Chapitre 27
« Il raillait l'art, et c'est tout simple en vérité,
La laideur est aveugle et sourde à la beauté. »
— Victor Hugo, Anima vilis
Lorsqu'elle fermait les yeux – enfin un œil à présent – il arrivait que Jehanne se souvienne.
Ses parents, la fierté dans leur regard alors qu'Elaine revenait de combat, des mâles se tournant sur son passage. Un geste de sa part, l'effluve de son aura alors qu'elle tournait le visage vers l'effervescence des passions se dégageant de ces hommes qui ne désiraient qu'une seule chose. Ils souhaitaient que le sourire de la guerrière leur soit destiné.
Si elle conservait ses yeux fermés, elle pouvait revoir la douleur et la perdition dans son regard lorsque ses parents perdirent la vie pour les laisser seules. Nombre de kères avait été pourchassée par les Idoles, alors en quête de suprématie dans le Téras. Jehanne ne fut qu'une Kèr de quelques années et Elaine eut la responsabilité de s'occuper d'elle. Les Idoles devinrent la menace du Téras, les obligeant à fuir vers la Terre des Hommes, comme d'autres tératos.
Elaine avait connu d'anciennes civilisations humaines, mais Jehanne découvrit pour la première fois ces terres peuplées par les mortels. Des proies à foison et particulièrement appétissantes avant que ces derniers ne décident de riposter en devenant des chasseurs des tératos, donnant naissance à la Ronde.
Et finalement, Elaine disparu à son tour de sa vie. Beaucoup de créatures du Téras maîtrisaient la suite de son histoire, donnant parfois l'impression de la connaitre mieux qu'elle-même. Totalement stupide et arrogant. Qui pouvait prétendre savoir ce qu'elle avait vécu simplement parce qu'on le lui avait raconté ?
Et dire que durant tout ce temps Elaine avait été vivante. Non seulement ça, mais alors que toutes les deux se retrouvaient enfin, Elaine lui interdisait le sexe ! Pour qui se prenait-elle ?
Jehanne s'épongea le front, quelques sueurs froides dans le dos. Son sevrage se passait plutôt mal. Arian aurait dû se tenir à ses côtés pour la soutenir. Grâce à Elaine, cela se révélait impossible.
— Vas-tu me faire la tête encore longtemps ?
Elaine s'installa à ses côtés alors que Jehanne n'avait qu'un seul désir en cet instant. Elle voulait retrouver son lycan et sucer son sang jusqu'à épuisement, l'accueillir en elle pour combler son excitation frustrée et laisser ce beau mâle s'imprégner de son odeur en la tenant fermement dans son étreinte possessive.
Seulement, avec sa sœur traînant toujours dans les parages, dès qu'elle avait l'occasion de tout juste embrasser son promis, Elaine intervenait.
— Jehanne, c'est pour ton bien que je fais ça.
— Pour mon bien ? Tu ne te foutrais pas un peu de ma gueule par hasard ?
— Ton vocabulaire Jehanne.
— Mais je m'en fous de mon vocabulaire ! Je suis frustrée physiquement et psychiquement. Deux jours que je ne peux même plus regarder Arian dans les yeux ou ne serait-ce que lui prendre la main sans que tu interviennes ! Et j'ai faim !
Elle était furieuse contre sa sœur. Mais ne voyant aucune réaction de sa part, elle préféra se lever du canapé pour aller dehors. La main d'Elaine l'arrêta, se saisissant de son poignet.
— Lâche-moi, Elaine.
— Tu étais si mignonne par le passé, ne me laissant jamais seule.
— Et entre-temps tu m'as abandonnée. Pire encore ! Je vais bientôt crever parce que tu m'empêches de faire quoique ce soit.
Elaine voulait rattraper le temps perdu, en quelque sorte, forçant des balades en forêt et des chasses de gibiers. C'était amusant le temps que ça durait, mais Jehanne avait encore des problèmes sur le feu.
Elle pouvait éventuellement écarter son projet de tuer Peter, puisque sa sœur ne le permettrait pas. Mais elle avait toujours un sort qui la rongeait de l'intérieur.
— Par Thanatos, tu aurais dû me le dire tout de suite ! Jehanne, que t'arrive-t-il ?
— Ton sort, celui qui m'a fait devenir entre autre vampire, eh bien il continue de m'affaiblir. Et j'ai attrapé en bonus une malédiction qui attire la mort avec pour but de me tuer.
Une démangeaison imaginaire l'obligea à se gratter alors que des douleurs tiraillaient ses tripes. Des blessures qui se rouvraient à l'intérieur de son être, lui rappelant des séances de punition chez les Idoles.
— Et j'ai été addict au roich, rappela-t-elle alors de lui apprendre.
— Je sais, Peter était censé veiller sur toi à ma place. Il me racontait tout de tes aventures.
— Attends, donc tout ce temps... !
— Jehanne, ce n'est pas le moment. Nous parlerons de mes raisons une autre fois. Pour l'instant, il faut que je comprenne ce qu'il se passe.
— C'est simple, entre-temps, je suis devenu son partenaire destinée, proposa-t-on à la place de Jehanne.
Arian venait de faire son apparition, accompagné par Peter.
Les deux sœurs se tournèrent vers le nouvel intervenant.
— Quel rapport ?
Elaine n'était pas la seule perdue, Peter arquant un sourcil. Cet imbécile allait parler de la malédiction de sa famille !
— Aucun, chercha-t-elle à mettre fin à cette conversation.
— Je l'aide à arrêter son addiction. Et mon sang aide son corps à repousser la malédiction.
C'était grossièrement résumé, mais en l'absence des jumeaux sorciers pour plus de détails, Jehanne opina du chef. C'était bien suffisant pour sa sœur. Il n'aborda pas le sujet de la malédiction familiale. Parfait. Elaine n'avait pas besoin de tout savoir.
Sa sœur posa une main sous son menton, perdue dans ses réflexions.
— Les Idoles ont dû te donner du roich pour être certaines que tu es et que tu restes un vampire.
— Comment ça ?
— Les kères peuvent tout manger en termes de sang. Même le plus pourri et le plus acide que tu puisses trouver. Mais il y a une chose qu'elles ne pourront jamais boire sans conséquence. À savoir, le sang d'Idole. C'est un composé trop... pur. Ça ne nous tuera pas, certes, mais nous en tomberions gravement malade et nous trouverions très affaiblies. Les Idoles ont contaminé de leur sang la plupart de nos clans en une manœuvre éclair, ce qui a détruit la plupart d'entre nous en peu de temps puisqu'une fois affaiblie, elles ont attaqué.
Jehanne ne connaissait rien des détails concernant les guerres ayant opposé son espèce aux Idoles. La seule information dont elle disposait se résumait à la presque extermination des kères.
Leurs parents avaient-ils perdu la vie à cause de cette stratégie ? Empoisonnement au sang des Idoles. Jehanne en avait-elle déjà bu ?
Attends, ne vient-elle pas d'expliquer que le roich était en partie composé de sang d'Idole ?
— Le roich... Peu importe. Le plus important, c'est la malédiction, conclut Elaine en rejoignant Peter. Je dois avoir quelques contacts intéressant chez les sorcières.
— Si tu les contactes, le monde saura que tu es en vie, lui interdit quasiment Peter.
Cette remarque déplu énormément à Elaine, qui siffla pour le mettre en garde.
— C'est de ma sœur dont il est question.
Jehanne se tourna vers Arian, mais regarda rapidement ailleurs alors que celui-ci la fixait intensément. Elle avait voulu discuter avec lui d'un sujet sans importance, mais en voyant la faim dans ses yeux, cela anima ses propres besoins.
Le silence s'était fait. Un silence sous lequel le Lycan serrait les poings et où Jehanne se mettait à haleter. Elle avait vraiment faim. Son corps transpirait le manque et ses tremblements révélaient son état de plus en plus pitoyable.
— Jehanne, regarde-moi.
Arian l'appela d'une voix autoritaire et roque qui arracha un frisson à la femme en émoi. Comment résister à la tentation d'obéir à cette exigence ?
— Oh non, Lycan. Tu n'approcheras pas ma sœur ! revint très vite Elaine à la charge.
Il se saisit pourtant d'elle, la soulevant du canapé pour la placer derrière lui, contre son dos tandis que de sa main libre, il stoppait le poing d'Elaine venu pour s'écraser sur son visage.
— Elle a besoin de se nourrir. Tu es une Kèr et sa sœur, tu devrais savoir plus que quiconque qu'en cet instant tu l'affames et la tortures par tes stupides traditions.
— Nos traditions ne sont en rien stupides.
— Si. Elles sont stupides puisque Jehanne en meurt.
En mourir, il ne fallait pas non plus exagérer. Quoiqu'avec cette histoire de malédiction...
Comme s'il avait entendu ses pensées, Arian posa un regard sur elle, la défiant de le contredire. Elle déglutit péniblement, tendant ses doigts pourvus de griffes vers son visage. Le bras puissant du mâle s'enroula autour de ses hanches, la soulevant du sol alors qu'elle bondissait pour emprisonner la taille de l'homme de ses jambes.
Elle s'empara des lèvres d'Arian, l'embrassant comme si sa vie en dépendait. Un gémissement insatisfait lui échappa. Un sentiment de trop peu tandis que son corps s'embrasait, soudain réanimé. Elle en voulait plus, elle voulait rattraper ce qui lui avait été interdit. Et son Lycan le lui offrit.
— Bon, je crois qu'il vaudrait mieux les laisser, El.
— Mais Peter...
— Non. Tu les as suffisamment embêtés. Allons nous promener.
Les deux parasites partirent et Jehanne put attaquer Arian. Ses griffes se plantèrent dans la chair, laissant le sang gicler contre ses lèvres qui se plaquaient sur la plaie maintenue par ses doigts. Ces derniers s'y étaient engouffrés pour empêcher la cicatrisation pourtant excessivement lente.
Elle avalait goulument, ne s'arrêtant que lorsque Arian posa sa paume contre sa nuque, la tirant en arrière.
— Tu bois trop. J'ai aussi besoin de toi.
En effet, l'érection qu'elle sentait sous ses fesses était assez explicite du désir qui bouillonnait en son Lycan. Elle ne l'empêcha pas lorsqu'il agrippa son pantalon, prêt à le déchirer pour pouvoir s'y engouffrer sans peine.
Pourtant, il n'en fit rien.
De ce geste arrêté, elle cessa de boire. Ce qu'elle constatait alors la mit hors d'elle. Elaine était revenue, sa main ayant arrêté celle de son Lycan.
— Elaine, appela timidement Peter qui arrivait d'un pas peu certain.
Arian et Elaine se défiaient du regard.
— Lâche ma sœur, elle a fini de se nourrir.
— Il n'en est pas question.
Et Jehanne le vit. Elle vit le mouvement, celui de sa sœur. Très léger, trop discret, elle parvint tout de même à le percevoir et à agir en conséquence. Son manteau disparut, laissant place à deux grandes ailes. L'une d'entre elles s'était déployée pour faire barrage entre Elaine et Arian.
Le geste devint douleur alors qu'Elaine, qui n'avait pas prévu la protection de Jehanne, planta sa dague dans l'aile épaisse et lourde. Jehanne ne réagit pas, se contentant de glisser au sol pour se séparer de son Lycan.
Elle arracha l'arme de sa sœur alors que son aile balayait l'air.
— N'essaie plus jamais d'attenter à la vie de mon mâle, Elaine.
— Je te protège, Jehanne.
— De quoi ? D'un Lycan ?
— Il ne t'aimera pas. Il ne t'aimera jamais. Ton cœur en sera brisé.
— Quoi ? Tout ça pour ça ? Je suis son âme sœur, il ne pourrait jamais aimer que moi.
— Le destin peut changer les liens. Il a déjà été vu un tel phénomène où deux partenaires destinés ont brisé leur lien.
— Blasphème ! hurla alors Arian.
Jehanne tendit son bras, barrant la route au Lycan qui semblait vouloir égorger sa sœur. Pour les loups-garous, le concept d'âme sœur était très important. Elle en était consciente. Jamais un Lycan n'aurait pris le risque de briser un lien aussi puissant qui le guidait jusqu'à l'être de sa perfection. La seule créature qui saurait être son seul désir.
Les créatures vampiriques ne croyaient pas tellement en ce concept, même s'ils ne le reniaient pas. Et Jehanne était aussi de cet avis.
— Je me fiche de tes traditions, Elaine.
— Il fut toutefois un temps où tu les vénérais.
— Cela appartient au passé.
Elaine posa son regard sur Arian, grimaçant de dégoût.
— Il te haïra, te trouvera repoussante.
— Impossible.
La certitude du Lycan la touchait beaucoup, mais Jehanne n'en révéla rien. Pourtant, un doute pinça son cœur.
Jehanne n'était pas totalement redevenue une Kèr après tout...
— Ose me dire que la première fois que tu l'as vue, ou plutôt que tu as su sa nature de vampire, ose me dire qu'à ce moment-là tu l'as aimé.
Cette fois, il ne rétorqua rien, obligeant Jehanne à se retourner. Mais c'est qu'il détournait le regard l'enfoiré !
— Voilà, le loup était répugné par le vampire. Comment réagira le Lycan en voyant sa Belle devenir une Bête ?
— Elaine, ne fais pas ça, supplia Jehanne en comprenant les intentions de sa sœur.
Elle n'en fit qu'à sa tête.
Elaine avait déployé à son tour ses ailes. Poilues, dégageant une odeur nauséabonde. L'odeur de cadavres en putréfaction, de sang séché. Et le visage de sa sœur changea, non dans son apparence, mais dans son regard. Affamé, dangereux, intimidant. Des joues se creusant, la peau devint quasiment translucide, donnant l'impression de dévoiler son crâne. Des veines noires entouraient ses yeux creusés, devenus complètement noirs. Les oreilles grandirent, grossirent à la manière d'oreilles de chauves-souris. Pourvues de pointes, elles ne ressemblaient en rien aux êtres sylvestres.
Et ses mains...
Les griffes étaient longues. Excessivement longues. Des serres d'autant plus mortelles.
Jehanne eut un mouvement de recul, se tournant alors vers Arian. Il paraissait... répugné.
Évidemment.
Le Lycan remarqua alors son regard posé sur lui. Il tendit la main, sans doute pris de remords. Mais pour Jehanne le mal était fait.
— Non, ne me touche pas Lycan.
— Jehanne, ne fais pas ça.
— Tu te moques de moi ? Ce que tu viens de voir, c'est ce que j'ai perdu et ce que j'ambitionne de retrouver. Et toi, tu n'as même pas la décence de cacher ton dégoût.
Son corps courbé, élancé vers le loup, se redressa. Inutile d'engager un combat. Elle préféra partir, tout simplement.
— Ne la suis pas, lui interdit Elaine en accompagnant Jehanne.
Le grognement agacé d'Arian eut un goût satisfaisant.
Jehanne prit la porte, décidé à s'éloigner. Elle avait accepté la bête en lui. Était-il incapable d'en faire autant ?
Donne-lui du temps, tenta de la convaincre la raison.
Du temps. Elle allait lui en donner pour trouver un moyen de s'excuser ! Il était censé la trouver belle même lorsqu'elle ne l'était pas. Les Kères étaient néanmoins laides et effrayantes, repoussantes. Ce serait injuste de lui en vouloir pour une telle réaction...
Si, je vais lui en vouloir, se persuada-t-elle en caressant la bague qu'il lui avait offerte.
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Dernière mise à jour : 30/12/2024
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