Chapitre 19

« Parmi l'obscur champ de bataille

Rôdant sans bruit sous le ciel noir

Les loups obliques font ripaille

Et c'est plaisir que de les voir »

— Arthur Rimbaud, Le loup


La Ronde envahissait les lieux, prenant des objets et ôtant aisément la vie à ceux qui les combattaient. Sur les corps sans vie ou à peine capable de lutter, les humains réalisaient quelques prélèvements dans un calme révulsant. Les diverses antiquités, exposées pour les ventes aux enchères, furent dérobés. Des armes, des plantes inestimables, des crocs, des crânes... Ils ne laissèrent que ce qui n'avait pas de valeur à leurs yeux. Les possessions les moins précieuses. En revanche, les Idoles furent bien plus difficiles à vaincre, revenant sans cesse à la vie. Ce détail ne parut pas poser de souci aux membres de la Ronde, qui calculait le temps de régénération de ceux qui se prenaient pour les Maîtres des Univers.

Redoutables, ces humains démontraient une force et une intelligence stratégique impressionnante. Nul ne parvenait à les mettre K.O réellement. Pas même les Idoles ne semblèrent les effrayer. Néanmoins, ils allaient vite, prenant sans doute conscience que l'effet de surprise leur était favorable, mais pas pour longtemps.

Arian ne pouvait pas se permettre d'attendre. Ni de combattre. Il avait une compagne à protéger. Une fois dehors, il crut pouvoir mettre Jehanne à l'abri de tout ce chaos aux multiples dangers. Seulement, une donnée essentielle lui avait échappé. Cette nuit était la Bleutée Sanguine. Un seul regard pour l'astre suffit à le lui rappeler. Son cœur recouvrit chacun des sons environnants. Tout son corps se tendit, un sentiment puissant lui embrouillant l'esprit. Peut-être une odeur. Un arôme hivernal, froid, gelé. Une senteur le faisant frissonner.

La Lune influençait ses sens. Ce qui n'était, jusqu'alors, qu'une lointaine présence, un instinct dictant ses décisions, surgit dans son esprit. Le Loup s'éveilla.

Ce n'est pas le moment.

Mais la bête en lui demeurait plus puissante cette nuit. Son désir était réel, montant, brutal. Le Loup voulait sa femelle, la marquer, la posséder et puiser en elle toute la sauvagerie dont il était doté.

Il y a trop de danger, gronda-t-il au Loup pour que cette bête cesse de prendre entièrement le contrôle. Arian devait le garder en partie. Mettre sa femelle en sécurité. Fuir les Idoles et la Ronde. Puis s'isoler. Et ensuite seulement, il pourrait accepter de se laisser aller à ses instincts. Avec Jehanne, parce qu'il ne pouvait en être autrement. C'était elle, ou personne d'autre. Ce à quoi le Loup répondit d'un grognement approbateur.

Mais en se tournant vers son âme sœur, la plus intrigante des créatures ne bougeait plus. Sa poitrine avait été silencieusement transpercée.

Une vibration dans l'air imposa le silence, la menace d'un hurlement sauvage, guttural, faisant frissonner même les Idoles. Les Lycans vénéraient la Lune et la croyance de l'être destiné. Leurs instincts les y poussaient avec toute la fureur de l'univers.

Or, l'âme sœur de l'un d'entre eux était à terre. Chacun savait à quoi s'attendre, et déjà quelques curieux décidèrent de finalement détaler, par prudence.

Tuer.

La panique et la rage animèrent les sens du Lycan qui se mit à gronder. Les crocs ressortaient, ses os craquaient en prévision d'une métamorphose incontrôlée. La monstruosité de son apparence et l'effroi d'un combat face à un Lycan entièrement transformé et incontrôlable en effraya plus d'un. Il n'eut suffi que d'un grognement pour que la Ronde décide d'ordonner leur retraite.

Un Lycan en fureur pour protéger son âme sœur n'était pas un spectacle dont on se réjouissait.

Les vêtements d'Arian se déchirèrent, la gueule du monstre qu'il était révélant une rangée de dents prédatrices. Il allait tous les déchiqueter jusqu'au dernier. Les innocents n'existaient pas, tous étaient des ennemis lorsqu'il s'agissait de sa compagne offerte par le Destin. Son besoin d'écraser la menace montait. Et le Loup refusa de laisser la place à Arian, mu par cet instinct primordial, archaïque.

Mais déjà, la coupable principale s'enfuyait dans la forêt. Tout comme le reste des membres de la Ronde. Cela ne fit qu'exciter ses sens, nourrissant son besoin de chasse.

Il voulut courir après, mais on hurla son nom.

— Arian !

Ce ton appartenait à un lycan, le grognement en écho ne faisant aucun doute. Et le Loup fut obligé de se tourner. Des yeux s'illuminaient pour garder son attention. La bête en lui reconnaissait son frère, l'empêchant d'attaquer.

— Ta femelle a besoin de toi.

Daveth pointait Jehanne du doigt.

— Laisse-les partir, c'est elle ta priorité.

Jehanne était sa priorité.

À terre et inerte, elle respirait encore. Le Loup accepta de céder un peu de son contrôle, pour sa femelle. Sa forme bestiale disparue tandis qu'Arian revenait vers elle. Sa main se glissa dans le dos du corps qu'il découvrit frêle et fragile. La soulevant légèrement pour la rapprocher, il constata la blessure. Elle saignait abondamment. Sa plaie ne se refermait pas. Pourquoi ne guérissait-elle pas ? Avec ce genre de blessure, cela pas dû prendre plus de quelques secondes pour un être immortel. Ou plusieurs minutes. Mais ici, les tissus ne se reformaient pas. La chair ne s'unissait pas pour refermer la plaie.

— Jehanne, s'il te plait, ouvre les yeux.

Elle ouvrit un instant les yeux avant de les refermer. Cette jolie teinte lilas qui éveillait le Loup, le poussant à vouloir la posséder. Cette jolie teinte lui était interdite par ces paupières closes. Son cœur... Il ralentissait.

La peur le tétanisa. Daveth s'approchait et Arian repensa à la malédiction de sa famille. Il avait réellement cru que Jehanne serait épargnée, que cette malédiction n'était qu'une malheureuse histoire. Mais s'il perdait vraiment son âme sœur ? Ils ne s'étaient pas encore réconciliés, ni n'avaient eu le temps d'apprendre à se connaitre, à vivre ensemble, à trouver une harmonie.

— D-Daveth, aide-moi.

Arian se berça comme pour se rassurer, Jehanne dans ses bras. Le Lycan haïssait le rouge. En particulier le rouge vif qui fuyait ce corps malgré les mains fermement plaquées contre la petite blessure.

— Tiens bon ma belle, ça va aller.

Essayait-il de la rassurer elle ou bien de s'en persuader lui ? Arian n'en savait rien, mais la réponse importait peu. Il voulait que le sang s'arrête de couler. Son odeur l'écœurait. Un grognement bestial démontra la présence du Loup prêt à surgir à tout instant, gémissant de douleur. Excité par la Pleine Lune, et il perdait sa femelle avant d'avoir pu la posséder et la marquer.

Arian résistait autant que possible, mais ses griffes et ses crocs sortaient. Le Loup voulait retrouver les responsables de la tragédie à venir. Il deviendrait fou. Peut-être même qu'il ne retrouverait plus forme humaine. Il avait déjà vu ça. Mais Jehanne n'était pas encore morte, il y avait de l'espoir. Il devait résister au Loup. Son frère aurait une solution. Seulement, Daveth ne faisait rien, demeurant un spectateur passif.

— Non... Non... Jehanne, ouvre les yeux. Tu ne dois pas les fermer.

Elle ne les rouvrit pas. Arian blêmit d'effrois.

— Jehanne, appela-t-il d'un souffle incertain.

La femme ne réagissait pas. Pourquoi ne réagissait-elle pas bon sang !

— Arian, c'est trop tard.

Daveth posa une main sur l'épaule de son frère qui se tourna brusquement vers lui, montrant les crocs et lâchant un grognement dissuasif. Jehanne n'allait pas bien, personne ne devait l'approcher. Le Loup à fleur de peau était prêt à tout pour la garder.

— Nous devons y aller, lui intima-t-il.

Les Idoles arrivaient, les yeux d'Alysse rivés sur le manteau. Les vampires se préparaient à une contre-attaque. Tout ça à cause de ce fichu manteau !

Le manteau de Jehanne.

Il devait aussi protéger ce vêtement.

Soudain, une douleur étrangement agréable vint perforer sa chair, Arian regarda autour de lui. Qui venait de le piquer ? Pas son frère, ni les vampires qui se regroupaient plus loin. Pas même les Idoles qui voulaient les approcher. Alors qui était à l'origine de la douleur ?

Son regard descendit vers Jehanne. Ses yeux étaient toujours fermés, seulement ses mains s'étaient saisies de son poignet. Des serres lui avaient ouvert le bras pour livrer son sang. Elle buvait. Elle vivait ! Jamais Arian ne s'était senti aussi heureux d'être douloureusement blessé, puisque Jehanne, tout en buvant, était en train de guérir. Son sang guérissait la créature de merveille.

Une fois guérie, elle s'arrêta de boire, levant son visage vers lui. Et quel visage !

Les lèvres sanguinolentes et les yeux enflammés par une lueur rouge qui l'aida à se réconcilier avec cette teinte vive.

Elle tendit ses bras vers lui, le visage suppliant.

— J'ai besoin... j'ai besoin de...

— Tout ce que tu veux. Tu n'as qu'à me dire, Jehanne.

Toi, murmura la femme entre ses dents.

Cet appel réveilla le Loup, et Arian lutta pour garder le contrôle, ne cédant pas à ce besoin de se libérer.

Elle se jeta sur lui, ne lui laissant pas le temps de s'étonner par cette demande inédite. Il ne résista pas lorsqu'elle se plaqua contre lui. Il ne broncha pas non plus lorsqu'elle posa ses lèvres sur sa gorge, léchant sa peau pour y planter ses dents avant de l'ouvrir d'une petite plaie avec sa serre. Seulement, entre la morsure, le corps de la femme contre le sien et son odeur... Arian ne savait pas que faire. Il était déchiré entre le désir de simplement arracher ce vêtement qui recouvrait Jehanne et l'envie de profiter un peu plus de cette morsure qui le faisait frissonner d'un plaisir bien étrange.

Mais surtout, ne pas céder au Loup. Pas maintenant. Il voulait profiter de ce moment avec elle. Constater le miracle, se rassurer.

— Jehanne, si tu continues, je vais...

La femme aspira soudainement une grosse quantité de sang, ce qui arracha un nouveau frisson au Lycan. Il gronda son désir. Un désir s'imageant par une érection de plus en plus douloureuse.

— Jehanne, voulut-il de nouveau la mettre en garde.

Mais elle n'en fit qu'à sa tête. Et à la deuxième aspiration, Arian se pétrifia.

Jehanne cessa de boire, un sourire diabolique sur le visage tandis que sa main descendait jusqu'à son entre-jambe.

— Tu as déjà joui ? Mes serres te feraient-elles autant d'effet, sac à puces ?

— Tu ne sais pas à quel point.

Ah ! Elle rougissait. Cela amusa Arian qui saisit la femme par les hanches pour la soulever et la poser contre lui, torse contre torse, tandis qu'il s'asseyait correctement.

Son parfum, de plus en plus grisant, enivrait ses sens décuplés par la lune. Le danger n'était pourtant pas parti. La faire sienne devenait cependant une priorité. D'autant plus lorsque la créature de toutes les tentations posait sur un lui un regard brumeux, annonciateur d'une seule vérité. Jehanne était dans le même état.

— Arian, je ne comprends pas ce qu'il m'arrive, lui avoua-t-elle.

Ses cuisses l'enserrèrent, comme pour essayer de lui cacher son excitation. L'odeur délicate s'échappant de son corps nouvellement guéri ne le trompait pas. Elle le voulait, sans aucun doute. Et il la comblerait d'ici peu.

— Tu n'as pas à avoir peur.

— Je ne suis pas dans mon état normal.

Se rendait-elle compte qu'elle était en train de bouger ses hanches pour se frotter contre lui ? Ce n'était visiblement pas le cas, au grand bonheur d'Arian qui profitait pleinement de l'incompréhension dont elle faisait preuve en cet instant. Le Loup revint l'emmerder, grattant en son esprit pour tenter de reprendre le dessus. Il devait satisfaire sa femelle, la marquer dans sa chair, dans son âme pour les lier aux regards de tous les mâles. Mais Arian continuait la lutte. Pour Jehanne. Le Lycan pouvait voir des expressions, des émotions sur son visage de cristal, habituellement si froid. La Pleine Lune en était-elle la fautive ? Si tel était le cas, il souhaitait de tout son cœur que cette nuit ne s'arrête jamais.

— Je t'aime, Jehanne.

Arian regretta immédiatement son impulsion du moment. Jehanne s'était arrêtée de bouger et de respirer. À présent, son regard paraissait furieux.

— Ne dis pas n'importe quoi, lâcha-t-elle d'un ton sec.

Il voulut garder son emprise, ses mains sur sa taille, mais celle-ci fut bien plus rapide. Elle lui échappa comme le vent passait au travers de ses doigts sans jamais pouvoir être attrapé. Et le Loup gronda son avertissement. Le plus douloureux pour Arian se présenta lorsqu'en se relevant, son âme sœur eu un mouvement de recul.

— Jehanne, ne fais pas ça. N'essais pas de me rejeter.

— Te rejeter ? Arian, nous ne sommes pas des âmes sœurs. Parce que, pour commencer, les partenaires destinés ne se trahissent jamais.

— Je ne t'ai jamais trahi !

Ses yeux en soucoupes révélèrent une lueur rougeâtre dans le violet. Jehanne laissa échapper un rire moqueur.

— T'es vraiment gonflé. Tu m'as menti ! Tu m'as manipulé, Arian. Et je t'ai cru !

Un son bien étrange se mêla à la voix de Jehanne, qui posa ses doigts contre sa bouche en s'en rendant visiblement compte. Le front plissé, tous ses traits s'affaissèrent. Le Papillon écarlate, redoutable ennemi du Téras, était sur le point de pleurer devant témoins. Par sa faute.

— Je t'ai cru...

La répétition le déchira. Arian avait réellement blessé son âme sœur. Celle qu'il était censé protéger des souffrances du monde, des dangers de la vie, celle qu'il avait le devoir de rendre heureuse, celle qui serait sa perfection... Tous les Lycans rêvaient d'un tel moment, et lui avait tout fait de travers.

Ses bras s'ouvrirent pour recueillir Jehanne dont les épaules tombaient. Sa main derrière la nuque, il la serra contre lui.

— Je suis désolé, Jehanne. J'ai fait des choix stupides. Et je les regrette, parce qu'ils t'ont blessé.

Jehanne ne répondit rien, au contraire de Daveth, qui gâcha son moment.

— On a un autre problème.

Alors, sous le conseil de son frère, Arian tourna la tête pour regarder vers les Idoles. Celles qui avaient été blessées venaient de guérir. Et avec l'absence de la Ronde, leur objectif fut facile à cerner. Le manteau de Jehanne.

Dernière mise à jour : 04/11/2024

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