terre des Hommes où vampires et la Ronde le pourchassaient sans relâche. Le dernier héritier légitime au trône...
Il avait alors été mené auprès des siens. Babylas était sa tante, la sœur de sa défunte mère.
— C'est mon fils, on se calme les gars, affirma-t-elle.
Le sang les liait. Et si elle n'était pas sa mère, cela n'avait pas d'importance dans le clan. Il possèderait autant de mères qu'il aurait de tantes, autant de pères qu'il aurait d'oncles. Et sa mère ayant perdu la vie, il incombait à Babylas de le prendre comme fils. Telles étaient les traditions des démons Lilithus.
Il se leva et elle lui saisit le menton pour l'observer.
— Toujours aussi pâle et faible. Pourtant je sens ton cœur... Ses battements sont irréguliers mais...
Elle se tourna vers Eglantine.
— Serait-ce une sorte de plaisanterie ?
— Non, c'est bien elle.
— Ta promise ? Ta lilītu ? Elle n'est pas de notre espèce... Mais son odeur...
Stanislav s'empara aussitôt de sa femelle, sifflant sur chacun de ces mâles ayant commencé à désirer la goûter. Eglantine possédait une odeur à la fois rafraichissante et sucrée. Une sucrerie que lui-même souhaitait à nouveau goûter. Alors comment ces autres mâles ne pourraient pas être à leur tour envoûtés ?
Babylas leva la main pour mettre en garde les autres l'accompagnant.
— Serait-ce une fée ?
— Non, elle est mi-humaine mi-Amazone.
— Ce que tu affirmes ne peut être possible.
— Me prendrais-tu pour un menteur ?
— Non, tu ne comprends. Le sang des humains ne s'accorde pas avec celui du Téras. Un hybride ne peut naître d'un être humain. Aucune engeance n'est possible entre les deux.
— Et pourtant.
Elle ne sembla pas se satisfaire de cette réponse, persuadée que ce n'était pas possible.
— Peu importe. Elle ne semble pas en forme, et nous ne chassons pas les lilītu. A partir d'aujourd'hui, considère qu'elle fait partie du clan. Nous la traiterons comme l'une des nôtres.
On voulut la lui prendre des mains mais Stanislav résista. Il ne souhaitait pas déléguer sa protection à d'autres, encore moins s'éloigner de sa femelle.
Ils s'avancèrent dans les bois, évitant chaque obstacle avec une maitrise du terrain démontrant leur habitude.
— Heureusement que nous t'avons trouvé. En ce moment, des Came-cruses ont été repérées dans le coin. Leur nouvelle technique est de se faire passer pour des jambes mortes. Encore chaude, les prédateurs solitaires et affamés ne se méfient pas.
— Que font ces monstres dans le coin ?
— Elles étaient en voie de disparition mais la plupart ont quitté la terre des Hommes pour retourner dans le Téras. Et évidemment, elles n'ont pas choisi avec minutie leur portail.
— Comment se fait-il que vous soyez ici d'ailleurs ?
— Nous avons senti un portail s'ouvrir il y a peu. Nous avions pensé qu'il s'agissait encore de ces monstres unijambistes mais apparemment ce n'était que toi. Tu as bien travaillé, nous avons mis pas mal de temps avant de retrouver ta trace.
— Elle s'est évanouie sans prévenir, j'ai paniqué.
— Raison pour laquelle il a été plus aisé de te débusquer ensuite...
— Je cherchais le palais Lilin en espérant trouver ton aide et celle de tes médecins, mais la pluie m'a pris au dépourvu. Sa nature humaine la rend sans doute plus fragile, je ne voulais pas prendre le risque de l'affaiblir davantage par un coup de froid.
— Je vois.
Babylas déploya l'une de ses grandes ailes pour la dresser en parapluie au-dessus du couple pour les abriter alors qu'enfin ils quittaient la forêt. Devant eux se dressait un désert de terre. Et au loin, une montagne sur laquelle il était possible, avec une très bonne vue, d'apercevoir leur destination. La Palais Lilin, domaine du clan des démons Lilithus.
***
Papa ne devait pas l'aimer. Etait-ce à cause de Lytanax ?
Eglantine avait encore des bleus sur la peau. Elle ne se souvenait pas d'être tombée, ni de s'être cognée. Est-ce que son père l'avait puni lorsque Lytanax avait pris le contrôle pendant quelques heures ? Elle ne se souvenait pas. Lytanax vivait en lui cachant tout ce qu'elle voyait. Et Eglantine en faisait autant.
Il n'y avait que la nuit pour les réunir. Dès que ses yeux se fermaient, Eglantine pouvait parler avec Lytanax. Dans sa tête.
Mais pas aujourd'hui. Lytanax était recroquevillée dans un coin de leur esprit, mutée par un silence inquiétant. Elle était inquiète parce que Lytanax était son amie, sa sœur. Elle était sa seule compagne.
Son père n'était jamais satisfait de ce qu'elle faisait. Lorsqu'elle réclamait un câlin, il la repoussait avec une grimace qu'à présent elle reconnaissait. Le dégoût.
— Papa, est-ce que tu m'aimes ?
Son père poussa un profond soupir, agacé.
— Eglantine, je travaille. Alors va à ton cours.
— Daniel me fait toujours mal. Je n'aime pas...
— Dans la vie on ne fait pas tout ce qu'on veut ! Alors va et rends-moi fier pour une fois !
Elle hoqueta de surprise. Aussitôt alertée par la douleur d'Eglantine, Lytanax surgit pour prendre le contrôle.
Plus tôt dans la journée, ce même père l'avait attaché pour qu'on la frappe. Une expérience anodyne ayant pour but d'observer à partir de quel degrés de douleur l'éclat des yeux d'Amazone apparaissait sans son consentement. Il s'était confronté à la résistance butée et fière de la guerrière en devenir. Malgré son jeune âge, Lytanax restait une Amazone. Elle ne se soumettait jamais.
— Père, je te défend de faire souffrir Eglantine comme tu me tortures jour après jour.
Son père se tourna vers elle, comprenant qu'il n'avait plus à faire à Eglantine mais à la face détestable de sa fille. La part Amazone.
— Et dis-moi ce que tu vas faire ? Sois satisfaite que je ne te renvoie pas là-bas.
Elle blêmit, mais son courage ne disparut pas. Eglantine était tout pour elle. Sa sœur, son amie. La seule à la comprendre et à lui sourire lorsque le corps dormait pour les laisser se rencontrer. Dans leur tête. La gentille et naïve Eglantine dont l'innocence donnait sa force à Lytanax.
Lytanax subissait les sévices physiques. Elle guérissait plus vite qu'Eglantine. Mais cette autre dans ce corps n'était pas épargnée par la souffrance lorsque tous l'humiliait et lui crachait dessus, lorsque son propre père ne lui accordait aucun amour. Elle encaissait et continuait de sourire. Elle ne se défendait jamais, sa spécialité n'étant que la fuite et les cachettes. Deux qualités pour lesquels elle devenait particulièrement douée là où Lytanax devenait plus habile et ses réflexes plus dangereux.
— Si tu continus, je ne laisserai plus jamais Eglantine sortir. Je suis l'Amazone. Je suis plus forte qu'elle.
Mais Solomon n'était pas non plus homme à se laisser faire. Face au Téras, il n'exprimait aucune pitié. Alors il la renvoya « là-bas ».
Là où le sens de vivisection avait trouvé une définition. Là où la pitié n'en avait plus. Là où même la Mort ne s'aventurait pas.
Si l'Enfer existait, il ne serait rien de pire à ce qu'elle vivait ici. Le feu, l'azote, les combats... Elle était encore une enfant. L'éviscérer était acceptable. Mais en grandissant, elle aurait sans doute droit à bien pire. Peut-être l'enfermerait-on avec un mâle d'une espèce lubrique, sujette au rut ? Elle l'avait déjà vu. Des choses qu'elle n'aurait pas dû voir... Des cris qu'elle n'aurait pas voulu entendre...
La douleur se propagea dans tout son corps. La trace de plusieurs souvenirs...
Reprenant conscience, la jeune hybride y succomba. Et dans un cri à défier celui des Banshees, elle cria à plein poumon sa souffrance disparue.
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