Chapitre 18
« Mon cœur me l'avait dit : toute âme est sœur d'une âme ;
Dieu les créa par couple et les fit homme ou femme ;
Le monde peut en vain un temps les séparer,
Leur destin tôt ou tard est de se rencontrer »
— Alphonse de Lamartine, Jocelyne
Elle se tenait là, devant ses yeux. La plus belle des créatures qu'il ait jamais vues. Arian venait de retrouver Jehanne. Son cœur battait encore fort dans sa poitrine. Lorsqu'il avait posé ses yeux sur elle, sur son corps mettant en valeur une tenue attrayante, sur sa chevelure pâle en chignon, sur son cou décoré d'un collier, Arian avait aussitôt voulu l'approcher pour lui faire la cour. Il se serait sans doute prosterné à genoux pour supplier son pardon. Mais un démon, un incube, fut plus rapide, l'obligeant à marquer son territoire.
Jehanne lui était destinée. Et elle paraissait en ressentir tout autant. Sinon, pourquoi finir sa danse avec lui ? Pourquoi se presser contre lui alors qu'il grognait à l'encontre de la Reine vampire ?
Je vais racheter son manteau.
Le plus précieux des cadeaux qu'il pourrait lui faire. Bien plus que le bijou qu'il avait fait préparer. Il avait eu le temps d'apprendre sur les Kères, sur ce qu'elles étaient.
Considérées comme des divinités de la Mort, ces guerrières vénéraient la guerre et s'abreuvaient des cadavres ou des mourants. Naissant drapée dans un drap rouge, la teinte se modifiait avec le temps, le sang de leurs victimes l'entachant fièrement. L'odeur que s'en dégageait était pestilentielle. Un drap qui devenait un manteau, prenant l'apparence nécessaire selon les désirs de sa kèr. Comment avait-il pu manquer un vêtement aussi odorant lorsqu'il la trouva pour la première fois dans ses ruines ?
Mais surtout, Arian en savait aussi davantage sur ce manteau. Et il espérait que le bijou qu'il avait préparé lui irait. Et lui plairait. Son but n'était pas d'être pardonné, pas tout de suite. L'idée semblait enfantine, Arian voulait seulement pouvoir obtenir une autre chance. Peut-être accepterait-elle de ne pas le fuir ou l'écarter entièrement de sa vie ?
La Reine partit de son côté. L'occasion pour lui de parler.
— Jehanne, je...
Elle repoussa sa main et se dirigea plutôt vers la salle d'exposition, là où se trouvaient les lots de la vente aux enchères. Comme prévu, elle ne souhaitait pas lui pardonner, visiblement très peu ouverte à la discussion.
Il la suivit, mais son regard assassin à son encontre le dissuada d'être trop collant. Même Daveth lui conseilla de ralentir d'un geste de la main. Bon, dans tous les cas, elle n'irait pas loin. Il avait de l'argent, elle non. Arian lui était nécessaire pour récupérer son manteau et il voulait parier là-dessus.
Jehanne s'éloigna, à la recherche de son manteau. Réfléchissait-elle à un moyen de le récupérer sans passer par les ventes ? Le seul moyen serait d'accepter les conditions de la Reine vampire. Autrement dit, jurer loyauté à la couronne hématophage. Et un pacte magique avait le pouvoir de vous contraindre. Hors de question qu'elle troque sa vie, sa liberté ! Il récupèrerait son manteau, combattrait chacun ici s'il le fallait.
En attendant, il vaut mieux de jouer la carte de la prudence. Impossible de vaincre les Idoles, les autres clients désirant le vêtement, et l'armée de la couronne qui protègerait la Reine jusqu'au bout restant dissuasive.
— La Rébellion fouille dans nos ordures à présent ?
Un frisson remonta dans sa colonne vertébrale alors qu'une voix féminine s'adressait à lui. Une femme à la coiffure sophistiquée se tenait à côté de lui, observant l'un des lots. Un miroir visiblement.
Alysse Prior, fille du défunt Orage Prior. Parmi les Idoles, elle était sans doute la seule prenant la Rébellion au sérieux. Sa haine était bien plus légitime que les autres puisque Salathiel était le tueur de son père.
— De quelles ordures parles-tu ?
— D'un papillon particulièrement sanglant, accepta de lui répondre Alysse. Nous avons reçu votre cadeau. Mais en plus de la tête de la goule, nous sommes étonnés de ne pas avoir récupéré celle de notre papillon.
Elle s'admira un long moment dans le miroir, comme hypnotisée par son propre reflet. Ses cheveux se méchaient de plusieurs nuances de blonds, rappelant l'or. Tout dans son apparence ressemblait à une mode venue de la Grèce Antique. Avec une pointe de modernité et un désir de montrer sa chair.
Arian observa ces mains qui se recoiffaient. Les Idoles possédaient toutes un don unique dans leurs mains. Pour la deuxième génération tout du moins. La première n'avait aucun besoin d'user de ses mains. Un simple regard pouvait suffire.
Et concernant Alysse, tout ce que ses doigts touchaient se transformait en poussières d'or. Autant dire que le Lycan ne souhaitait pas tester ce pouvoir monstrueux.
— Comment va Salathiel ? Je pensais le voir ici. Aurait-il peur d'une étreinte avec son ancienne maîtresse ?
Arian se retint de grogner.
Salathiel était son ami, et cette garce avait fait de lui son esclave dès l'enfance. Pour la seule raison qu'il était un hybride.
— Il était occupé.
— Ne crois pas que je t'épargne ce soir par courtoisie.
Elle s'efforça de ne pas regarder vers l'autre Idole qu'elle accompagnait.
— Ton nouveau chef t'empêche de jouer ?
— Par courtoisie envers la famille royale hématophage, nous vous épargnerons pour cette nuit.
Elle finit par se détacher du miroir pour le regarder droit dans les yeux. Mais lui était incapable de se détourner de ses mains. La Reine vampire était réellement parvenue à les rendre dociles avec simplement un manteau de Kèr en sa possession. Que se passerait-il lorsque Jehanne rejoindrait leur camp ?
— Elle ne vous rejoindra jamais.
— Détrompe-toi. Notre Lien se révèlera sous la Pleine Lune cette nuit.
Alysse blêmit, ne cachant rien de son dégoût.
— Répugnant.
Sa main se leva vers lui, Alysse posa un doigt contre la poitrine du lycan. Il retint son souffle, son cœur battant la chamade. Il était en réel danger.
— Le mélange des races est contre-nature, une immondicité à éradiquer de notre monde. Il en va de la survie des tératos.
Elle se détourna de lui, et du miroir, retournant auprès des siens. Arian se massa le torse, surprit d'être en vie, mais pas mécontent.
Mais un jour, ils auraient une Kèr et le Glas des Immortels. Deux armes contre les Idoles. Ils n'auraient plus à craindre pour leur vie.
Il suivit l'Idole du regard. Ce soir, cette nuit, elles ne seraient pas une menace. Et sa priorité était Jehanne. Récupérer son manteau. Il balaya la salle, cherchant l'odeur de sa femelle. Son parfum se déplaçait, Arian n'arrivait déjà plus à la voir. Où était-elle ?
— Je n'aime pas ça, grimaça Daveth qui s'était approché de lui.
— Elles n'attaqueront pas.
— Je ne parlais pas des Idoles. Certains individus ont une odeur... étrange.
Il lui pointa du menton deux hommes aux comportements peu habituel pour le Téras. Haine et combativité dans le regard, les phéromones des femelles ne semblaient les atteindre ni les faire réagir. Ils auraient pu être homosexuels, mais rien n'indiquait la présence d'une libido active.
Rien ne les intéressait, ni personne. Et ils n'appartenaient pas à une espèce sylvestre, ce qui aurait pu expliquer le désintérêt.
Il huma en leur direction.
— Étrange comme odeur. On dirait... qu'ils se sont parfumés.
Les autres tératos ne le sentaient sans doute pas, mais l'odorat de créature comme les lycans était bien plus développé et sensible.
— On dirait...
— Des humains, termina Daveth à sa place.
Une nouvelle bien plus inquiétante que la présence des Idoles dans les environs. Des humains parmi eux, aspergés par des odeurs de tératos...
— La Ronde.
***
Pourquoi avait-elle dansé avec lui ? Pourquoi avoir dansé avec Arian ? Insensé. Ce lycan était parvenu à se jouer d'elle, à la tromper pour l'amener à se confier. Un plan finement élaboré. Elle était tombée dans le piège et semblait prête à refaire la même erreur.
Ses pas s'éloignaient de l'homme capable de faire battre son cœur. Un bien cruel tour du Destin... Était-ce une sorte de punition pour ses crimes ?
J'emmerde le Destin. Et j'emmerde Arian.
Sa cadence ralentissait. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'on la trahissait. Parfois même dans des situations bien pires, et pour des raisons plus insignifiantes. Seulement, avec Arian, cela lui paraissait différent au point de ressentir de la douleur.
Elle avait réellement cru le lycan être à part. Il était censé l'avoir sauvé malgré leurs divergences. Il avait fait croire qu'elle était plus importante que la cause de la Rébellion. Mais en vérité, Arian l'avait considéré comme tous les autres. Comme une arme. Rien de plus, rien de moins.
J'ai espéré que ce soit plus.
— À la naissance, le manteau de la Kèr est un drap rouge vif qui enveloppe le nourrisson et le protège solidement. Cette teinte cramoisie, bordeaux, plus foncée, n'est que le fruit des taches de sang de leurs proies agonisantes ou de leurs ennemis.
Jehanne se trouvait devant l'origine de sa venue ici. Son manteau, derrière une vitrine, était mis en valeur. Et une jeune fille scrutait ce vêtement avec une certaine curiosité.
Ses longs cheveux caramel, presque terne, étaient brossés avec soin et Jehanne jalousait sa tenue. Une longue robe d'un bleu roi marqué, ouverte sur la cuisse. Et des talons rouges. Un mélange bien étrange.
Une chose était certaine, cette fille n'était pas encore figée dans son immortalité. Son apparence n'était pas suffisamment attrayante pour ça. Jehanne la huma. Une senteur de fleur, sucrée. Son sang devait être excellent. Une créature sylvestre ? Mais quelle espèce dans ce cas ?
— Tu en connais beaucoup sur les Kères.
— Sans doute autant que vous, Jehanne de Leau.
Elle ne se cachait même pas de la connaitre. La plupart l'auraient nommé Papillon écarlate. Mais cette fille s'embêtait à l'interpeler de sa réelle identité, tout en laissant supposer qu'elle connaissait sa nature de Kèr. À croire que tout le monde était au courant dans le Téras !
Ou alors, Jehanne se faisait des films.
— Pourquoi penses-tu que j'en sais autant que toi ?
La fille s'empourpra, ses jolis yeux clairs se détournant d'elle.
— Ah, eh bien parce que vous semblez être intéressée par ce manteau. Vous devez donc être bien informée vous aussi, non ?
Jehanne s'était simplement montrée paranoïaque. Elle commençait à se méfier de tout le monde maintenant qu'Arian s'était révélé indigne de confiance.
— Tu as raison, je connais ce genre de manteau.
La rouquine remonta ses lunettes, fuyant son reflet du regard. Les tératos avaient rarement des problèmes de vue.
— Une mauvaise vue ?
— Oh non, c'est... pour me fondre parmi les humains. Les tératos ne me repèrent pas comme ça. Non pas que je les fuie, mais parfois, ils sont un peu dangereux. Enfin... quelque chose comme ça.
Elle ne soutenait pas le regard de Jehanne. Par ailleurs, elle fuyait le regard de chacun ici, comme mal à l'aise. Parfait. Elle était sans aucun doute une créature chétive et craintive de la forêt. Une pixie peut-être ?
Cela l'arrangeait, puisque Jehanne pourrait facilement l'intimider.
— Tu es ?
— Oh, euh... Je m'appelle Eglantine.
— Et tu veux acheter ce manteau ?
— C'est... C'est possible.
— Tu peux toujours essayer, mais sache que je te retrouverai, commença-t-elle en pianotant sur le ventre d'Eglantine. Et ensuite, je pourrai bien ouvrir ce ventre pour tacher encore le manteau avant de l'emporter avec moi.
Eglantine blêmit, se figeant avant d'effectuer un étrange mouvement qui lui permit de se mettre hors d'atteinte de Jehanne. La jeune fille jeta un œil autour d'elle, cherchant sans doute ses accompagnateurs. Il serait stupide de laisser une future immortelle seule parmi les tératos avant que son corps ne se soit figé dans la jeunesse éternelle.
Une concurrente en moins, se félicita-t-elle, persuadée d'avoir effrayé Eglantine. Mais Eglantine lâcha un rire froid et moqueur.
Ses lunettes sur le crâne, elle balaya la jupe de sa robe, révélant ses deux jambes et une fine lame plaquée dans contre le tissu. Une rapière d'une légèreté impossible.
Jehanne n'allait pas pouvoir esquiver à temps, Eglantine s'étant emparée de son arme bien trop vite, usant de l'effet de surprise.
Pourtant, elle se retrouva hors de portée de l'attaque. La lame traversa un corps, mais pas le sien.
— Arian !
L'imbécile de lycan l'avait tiré en arrière pour prendre la lame dans le flanc. Rien de mortel, parce qu'il avait eu de la chance de recevoir l'attaque ici !
Elle l'attira contre lui, se détournant de son manteau.
Des hurlements sauvages s'élevèrent dans le château. Les invités étaient attaqués. Les fenêtres se brisèrent pour laisser entrer une armée humaine bien préparer.
— La Ronde attaque, Jehanne. On doit partir.
— Tu es blessé... Arian, tu saignes.
Il brisa la vitre détenant son somptueux manteau et le verre perfora sa peau. Il saigna davantage encore.
Le bruit provoqué attira les regards des invités. Tout du moins des intéressés. Plus particulièrement des Idoles.
Alysse brisa le cou d'un des agents de la Ronde, une expression déterminée sur le visage. Et la Ronde agit, la décapitant avec efficacité. Un seul coup, net. L'arme était dorée, tout comme le sang de l'Idole.
— Les chercheurs veulent savoir si cette arme est plus efficace, commenta l'un des humains.
Ils se mirent à chronométrer. Mais après une minute, le corps se reforma, non à partir de la tête, mais à partir du tronc. Alysse se releva, éclatant d'un pas furieux son ancienne tête. La Ronde voulut de nouveau tester son nouveau jouet, mais Alysse prédit le coup.
Cette fichue Idole va chercher à me voler mon manteau.
Arian tenait son bien le plus précieux. Dans ses grandes mains. Et Jehanne cru ce dernier en sécurité. Pourquoi accordait-elle encore sa confiance à celui qui l'avait trahi ?
— Rends-le-moi.
Il aurait pu en profiter pour lui faire du chantage, pour la forcer à l'écouter, ou à le suivre. Jehanne l'aurait fait. Pourtant, il n'en tira pas avantage, lui rendant son beau et long manteau de cuir.
Un sentiment apaisant l'enveloppa. Jehanne était heureuse. Elle tenait dans ses mains toute sa vie. Sans son manteau, Jehanne ne valait rien. Avec son manteau, elle était invincible.
— Il faut vraiment y aller, continua Arian.
La Ronde avait envahi les lieux. La plupart des invités avaient décampé, certains emportant au passage quelques trésors laissés là. La Reine aussi s'en était allée, Jehanne en était persuadée.
— Arian, tu es blessé, s'approcha Daveth.
— Une égratignure, ça va guérir.
— D'accord, alors partons. Je n'ai pas envie de combattre la Ronde et les Idoles en même temps.
Jehanne avait été si absorbée par le fait de retrouver son manteau qu'elle n'avait pas remarqué que la main d'Arian s'était glissée dans la sienne, la poussant à le suivre.
Une fois dehors, un danger bien plus terrifiant les attendait. La Lune. Pleine, ronde, elle sembla viser Jehanne avec insistance.
Son cœur commença à la marteler. Ses sens perturbés la guidaient vers ce dont elle avait réellement besoin. Jusqu'à ce qu'une douleur vive la traverse de part en part. Une lame venait de lui traverser le torse.
— La Ronde n'a jamais pu étudier le manteau d'une Kèr.
La voix d'Eglantine.
Elle retira sa rapière du corps de Jehanne, la laissant tomber à genoux tandis qu'elle récupérait son manteau. Pourquoi s'acharnait-on à vouloir le lui prendre ?
Jehanne cracha du sang, prenant conscience que la blessure était sans doute plus grave qu'elle l'avait cru. Elle guérissait lentement. Beaucoup trop lentement.
Un sifflement connu se fit entendre, Eglantine fredonnant une mélodie. Jehanne l'identifia aussitôt.
— Tu es... la Carmagnole.
L'une des tueuses prolifiques de la Ronde.
— Et toi, tu es bientôt morte, Papillon écarlate.
La femme qui se tenait à côté lui paraissait bien différente de la timide créature rencontrée plus tôt. Sans doute une impression dû à l'absence des lunettes.
Eglantine leva son épée, prête à l'achever. Le roich semblait avoir réellement eu un impact négatif sur Jehanne. Sur son corps et ses capacités. Plus lente, plus fragile... Quoi d'autres encore ?
Je vais vraiment mourir cette nuit.
Une nuit magnifique.
Un tremblement fit vibrer le sol. Le plus bestial des hurlements déchira le calme nocturne, pétrifiant de stupeur tous ceux restés dans les environs. Le cri d'un lycan était déjà menaçant. Mais celui-ci avait une saveur cauchemardesque.
— T'as un partenaire destiné ? Un lycan ? Fais chier...
Eglantine voulu détaler alors qu'une bête de plusieurs mètres lui fonçait dessus. Celle que l'on surnommait la Carmagnole fut même obligée de lâcher le manteau de Jehanne.
Il lui sembla perdre connaissance l'espace d'un instant.
Dernière mise à jour : 28/10/2024
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top