Chapitre 18
La nuit était tombée, et avec elle les deux compagnons avaient repris leur route. Leur destination restait inconnue, le chemin tout aussi peu renseigné. Mais une chose était certaine. La traqueuse savait que le voyage serait difficile.
Un peu avant, elle avait été tentée de dire oui, d'accepter de se laisser aller dans les bras puissants et robustes du vampire, du prince déchu. Il l'avait touché et son contact l'avait brûlé. Enflammée. Ses mains l'enserrant, sa langue la goûtant sans retenu...
J'en ai encore besoin.
Elle secoua de la tête, chassant ces pensées impures de son esprit. Auprès de l'homme, l'athée qu'elle était se mettait à prier pour qu'on lui donne la force de toujours lui résister, de ne pas succomber à la tentation de son corps de plus en plus attrayant, de ses lèvres au sourire à damner, de ce regard capable de la condamner à une damnation de flammes redoutables.
Depuis plusieurs longues minutes, peut-être des heures, ils marchaient dans la forêt. La moindre ombre la faisait sursauter, mais étrangement elle se sentait de plus en plus en sécurité ici. Elle appréciait les grands arbres d'espèces différentes de ceux qu'elle connaissait, les fleurs inconnues aux parfums envoûtants. La mousse au sol l'attirait aussi. Marcher pieds nus dessus était très tentant...
Mais elle était fatiguée. En trainant des pieds, elle se prit dans l'une des nombreuses racines du lieu. Elle tomba.
Stanislav allait trop vite pour elle. Peut-être essayait-il de mettre lui aussi de la distance entre eux deux ? Pourtant il s'arrêta, se retourna et lui tendit sa main. Elle voulut la repousser... avant de se rendre compte qu'il ne s'agissait pas de sa pensée. Lytanax empiétait à nouveau sur son contrôle.
Et puisque Lytanax voulait le repousser, comme une enfant Eglantine accepta son aide. Elle glissa ses doigts sur les siens, regrettant aussitôt ce contact. Une fois debout, elle ne voulut plus le relâcher. Sans doute pour ne pas l'embarrasser, il ne lui fit aucune remarque, se contentant d'entremêler leurs doigts ensembles. Ils continuèrent à marcher ainsi, côte à côte, main dans la main. Dès qu'elle fléchissait, il la rattrapait et la laissait s'appuyer contre lui. Si un obstacle naturel s'opposait à eux, il la prenait dans ses bras et le franchissait pour eux deux sans dire mot. Il ne demandait rien, ne parlait pas, mais de temps à temps il lui arrivait de sourire.
Cet homme qui était le premier à pouvoir différencier Lytanax et Eglantine aisément. Le premier à considérer Lytanax comme une personne, une Amazone, la femelle magnifique qu'elle était censée être. Le premier à ne pas se moquer de la nature craintive d'Eglantine. Le premier à lui faire ressentir tant de choses peu habituelles.
Eglantine se demandait même s'il n'était pas la raison pour laquelle elle et Lytanax ne contrôlaient plus grand-chose, se mélangeant sans le vouloir, saisissant le contrôle ou le déléguant sans avoir de pouvoir là-dessus.
En passant près d'une rivière, elle remonta tout de même ses lunettes sur son nez, bien décidée à conserver le peu de contrôle, à ne pas laisser Lytanax s'en emparer. Ce mouvement anodin attira néanmoins l'attention du vampire.
— Pourquoi portes-tu des lunettes ?
— Pourquoi les gens portent-ils des lunettes ?
— Tu n'as aucun problème de vue.
— Tu n'en sais rien.
— Les Amazones ont des yeux de chasseurs. Elles ont une vue plus que parfaite.
— Je ne suis pas Lytanax, se vexa-t-elle.
Pourtant, cette manière de se vexer était davantage celle de Lytanax. Eglantine ne se vexait pas, elle se renfrognait, boudait et se sentait misérable. Mais elle ne se vexait pas, parce qu'elle savait qu'elle ne valait rien.
— Ce n'est pas ce que je voulais insinuer. En tant qu'humaine, tu peux avoir des problèmes de vue, mais ce corps est celui d'une hybride avec du sang d'Amazone. Et les Amazones ont une excellente vue.
Elle savait parfaitement où ses insinuations menaient. Il n'était pas question qu'elle lui donne la raison pour laquelle elle portait des lunettes. Il pourrait s'en servir pour se débarrasser d'elle et faire en sorte de ne donner le contrôle qu'à Lytanax. Et Eglantine n'avait plus tant confiance que ça en l'Amazone qui s'était attendrit pour le bel homme et les avait blessé en tentant de fuir.
— Le dédoublement de personnalité implique que les différentes personnalités aient leurs propres capacités. Il a été déjà remarqué que dans un même corps, une personnalité pouvait être avec des problèmes de myopie et l'autre non.
— Ton père t'a bien éduquée, sembla-t-il cracher.
— Mon père est un honorable médecin qui espère toujours faire au mieux.
— Un homme capable de torturer l'esprit de femmes et d'enfants sans une once de pitié ne peut être un homme bon, Eglantine.
— C'est de mon père dont on parle ! Il m'a élevé et aimé !
Elle aimait son père. Même s'il n'était pas parfait, qu'il ne prenait pas toujours des décisions qu'elle appréciait, il était son père et comme toute les petites filles elle souhaitait recevoir son amour. Il l'aimait.
— Tu veux que je t'accepte mais tu m'as déjà chassé. Tu es du côté de Lytanax, toi aussi tu détestes mon père ! Et tu me détestes parce que je suis humaine.
— Je n'ai pas...
Elle s'écarta de lui, retirant sa main de la sienne. Comme toujours lorsqu'elle paniquait, elle disait et faisait n'importe quoi. Mais là, elle était surtout... jalouse. Oui, jalouse de Lytanax. L'Amazone se plaignait sans cesse de ne pas être aimée, de ne pas être considérée, mais pensait-elle qu'Eglantine avait eu une meilleure existence ? Elle s'était battue pour aller à l'université, elle avait combattu ses propres peurs pour avoir un ami.
— Si tu aimes tant que ça Lytanax, et bien je m'en vais et vous souhaite une belle vie d'amoureux tératos !
Elle retira aussitôt ses lunettes, les écrasant dans sa poigne avec une force qui ne lui appartenait pas. La frontière séparant les deux femmes disparaissaient encore...
Une fois débarrassée de sa protection, elle se pencha au-dessus de l'eau, observant son reflet. Lorsque ses yeux virèrent au vert vif, Eglantine s'était endormie.
Lytanax se regarda depuis la rivière. Elle avait assisté à absolument toute la scène, avait écouté absolument toutes les pensées d'Eglantine.
Ses doigts se glissèrent sur sa joue. Eglantine avait eu le temps de verser une larme avant de fuir à nouveau et de la laisser prendre le contrôle.
La main de Stanislav se posa sur son épaule. Eglantine ne l'avait pas repoussé mais elle, elle le fit. Elle lui lança même un regard furieux, la larme sur ses doigts.
— Tu as monté Eglantine contre moi. Elle ne me fait plus confiance. Et elle a pleuré. A cause de toi.
— Mais est-ce que vous allez enfin me laisser parler toutes les deux !
Il secoua de la tête, la main sur le front comme pour calmer une migraine naissante.
— Je m'étais attendu à ce que quelque chose dans le genre arrive, bien sûr. Mais je n'ai pas eu le temps de m'y préparer.
— Te préparer à quoi ?
— Au moment où vous m'imposeriez de choisir entre l'une de vous.
Mais contrairement à ce qu'Eglantine semblait croire, ce n'était pas Lytanax que le vampire avait choisi. Ça, elle en était persuadée.
— Tu l'as touché elle, et tu as désiré l'embrasser. Je sais très bien vers qui penche ton cœur, cadavre ambulant.
— Oh mais c'est pas vrai, toi aussi tu vas t'y mettre.
Mais soudain, le mâle désespéré écarquilla en grand les yeux, semblant réaliser quelque chose avant de sourire.
Oh, oh, ce sourire-là ne lui plaisait pas...
— Vous êtes toutes les deux jalouses.
— Jalouses ? Et puis quoi encore. Je peux avoir n'importe quel mâle dans mon lit. Pourquoi serais-je jalouse d'Eglantine alors que tu n'es qu'un parmi d'autres ?
Bien sûr, ceci était totalement faux. Dès qu'un homme lui plaisait de près ou de loin, tout ce qu'elle souhaitait était bien souvent de lui briser les rotules.
Elle avait lu quelque part – ou bien était-ce là un souvenir d'Eglantine – que les Amazones ne choisissaient de s'accoupler qu'avec des hommes dignes d'elles. Autrement dit, des hommes forts, puissants. Donc aucun prétendant jusqu'à aujourd'hui. A l'exception de Stanislav...
Le vampire avait non seulement du sang royal dans les veines et une ascendance Lilithu, une créature robuste, puissante et sauvage, presque aussi effroyable qu'un Lycan si ce n'était plus, mais en plus elle ne ressentait pas la même envie de le castrer que les autres. Se battre avec lui, pourquoi pas. Le frapper ? Pour une raison quelconque, en cet instant elle en crevait d'envie.
— Puis-je croire que je ne vous laisse pas indifférentes toutes les deux ?
— Crois ce que tu veux, je m'en fiche, abandonna-t-elle en détournant le regard pour qu'il ne la voit pas rougir.
Elle ne rougissait jamais. Mais merde ! Eglantine était en train d'empiéter sur le contrôle qu'elle lui avait pourtant laissé !
Elle regarda à nouveau son reflet, espérant renforcer son contrôle. Contrairement à ce qu'elle avait souhaité, tout ne se passa pas comme d'habitude. Eglantine venait de ressurgir.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? s'inquiéta-t-elle.
Elle s'observa à nouveau dans l'eau de la rivière, mais Lytanax ne revenait pas. Elle ne reprenait pas le contrôle...
Et en se levant, Eglantine se pétrifia d'effroi. La forêt avait disparu, remplacé par un laboratoire qu'elle connaissait bien. Non, pas elle. Lytanax...
Elle perdit connaissance.
Les cris étaient effroyables. Un cauchemar que même la nuit n'apaisait pas, que la mort ne pouvait alléger. Sans doute les esprits restaient prisonnier alors même que le corps périssait.
Elle avait peur.
Accroupie dans un coin de la pièce éclatante, les tâches sanglantes n'avaient pas été étanchées. Mais à quoi bon puisqu'il s'agissait du sien.
La fillette d'à peine cinq avait guéri de ses blessures. Sa mère la soignait comme elle le pouvait, mais plus depuis presque deux ans. La jolie Amazone aux yeux verts avait disparu. On l'avait emmené loin d'elle. Enfermée dans une prison, elles avaient pourtant été séparées. Et avant de disparaitre, emmenée par des humains, elle avait crié un ordre.
— N'oublie pas qui tu es, Whilemine ! N'oublie pas ton nom !
Alors elle n'oublierait pas son prénom. Mais lorsqu'un homme au sourire rassurant entra dans la pièce, Whil oublia tout de sa promesse silencieuse.
Lorsqu'il lui tendit la main...
— Tu n'es pas un monstre, Eglantine.
Whil se brisa.
Elle s'appelait Eglantine.
— Papa est là, Eglantine.
Elle tendit ses bras vers son père.
— Papa, je suis fatiguée...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top