Chapitre 2
« La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée...
Ô bien-aimée. »
— Paul Verlaine, La Lune Blanche
La lueur pâle de la Lune venait éclairer l'intérieur de la ténébreuse demeure. Une abbaye qui n'en avait presque plus l'apparence tant elle ressemblait à des ruines abandonnées. De temps à autre, ce lieu recevait la visite d'individus qui n'y restaient pas bien longtemps. Certains étaient des randonneurs, des touristes perdus. Ou bien des jeunes venus se faire peur dans un lieu « abandonné » et surement « hanté ».
Néanmoins, les visites demeuraient rares.
Jehanne restait généralement à l'intérieur de la crypte, cachée entre les fissures des murs ou bien dans la tombe habitée par le squelette d'un ancien moine. Elle aimait bien dormir la journée dans ce sarcophage, se sentant finalement proche du cadavre qui l'occupait. Il lui arrivait parfois de danser avec, ou encore de lui parler durant des heures.
Non, elle n'était pas folle. Du moins pas totalement. Enfin, elle le supposait. Elle souffrait simplement de la solitude. Par moment seulement. Et dans cette solitude, elle attendait. Les Idoles souhaitaient qu'elle se fasse prendre par un chasseur de la Rébellion, mais elles n'avaient pas précisé sa date d'arrivée dans sa demeure délabrée. Ce pourrait être ce soir ou bien la semaine suivante.
— Heureusement que tu es là, Rip, remercia-t-elle le squelette dans sa tombe de pierre.
Elle sourit à celui à qui elle avait attribué affectueusement le nom de « Rip ».
Assise au bord du tombeau ouvert, elle réfléchit.
— Un chasseur va arriver pour moi et je vais devoir volontairement perdre et me faire prendre. Ridicule...
Bien évidemment, son ami ne lui répondit rien.
S'il était vrai qu'elle allait être prise en chasse par la Rébellion, alors ma foi...
— C'est vraiment humiliant. Le splendide Papillon écarlate ayant maté des guerriers parmi les plus valeureux va périr de la main de rebelles.
Mais que disait-elle tout à coup ? Jehanne n'allait pas mourir. Elle n'avait pas enduré toutes ces merdes dans sa vie pour abandonner ! Elle avait un but qui lui donnait une raison de se lever le soir et de ne pas affronter les matins ensoleillés pour mourir brûlée vive. Une raison qui lui permettait de ne pas sombrer.
Ma sœur...
Cette pensée lui traversa l'esprit. Elle avait un but, un espoir offert par les Idoles. Ces monstres lui avaient promis de lui rendre sa sœur.
— Et après des siècles de loyaux services à plonger les tératos dans la terreur pour elles, voici comment on me récompense. Elle m'envoie me faire tuer !
Elle siffla de mécontentement, prête à jeter le crâne de Rip contre un mur de pierres par fureur. Elle n'en fit rien. Son ami muet et sans vie ne méritait pas ça. Et l'idée de devoir aller acheter de la colle super-forte pour une nuit de puzzles à reconstituer cette tête ne l'enchantait pas plus que ça.
Cela n'empêcha pas le doute de persister dans son esprit. Quelque chose n'allait pas dans cette mission. Jehanne était douée dans son travail, à savoir le meurtre et le génocide. Massacrer des espèces jusqu'au dernier individu, elle savait faire. Mais infiltrer un territoire ennemi pour récupérer des informations ? Ce serait comme demander à un boucher de faire le travail d'un pâtissier. S'il n'était pas trop empoté, il saurait peut-être se débrouiller, mais certainement pas pour réaliser une pièce-montée.
D'autant que la Rébellion ne se prendrait pas la tête à la capturer. Ils voudraient la décapiter pour la simple raison qu'elle travaillait pour les Idoles.
Elle avait l'impression que les Idoles l'envoyaient à la potence. Et elle ne pouvait pas refuser.
— Peut-être qu'au final ça arrangerait les choses que je sois tuée ce soir.
Ce désir parasite, ce sentiment de résignation qui venait l'envoûter était sans aucun doute un effet secondaire de son petit cocktail roich. Les effets pouvaient varier selon les espèces hématophages.
— Et nous savons tous les deux que je ne suis pas un vampire, continua-t-elle à discuter avec Rip.
Quelques siècles auparavant, elle jetait sa réelle nature. Pour fuir. Pour se protéger. Probablement parce qu'il s'agissait des dernières volontés de sa sœur.
Son identité de kèr lui manquait par moment.
Jehanne glissa sa main dans sa poche, touchant de ses doigts la fiole de roich. Juste un peu plus, est-ce que cela ferait une différence ? La réponse était pourtant évidente. Son corps était encore fragile dû aux sévices subit par les Idoles, et le roich la rendait d'autant plus vulnérable malgré les bienfaits que cela lui procurait pour son moral et pour oublier toutes les merdes de son passé. Sans mentionner que les douleurs physiques passagères s'amoindrissaient avec la prise de ce produit miracle.
Le fait que la Rébellion vienne justement l'emmerder maintenant ne l'arrangeait pas vraiment. Elle ne serait pas au meilleur de sa forme... Elle parierait même avoir été sortie de prison seulement pour pouvoir faire cette foutue mission ! Ou tout du moins pour mourir en suivant naïvement les directives données. Qu'elle soit affaiblie aiderait le petit groupe de rebelles à la terrasser, les Idoles devaient avoir parié dessus. Et elles auraient eu raison.
Elle pouvait tout de même espérer que son visiteur inattendu ne se pointe pas avant longtemps. Après tout, la Rébellion ne se composait pas de génie. Le simple fait de croire qu'il était possible de vaincre les Idoles constituait déjà en soi une preuve suffisante de leur stupidité.
— En attendant, continuons notre discussion Rip.
Rip l'écoutait sans jamais se plaindre. Était-ce la définition d'un véritable ami ?
— Parler à un crâne...
Était-ce là le symptôme d'un problème plus grave ? D'un haussement d'épaule, elle mit cette idée de côté. Elle n'était pas une psy.
Elle sortit de sa robe un petit pot de « crème solaire spéciale vampire ». Jehanne était sortie en plein jour aujourd'hui. Peu conseillé dans son état puisque même cette crème ne la protégeait que partiellement. Sa peau resterait très fragile encore quelque temps.
— J'ai été voir les œuvres d'art, raconta-t-elle sa journée à Rip avec enthousiasme. Il y avait un magnifique tableau du nom de « Guerre ». Un peintre m'y a représenté.
Un artiste décédé depuis bien longtemps. Jehanne avait vécu un certain temps dans les parages. Cela remontait à quelques siècles à présent.
Elle continua d'énumérer toutes les péripéties de sa journée, permettant à Rip de comprendre pourquoi elle était autant énervée par les Idoles ce soir. En tout cas, plus que d'habitude.
— Mon pauvre Rip, j'ai vraiment tiré le mauvais ticket à la naissance.
Reposant le crâne, elle rangea ses affaires derrière la pierre d'un mur qu'elle parvenait aisément à retirer. Des vêtements de rechange s'y trouvaient aussi, emballés dans des sachets en plastique pour les protéger de l'humidité et de la poussière. Mais surtout, il s'y trouvait un manteau.
Couleur cramoisie, sombre et épais, elle le plia délicatement pour le ranger dans le sarcophage auprès de Rip. Ce vêtement ne la quittait jamais lors de ses combats.
Une fois le manteau rangé, elle prit Rip dans ses bras, le sortant de sa tombe pour danser un instant avec lui. Une valse qu'elle apprécia alors qu'elle menait la danse, son partenaire ne pouvait la tenir dans ses bras pour suivre son rythme. Avec rapidité, elle parvint à le faire tourner sur lui-même avant de nouveau placer un bras autour de sa taille pour le faire basculer en arrière, lui maintenant la tête. Le squelette perdit un os, faisant alors effet domino. Tout son corps tomba en morceaux.
Elle haussa les épaules, las de devoir toujours restaurer son ami avec de la colle qui ne tenait jamais. Le crâne dans ses mains, elle rassembla les quelques restes pour les remettre dans la tombe. De toute manière, lorsque le jour se réveillerait, elle retrouverait Rip dans son grand sarcophage. Elle aurait toute la journée pour le reconstituer. D'autant qu'elle doutait de pouvoir trouver le sommeil. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas dormi correctement. Et le fait d'avoir conscience de la visite prochaine d'un chasseur n'aidait pas à la tranquillité d'esprit. S'il était intelligent, il attendrait le jour pour venir la combattre. A l'idée de mener un combat sous le Soleil l'épuisait déjà d'avance.
La femme abandonna son ami d'os, préférant prendre l'une de ses fioles qui commençaient à dater avant de s'aventurer au-dessus, dans l'abbaye. Elle monta les escaliers de pierre, remontant de la crypte pour faire face à la nuit glaciale. La Lune régnait dans le ciel étoilé, offrant à ses yeux un paysage spectaculaire qui la laissa pourtant de marbre. Bientôt, elle se dresserait en Reine dans la nuit, pleine, ronde et étincelante. À ce moment-là, le spectacle en vaudrait la chandelle. La nuit semblerait être un jour tant ses rayons éclaireraient le monde.
Elle ferma les yeux, laissant les lueurs de l'astre lui lécher la peau avec une douceur qu'elle ne méritait pas, tandis que l'alcool contenu dans le sang activait des zones inanimées de son encéphale.
Quand pourrait-elle enfin avoir droit au repos éternel ?
***
La Pleine Lune serait dans quelques jours, la semaine suivante.
Il aimait ces nuits qui étaient pour lui un signe bénéfique. Arian était un Lycan, un loup-garou, un prédateur de la nuit ayant une affinité particulière avec cet astre. La Lune affûtait ses sens, le rendant plus sauvage, plus performant. Un merveilleux chasseur.
Seulement ce soir, quelque chose n'allait pas. Le loup en lui le rongeait. Jamais ses instincts n'avaient été aussi forts. Et il ne parlait pas d'instinct de chasse. Ses besoins les plus primitifs surgissaient avec une férocité qu'il n'avait jamais espéré ressentir un jour. Il inspira profondément, essayant de se calmer. Les Immortels avaient tendance à tout ressentir en plus puissant, et sa libido faisait malheureusement partie de ces sensations surdéveloppés. Mais pas sans raison non plus.
Habituellement, il arrivait à plus ou moins gérer ses pulsions. Seulement ce soir, il n'aurait su expliquer pourquoi, mais le gonflement menaçant de déchirer son pantalon était témoin de la bestialité grandissante en lui. Il avait besoin de...
Arian arrêta sa main qui se dirigeait vers sa braguette. Certes, il était en pleine forêt et personne ne viendrait l'interrompre, mais il avait des choses plus urgentes à faire que de soulager une putain d'érection !
Le Papillon écarlate était un vampire, et les vampires vivaient la nuit. En toute logique, il aurait mieux valu aller à sa rencontre en plein jour. Seulement, Arian avait préféré partir à la recherche de sa belle aux yeux lilas. En vain.
D'après les humains aux alentours, ce n'était pas inhabituel de la rencontrer dans les parages. Elle se démarquait, s'habillant souvent de manière légère et dans des teintes cramoisies. Sa seule chance serait de retourner dans le village demain dès les premières lueurs de l'aurore et d'attendre. Si elle visitait aussi régulièrement les environs, il finirait forcément par la rencontrer à nouveau.
Après coup, il se disait que la nuit serait donc parfaite pour observer le Papillon écarlate dont la présence au Val sans retour était due à une mission impliquant d'éliminer un hybride à la fois fée et kornekaned. Les fées étaient si rares que cela n'étonnait personne que l'arme génocidaire des Idoles ait été spécialement dépêchée dans les parages. D'après les informations qu'ils avaient reçues, elle était présente depuis presque trois mois. En sachant qu'elle semblait avoir disparu durant deux mois... Quelque chose n'allait pas dans cette histoire.
Il savait où la trouver, il connaissait l'importance de sa mission. Seulement, son environnement chercha à l'écarter de cette dernière. Son instinct voulait le guider pour trouver une tout autre femelle. Le Papillon écarlate, monstre sanguinaire qu'il devait détruire pour venger toutes les morts inutiles du passé et envoyer un message clair et menaçant à l'encontre des Idoles, devint secondaire pour lui. C'était cette odeur... Une odeur enivrante, aphrodisiaque... Elle.
L'odeur de sa destinée, celle que la Fortune avait choisie pour lui. Son âme sœur.
Cette odeur glaciale l'appelait, lui faisant perdre son objectif de vue. Il en suivit le sillon à la trace pour en trouver l'origine. Lui qui avait passé la journée à tenter de la retrouver, ce n'était que lorsqu'il n'avait pas ce temps pour elle que son odeur venait l'émoustiller.
Arian inspira profondément, se sachant proche de la créature. Ce fut comme prendre une goulée d'air froid. Le Papillon écarlate pourrait bien attendre quelques heures, n'est-ce pas ? Au moins le temps pour lui de rencontrer cette femme que le Destin lui proposait. Et lorsque ses pas le menèrent à une abbaye abandonnée, il ne put croire ce que ses yeux lui montraient.
Arrivé à la lisière de la forêt, au cœur de celle-ci, le bâtiment en ruine lui faisait face. Et là, assise sur un muret détruit, la créature la plus magnifique qu'il ait jamais vue attendait. Son visage levé vers le ciel, elle profitait d'un bain lunaire en fermant les yeux. Sa peau laiteuse semblait s'y méprendre avec l'astre à la beauté si pure. Les longs cheveux d'un blanc irréel étaient nattés en une longue tresse qui se balançait élégamment dans le dos de la créature de merveille. Il huma l'air, appréciant l'odeur de la femme. Il connaissait cette senteur, semblable à celle de la femme de l'exposition. La beauté aux yeux lilas.
Le cœur battant, ses lèvres s'écartèrent légèrement tandis qu'il sentait quelque chose en lui.
Elle.
C'était elle. Ses instincts le lui disaient, le poussant à marcher à sa rencontre, n'ayant pas la patience d'attendre une nuit de Pleine Lune pour lui confirmer ce qu'il savait déjà. Le désir s'emparait de lui. Il voulait la prendre dans ses bras, de ses mains la parcourir de toutes parts, se laisser aller à l'exploration de cette créature. Il arracherait ses vêtements d'un coup de griffe avec fureur, ces tissus l'empêchant d'observer correctement ce qui lui appartenait.
Il perdait la tête.
Arian se sentait si étrange. Et ce n'était pas simplement dû à ces sensations qui le prenaient d'un seul coup. Non, c'était parce que le loup en lui le poussait à faire un pas en avant, le poussait à prendre ce qui lui appartenait. Il n'était pourtant pas homme à être possessif.
Elle est tienne.
Tremblant à l'idée de se tromper, il fit un pas en avant. Trouver celle qui lui était destinée était un rêve. Certains passaient l'éternité à chercher sans jamais trouver. Arian n'avait jamais cherché. Et néanmoins, dans sa traque, elle lui apparaissait ? Mais les faits étaient là. Un sourire satisfait illumina son visage. Non seulement on lui offrait la plus belle des créatures qu'il ait jamais vues de toute sa longue existence, mais en plus, elle n'était pas humaine. Le seul fait qu'il puisse être ainsi attiré à elle le lui confirmait. Les partenaires destinés ne comptaient pas les humains dans leur liste. Cette femme, qui ne possédait cependant pas d'oreille pointue, était-elle une elfe ? Ces créatures étaient très fermées au monde, n'autorisant pas qu'un membre sorte de leur communauté et acceptant très mal les étrangers. Il serait difficile pour lui d'emporter cette femme dans ce cas. Mais la légende voulait que le Val sans retour accueille les Fées. Était-elle l'une de ses créatures qu'il était miraculeux d'apercevoir ?
Qu'importaient les difficultés, il les surmonterait. Il était un guerrier, un soldat de la Rébellion qui combattait les Idoles. Et il avait entendu dire que les elfes ne les portaient pas non plus dans leur cœur. Aussi, l'ennemi de ses ennemis étant toujours ses amis, Arian ne se faisait pas de soucis. Au problème, il emporterait de force cette femme qui commençait déjà à envahir ses pensées de désirs sauvages dont il n'exprima aucune honte. Dans tous les cas, elle allait se tourner vers lui, elle le reconnaîtrait comme il l'avait reconnu et tout irait bien. Tout se passerait comme prévu. Elle quitterait d'elle-même les siens pour le rejoindre, se précipiter dans ses bras.
Pourtant, elle ne se retourna pas, tout comme lors de l'exposition, avant sa fuite soudaine qui ne lui laissa pas le temps de simplement l'aborder et prendre le temps de la rencontrer. Ne le sentait-elle pas comme lui la ressentait jusque dans son âme ? Son corps le brûlait d'une passion qu'il voulait puiser en cette femme si pure d'apparence, lui arrachant un grognement de frustration. Grognement qui la fit enfin réagir.
— Guerrier, es-tu venu pour me tuer ?
Et lorsque la femelle ouvrit enfin les yeux, se tournant vers lui, il comprit que les dieux lui jouaient un sale tour. La créature qui l'observait de ses yeux lilas, un violet qui se mit à briller pour prendre une couleur rubis, ne pouvait être son âme sœur. Elle était un monstre assoiffé de sang. Une sangsue à la réputation cruelle. Une vampiresse. Sa proie.
Le Papillon écarlate.
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Dernière mise à jour : 24/03/2024
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