Chapitre 15


La nuit, tous les chats sont gris.

Un proverbe d'autant plus vrai et contraignant lorsque l'on combattait le Téras et ses créatures. Bien que les Tératos aient été différents des humains, très différents d'ailleurs, il était aussi vrai que ces individus possédaient bien souvent deux formes. Une apparence monstrueuse, celle qui livrait tout de leur espèce, mais également une apparence plus humaine. Et le plus souvent, les deux apparences étaient très proches, tant que des crocs et des yeux phosphorescents n'apparaissaient pas.

Cela compliquait d'autant plus la tâche qu'Eglantine restait humaine. Elle connaissait bien le Téras, tout du moins ses créatures. Mais deviner sous une apparence humaine si oui ou non se cachait un prédateur... Disons qu'elle possédait d'autres qualités. Heureusement, parmi ses qualités se trouvait celle d'un bon sens de l'observation.

Les Vouivres n'étaient pas seulement une créature de la race des dragons. La Vouivre avait une particularité physique que son apparence humaine n'abandonnait pas. Si le front du monstre s'ornait d'une pierre précieuse, cette dernière apparaissait en bijou autour de son cou dès qu'elle arborait une apparence plus attrayante. Certes dans ce monde il n'était pas rare de croiser des individus portant un collier avec un pendentif aussi précieux. Deuxième difficulté qui obligea de nouveau Eglantine à soupirer dans le noir.

La nuit avait revêtit son obscure robe étoilée. Des étoiles qu'ici on pouvait plus nettement voir. Loin de la ville de Tours, davantage perdu dans la campagne aux lumières artificielles peu présentes, les astrologues se donneraient à cœur joie d'explorer l'univers de leurs yeux curieux et émerveillée.

Eglantine avait aimé ce genre d'activité. Grimper à un arbre, se cacher dans les branches et trouver ici un spot parfait pour observer le ciel depuis le haut. Elle connaissait quelques noms de constellations et s'imaginait à l'époque que tel regroupement d'étoiles s'apparentait à telle constellation. Totalement erroné mais peu importait en ce temps-là. Lorsque les étoiles se reflétaient dans les yeux d'une enfant, les rêves devenaient réalité et le ciel un infini inexploré.

Elle avait grandi, et aujourd'hui lorsqu'elle regardait le ciel ce n'était pas pour sourire à la Lune et aux étoiles mais pour vérifier qu'un Roc ne cachait pas le Soleil, qu'une nuée de sorcières ne traversaient pas le ciel ou se rassurer que la Lune n'était pas pleine. Certaines créatures du Téras y étaient sensibles...

Les parents apprenaient à leurs enfants à ne pas craindre le noir ou la nuit. Totalement irresponsable ! Eglantine avait peur de la nuit et du noir. Sans tomber dans une phobie handicapante, il existait tant de danger plus grand la nuit que le jour... Impossible d'être serein lorsque la nuit imposait son rythme.

Un bruit. Un craquement attira son attention. Elle tourna la tête. Rien d'anormal. Elle se trouvait à l'orée d'un petit bois. Un animal pouvait passer par ici. Un chat sans doute.

Un loin, isolée de tous, une maison se dressait fièrement. Plutôt un manoir. L'adresse de la Vouivre.

Plus tôt dans la soirée, Eglantine avait aperçu rapidement la créature. Une femme magnifique aux courts cheveux ondulés. Son collier autour du cou arborait une splendide pierre rougeoyante.

Inspirant profondément, et espérant surtout ne pas s'être trompée, Eglantine décida de s'élancer. Autant en terminer maintenant. Elle se leva et...

Une main sortit de l'ombre, puis une deuxième, la première la saisissant par la main et la seconde lui bâillonnant la bouche pour l'empêcher de pousser un cri. Seulement, Eglantine n'était plus seule à maîtriser son corps. Lytanax et elle le contrôlaient à deux cette nuit.

Aussi, la jeune femme n'attendit pas de tomber pour réagir. Ses mouvements se débarrassèrent de son assaillant... jusqu'à ce que ce dernier décide de l'enlacer plutôt que de répliquer par une attaque. Un geste auquel elle ne s'était pas attendue.

Tombant à la renverse dans les bras d'un ennemi qu'elle ne pouvait voir dans le noir, Eglantine ne sentit pas la peur habituelle lui insuffler un plan de fuite. Ici, elle était bien. Elle n'avait rien à craindre. Ses sens l'abandonnaient, son instinct de survie s'endormait pour la laisser seule avec un homme dont les jambes l'encadrèrent, dont les bras l'étreignaient tendrement alors que son visage se posait tout contre le sien.

Torse contre son dos, ce fut le contact de sa main se glissant jusqu'à son cou qui lui arracha un frisson.

— Bonsoir Eglantine.

Stanislav ?

Cet imbécile de vampire l'avait suivi !

Lytanax repoussa totalement Eglantine, bien décidée à en finir avec ce mâle encombrant et complètement débile !

— Dégage de là ! Je suis en mission. Si tu veux à ce point mourir, tu n'as qu'à attendre le matin pour cramer au Soleil. Cette nuit j'ai déjà quelqu'un à tuer.

— Oui, la Vouivre.

Il la serra davantage contre lui.

— N'y va pas, Eglantine.

— Je ne suis pas Eglantine ! se vexa-t-elle avant de se tourner brusquement vers lui.

Elle avait levé son poing, prête à frapper Stanislav. Lytanax ne supportait plus de ne pas exister. Toujours l'ombre d'Eglantine, même aux yeux du plus beau des mâles qu'elle ait jamais vu... Mais à quoi pensait-elle ?

Son moment d'hésitation lui coûta très cher alors que le vampire en profita pour l'arrêter et la plaquer au sol en récompense. Ainsi dressé au-dessus d'elle, il pouvait la maintenir. Faire ce qu'il voulait... Pourtant, ce n'était pas le désir de venger sa famille qui brûlait dans son regard. Ce n'était pas l'envie de la détruire qui assombrissait son visage. Stanislav semblait penser à autre chose.

— Si tu n'es pas Eglantine, tu es la deuxième personnalité, n'est-ce pas ?

Il savait...

— Comment... ?

— Je sais ce qu'est un hybride qui rejette sa nature. Les humains de la Ronde ne sont pas les seuls capable de détruire la personnalité d'une hybride.

Il savait, et il comprenait.

Lytanax sentit ses propres muscles se détendre. Elle entrouvrit les lèvres, comme pour exprimer quelque chose, puis les referma, incapable de trouver des mots pour décrire ce qu'elle ressentait.

Pouvait-elle croire qu'il pourrait la voir et la considérer non comme un objet, une arme à exploiter, mais comme une femme, un personne à part entière ? Une personne qui ne serait pas Eglantine...

— Je suis... Lytanax, prononça-t-elle avec un tremblement dans la gorge.

— Bonjour Lytanax. Serais-tu une Amazone comme je le supposais dans ce bar l'autre soir ?

Il savait, il comprenait et il la voyait.

Elle opina de la tête, médusée et... heureuse. Son cœur était plus léger. A l'exception d'Eglantine, personne ne la considérait jamais. Mais Stanislav lui parlait à elle.

— Je... Oui. Une Amazone.

— Tu es une créature du Téras. Pourquoi te battre contre lui, pour la Ronde ?

Une seule question eut suffi pour obliger Lytanax à abandonner sa place. Eglantine reprenait conscience. Et contrairement à Lytanax, qui savait se battre plus que de se défendre, Eglantine était douée pour fuir.

— Parce que nous sommes deux à vouloir satisfaire notre seul parent, rétorqua-t-elle pour elles deux.

Aussitôt après, Eglantine trouva une faille, s'y glissa et s'extirpa ainsi des bras du vampire. Elle dégaina son épée, et puisque Lytanax ne semblait plus en être capable, elle dressa son arme vers Stanislav.

— Lytanax est tout ce que j'ai. Ne tente plus jamais de me... de me l'enlever.

Pourtant incapable de décapiter ce monstre, elle leva l'arme... mais ne l'abattit jamais. Stanislav lui aussi attendit, ne bougeant pas. Il semblait être si sûr qu'elle ne le tuerait pas...

Pivotant sur elle-même, elle prit la direction de la demeure. Mais tout à coup, son pied se heurta à une sensation pesante. L'instant d'après, ce n'était plus sur la terre des Hommes qu'elle se trouvait, dans cette campagne aux alentours de Tours, près d'un manoir habité par une Vouivre, mais dans une plaine enveloppée par des forêts enchantées.

— Tu aurais dû m'écouter, s'exprima Stanislav, qui semblait l'avoir suivi dans ce nouveau lieu.

— Où sommes-nous ?

— Les Vouivres sont des gardiennes, Eglantine.

Elle connaissait les Gardiens, des créatures sanguinaires protégeant leurs territoires... Il ne parlait pas de ces créatures mais d'une fonction de la Vouivre qu'Eglantine ne connaissait pas. Elle était pourtant censée tout connaitre !

— Qu'est-ce qu'elle garde ?

— Lorsqu'elle éclot, la pierre de la Vouivre devient une clé. Aussi, elle ouvre un portail tout autour de son territoire pour se protéger de ses ennemis.

— Par portail...

— Nous sommes dans le Téras.

Le Téras...

Ici, le temps passait différemment, la faune et la flore étaient autant semblables à celles de la terre des Hommes que totalement à l'opposé. Aussi, la première chose à laquelle pensa Eglantine et qui la fit blanchir comme un linge...

— Mes examens.

Stanislav s'approcha d'elle.

— Laisse tomber ta mission. Nous devons trouver un portail fixe pour sortir.

Pour arriver ou sortir du Téras, il existait plusieurs sortes de portails. Les portails unifaces, comme celui que tous les deux venaient de traverser, étaient des portails n'ayant qu'une entrée. En outre ici, on pouvait y accéder depuis la Terre mais le passage ne s'ouvrait pas depuis le Téras. Un portail fixe désignait sans aucun doute des passages ouverts en tout instant et dans les deux sens. En France, il en existait quelques-uns dont le plus connu restait celui de la forêt de Brocéliande, sur Terre appelée la forêt de Paimpont. Mais Brocéliande était un territoire dangereux et sans doute très loin d'ici.

Eglantine ne connaissait rien des territoires du Téras. Mais elle savait qu'il existait d'autres moyens pour sortir d'ici.

Agrippant soudain le vampire, elle le supplia du regard, totalement désespérée.

— Tu es un ancien prince, n'est-ce pas ?

— Je vais récupérer mon royaume...

— Du détail sans importance ! s'énerva-t-elle alors qu'il n'écoutait pas sa détresse. Tu as été une personne de la noblesse, un homme important, riche et avec de l'influence. Tu dois avoir une clé, n'est-ce pas ? Un de ces objets permettant de créer et d'ouvrir des portails temporaires, n'est-ce pas ?

— Calme-toi Eglantine. Je n'ai pas besoin de ça pour nous faire sortir.

— Que je me calme ! Je ne peux pas ! J'ai mes putains d'examens à passer !

La vulgarité ne faisait pas partie de son vocabulaire mais Eglantine craquait.

— Tu me harcèles et me siffles dans les oreilles ces histoires de partenaires destinés mais tu es incapable de satisfaire ta potentielle femelle lorsqu'elle a besoin d'aide !

Oui, c'était de sa faute à lui. Pas de la sienne. Cela ne venait pas du fait qu'elle n'avait pas pris le temps de se renseigner sur la Vouivre davantage en se persuadant que ce qu'elle en connaissait déjà serait suffisant. Ni de sa négligence en fonçant tête baissée sur le territoire de ce dragon. Non ! C'était de la faute de ce vampire qui la distrayait sans cesse au point de lui faire perdre le contrôle de son corps, l'obligeant à vaciller entre elle et Lytanax sans arrêt. C'était de sa faute à lui. S'il n'était pas venu cette nuit...

S'il n'était pas venu pour la mettre en garde, inquiet pour elle dans sa mission, elle serait sans aucun doute tombée dans le Téras mais seule...

Stanislav l'attrapa par les coudes alors qu'elle flanchait, ses jambes décidées à ne plus la porter.

— Hé, tout va bien Eglantine.

Il l'accompagna, posant un genou au sol alors qu'elle s'était effondrée. Comment est-ce que ça pouvait aller ? Elle connaissait le Téras. Toute sa vie, elle l'avait étudié. Ou plutôt non, elle avait étudié ses créatures. Elle connaissait certains de ses animaux, certaines de ses plantes, les conflits diverses qui avaient pu teinter son sol du sang rouge venu nourrir les eaux empoisonnées par la violence omniprésente.

Le Téras était dangereux. Très dangereux.

Eglantine se flattait parfois d'être une humaine particulièrement maligne et capable de trouver les meilleures cachettes de son environnement. Lytanax se pavanait souvent d'être une grande guerrière. Mais même à elles deux, il serait impossible de survivre plus de quelques heures ici...

— Eglantine, nous devons bouger. Je ne suis pas encore certain qu'il s'agisse d'un endroit sûr.

— Je vais mourir. Je ne veux pas mourir...

— Nous n'allons pas mourir. Regarde-moi, lui ordonna-t-elle en voyant bien qu'elle était occupée à regarder ses propres peurs la dévorer.

Comprenant sans doute qu'elle ne bougerait pas, Stanislav glissa un bras sous ses genoux et plaça l'autre dans son dos, la soulevant de terre pour l'emmener avec lui.

Et tandis qu'ils s'enfonçaient dans une forêt dense et obscure, Eglantine prit conscience d'une évidence cruelle : elle ne ressortirait jamais vivante d'ici. Elle ne retrouverait ni sa terre, ni son père. Elle ne reverrait plus le visage serein de sa mère. Elle ne lirait plus aucun livre, ne se rendrait plus en cours. Envolées les taquineries de Victor, sa voix ne viendrait plus la charrier. Elle ne reverrait plus jamais son seul et unique ami...

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