Chapitre 17
« Sur mon front, mille fois solitaire,
Puisque je dois dormir loin de toi,
La lune déjà maligne en soi,
Ce soir jette un regard délétère. »
— Paul Verlaine, Les méfaits de la lune
Le Soleil commençait déjà à se fatiguer à l'horizon. Les créatures de la nuit ne tarderaient pas à sortir de l'ombre.
Ce soir, à Grandminarc, propriété de la royauté des Hématophages, de nombreux tératos se réunissaient pour fêter la Bleutée Sanguine. Tous ne détenaient pas d'invitation, mais ces morceaux de papiers semblaient inutiles pour entrer. Les Saeva, et plus particulièrement la Reine Lizebeth, aimaient se donner en spectacle. Tout acteur capable de rendre la fête mémorable serait bienvenue. Et plus il y avait de spectateurs pour témoigner, mieux la Reine vampire se portait.
Ni Arian ni son frère l'accompagnant n'avaient reçu d'invitation. Pourtant, il tenait un bout de papier dans ses mains.
Suivre les traces de Jehanne fut assez facile. Elle voulait son manteau. Il devait avoir été laissé dans ces ruines. Celles de leur rencontre. De toute évidence, elle n'avait rien trouvé. Les frères étaient arrivés bien après le passage de la kèr, ne trouvant que le carton d'invitation froissé. La Reine vampire détenait le précieux manteau et avait eu l'arrogance d'inviter sa propriétaire à venir tenter de le récupérer.
Une part en lui se sentait coupable. Ce vêtement paraissait vraiment important pour les kères. Pourtant, le jour où Jehanne l'avait supplié de la laisser partir, il lui avait tourné le dos. Par fierté de lycan sans doute. Tout ce qu'il avait entendu, c'était que sa femelle voulait la fuir, là où il aurait dû simplement percevoir la détresse de son âme sœur.
— Nous allons la retrouver, lui garantit Daveth. Elle et son manteau.
La main de son frère se posa sur son épaule en soutien.
— Est-on certain qu'elle sera à cette fête ?
— Si ce n'est pas le cas, tu auras au moins un avantage. Ce soir est particulier pour les lycans.
La nuit de la Bleutée Sanguine. Une fête tératos. Selon l'hôte, selon leur espèce, les festivités pouvaient se dérouler de différentes façons. Les lycans préféraient une bonne chasse en groupe, ainsi qu'un banquet donné en compagnie de plusieurs autres meutes alliées. L'occasion aussi de terminer la nuit en compagnie de son âme sœur ou de partir à sa recherche. Leur instinct était puissant à cette occasion.
La pleine lune guidait les amants destinés. Les lycans, particulièrement sensible à l'astre nocturne, possédaient en eux cet avantage-ci. Et cette Bleutée Sanguine était le nom donné à cette nuit de pleine lune. Dans le Téras, cette Lune, super lune rousse, s'accompagnait d'une pluie d'étoiles filantes. Tous les rêves se réalisaient.
Alors Daveth avait raison. Cette nuit était vraiment une aubaine. Il trouverait forcément Jehanne, qu'elle se trouve ou non à la fête. Peut-être s'adonnerait-il à la même tradition que ses ancêtres ? Après tout, lorsque les lycans trouvaient leur âme sœur, la rumeur racontait qu'ils l'enfermaient avec eux jusqu'à l'arrivée de la pleine lune. Jusqu'à ce que leur partenaire destinée accepte son sort.
Je ne pourrais pas lui faire ça.
— Tu sembles nerveux, constata Daveth.
— Je ne suis pas nerveux.
Pourtant, Arian était bien nerveux. Et si Jehanne ne venait pas, qu'il s'était trompé ? Et s'il ne parvenait pas à la récupérer ? Et si...
Il ferma les yeux un instant, tentant d'apaiser ses inquiétudes inutiles. Il allait retrouver Jehanne. Il le fallait.
— Nous devrions y aller, le soleil se couche et je vois déjà certains invités arriver, déclara son frère.
Chacun remonta dans sa voiture pour se rendre devant l'immense demeure. Les deux frères sortirent de leur véhicule respectif. Arian s'appuya contre sa Bugatti d'une teinte bleu nuit, garée à côté de la Porsche sombre qu'il avait prêté à Daveth pour l'occasion. Deux garçons, des dhampirs, prirent leurs clés pour aller garer ces deux bijoux.
Ce soir, étaler sa richesse devenait une nécessité.
Si certaines créatures viendraient en volant ou en se téléportant, pour les autres qui arriveraient en voiture il s'agirait d'une occasion rêver d'exposer argent et pouvoir pour tenter de s'attirer quelques regards envieux et des partenaires de nuit.
Daveth, plus prudent qu'Arian, jetait un regard méfiant pour chaque invité dans les alentours.
— Nous sommes deux lycans qui entrent dans une fête organisée par des vampires. Qu'est-ce qui pourrait mal se passer ?
Daveth marquait un point. Les vampires et les loups ne s'appréciaient pas.
— Elle est la Reine du peuple hématophage, pas seulement des vampires. J'ai senti l'odeur d'autres loups dans le coin.
— J'ai un mauvais pressentiment.
— Tu n'es pas prophète, Daveth. Garde ton pressentiment pour toi.
Tous deux entèrent dans la demeure.
Le nombre d'invités était grand. Tout comme la diversité parmi cette foule de tératos. Une multitude d'espèces se mélangeait, arborant des tenues traditionnelles leur étant propre ou bien des vêtements luxueux de créateurs humains.
Daveth pointa du regard quelques visages connus du Téras.
— Des Séraphins et des Démons, des Lycans et des Vampires, des Fées et des Sorcières...
— Pas des fées, des pixies.
— Étrange qu'aucune bagarre ne se soit encore déclenchée. Il me semble même avoir vu un dragon.
— Et des Idoles, acheva Arian dans un grognement.
Alpha, nouveau dirigeant des Idoles, accompagné d'Alysse, fille d'Orage. Heureusement, Salathiel n'était pas présent. Un combat particulièrement sanguinaire aurait remplacé la joyeuse ambiance.
Après tout, Salathiel avait tué Orage. La haine entre le chef de la Rébellion et Alysse ne pouvait se résumer facilement.
Dans ses habits d'un tissu léger fait de dorure extravagante, Alysse tourna son visage vers les deux frères. Ses informateurs avaient dû parler d'Arian. Elle devait le connaitre comme membre de la Rébellion, ou au moins avoir des soupçons concernant cette activité.
Comment les Saeva étaient-ils parvenus à attirer l'attention des Idoles ?
— Arian, l'appela Daveth en lui montrant d'un geste discret une affiche.
Des ventes aux enchères. Une activité proposée par la Reine pour cette nuit spéciale. Les lots proposés étaient tout aussi spectaculaires si l'on se fiait à la liste proposée.
Mais un objet attira son attention.
Arian écarquilla en grand les yeux.
— Le manteau d'une kèr, lisait Daveth, comme pour montrer à Arian ce qu'il était censé regarder.
Mais le loup avait bien saisi le problème. Le manteau de Jehanne était en vente. Combien de tératos serait témoin de la vérité ce soir ? Si sa femelle débarquait, qu'elle faisait tout pour récupérer son manteau, chacun pourrait laisser la rumeur se répandre : le Papillon écarlate n'est pas un vampire, mais une kèr.
***
Si un seul fil dépasse de mon manteau, je ferai s'éteindre l'espèce des vampires toute entière.
Une promesse à ne pas prendre à la légère venant d'une créature réputée pour avoir été l'arme génocidaire des Idoles. Les meurtres de masses, elle connaissait.
Il ne faisait pas encore totalement nuit, mais Jehanne parvenait à marcher au soleil avec son ombrelle, ses lunettes de soleil et sa crème solaire spéciale vampire sur la peau. À cette heure-ci de la journée, l'astre diurne ne serait bientôt plus un problème.
La Bleutée Sanguine était un évènement à ne pas louper après tout, bien que Jehanne s'en fichait royalement. Elle n'était pas là pour ce moment magnifique censé pouvoir réaliser tous les vœux grâce à sa pluie d'étoiles filantes. Le moment le plus incroyable de sa soirée resterait celui où elle tiendrait de nouveau son manteau dans ses mains.
Pour récupérer son bien, la femme avait mis tous ses atouts en jeu. Cela commençait par une longue robe écarlate au dos nu et à l'ouverture longeant la jambe jusqu'au haut de la cuisse. L'immense décolleté laissait un aperçu net sur l'arrondi de ses seins déjà imposants. Quant à ses ongles taillés en griffes, elle les avait sobrement décorés. Juste avant d'aller dérober un magnifique serre-cou incrusté de rubis. Une parure accompagnée d'une paire de boucles d'oreilles à l'alliage fin.
En touche finale, ses cheveux se nouaient en chignon élégant à l'aide de deux baguettes chinoises dans un alliage des plus solides.
Habituellement magnifique, Jehanne serait enviée des déesses de la beauté en personne en cette nuit d'exception.
En quoi cela était utile pour retrouver son manteau ? En rien. Seulement, les Saeva adoraient se mettre en scène, et Jehanne adorait les frustrer. Alors ce soir, elle allait leur voler les regards qu'ils désiraient pour eux. Une petite compensation pour lui avoir dérobé son bien le plus précieux.
Cette tenue lui avait coûté une petite fortune. Elle avait dépensé de l'argent qu'elle n'avait pas. Autrement dit, elle avait volé quelques portefeuilles. Et cela lui avait demandé les efforts d'une matinée entière. Heureusement qu'il lui était resté suffisamment de crème solaire pour la journée.
Elle soupira en pensant que si un certain Lycan avait été là, cette robe, qui valait plusieurs centaines d'euros, n'aurait pas fait long feu. Jehanne en blêmissait de stupeur. Non pas que l'argent ait eu une quelconque importance. Ce qui la terrifiait était qu'elle pensait à Arian dans un moment totalement inadéquat.
Pense à ton manteau Jehanne. Tu entres, tu le cherches, tu le trouves et tu t'en vas.
Pas de vague pour ce soir. On se contentait d'emmerder la Reine. On limitait la casse. Quoiqu'un petit combat...
La femme ne dirait sans doute pas non à une bagarre dans sa quête de retrouver son bien le plus précieux.
Elle prit une profonde inspiration et se plaça à l'ombre pour sortir une petite fiole de son décolleté. Elle avait besoin de sa dose. La sixième depuis hier.
Ses prises s'avéraient de plus en plus fréquentes. Sûrement trop. Sitôt débarrassée de son lycan, il n'avait pas fallu longtemps pour qu'elle replonge, vidant son stock gardé par Rip. Il faudrait qu'elle se trouve vite un fournisseur, les Idoles et elle étant en froid.
Une fois bu, Jehanne se débarrassa de la fiole en la lançant près des voitures garées. En l'observant tomber au sol, son regard se posa sur les voitures des invités garées devant. Surement les voitures de mâles prétentieux ou de femelles arrogantes.
— Jolie la Bugatti, accepta-t-elle tout de même de lorgner sur l'un des véhicules.
Jehanne pensa à l'emprunter pour une durée indéterminée. Elle l'aurait surement fait si la voiture avait été rouge. Le bleu choisi, un bleu sombre, restait élégant, mais une teinte écarlate... Certes, ce n'était sans doute pas ce que des puristes apprécieraient. Mais quelle importance ?
Se détournant des voitures, elle monta les marches et se posta devant l'immense entrée du château. On lui ouvrit les portes, des œillades intriguées pour sa jolie robe, ses magnifiques rubis, ou tout simplement pour elle.
La soirée battait son plein. Des centaines de créatures étaient regroupées ici, toutes d'espèces différentes. Des démons, des sorcières, et même des elfes. Cela surprenait Jehanne qui savait les elfes être plutôt asociaux.
Bien évidemment, la présence de quelques vampires se faisait sentir. Et des dhampires.
Se tenant droite, fière, Jehanne devait trouver son manteau. Elle cessa donc d'observer son environnement et se mit à chercher plus sérieusement. Pourtant, un frisson dans son dos lui indiqua un danger. Que se passait-il exactement ?
Ignorant cette sensation, la femme s'avança, un sourire triomphant sur le visage avant même d'avoir gagné cette confrontation dans laquelle l'avaient engagé les Saeva. On ne volait pas impunément Jehanne.
Aux premiers pas, le dos droit, ses talons claquèrent sur le sol presque scintillant. Quelques murmures s'élevèrent déjà à son arrivée remarquée.
— Est-ce vraiment le Papillon écarlate ? Elle est... absolument canon.
— Calme-toi, ça m'étonnerait que tu passes une nuit d'enfer avec elle. Plutôt une nuit en enfer lorsqu'elle t'aura dépecé vivant.
Jehanne jeta un coup d'œil du côté des incubes, leur souriant avec un naturel qui lui demandait un effort immense. Elle ne voulait pas sourire, mais elle s'améliorait dans le domaine de la simulation. Et cette nuit, elle ferait semblant pour de nombreuses choses, bien qu'une esquisse pour des incubes pervertis ne faisait pas partie des choses qu'elle pourrait exécuter « naturellement et sincèrement » toute la soirée. Elle serait la vedette d'une soirée qui appartenait aux Saeva. Elle serait une vedette qui repartirait avec son manteau. Et enfin, elle serait la vedette qui mettra fin à la fête.
Son regard s'attarda sur les escaliers. Sans doute son manteau se cachait-il là-haut ?
Concentre-toi, se força-t-elle en fermant les yeux. Elle devait réfléchir. Où aurait-on caché son manteau ? Connaissant les Saeva, sûrement que ce dernier était exposé quelque part, à la vue de tous.
— Bonsoir.
Jehanne se tourna, un sourcil levé alors que l'un des deux incubes de tout à l'heure l'approchait.
— Je suis Saraph.
— Qu'est-ce qui, dans ma manière d'être, t'a donné l'impression que cela m'intéressait ?
— Ton petit sourire en coin, jolie vampire.
Cet homme était – comment dire ? – ringard. Et Jehanne n'avait pas de temps pour s'occuper de lui. Se détournant du démon, elle reprit son avancée dans la salle, sentant à chacun de ses pas les regards de mâles aux libidos douloureuses en ce soir de Pleine Lune. Mais aussi des regards de haine appartenant certainement à quelques fans du travail effectué par le Papillon écarlate.
Dire qu'elle n'aimait pas cette attention aurait été un mensonge. Jehanne adorait ce mélange d'admiration et de haine dont elle était la cause originelle.
Mon manteau, mon manteau...
Soudain, Jehanne se pétrifia. Que venait-elle de voir exactement ? Un panneau sur lequel était indiquée une vente aux enchères.
Ces enfoirés allaient vendre son manteau, elle en était persuadée ! En quelques pas, la voici qui se plantait devant les informations concernant cette vente. Des objets rares et précieux. Malheureusement, les Idoles ne l'avaient jamais payé. Ses économies étaient bien maigres. Impossible de s'acheter ces lots intéressants.
Mais l'un d'eux... Le manteau d'une kèr.
Ils ont vraiment mis mon manteau aux enchères !
Elle devait y aller, récupérer son bien. Participer à la vente pour massacrer tous ceux qui lorgneraient pour ce dernier.
Mais dans sa lancée, Jehanne fut arrêtée. Quelqu'un lui avait saisi le bras, à savoir Saraph, l'incube inconscient.
— Pourquoi est-ce que tu t'enfuis comme ça ?
— Retire ta main immédiatement de mon poignet ou je te donnerai un aperçu de l'expression « avoir la tête dans le cul ».
Il ne la lâchait pas. Jehanne siffla pour mettre en garde. Elle allait attaquer. Ce n'était franchement pas le moment pour venir l'emmerder !
L'attention se tourna très vite vers eux. Le Papillon écarlate allait véritablement tuer un incube, dans l'une des demeures des Saeva ? Chacun voulait en être témoin.
Une main se posa alors sur l'avant-bras de Saraph, le forçant à la relâcher. La grimace de l'incube démontra la force du nouvel arrivant, dont le bras la ceintura d'une étreinte douloureusement possessive. Ce torse, contre lequel elle n'eut d'autre choix que de se blottir, n'avait rien d'un moelleux coussin. Dur, ferme, à la respiration maitrisée. Les battements de cœur vibraient pour s'unir au sien, ne formant plus qu'une même harmonie. La chaleur de cette personne apaisa la colère primitive de Jehanne, la dissuadant de se jeter à la gorge de Saraph pour lui arracher la tête.
Un grognement menaçant et terrifiant s'échappa du mâle contre lequel son être entier se pliait, provoquant un vrombissement sur la poitrine ferme qui servait d'appui à son visage.
— Elle est à moi. Touche-la encore une fois et je t'arracherai la tête.
— Calme-toi le lycan, je ne savais pas qu'elle était prise.
Prise ? Depuis quand était-elle « prise » ?
L'incube recula et retourna d'où il venait, mais l'attention ne s'était pas détachée de Jehanne pour autant. Un deuxième grognement et voici que chacun détournait le regard.
Ça n'eut pas la moindre importance. Ce qui l'entourait semblait loin alors qu'elle humait avec intérêt l'odeur du mâle imposant dont elle semblait prisonnière. C'était... enivrant. Envoûtant.
Elle leva la tête, le charme se rompit. Néanmoins, l'identité du lycan ne la surprenait pas. Elle n'en connaissait qu'un seul capable de la désigner comme sienne avec fierté malgré sa notoriété de tueuse appartenant aux Idoles. Arian, le traitre qu'elle avait fui et qui, apparemment, avait fini par l'attraper. L'avait-il traqué jusqu'ici ?
Son ventre se tordait, papillonnait douloureusement. La trahison du beau mâle faisait encore souffrir son corps, comme une plaie béante qui ne se refermait pas. Des souvenirs douloureux lui revenaient en mémoire. Qu'il ait ou non une bonne raison n'y changeait rien. Arian l'avait vendu éhontément, alors qu'elle lui faisait confiance.
Elle s'était confiée à lui. Sa nature de kèr, sa sœur, le Glas des Immortels. Tout. Même... son attirance pour lui. Elle aurait été prête à leur donner une chance !
— Lâche-moi, sale traitre, siffla-t-elle sa colère.
Elle posa son ombrelle contre lui pour le repousser, lui laissant au passage l'objet devenu inutile. La nuit tombée, l'accessoire devenait bien peu important. Un grognement de la part du loup tenta de la mettre en garde :
— Jehanne, ne cherche pas à me fuir de nouveau.
Quel culot !
— Tu n'es pas ma priorité. Crois-le ou non, mais le monde ne tourne pas autour de toi.
— Vous deux, ce n'est pas le moment de vous donner en spectacle, les interrompit un nouvel arrivant.
Daveth aussi se tenait à ses côtés. Arian n'était pas venu seul.
— Deux loups pour moi toute seule. J'en ai de la chance.
— Jehanne, je sais que tu es en colère. Mais donne-moi l'occasion de me faire pardonner...
Il la suppliait jusque dans sa posture, le dos courbé, les épaules lâches. Le loup souffrait vraiment. Pourquoi s'empêchait-elle de faire un geste vers lui ? Était-elle réellement la méchante dans cette histoire ?
Je suis le Papillon écarlate, ça ne signifie pas que je suis tout le temps la fautive, cruelle et sans cœur !
Jehanne trouva le courage de se détourner de lui. Cela paraissait si difficile. Les kères ne possédaient pas d'odorat aussi développé que les lycans, pourtant, la fragrance d'Arian l'étreignait, l'obsédait et lui manquait. Elle était censée lui en vouloir, et de tout son cœur, elle voulait le repousser. Mais son corps gardait sa confiance en celui l'ayant trahi.
La Lune ne s'était pas encore dressée dans le ciel. Ses rayons n'influençaient personne ici. Pour autant, Jehanne savait que cette nuit serait... particulière. Arian la considérait comme son âme sœur, sa partenaire destinée. Et tout au fond d'elle, cette possibilité lui paraissait plausible. Invraisemblable, mais pas impossible. Autrement dit, elle devait s'éloigner du loup le plus possible. Le danger devenait réel. Même si elle avait été en pleine forme, ce qui n'était pas le cas puisqu'elle continuait de prendre du roich, jamais elle ne pourrait avoir l'ascendant sur un lycan sous les effets de la Pleine Lune.
Seulement, plus elle reculait, perdue et perturbée par ces sensations, plus Arian s'approchait.
Mon manteau, s'efforça-t-elle de se focaliser sur son but initiale.
Hors de question de se détourner de sa mission. Surtout pas à cause d'un sac à puces avec qui elle avait cru partager... quelque chose.
Et Arian qui continuait d'avancer en sa direction...
La musique la sauva. Du tango.
Pour échapper au loup, à l'attrait de son corps, à l'appel de son odeur, elle se saisit hasardeusement la main d'un mâle, prenant pose au milieu de la piste, son partenaire dans son dos. Il glissa sa main sur elle tandis que la musique se mettait véritablement en marche. Elle se saisit de cette main maladroite, puis tourna sur elle-même, laissant le bras de son partenaire s'enrouler autour de sa taille alors qu'elle plaçait sa jambe sur le haut de la sienne, se laissant basculer en arrière. Dans cette position, elle ne vit que deux choses. La première était que son partenaire se trouvait être Saraph. La deuxième ? Arian semblait furieux.
Le Lycan observait avec le reste de la foule, qui s'était écartée pour voir les danseurs en action.
Se redressant, Jehanne tenait la main de Saraph, l'incube au grand sourire. Leurs pieds en mouvement s'esquivaient habilement. Des pas de danse à la fois lents et rapides. Puis, alors que Jehanne commençait assurément à apprécier cette danse, deux mains se posèrent sur ses hanches. On l'entraînait en arrière. Elle se laissa glisser sans se retourner, comprenant à qui appartenaient cette prise.
Arian la fit pivoter pour lui faire face, plaquant son corps contre le sien avec une brusquerie maîtrisée qui surprit Jehanne.
— Tu sais danser le tango ?
— Non, mais j'apprends très vite.
Les pas qu'il se mit à effectuer laissaient Jehanne dans le doute. Néanmoins, bien qu'il fût doué, elle comprit qu'il ne connaissait vraiment pas le tango. Il jouait à un jeu de dominance, essayant de mener la danse tout en lançant des regards provocateurs envers l'incube abandonné. Voilà que le loup pensait avoir gagné contre le démon !
— C'est comme faire l'amour, je suppose, susurra-t-il à l'oreille de Jehanne avant de la basculer au sol.
Totalement à terre, la femme fronça les sourcils, essayant de comprendre la métaphore. Mais aussitôt, sa main libre fut saisie par Saraph n'appréciant pas d'être ainsi délaissé. Il releva la femme de terre, la gardant fermement à son côté. Une chose qui ne plut visiblement pas à Arian.
Étrangement, Jehanne prenait son pied. Deux beaux mâles se disputaient une femelle plus que charmante dans une danse endiablée. Une danse qui prit une autre allure alors que Lycan et Incube se mirent à prendre puis à abandonner Jehanne chacun leur tour. Si la métaphore tenait toujours, Jehanne se disait que c'était le meilleur plan à trois qu'elle avait vécu depuis longtemps.
Seulement, elle n'eut pas le temps de se réjouir plus longtemps. La musique arrivait à sa fin. Alors, elle expulsa Saraph, prenant Arian à part. Le Lycan la souleva du sol avant de la laisser redescendre pour ensuite poser un genou à terre. Jehanne, debout, ne put retenir son désir de dominer. Et sur les dernières notes, elle posa un pied sur la poitrine du loup qui s'allongea à moitié.
La danse se termina ainsi, la Kèr avec un bras levé, un pied sur le Lycan à terre.
Arian souriait, ce qui troubla Jehanne tandis qu'il se relevait.
Son attention fut captée par toute autre chose. Son regard venait de croiser celui d'une femme. Celle qu'elle avait espérée trouver ce soir.
— Lizebeth, grogna-t-elle, oubliant totalement le danger du Lycan qui restait près d'elle.
Finalement, Jehanne était parvenue à faire sortir les Saeva de leur cachette.
Elle s'avança rapidement jusqu'à la femme pâle aux cheveux d'un noir ébène et dont les yeux rouge sang ne laissaient aucun doute quant à sa nature de vampire.
— Tu m'as volé mon bien, l'accusa-t-elle.
— C'était le seul moyen de te retrouver, Jehanne.
Lizebeth Saeva, la Reine des vampires ayant détrôné les Dyavol avec l'aide de la Ronde, une organisation d'humains fanatiques. Et malgré ces airs de dame noble et généreuse, elle était aussi digne de confiance que le scorpion sur le dos de la grenouille.
— Laisse-moi rire. Tu as volé mon...
— Jehanne, l'arrêta soudain Arian.
Sa grande main posée devant sa bouche, elle prit conscience qu'il venait de l'empêcher de se trahir. Ce lieu n'était pas sûr. Les tératos avaient les oreilles baladeuses. Sa nature de kèr n'avait pas à s'ébruiter inutilement.
Lizbeth lâcha un petit rire amusé.
— Lui aussi est dans la confidence ? Un membre de la Rébellion... Salathiel doit être aux anges de ne pas t'avoir fait tuer.
De quoi la Reine était-elle au courant ? Jusqu'où s'étendaient ses informations ?
— Tu lui as dit ? gronda Arian à son encontre.
Jehanne rougit, comme une enfant qu'on sermonnait.
— Bien sûr que non.
— Inutile de me le dire, intervint la Reine. J'ai beau n'être qu'une faible petite vampire fragile et incapable de résister aux coups de soleil, j'ai mes atouts. Tu fus le mien autrefois, Jehanne.
Pas de mystère. Jehanne était devenue le Papillon écarlate sous la coupe des Saeva. Chacun savait qu'elle avait été un Général de leur armée. Sous son commandement, le peuple hématophage se soumit à cette famille de vampire et les ennemis de la couronne perdirent en puissance.
Des lycans et des changeformes, elle en avait aussi combattu. Encore aujourd'hui, la royauté des Garous en était affaiblie. Un peuple auquel appartenait Arian.
Tout entre eux criait à la haine. Leurs espèces respectives, les camps choisis... Et la trahison d'Arian.
— Je ne te considère pas comme ma reine, Lizbeth.
— Et pourtant, tu as soumis ceux qui pensaient comme toi.
— Sur la terre des Hommes uniquement.
— Heureusement que je possède une kèr de mon côté dans ce cas.
Jehanne se figea. De quoi parlait donc l'arrogante Reine.
— Les Kères, race soi-disant disparue. Si leur espèce était réellement éteinte, comment pourrais-je mettre aux enchères l'un de leurs manteaux ?
Voilà donc ce qui se tramait dans la tête de Lizbeth. Elle comptait faire circuler des rumeurs. Avec ce manteau, elle prétendait avoir le soutien secret des Kères.
— Je vais te tuer. Je vais te tuer et je récupèrerai ce manteau, gronda-t-elle entre les dents.
— Tu peux essayer. Mais je pense que cela attirerait l'attention de nos vieux amis.
La Reine lui montrait une direction des yeux, et Jehanne observa discrètement. De mieux en mieux. Des Idoles.
— Maintenant, elles vont arrêter de menacer mes dhampirs de mort. Avoir une kèr sous la main, c'est avoir le pouvoir de les tuer elles.
La stratégie était intelligente, mais elle comportait son lot de limite.
— Peu de tératos connaissent aussi bien les kères.
Lizbeth, en Reine des buveurs de sang, connaissait son peuple. Elle connaissait donc les kères. Mais même Arian n'en avait rien su. Pas autant tout du moins.
— Les rumeurs vont vite dans ce genre de lieu. Oh, tu devrais te dépêcher de te trouver un riche mâle pour t'acheter ce manteau. Les Idoles ne sont pas les seules grosses fortunes à vouloir cette jolie pièce de collection.
Jehanne bouillonnait de l'intérieur. Durant une seconde, l'idée d'arracher la tête à Lizbeth lui paraissait excellente. La main d'Arian l'en dissuada, la saisissant au bras.
— Ne fais pas ça. Nos ennemis sont trop nombreux, lui murmura-t-il à l'oreille.
Leurs ennemis ? Il n'y avait que les ennemis de Jehanne ici. Ou alors mes ennemis sont aussi les siens ?
— Jehanne, reviens à mes côtés, réclama la Reine sans se préoccuper de la fureur de la kèr. Je connais votre arrangement entre toi et les Idoles. Et je peux t'assurer que c'est bidon.
Arian grogna à l'encontre de la Reine, qui siffla en montrant les crocs. Il était en train de la défendre, de menacer. Pour Jehanne. Et ça... l'apaisa, lui arrachant un sourire discret sur le coin des lèvres.
— Mais si tu me rejoins, que tu me jures loyauté avec un pacte créé par la sorcellerie, alors je m'engage à t'offrir ce que les Idoles t'ont refusé. Et en quelques jours seulement.
— Hors de question.
— Je me doutais que ce ne serait pas aussi facile. Alors voici pour toi un petit aperçu de ce que je peux t'offrir. Si tu changes d'avis, fais-moi signe.
Lizbeth glissa ses doigts entre ses deux seins, sortant une clé USB pour la lui tendre.
— En bonus, je ferai en sorte de te sevrer correctement du roich.
Quelques regards se posèrent sur Jehanne, démontrant qu'à présent, tout le Téras serait au courant en peu de temps. Notamment concernant l'addiction du Papillon écarlate. Le roich la soulageait, certes, mais il la rendait également plus faible. Ses ennemis allaient vouloir en profiter.
Jehanne accepta tout de même la clé USB.
— Les ventes vont bientôt commencer. Reviens me voir après, et nous regarderons ce que contient mon cadeau. En espérant que ton toutou soit plus fortuné que les autres invités.
Dernière mise à jour : 04/10/2024
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