Chapitre 25

« Car tous ont attendu de longs jours, de longs mois,

Pour ne faire, un instant, qu'une chair et qu'une âme,

Au milieu des terreurs, sous l'œil fixe des lois,

Dans un baiser qui pleure et cependant infâme... »

— René-François Sully Prudhomme, Couples maudits


Salut les loulouttes. Alors aujourd'hui un petit tuto pour vous apprendre à tuer un vampire en le faisant souffrir un maximum tout en redécorant les murs de votre pièce d'un rouge vif sans faire beaucoup d'effort. Du deux en un. Yeah ! On va s'amuser !

Alors pour commencer, visez les veines. Si vous vous attaquez directement aux artères, vous risquez de le tuer très rapidement. Souvenez-vous que les vampires sont des créatures plutôt fragiles qui se nourrissent de sang.

Bon, Jehanne visait rarement les veines au début. Elle avait un petit faible pour tout ce qui était lié au fait de dépecer, ou mieux, arracher. L'élégance, elle adorait. Mais une bonne boucherie de temps en temps ne faisait pas de mal.

Comment pourrais-je le tuer ?

Le plus difficile lorsque l'on devait tuer quelqu'un, ce n'était pas de le tuer. Ou du moins ce n'était pas la difficulté que rencontrait Jehanne. Tuer quelqu'un était même plutôt simple, surtout lorsque l'on était aussi douée qu'elle.

Son réel problème ? La créativité.

Tuer quelqu'un pour le plaisir était sympa au début, mais cela devenait lassant. Le meurtre aussi était une forme d'art. Alors massacrer Peter ne serait pas un souci, mais la façon de le tuer... Jehanne hésitait.

— Tu penses que le dépecer encore et encore jusqu'à ce qu'il me supplie de le tuer serait bien ?

Arian grimaça à la supposition de Jehanne.

— Non, tu as raison. C'est trop basique.

— C'est surtout cruel. Je pensais que tu étais devenue un peu plus empathique.

— Empathique ? Tu dois me confondre avec une autre suceuse de sang.

Son regard s'attarda sur le cou de son loup grognon. Il était un guerrier, et apparemment la Rébellion était adepte de la torture, quoique médiocre du peu qu'elle avait enduré avec eux. Pourquoi montrer un tel visage choqué ? Ce devait être habituel pour un être comme lui.

Elle se passa la langue sur les lèvres, observant le pouls qui battait à travers la peau. Et alors qu'Arian conduisait encore, Jehanne sentit la faim monter. Elle eut une idée des plus stupides. Elle se glissa de façon fluide sur lui, s'asseyant face à lui sur ses genoux.

— Jehanne, arrête tes bêtises.

Mais elle n'écouta pas. Ses lèvres se posèrent dans le cou du Lycan qui frissonna en réaction. Il aimait lorsqu'elle lui prenait du sang, c'était sûr. Elle en était persuadée. Et cela tombait bien puisqu'elle adorait le dévorer.

Et Dianke a dit que je ne dois pas retenir ma faim.

Alors qu'elle allait pour le griffer, boire son sang, quelque chose d'étrange se produisit. Arian n'était pas concentré, un regard absent sur le visage.

— Je connais ce regard, s'attrista-t-elle.

Pour l'avoir vu et tant désiré de ses ennemis et adversaires, ce regard était une chose qu'elle pouvait reconnaître avec simplicité.

— Arian, de quoi as-tu peur ?

Les mains de son Lycan se glissèrent sur ses hanches, la rapprochant encore plus de lui si cela était encore possible.

— Je pensais à Dianke.

— Tu te fous de moi ?

— Non, attends, ce n'est pas ce que tu crois, l'empêcha-t-il de penser de travers. Mais elle a bien dit que tu... allais mourir si on ne te débarrassait pas de la malédiction.

Elle plissa les yeux, Arian faisant semblant d'entièrement dédier son attention à la route.

— Si c'est vraiment par ma faute...

Jehanne pencha la tête sur le côté, ne comprenant pas tout de suite. Ah oui, la malédiction familiale. Elle avait oublié cette histoire. Après tout, Arian lui avait expliqué que ça ne s'appliquerait pas à elle. Et elle ne voulait pas envisager que peut-être...

— Arrête avec tes conneries, balaya-t-elle l'hypothèse d'un geste de la main. Ce n'est qu'une histoire. Les sorcières ne lancent pas des malédictions juste en prononçant des mots sur leur lit de mort.

— Jehanne, Daveth a vu sa famille mourir.

— Pas de chance.

— L'âme sœur de Terneg, mon autre frère, s'est suicidée devant ses yeux. Une petite humaine fragile.

— Une humaine ? Ce n'est pas possible.

Le Téras et les humains ne se mélangeaient pas. Alors une partenaire destinée humaine ? Impossible. Par nature, ça ne pouvait pas exister.

— Oui, parce que c'est une malédiction. Et les malédictions rendent tout possible lorsqu'elles sont puissantes.

Il n'avait sans doute pas tort.

Pas étonnant qu'elle se soit suicidée l'humaine. Un lycan, ça pouvait être vraiment effrayant, même pour un tératos.

— Qu'est-ce que tu essaies de me dire ?

— Ma famille est maudite. Et si par ma faute...

— Stop, l'arrêta-t-elle dans sa stupide pensée déprimante. Arian, tu es la raison pour laquelle je...

Allait-elle réellement prononcer ces mots à haute voix ?

Pour Arian. Pour le rassurer.

— Tu es la raison pour laquelle je commence à me sentir heureuse aujourd'hui, Arian. Aussi, tu sembles oublier qui je suis. Le Papillon écarlate. J'ai une telle chance de cocu dans la vie que je vais même faire le pari que d'ici à quelques jours, je trouverai une sorcière capable de me guérir.

Il retrouva enfin le sourire. Ce qu'il ne fallait pas faire pour rassurer son mâle...

— Tes frères ont vraiment la poisse. Et finalement, toi aussi parce que ton âme sœur est une psychopathe en chaleur à chaque effusion de sang.

— Peut-être que oui, la taquina-t-il.

Ignorant son ironie, elle brandit sa clé USB.

— D'ailleurs, ne va pas penser que tuer Peter ne m'enchante pas, mais pourquoi maintenant ?

— Parce que cette clé USB renferme un précieux secret. Ma sœur et Peter étaient sur une même photo.

Il lui fallut un peu de temps pour comprendre ce que cela sous-entendait.

— Ta sœur est vivante ?

— Oui, elle est vivante.

Et Jehanne sourit. Elle était si heureuse malgré tout ça.

Sa sœur était en vie, et bientôt Jehanne redeviendrait une kèr à part entière. Que demander de plus ?

— Parle-moi d'elle.

À l'exigence d'Arian, elle ferma les yeux pour se replonger dans le passé.

— Elle était solaire. De longs cheveux de la couleur des blés, les miens en paraissaient bien ternes. Une peau dorée, des yeux de lilas, les mâles de toutes les espèces se tournaient vers elle, le cœur capturé par son sourire.

Elaine était magnifique.

— De leur vivant, mes parents nous comparaient souvent en expliquant qu'Elaine était le Soleil rayonnant en plein jour, et que j'étais la Lune, pleine au milieu de la nuit. Parce que mon apparence était plus pâle qu'elle et que je passais mon temps à me cacher ou à rester dans son ombre.

— Le Papillon écarlate fut-il une fillette timide ?

Elle s'empourpra en se rendant compte de ce qu'elle venait de révéler au loup. Jehanne n'avait pas toujours été téméraire et puissante après tout.

— Toutes les petites filles ont peur, et j'ai grandi.

— Sans ta sœur.

Le cœur de Jehanne se serra. Oui, elle avait dû continuer sans Elaine.

— J'étais déjà d'un certain âge.

Indigne de devenir la Pure, de porter en elle le fardeau du Glas des Immortels. Son indépendance, elle ne l'avait trouvé que bien plus tard après la mort d'Elaine. Elle s'était égarée dans ses choix. Et lorsqu'elle retrouvera sa sœur...

Elle sera déçue de ce que je suis devenue.

Combattre pour les Idoles, leurs ennemies de toujours. Mais c'était pour récupérer le Glas ! Par devoir !

— Elle était forte, ma sœur. Elle protégeait les siens comme nul autre, ne faiblissait jamais. Il est arrivé qu'elle fasse reculer des Idoles, qu'elle les fasse fuir de peur.

— Tu as aussi réussi à le faire, Jehanne.

Elle se tourna enfin vers Arian. Il avait raison, les Idoles avaient reculé. Elle avait simplement ouvert ses ailes et ils s'étaient méfiés.

— Je l'ai fait... Oui, je l'ai fait moi aussi.

Comme toutes les kères avant elle.

— Les Idoles me craignent.

Sa remarque fit rire Arian, rendant Jehanne perplexe. Pensait-il qu'elle n'était pas un danger aux yeux des Idoles ?

— Tu es la seule à en douter depuis tout ce temps, Jehanne. Pourquoi Salathiel accepte que je reste avec toi au lieu de retourner en mission ? Pourquoi souhaite-t-il m'utiliser pour te convaincre de nous rejoindre ? Certainement pas parce que tu es mon âme sœur, mais parce qu'il est persuadé que tu serais une alliée, bien au-delà des informations que tu détiens sur les Idoles.

Jehanne était forte, et effectivement, elle possédait bien des informations sur les Idoles et était capable de leur faire peur. Si son ego accepta avec joie ces révélations, elle grimaça.

— Mais ça signifie aussi que les Idoles vont vouloir me faire tuer.

— La Rébellion existe pour empêcher ce genre de chose.

— Vous n'êtes pas très efficaces.

— Bien plus que tu ne le penses. Nous ne t'avions pas encore combattu jusqu'à présent, mais nous voulions abattre le Papillon écarlate pour monter en pression. Mais maintenant que tout le Téras sait que tu as pour âme sœur l'un des guerriers de la Rébellion...

Très fier de lui, le loup souriait bêtement tout en laissant sa phrase en suspens. La nuit de la Bleutée Sanguine, les commères du Téras avaient assisté à beaucoup de scènes différentes. En outre, celle du Papillon écarlate, ennemi des Idoles et amante d'un guerrier de la Rébellion.

— Et c'était quoi le plan ensuite ? Après m'avoir tué, je veux dire.

Le beau sourire s'effaça de ses lèvres. Il ne voulait sans doute pas en parler, puisque cela supposait d'imaginer qu'elle était morte. Ce qui allait sûrement se passer, comme une malédiction lui collait au train.

— Profiter de la confusion. Salathiel prépare...quelque chose. Une attaque.

Lui cachait-il les détails ou ne les connaissait-il pas lui même ?

Soudain, les yeux du Lycan s'écarquillèrent et Jehanne regarda la route pour voir ce qui surprenait Arian. Et à son tour, elle montra son incompréhension. Deux individus se présentaient au loin. Un homme, une femme, qui se tenaient la main. L'instant d'après, ils fusionnèrent pour devenir un lion de plus de deux mètres de haut. Un lion semblant être fait d'or.

— Merde. C'est Nourriel et Ariel, lui annonça Jehanne. Des Idoles.

Arian écrasa la pédale d'accélérateur, et finalement, elle décida d'attacher sa ceinture. Ces deux-là étaient frère et sœur, des jumeaux capable de fusionner pour devenir cet animal à la peau impossible à pénétrer. Nourriel, coureur de jupons invétéré, avait souvent dragué Jehanne par le passé. Mais l'idée de coucher avec un vampire le répugnait, donc ça n'avait jamais été plus loin.

La collision fut brutale. Jehanne parut se cogner la tête et perdre connaissance quelques secondes. Suffisamment longtemps pour constater que la voiture s'était retournée et tordue. Arian ne se trouvait plus à ses côtés. Sortit de la carcasse, il poussait des grognements bestiaux.

Elle se détacha, se régénérant lentement. Sa vue se troublait derrière un rideau de sang. Elle devait avoir été ouverte au niveau de la tête. Et l'un de ses bras était douloureux. Cassé apparemment. Elle parvint tout de même à ramper hors du véhicule.

Le spectacle était surnaturel. Un Lycan entièrement transformé se battait contre un lion impossible à blesser.

Soudain, Jehanne reçu un coup dans l'arrière du genou, tombant aussitôt. Mais elle n'était pas une femme que l'on pouvait surprendre longtemps. Déployant ses ailes rapidement, elle balaya ceux qui l'attaquaient. Deux autres Idoles qu'elle ne connaissait pas. Vêtues luxueusement, cette espèce ne se cachait pas d'aimer les trésors et les richesses.

Elles reculèrent lorsque Jehanne démontra de l'assurance. Sortant ses dagues, elle les combattit facilement. Mais soudain, le geignement de son loup la distrait. Arian était à terre.

Se prenant un coup au visage, elle tomba, mais se releva tout aussi vite. Pas Arian. Nourriel et Ariel le tenaient par les bras, une énorme morsure sur le flanc de ce dernier.

— Continue de lutter et je lui arrache la tête. Difficile de guérir, même pour un lycan, annonça Alysse, se positionnant au-dessus de son amant.

Jehanne hésita. Là où elle était censée n'en avoir rien à faire, elle finit par simplement lâcher ses dagues ensanglantées. Arian, à bout de souffle, sa plaie ne refermant pas, leva la tête pour la regarder. Elle y vit de la terreur. Pas pour lui, mais pour elle lorsque ceux qu'elle combattait juste avant la mirent à genoux. Elle ne lutta pas.

De toute façon, cette malédiction allait finir par me tuer.

Alysse s'avança, prenant le menton de Jehanne pour lever son visage vers le sien. Les deux autres la retinrent, chacun lui tenant un bras. Alysse avait enfilé des griffes. Lorsqu'elle agrippa ainsi l'un de ses yeux, plantant les pointes sans hésiter, Jehanne hurla de douleur. Cette salope prenait son temps pour le lui arracher !

Le loup cria, se débattit et se retrouva face contre terre, les jumeaux ayant fusionné de nouveau pour l'écraser sous leur poids. Arian semblait désespéré. Il devait comprendre qu'elle allait finalement mourir.

Lui arracher les yeux était symbolique pour l'Idole. Cela ne la tuerait pas. Mais une fois fait, et dans la souffrance, Alysse l'achèverait.

Jusqu'à ce que l'un de ses ennemis hurle en se cachant les yeux. Chacun se tourna, Jehanne comprit, vers la direction du nouveau danger. Sur la route, de longues ailes dans le dos, plus poisseuses que celles de Jehanne, une femme à la chevelure dorée apparaissait. Épée en main, sourire malicieux au visage, elle fit reculer les Idoles.

— Et si vous vous attaquiez à une kèr en pleine forme ?

Alysse répliqua, brandissant son arc comme une épée. Mais le lion d'or l'attrapa dans sa gueule pour l'emmener loin, le reste du groupe sur son dos.

Arian ignora tout. Une fois libérée, il se précipita seulement sur Jehanne pour la prendre dans ses bras.

— Tu es blessé, sac à puces.

— Ferme-la !

Tremblait-il ?

Les grandes mains du Lycan accueillir tendrement son visage. Ses yeux se fixaient sur l'orbite vide de Jehanne.

— Je suis désolé Jehanne.

— C'est bon, ça va guérir.

Mais ça faisait un mal de chien.

Une ombre vint les surplomber. Celle ayant fait fuir les Idoles.

— Bonjour, petite sœur. Ça faisait longtemps.

Jehanne oublia tout. Le fait qu'elle lui en voulait de ne pas être venue la voir tout ce temps, de ne pas avoir envoyé de message pour lui annoncer qu'elle était vivante, de lui avoir fait croire qu'elle était bien morte. En cet instant, une seule réalité brisa toute sa rancœur, la faisant pleurer à chaudes larmes de son œil encore intact. Sa sœur était en vie.

— Elaine...

Elle lui ouvrit les bras et Jehanne laissa son loup blessé pour s'y précipiter.

C'était son odeur, celle du soleil. C'était sa sœur, celle qu'elle avait idolâtrée toute sa vie.

— Tu m'as manqué, Jehanne.

Dernière mise à jour : 16/12/2024

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top