Chapitre 23 - 1/2

« À son appel sorcier, l'espoir, lutin moqueur,

Agite autour de moi ses ailes de mensonge,

Et dans l'immensité de l'espace et du songe

Mes regrets vaporeux s'éparpillent en chœur. »

— Maurice Rollinat, Les bienfaits de la nuit


Les paupières closes, la belle dormait paisiblement. Un souffle paisible s'échappait en silence de ses lèvres entrouvertes. Elles avaient pris une couleur carmine, dû à un nombre conséquent de baisers et de morsures. Ce n'était pas la seule partie de l'anatomie de Jehanne qui prenait cette teinte écarlate. Les joues de sa femelle rosissaient doucement.

Nue, elle tenait une couverture dans ses bras. L'une de ses jambes passait au-dessus, laissant à Arian tout le plaisir d'un regard sur les fesses arrondies de la créature endormie.

Arian approcha une main du visage de cristal, écartant les mèches platine pour mieux profiter de ce dont il était témoin. Sa femelle endormie, dans son lit. Une créature au corps élégant, sexy, possédant la hargne d'une guerrière. Jehanne ne ressemblait pas à une elfe ou une fée. Aujourd'hui, alors qu'elle l'avait chevauché, qu'elle l'avait dominé sans lui laisser la possibilité de reprendre les rênes, elle lui avait fait penser à une fière amazone. De redoutables combattantes.

— T'as fini de mater, sac à puces ?

Arian cessa de « mater », plongeant son regard vers les yeux lilas de Jehanne.

— Je suis un mâle. Je ne peux pas m'empêcher de dévorer du regard une femelle lorqu'elle est aussi magnifique et sexy. Surtout nue dans un lit que j'occupe également.

Un sourire joueur se dessina sur le visage de la belle tandis que son regard de séductrice se mettait à le décrire. La tentation fut forte, et l'invitation évidente à ses yeux. Il s'approcha, prêt à s'emparer de ses lèvres. Elle l'arrêta en posant ses doigts sur sa bouche, l'empêchant de l'embrasser. La fierté de son geste transparaissait sur son visage.

Elle venait de le tenter pour le seul plaisir de ne rien lui offrir du tout. S'il grogna, mécontent, ce comportement provocant l'amusait tout autant et nourrissait son désir.

— Nous devons partir, se justifia-t-elle en se levant du lit. Je vais prendre une douche et on reprend la route. Tu devrais ranger en attendant.

Il regarda autour d'eux. Le lit était cassé, tout comme la petite table. Des griffures ici-et-là. D'un haussement d'épaules, il ne vit pas de problème. Jehanne avait lutté pour garder l'ascendant sur lui et il avait combattu pour chercher à reprendre son rôle de dominant. Cela ne le vexait pas d'avouer qu'il avait perdu à plusieurs reprises. Mais pas toujours.

Lâchant un soupir, il se demanda comment il allait faire pour ranger tout ce bazar. Peut-être juste se contenter de dédommager l'hôtel ? Le problème étant que les humains se poseraient des questions. Il allait devoir trouver une excuse pour justifier tant de dégâts.

Intrusif, il prit le sac de Jehanne pour l'ouvrir. Il y avait plus important dans la vie, notamment le fait de sortir des vêtements pour elle. En voyant la lingerie légère, il fut plus que satisfait. Il en oubliait souvent qu'elle était moins pudique que son apparence fragile le laissait penser. Mais quand avait-elle trouvé le temps de s'acheter de telles tenues ?

Il sortit des sous-vêtements noirs ainsi qu'un pantalon sombre et un chemisier bleu nuit dont il adorait la couleur. Alors qu'il s'apprêtait à refermer le sac, quelque chose attira son attention.

— Mais qu'est-ce que tu fais ?

Jehanne était sortie de la salle de bain, vêtue d'un peignoir.

— Tu ne t'es pas encore lavée, constata-t-il.

— Je voulais prendre ma brosse à dents. Pourquoi tu fouilles mes affaires ?

Puis, elle regarda vers la main d'Arian, qui tenait une fiole. Du roich.

— C'est donc pour ça que tu ne m'en réclames plus.

Un moment de silence s'en suivit. Jehanne ne démentit rien.

Évidemment qu'elle avait replongé ! À quoi s'attendait-il de la part d'une toxico ? D'autant que la dernière tentative de sevrage, il la lui avait imposée. Alors, en le fuyant, elle en avait profité pour s'en procurer.

Arian se dirigea vers la salle de bain, vidant le contenu de la fiole dans le lavabo.

— Non, arrête ! Elle m'a coûté une fortune !

Elle essayait de l'empêcher de faire ce qui était déjà réalisé.

Arian lâcha la fiole qui tomba au sol sans se briser. Il se tourna vers Jehanne. Elle avait le visage déchiré par la tristesse. Immédiatement, le remord le pris.

— Je suis désolé, Jehanne. Mais il le fallait.

La tristesse disparue au moment où elle préféra le fusiller du regard, ne comprenant pas les raisons qu'il avait de la forcer ainsi.

— Va te faire foutre ! Pour toi, c'est facile. T'as des ambitions, t'as du pognon, t'as un avenir et la vie est belle. Tu as même rencontré ton âme sœur. Jackpot !

Elle marqua un temps de pause, lui donnant la possibilité de corriger ces faits. Mais rien de ce qui venait d'être prononcé n'était faux.

— Mais moi, ma vie est une putain de douleur qui ne connait pas de soulagement !

Elle avait besoin de ce sang, pour se rassurer. Pour ne plus avoir mal. Arian le comprenait. Tout comme il supposait qu'elle se pensait sans avenir. Sans ambition.

— De la douleur physique ?

— On ne se remet qu'en apparence des tortures des Idoles, Arian.

Ces créatures... Il les haïssait de plus en plus depuis qu'il était en contact avec Jehanne, s'il pouvait encore les haïr davantage. Il avait conscience qu'elle se remettait encore des tortures de leurs prisons. Mais le roich n'était pas une solution.

— C'est le roich qui ralentit ta guérison.

Il se saisit de Jehanne, la soulevant du sol pour la poser à côté du lavabo. La convaincre serait bien plus efficace que de lui imposer ce sevrage.

Il se faufila entre ses cuisses pour se caler au plus proche de son âme sœur.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Je te montre ce que c'est que de ressentir. Je vais effacer toutes ces sensations de douleur.

Il s'empara de la main de Jehanne, guidant les doigts de celle-ci jusqu'à son visage. Les joues de la créature rosirent alors que les lèvres s'entrouvraient. Sa respiration semblait plus lente.

Elle retient son souffle.

— Tu la sens ? La chaleur de mon corps.

Il glissa la délicate main jusqu'à sa poitrine ferme.

— Les battements de mon cœur.

Puis il remonta de nouveau vers son visage, posant un baiser dans la paume de Jehanne.

— L'avidité de mes lèvres.

— Arian, je...

— Cela n'a rien de grave si le monde se remettait à te paraître sombre et repoussant. Parce que je suis là, et j'userai de toutes les ressources nécessaires pour te faire succomber encore et encore, pour t'aider à surmonter n'importe quel obstacle. Je t'aiderai à ne plus ressentir aucune de ces douleurs, je te montrerai de nouveau ces couleurs que tu aimes observer en ce monde.

— Parce que tu penses que j'ai succombé à ton charme ?

— Il est évident que oui.

— Tu es trop présomptueux.

Jehanne voulut descendre, se libérer d'Arian. Elle ne le regardait plus dans les yeux, trop occupée à cacher son visage. Arian sourit, prenant le menton de son âme sœur d'une main pour l'inciter à le regarder.

— Est-ce que... tu m'aiderais vraiment si je replongeai ?

Le ton employé par la jeune femme hésitante le tiraillait de l'intérieur.

Il serra Jehanne dans ses bras, une pulsion qui le prit soudainement alors que la femme relâchait une partie de son armure pour lui présenter un semblant de confiance.

— Je ferai tout, Jehanne. Et si tu n'as pas confiance en moi, aie confiance au fait que tu es mon âme sœur et qu'en tant que tel, je serai prêt à donner tout ce que je possède de plus précieux pour toi.

Les mains de Jehanne tremblaient. Arian s'en voulait terriblement de ne pas avoir remarqué la détresse de celle-ci. Il l'aiderait à arrêter. À ses côtés, le roich n'aurait plus d'existence aux yeux de la kèr.


***


Je suis affamée.

Jehanne se rongeait les ongles, plissant les yeux alors que les phares de voitures éclairaient ses yeux pour les enflammer d'une brûlure due à la fatigue. Elle avait pourtant dormi.

Elle siffla, regardant son ongle qu'elle venait de fendre en deux.

— Jehanne, qu'est-ce que tu fais ?

Arian gara la voiture sur le bas-côté, prenant la main de la femme pour observer l'ongle qui commençait déjà le processus de guérison.

— Est-ce que tu vas me dire ce qu'il t'arrive ?

— Comment ça ?

— Depuis que nous avons repris la route, tu sembles... étrange.

— Mêle-toi de tes affaires, sac à puces et roule. Nous ne sommes plus très loin.

— Non.

Le ton sec du Lycan la laissa bouche bée. Il avait même croisé les bras, attendant visiblement une réponse de sa part. Et comme elle n'avait pas de temps à perdre, elle craqua.

— J'ai faim, c'est tout. Voilà, t'es content maintenant ? Alors, conduis ou j'y vais à pied.

— Mais tu t'es nourri il n'y a pas quelques heures. C'est... étrange.

— Non, tu crois Sherlock ?

— Si tu as faim, nourris-toi. Mon corps refait le plein de sang très rapidement. Et étant donné le regard que tu me lances, je peux affirmer sans risque que tu as envie de te jeter à ma gorge.

C'était exactement ça. Jehanne pouvait voir les battements du cœur d'Arian, elle pouvait voir le réseau sanguin du guerrier-loup.

Un sifflement lui échappa alors qu'elle levait une main, tentée par la gorge du lycan.

Mais bien vite, son regard se posa sur la blessure d'Arian. Bien que la plaie provoquée par son dernier repas était presque guérie, la boursoufflure était encore bien présente.

— Bon, on reprend la route ?

— Et ton repas ?

Elle ne voulait pas le blesser davantage.

— Je ne vais pas mourir de faim. Par contre, j'aimerais vraiment rejoindre mes amis au plus vite.

— Et où vivent-ils ?

— Dans une maison de sucrerie.

Il la regarda, hébété. Et elle éclata de rire. Ce lycan était réellement idiot.

— Bien sûr que non, ils vivent à Sancerre. Encore une heure de route et nous serons arrivés.

— Sancerre...

Cette ville ne semblait pas être inconnue pour Arian. Du moins, c'était ce que supposait Jehanne qui voyait l'homme plongé dans la réflexion tout en reprenant la route. Y avait-il rencontré quelques ennemis ? La France était surtout habitée de créatures féériques, notamment des Kornikaneds, les fées ayant presque toutes disparu de ce monde.

Mais s'il y avait bien une créature qu'il fallait craindre en France, en oubliant des loups-garous, c'étaient les sorcières.

Sans doute Arian avait-il dû faire face à l'une d'entre elles à Sancerre ?

— Le vin. Le vin de Sancerre, sembla-t-il se souvenir.

Bon, c'était mieux que rien. Au moins, Arian connaissait Sancerre. Jehanne n'aurait plus à le guider. Cela lui permettrait de se concentrer sur cette faim insatiable qui n'en finissait pas de la ronger de l'intérieur.


***


Si l'on demandait à Arian d'imaginer une maison de sorcière, la première image qui lui apparaissait en pensée s'apparentait à celle d'une petite maison isolée et dans les bois. Ou bien à une chaumière, ou encore un genre de château gothique pour une sorcière vraiment aisée. Mais certainement pas à ça.

Pourtant, Jehanne était certaine de ce qu'elle avançait. L'appartement au-dessus de la boutique Eden&Vous était bien le lieu de résidence de sorcières puissantes. Un appartement en plein centre-ville.

— Jehanne, rappelle-moi qui vit ici ?

— Des jumeaux.

— Des jumeaux ? Tu veux dire que l'un est un « sorcier » ?

— C'est exact. Il s'agit d'un frère et de sa sœur.

Les sorciers restaient assez rares. Ce n'était pas sans raison que l'on généralisait les sorcières comme étant une espèce exclusivement composée de femmes.

Jehanne et lui s'avancèrent jusqu'à la porte.

— Berlaud ! Ne mélange po d'la bave de luma avec de l'étarigne !

— Ce n'est po moi qu'a mis ça là, Birette des villes !

— Birette des... Attends un peu qu'la Birette des villes te change en lupaud ! Et là, r'garde là l'autre, insarvable.

— Ma grand foué...

Arian fronça les sourcils, ne comprenant pas le français. Et encore moins avec un accent de paysan aussi prononcé. Néanmoins, avec les fenêtres bien ouvertes de l'appartement, la dispute s'entendait parfaitement bien. D'ailleurs, cela incita Jehanne à s'éloigner de la porte pour regarder vers les fenêtres.

— Dianke ! Tout le monde t'entend dans le quartier !

Aussitôt une petite tête sortit depuis la fenêtre. Il s'agissait d'une jeune femme. Ses longs cheveux noirs ondulèrent dans son mouvement, dansant élégamment autour de son visage de poupée alors qu'une légère brise se levait. Les lèvres étaient d'un rouge profond, rubis. Plus rouge que ne l'étaient les lèvres de Jehanne. Mais ce qui impressionnait Arian, c'étaient les longs cils sombres qui mettaient en avant la couleur bleu pâle unique de ses yeux. Bien qu'il fût évident que Dianke portrait du maquillage, elle n'en demeurait pas moins mignonne.

D'ailleurs la jolie brune se mit à lui sourire d'un air provocateur.

— Il est plutôt canon ton p'tit loup. Tu nous le prêtes pour une nuit ?

Une nouvelle tête apparue. Une copie conforme de la femme, mais en version légèrement plus masculine. Il s'agissait d'un homme, surement le fameux jumeau.

— Oh carrément. Prête-le-nous.

— En plus r'garde comme il me mate.

— Il s'areuille.

Arian fronça de nouveau les sourcils, comprenant qu'on parlait de lui, mais n'arrivant pas à traduire les mots. Néanmoins, les deux bruns semblèrent avoir abandonné leur accent, ou bien celui-ci parut bien moins prononcé.

Jehanne se tourna vers Arian, un grand sourire menaçant sur le visage.

— Continue de les mater comme ça, sac à puces, et je t'arrache le cœur pour m'en faire mon prochain repas.

Ses yeux s'écarquillèrent en grand.

— Les mater ?

D'une mine boudeuse, elle se détourna de lui. Son manteau devint deux magnifiques ailes tandis qu'elle s'élançait doucement pour atterrir sur le bord de la fenêtre sans se soucier des humains qui auraient pu être témoins de ça. Arian dû attendre qu'on vienne lui ouvrir la porte.

Entre le fait qu'il ne comprenait pas le français et qu'à présent Jehanne se faisait de fausses idées, Arian sentait qu'il allait passer une bonne nuit.

Dernière mise à jour : 02/12/2024

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top